Biographie universelle ancienne et moderne Gilles de Laval, seigneur de Retz, trop fameux sous le nom de
maréchal de Retz, né vers l'an 1396, était l'aîné des fils de Gui de
Laval, deuxième du nom, seigneur de Retz, cadet de la maison de
Laval et de
Marie de
Craon de la
Suze. Il perdit son père en 1416, servit d'abord le
duc de
Bretagne, son souverain, et l'on voit son nom cité dans l'
histoire en 1420 et 1425. Etant passé au service du roi de France Charles VII, il emporta d'assaut, en 1427, le château du
Lude, dont il tua le commandant. Il reprit encore aux Anglais la forteresse de Rennefort et le château de
Malicorne, dans la Maine. En 1429, il fut un des principaux capitaines qui aidèrent Jeanne d'Arc à faire entrer des vivres dans
Orléans, et il se distingua à la prise de Gergeau. Il était, ainsi que son
frère René, sire de
Laval, l'un des chefs de l'armée qui accompagne le roi à
Reims cette année pour y être sacré. Le sire de
Laval fut fait comte dans cette occasion, et il est probable que le sire de Retz fut nommé aussi maréchal de France. En l'élevant si jeune à cette dignité, peu prodiguée alors, on ne considéra pas moins son mérite et ses services que sa naissance. Il est certain qu'il était décoré de ce titre au sacre de Charles VII et que ce fut lui qui apporta la
sainte ampoule de l'
abbaye de St-Rémi à l'
église métropolitaine. Il était de plus conseiller et
chambellan du roi. Il se signala, en 1630, à la prise de
Melun, et l'année suivante à la levée du siège de
Lagny par les Anglais. En 1436, il commandait avec le maréchal de
Rieux l'avant-garde de l'armée française, sous les ordres du
connétable de
Richemont ; cette armée étant arrivée devant Sillé dans le Maine en présence des Anglais, les deux partis se séparèrent sans combattre. Ici paraît finir la carrière militaire et honorable du
maréchal de Retz. Il ne nous reste plus que la tâche pénible d'offrir le tableau des extravagances, des vices et des crimes monstrueux qui ont plus contribué que ses exploits il sa malheureuse célébrité.
Héritier à vingt ans d'un patrimoine considérable et marié quatre ans après à Catherine de
Thouars, qui lui avait apporté plusieurs terres en dot, il était devenu l'un des plus riches seigneurs du royaume, en 1432, par la mort de son aïeul maternel, Jean de
Craon, seigneur de la
Suze, de Chantocé, d'Ingrande, etc. On évaluait sa fortune à trois cent mille livres de rente, qui feraient plus d'un million aujourd'hui, sans compter les profits de ses droits seigneuriaux, les émoluments de ses charges et un mobilier de cent mille écus d'or. Mais il en eut bientôt dissipé la plus grande partie par ses prodigalités, son faste et ses débauches. Il eut d'abord une garde de 200 hommes à
cheval, dépense que les plus grands princes pouvaient à peine soutenir dans ce temps-là, et il traînait en outre à sa suite plus de cinquante individus, chapelains,
enfants de chur, musiciens, pages. serviteurs, etc., la plupart
agents ou complices de son libertinage, et tous montés et nourris à ses dépens. Sa chapelle était tapissée de drap d'or et de soie. Les ornements, les vases sacrés étaient d'or et enrichis de pierreries. Il avait aussi un
jeu d'orgues qu'il faisait toujours porter devant lui. Ses chapelains, habillés d'écarlate doublé de menu vair et de petit gris, portaient les titres de doyen, de chantre, d'
archidiacre, même d'
évêque, et il avait de plus député au pape pour obtenir la permission de se faire précéder par un porte-croix. Il donnait à grands frais des représentations de
Mystères, les seuls spectacles connus alors.
Pour se livrer à ces profusions, il aliéna une partie de ses terres à l'
évêque de
Nantes, aux chapitres de la
cathédrale et à la
collégiale de cette ville. En 1434, il vendit à
Jean V,
duc de
Bretagne, les places de
Mauléon, Saint-Etienne de Malemort, de Leroux-Botereau,
Pornic et Chantocé. Sa famille, alarmée,
obtint un arrêt du parlement de
Paris qui défendait au maréchal
d'aliéner ses domaines. Le roi n'ayant pas voulu approuver les ventes déjà faites, le
duc de
Bretagne s'opposa à la publication de ces défenses et refusa d'en donner de semblables dans ses Etats. Les parents du maréchal, irrités de ce refus, tâchèrent de conserver ces places dans leur maison et résistèrent au
duc ; mais il les reprit, ôta au comte de
Laval, son gendre, la lieutenance générale de
Bretagne et en revêtit le
maréchal de Retz, avec lequel il consomma tous ses
marchés en 1437.
Ces ressources ne suffisant pas à
Gilles de Retz, il avait depuis longtemps cherché d'autres moyens pour s'en procurer. Assez instruit pour son siècle, il eut recours à l'
alchimie. De prétendus
adeptes lui apprirent le secret de
fixer les métaux ; mais il manqua le
grand uvre. Dégoûté de l'art d'
Hermès, il se jeta dans la magie. Un Anglais, nommé messire Jean, et l'Italien
François Prelati, furent successivement ses maîtres et l'aidèrent dans ses conjurations. On dit qu'il promettait tout au diable excepté son
âme et sa vie. Mais tandis qu'il prodiguait l'encens au démon et qu'il faisait l'aumône en son honneur, il continuait ses exercices pieux avec ses chapelains, alliant ainsi une extrême superstition aux pratiques les plus
impies et à la dépravation de murs la plus criminelle. En effet, ce fut à a cette époque qu'il commença d'
immoler des
enfants, soit pour mettre plus de raffinement dans ses plaisirs abominables, soit pour employer leur sang, leur cur ou quelques autres parties de leurs
corps dans ses charmes diaboliques. Ses gens attiraient dans ses châteaux par quelques friandises des jeunes filles, mais surtout des jeunes garçons du voisinage, et on ne les en voyait plus sortir. D'autres
agents, qui accompagnaient ce seigneur dans ses tournées en
Bretagne, persuadaient les artisans pauvres qui avaient de beaux
enfants de les confier au maréchal, qui les admettrait parmi ses pages et se chargerait de leur sort. Des parents, des amis du sire de Retz, un
Gilles de Sillé, un
Prinçay, un Roger de Briqueville, semblent même avoir été les complices de ses horribles débauches, soit en lui procurant des victimes, soit en maltraitant ou en menaçant les parents pour étouffer leurs plaintes.
Enfin le scandale fut si public et les réclamations si nombreuses que
Gilles de Laval fut déféré à la justice. Arrêté au mois de septembre 1440, il fut renfermé dans le château de
Nantes, et le
duc de
Bretagne chargea son commissaire, Jean de Toucherond, de commencer une enquête. Deux de ses gens furent arrêtés, Henri et Etienne Corillaut dit Pontou ou
Poitou. Prelati ne vivait plus. La mort ou la fuite avaient dérobé les autres au supplice qu'ils avaient mérité. Confronté avec ses deux complices, le
maréchal de Retz les désavoua pour ses serviteurs et dit qu'íl n'avait eu que d'honnêtes gens à son service ; mais la menace de la torture le fit changer de langage, et il confirma leurs déclarations par un aveu général et circonstancié de tous ses crimes. On frémit d'horreur en lisant les détails
obscènes et atroces de cet épouvantable procès, dont l'instruction dura un mois et dont il existe dix manuscrits à la bibliothèque de
Paris et un aux archives du château de
Nantes. Jamais les tyrans les plus sanguinaires n'ont imaginé de cruautés plus exécrables que celles qu'il mêlait à ses
infâmes voluptés. Les innocentes victimes de sa lubricité, âgées de huit ans jusqu'à dix-huit, furent toutes sacrifiées à sa férocité. Le nombre en paraîtra incalculable si l'on considère que ces massacres eurent lieu, presque sans relâche, dans ses châteaux de
Machecoul, de Chantocé, de Tiffanges, dans son hôtel de la
Suze, à
Nantes, et dans la plupart des villes où il passait, et qu'ils durèrent huit ans, suivant ses propres aveux, ou quatorze ans, suivant la déclaration d'un de ses complices. Pour dérober les traces de ses forfaits, il faisait précipiter les cadavres dans les fosses d'aisances quand il était en voyage ; mais dans ses châteaux, il les brûlait et en jetait les cendres au vent. Malgré ces précautions, on en trouva quarante-six à Chantocé et quatre-vingts à
Machecoul.
Le
maréchal de Retz s'était
en outre rendu coupable du crime de féloníe. Après avoir vendu à son souverain la place de Saint-Etienne de Malemort, il s'en était remis en possession en menaçant le gouverneur d'égorger son
frère s'il ne la lui livrait pas. Convaincu de tant de forfaits,
Gilles de Laval fut jugé et condamné à mort avec ses deux vils
agents par un tribunal que présida Pierre de l'
Hôpital,
sénéchal de
Bretagne (1). Pour satisfaire avant de mourir un de ses
goûts favoris, il demanda et obtint d'être conduit en procession par l'
évêque de
Nantes jusqu'au lieu du supplice. Le maréchal témoigna un repentir sincère, demanda pardon aux parents des
enfants qu'il avait
immolés, exhorta ses complices à la mort et à la pénitence, leur dit adieu et promit de les rejoindre en paradis.
L'exécution eut lieu le 25
octobre 1440 (et non pas le 25 décembre, comme l'ont dit
Mézerai et
Moréri) dans la prairie de Biesse, remplacée par une rue qui porte aujourd'hui ce nom, à l'entrée du pont de la
Madeleine. Le criminel fut étranglé ; mais, par considération pour sa naissance, ses services et son repentir, le
duc de
Bretagne permit que son
corps, qui devait être brûlé et jeté au vent, ne demeuråt qu'un instant sur le bûcher et fût rendu à sa famille, qui le fit porter dans l'
église des
carmes, où il fut enterré. Le
maréchal de Retz ne laissa qu'une fille,
Marie de
Laval, mariée deux fois et morte sans
enfants en 1458.
Son oncle
René de
Laval hérita de la seigneurie de Retz que sa fille unique, Jeanne de
Laval, légua par testament, en 1481, à
François II,
duc de
Bretagne. Nous avons rectifié dans cet article les erreurs des compilateurs dont la principale donnait lieu de croire qu'il mourut en 1438 ou 1442. Desessarts, qui a copié plusieurs de ces erreurs dans ses
Procès fameux, ne donne point la date de celui du
maréchal de Retz.
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(1) Guimar, dans ses
Annales nantaises, dit que l'
évêque de
Nantes et le commissaire du grand inquisiteur de France furent au nombre des
juges du maréchal. Le fait n'est pas impossible et se trouve peut-être dans le manuscrit de
Nantes ; mais nous n'en avons découvert aucun indice dans ceux que nous avons consultés.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 35 - Pages 470-471)