LIVRE SECOND
Le Mystère royal ou l'Art de soumettre les
puissances
CHAPITRE I : Le Magnétisme
Le
magnétisme est une
force analogue à
celle de l'
aimant ; il est réparti dans toute la nature.
Ses caractères sont : l'attraction, la répulsion
et la polarisation équilibrée.
La science constate les phénomènes
de l'
aimant astral et de l'
aimant minéral. L'
aimant animal se
manifeste tous les
jours par des faits que la science observe avec défiance,
mais qu'elle ne peut déjà plus nier, bien qu'elle attende
avec raison pour les admettre qu'on en puisse terminer l'analyse par
une synthèse incontestable.
On sait que l'aimantation produite par le
magnétisme
animal détermine un sommeil extraordinaire pendant lequel l'
âme
du magnétisé tombe sous la dépendance du magnétiseur
avec cette particularité que la personne endormie semble laisser
oisive sa vie propre et particulière pour manifester uniquement
les phénomènes de la vie universelle. Elle reflète
la pensée des autres, voit autrement que par les yeux, se rend
présente partout sans avoir conscience de l'espace, perçoit
les formes bien mieux que les
couleurs, supprime ou confond les périodes
du temps, parle de l'avenir comme s'il était passé et
du passé comme s'il était à venir, explique au
magnétiseur ses propres pensées et jusqu'aux reproches
secrets de la conscience, évoque dans son souvenir les personnes
auxquelles il pense et les décrit de la manière la plus
exacte sans que le somnambule ou la somnambule les ait jamais
vues,
parle le langage de la science avec le savant et celui de l'imagination
avec le poète, découvre les maladies et en devine les
remèdes, donne souvent de sages conseils, souffre avec celui
qui souffre et pousse parfois d'avance un cri douloureux en vous annonçant
des tourments qui doivent venir.
Ces faits étranges mais incontestables nous
entraînent nécessairement à conclure qu'il existe
une vie commune pour toutes les
âmes, ou du moins une sorte de
réflecteur commun de toutes les imaginations et de toutes les
mémoires où nous pouvons nous voir les uns les autres,
comme il arrive dans une foule qui passe devant un miroir. Ce réflecteur
c'est la lumière odique du chevalier de Reichembach, c'est notre
lumière astrale, c'est le grand
agent de la vie nommé
od,
ob et
aour par les Hébreux. Le
magnétisme
dirigé par la volonté de l'opérateur c'est
Od,
le somnambulisme passif c'est
Ob : Les Pythonisses de l'antiquité
étaient des somnambules ivres de lumière astrale passive.
Cette lumière, dans nos livres sacrés, est appelée
esprit de Python parce que dans la
mythologie grecque le
serpent Python
en est l'image
allégorique.
Elle est représentée aussi dans sa
double action par le
serpent du
caducée ; le
serpent le droite
est Od, celui de gauche est Ob, et au milieu, au sommet de la verge
hermétique, brille le globe d'or qui représente Aour ou
la lumière équilibrée.
Od représente la vie librement dirigée,
Ob représente la vie fatale. C'est pour cela que le législateur
hébreu dit : Malheur à ceux qui devinent par Ob, car ils
évoquent la
fatalité, ce qui est un attentat contre la
providence de
Dieu et contre la
liberté de l'homme.
Il y a certes une grande différence entre
le
serpent Python, qui se traînait dans la fange du
déluge
et que le
soleil perça de ses
flèches ; il y a, disons-nous,
une grande différence entre ce
serpent et celui qui s'enroule
autour du bâton d'Esculape, de même que le
serpent tentateur
de l'Eden diffère du
serpent d'
airain qui guérissait les
malades dans le désert. Ces deux
serpents opposés figurent
en effet les
forces contraires qu'on peut associer, mais qui ne doivent
jamais se confondre. Le sceptre d'
Hermès, en les séparant,
les concilie et en quelque sorte les réunit ; et c'est ainsi
qu'aux yeux pénétrants de la science, l'
harmonie résulte
de l'analogie des contraires.
Nécessité et
Liberté, telles
sont les deux grandes lois de la vie ; et ces deux lois n'en font qu'une,
car elles sont indispensables l'une à l'autre.
La nécessité sans
liberté
serait fatale comme la
liberté privée de son frein nécessaire
deviendrait insensée. Le droit sans devoir, c'est la folie. Le
devoir sans droit, c'est la servitude.
Tout le secret du
magnétisme consiste
en ceci : gouverner la
fatalité de l'ob par l'intelligence et la puissance
de l'od afin de créer l'
équilibre parfait d'aour.
Lorsqu'un magnétiseur, mal équilibré
et soumis à la
fatalité par des passions qui le maîtrisent,
veut imposer son activité à la lumière fatale,
il ressemble à un homme qui aurait les yeux bandés et
qui, monté sur un
cheval aveugle, le stimulerait à grands
coups d'éperons au milieu d'une
forêt pleine d'anfractuosit&s
et de pr&cipices.
Les devins, les tireurs de cartes, les somnambules
sont tous des hallucinés qui devinent par ob.
Le verre d'
eau de l'
hydromancie, les cartes d'Etteila,
les lignes de la main, etc., produisent chez le
voyant une sorte d'hypnotisme.
Il voit alors le consultant dans les reflets de ses désirs insensés
ou de ses imaginations cupides, et comme il est lui-même un
esprit
sans élévation et sans noblesse de volonté, il
devine les folies et en suggère de plus grandes encore, ce qui
est pour lui du reste une condition du succès.
Un cartomancier qui conseillerait l'honnêteté et
les bonnes mœurs perdrait bientôt sa clientèle de femmes entretenues
et de vieilles filles hystériques.
Les deux lumières magnétiques pourraient s'appeler
l'une la lumière vive et l'autre la lumière morte, l'une le fluide
astral et l'autre le phosphore spectral, l'une le flambeau du verbe
et l'autre la fumée du rêve.
Pour magnétiser sans danger il faut avoir en soi
la lumière de vie, c'est-à-dire qu'il faut être un sage et un juste.
L'homme esclave des passions ne magnétise pas,
il fascine ; mais le rayonnement de sa fascination agrandit autour de
lui le cercle de son vertige ; il multiplie ses charmes et affaiblit
de plus en plus sa volonté. Il ressemble à une araignée qui s'épuise
et qui reste enfin prise dans ses propres réseaux.
Les hommes jusqu'à présent n'ont pas encore connu
l'empire suprême de la raison, ils la confondent avec le raisonnement
particulier et presque toujours erroné de chacun. Cependant M. de la
Palice lui-même, leur dirait que celui qui se trompe n'a pas raison,
la raison étant précisément le contraire de nos erreurs.
Les individus et les masses que la raison ne gouverne
pas sont esclaves de la
fatalité, c'est elle qui fait l'opinion et l'opinion
est reine du monde.
Les hommes veulent être dominés, étourdis, entraînés.
Les grandes passions leur semblent plus belles que des vertus, et ceux
qu'ils appellent de grands hommes sont souvent de grands insensés. Le
cynisme de Diogène leur plaît comme le charlatanisme d'Empédoclès. Ils
n'admireraient rien tant qu'
Ajax et que Capanée, si Polyeucte n'était
pas encore plus furieux. Pyrame et
Thisbé qui se tuent sont les modèles
des amants. L'auteur d'un paradoxe est toujours sûr de faire un nom.
Et ils ont beau par dépit et par
envie condamner à l'oubli le nom d'Erostate,
ce nom est si beau de clémence qu'il surnage sur leur colère et s'impose
éternellement à leur souvenir !
Les fous sont donc magnétiseurs ou plutôt fascinateurs,
et c'est ce qui rend la folie contagieuse. Faute de savoir mesurer ce
qui est grand, on s'éprend de ce qui est étrange.
Les
enfants qui ne peuvent pas encore marcher veulent
qu'on les prenne et qu'on les remue.
Personne n'aime tant la turbulence que les impotents.
C'est l'incapacité du plaisir qui fait les Tibère et les Messaline.
Le gamin de
Paris au paradis des boulevards voudrait être Cartouche,
et
rit de tout son
cœur en
voyant ridiculiser
Télémaque.
Tout le monde n'a pas le
goût des ivresses opiacées
on alcooliques, mais presque tout le monde voudrait enivrer son
esprit
et se plairait facilement à laisser délirer son
cœur.
Lorsque le Christianisme s'imposa au monde par
la fascination du
martyre, un grand écrivain de ce temps-là formula
la pensée de tous en s'écriant : " Je crois parce que c'est absurde
! "
La folie de la
Croix, comme
saint Paul l'appelait
lui-même, était alors invinciblement envahissante. On brûlait les livres
des sages, et
saint Paul préludait à
Ephèse aux exploits d'Omar. On
renversait des temples qui étaient les merveilles du monde et des
idoles
qui étaient les chefs-d'œuvre des arts. On avait le
goût de la mort
et l'on voulait
dépouiller l'existence présente de tous ses ornements
pour se détacher de la vie.
Le dégoût des réalités accompagne toujours l'
amour
des rêves : Quam sordet tellus dum cœlumas picio ! dit un célèbre
mystique
; littéralement : Que la terre devient sale quand je regarde le
ciel
! Eh quoi, ton œil en s'égarant dans l'espace salit la terre ta nourrice
! Qu'est-ce donc que la terre si ce n'est un
astre du
ciel ? Est-ce
parce qu'elle te porte qu'elle est sale ? Mais qu'on te transporte dans
le
soleil et tes dégoûts saliront bientôt le
soleil ! Le
ciel serait-il
plus propre s'il était vide ? Et n'est-il pas admirable à contempler
parce que dans le
jour il illumine la terre, et parce que dans la nuit,
il brille d'une multitude innombrable de terres et de soleils ! Quoi,
la terre splendide, la terre aux océans immenses, la terre pleine d'
arbres
et de
fleurs devient une ordure pour toi, parce que tu voudrais t'élancer
dans le vide ? Crois-moi, ne cherche pas à te déplacer pour cela : le
vide est dans ton
esprit et dans ton
cœur !
C'est l'
amour des rêves qui mêle tant de douleurs
aux rêves de l'
amour. L'
amour tel que nous le donne la nature est une
délicieuse réalité, mais notre orgueil maladif voudrait quelque chose
de mieux que la nature. De là vient la folie hystérique des incompris.
La pensée de Charlotte, dans la tête de Werther, se transforme fatalement
comme elle devait le faire, et prend la forme brutale d'une balle de
pistolet. L'
amour absurde a pour dénouement le suicide.
L'
amour vrai, l'
amour naturel, est le miracle du
magnétisme. C'est l'entrelacement des deux
serpents du
caducée ; il
semble se produire fatalement, mais il est produit par la raison suprême
qui lui fait suivre les lois de la nature. La
fable raconte que
Tirésias
ayant séparé deux
serpents qui s'accouplaient, encourut
la colère de
Vénus et devint
Androgyne ; ce qui annula chez lui
la puissance sexuelle, puis la déesse irritée le frappa encore, et le
rendit aveugle parce qu'il attribuait à la femme ce qui convient principalement
à l'homme.
Tirésias était un devin qui prophétisait par la lumière morte.
Aussi ses prédictions annonçaient-elles et semblaient-elles toujours
déterminer des malheurs. Cette
allégorie contient et résume
toute la philosophie du
magnétisme que nous venons de révéler.