CHAPITRE II
LANGUE HÉBRAÏQUE
II - Les premiers hommes - Adam jusqu'à Noé
Après avoir tenté d'interpréter les noms divins par la langue
celtique, nous essaierons aussi cette même langue dans la
décomposition des noms propres d'hommes et de lieux.
La souche du genre humain, le premier être possédant une
âme raisonnable, unie à une substance corporelle, porte le nom d'
Adam. Sous ce nom, il faut entendre l'homme et la femme, « car
Dieu les créa mâle et
femelle ; il les bénit et il leur donna le nom d'
Adam au
jour qu'ils furent créés. »
(18) Ce nom était donc commun à
Adam et à
Eve, et
Dieu lui-même l'avait imposé. Les hébraïsants veulent qu'
Adam dérive de
adama, terrestre, parce que
Dieu l'avait formé du limon de la terre.
Interprété par la langue
celtique le terme
Adam,
composé de deux mots, présente pour ainsi dire, un résumé de la création de nos premiers parents. Parmi les êtres créés,
Adam n'en avait point trouvé qui lui fût semblable. « Et [39] le Seigneur dit : Il n'est pas bon que l'homme soit seul ; faisons-lui une aide semblable à lui »
(19) Dieu fit donc la femme et l'amena à
Adam. D'après l'Écriture Sainte, la femme était une créature ajoutée à l'homme, semblable à lui et son aide pour la multiplication du genre humain, c'est à dire, la mère ajoutée au père, et c'est là l'idée offerte par la
décomposition du nom d’Adam,
to add,
ajouter,
dam, la mère.
L'Ecriture Sainte donne au premier des
enfants d'
Adam, le nom de
Caïn. A sa naissance,
Eve, sa mère, s'écria : « Je possède un homme par la grâce de
Dieu. »
Caïn, en hébreu, implique l'idée de possession, et il vient de la racine
Kana, posséder.
Adam et
Eve regardaient donc leur fils comme leur bien et leur acquisition particulière ; au reste, la puissance du père sur son
enfant n'est-elle pas de
droit naturel ?
Eve a eu grandement raison
d'appeler son premier fils,
Caïn, sa possession.
La langue
celtique retient, non pas le verbe
Kana, posséder, mais le verbe
Can, pouvoir. La signification du nom de
Caïn serait alors le pouvoir, la faculté de posséder un homme par la grâce de
Dieu, et cette différence n'est point [40] sensible dans la pensée
qu'
Eve a dû attacher aux paroles prononcées par elle à la naissance de son fils.
Dans le texte hébraïque,
Caïn est écrit
Qin : en langue
celtique to coin (
coïn) se traduit par
battre monnaie, inventer. Ne serait-ce pas là le sens véritable de
Caïn qui aurait imaginé, inventé la valeur conventionnelle des monnaies ? L'
amour trop vif de l'or et de l'
argent étouffe sûrement les sentiments généreux, et arme ordinairement du fer meurtrier la main des assassins.
Caïn avait cent seize ans lorsqu'il commit le crime affreux qui le fit maudire. On peut croire avec juste raison que les hommes étaient déjà nombreux, puisque
Caïn répondant à la menace divine, disait : « Quiconque donc me trouvera, me tuera. » La multiplication rapide du genre humain a dû faire naître, dans l'
esprit de
Caïn, la pensée de remplacer les échanges par une valeur conventionnelle attachée aux métaux
précieux, or et
argent.
Abel est le second fils d'
Adam et d'
Eve, mais sa mère ne lui a point donné ce nom. Josèphe le fait dériver du mot hébreu
ebel deuil ; car, par la mort d'
Abel, le deuil a fait sa première apparition sur la terre. Pour bien saisir le sens du mot
Abel, tel que l'indique Josèphe, il ne faut point perdre de
vue une [41] expression très
fréquente dans les livres saints désignant la mort et le tombeau ; c'est l'expression inferi, les enfers, tandis que le lieu du supplice des réprouvés et des maudit est l'infernus ; et c'est dans le premier sens que David, étant près de mourir, recommanda à Salomon, son fils de punir
Joab de se crimes : « Vous ferez, dit-il, à son égard, selon votre sagesse ; et vous ne permettrez pas qu'après avoir vieilli dans l'impunité de son crime, il descende en paix dans le tombeau ;
et non deduces canitiem
ejus ad inferos. »
(20)
Abel présente la première image de la mort par le crime affreux de son
frère aîné,
to ape (
épe), imiter, présenter, l'image de...,
hell, enfers. Le terme
ebel ou
épel serait ainsi appliqué au second fils d'
Adam seulement après le fratricide de
Caïn, et la désignation de leur fils par une telle expression a dû, pendant de longues années, raviver dans l'
âme de ses malheureux parents la douleur de sa perte.
Nous nous sommes attaché dans cette interprétation à suivre le sens donné par Josèphe : toutefois, comme les premiers hommes étaient souvent connus sous plusieurs noms présentant des significations différentes, nous croyons pou- [42] voir voir expliquer d'une autre
manière le nom d'
Abel, en conservant avec rigueur la prononciation donnée par l'Ecriture Sainte.
Il est
indubitable pour tout
esprit sérieux qu'
Adam avait reçu de
Dieu les communications les plus précieuses, non seulement sur les vérités
religieuses, mais encore sur les industries humaines nécessaires à l'état social, et
Adam transmettait à ses
enfants et la science
religieuse et en même temps les principes des arts industriels. « Le monde disait Origène à Celse, ayant été créé par la Providence, il faut nécessairement que le genre humain ait été mis, dans les commencements, sous la tutelle de certains
esprits supérieurs, et qu'alors
Dieu se soit manifesté aux hommes. C'est aussi ce que l'Ecriture Sainte atteste... et il convenait, en effet, que dans l'enfance du monde, l'espèce humaine reçut des secours extraordinaires, jusqu'à ce que l'invention des arts l'eût mise en état de se défendre elle-même et de n'avoir plus besoin de l'intervention divine. »
(21)
Abel était pasteur ; il offrait à
Dieu des sacrifices, choisissant à cet effet les
agneaux les plus beaux et les plus gras de son troupeau, et le Seigneur regardait favorablement ses présents.
(22) [43] L'Ecriture Sainte, en marquant avec
soin la profession pastorale d'
Abel, semble indiquer la provenance de son nom.
Abel recueillait les belles toisons de son magnifique troupeau ; sa main filait la laine soyeuse, et ces fils entrelacés, formant et la chaîne et la trame, lui donnaient un excellent tissu dont il se pouvait vêtir,
abb, trame de laine,
to ell, mesurer.
Un châtiment juste et sévère suivit de près le crime horrible de
Caïn. Le Seigneur avait dit au fratricide : « Vous serez fugitif et vagabond sur la terre », et le coupable avait répondu : « Vous me chassez aujourd'hui de dessus la terre et j'irai me cacher de devant votre face, et je serai fugitif et vagabond sur la terre. Donc quiconque me rencontrera, me tuera. » Le Seigneur lui répondit : « Non, cela ne sera pas ainsi ; mais quiconque tuera
Caïn sera puni sept fois plus. » Et le Seigneur « mit un signe sur
Caïn, afin que ceux qui le trouveraient ne le tuassent point. »
Caïn, s'étant retiré de devant la face du Seigneur, habita en fugitif sur la terre vers la région orientale d'Eden. »
(23)
Le texte hébraïque, au lieu de ces paroles :
Caïn habita en fugitif sur la terre, porte :
Caïn [44] habita dans la terre
Nod.
Josèphe fait de Nod un nom propre de lieu, parce qu'il n'a pu arriver à découvrir le sens exact de cette expression de la langue primitive. Le terme nod existe dans l'
anglo-saxon et il donne la connaissance du signe de la malédiction divine attaché à
Caïn ;
to nod signifie faire un
signe de tête, saluer en baissant la tête. La note d'
infamie, marquée
sur la personne du fratricide, devait donc consister en un mouvement nerveux et convulsif de la tête, obligeant
Caïn à la baisser honteusement devant tous ceux qu'il rencontrerait. D'après la tradition, le signe de malédiction porté par
Caïn était un tremblement continuel du
corps, tremblement
révélateur de son forfait.
Abel, l'
enfant pieux et pur fut remplacé par
Seth, et
Eve disait : « Le Seigneur m'a donné un autre fils au lieu d'
Abel que
Caïn a tué. »
(24) En hébreu
suth signifie mettre et placer : dans la langue des
Tectosages, le verbe
to set retient le même sens de mettre et placer.
Seth était le remplaçant d'
Abel et destiné à devenir le père des hommes
fidèles à leur Créateur.
Les tissus de laine fabriqués par
Abel ne reparaissent plus dans le nom des premiers hommes et cèdent la place à la mention des ouvrages de [45] fer et de bronze. Il ne faut pas descendre fort longuement dans la
généalogie des
enfants d'
Adam pour y rencontrer la science des métaux, car Malaleel,
to mall frapper avec un
maillet,
to allay (
allé) mélanger les métaux,
to ell,
mesurer, était l'arrière petit-fils de
Seth. Suivant la chronologie ordinaire, lorsqu'à l'âge de soixante-dix ans Malaleel est devenu père de Jared, les hommes habitaient le monde depuis seulement trois cent quatre-vingt-quinze ans.
Adam était encore au milieu de ses descendans pour les aider de ses conseils et les
initier aux travaux industriels. Parce que la science des
métaux est inscrite dans Malaleel, est-ce à dire que ceux qui l'avaient précédé ignoraient l'usage du fer et les alliages de cuivre et
d'
étain constituant le bronze ? Nous sommes bien loin de le croire ;
Adam
assistait aux travaux de ses
enfants, et sa présence indique suffisamment d'où venaient les connaissances acquises et d'où partait l'impulsion donnée aux diverses industries.
Il n'était pas possible d'écrire dans le nom d'un seul homme la somme des sciences possédées à l'origine du monde et on les a gravées peu à peu dans le nom des chefs de famille. Malaleel nous dénote les ouvrages de fer et de bronze, et afin que les
générations futures ne se méprennent pas et ne voient pas en lui un artisan unique, il [46] appelle son fils Jared,
to jar (
djar), tinter, cliqueter,
to head (hèd) être à la tête de, commander, prouvant ainsi qu'il était à la tête de nombreux ouvriers en
métaux.
Ces noms propres d'hommes, renfermant la mention des connaissances
matérielles des premiers temps du monde créé, indiquent ainsi que la marche de la civilisation humaine n'a point été ascendante et que l'âge de pierre et de bronze n'ont aucunement précédé l'âge de fer au berceau de l'humanité.
Le petit-fils de Jared, Mathusalem dont la longévité a surpassé celle des autres hommes, nous
initie à une autre branche d'industrie : les
lits moelleux n'étaient guère alors en usage, et ces
produits d'une civilisation trop avancée étaient remplacés par des
nattes sur lesquelles on prenait un repos nécessaire dans sa demeure,
to mat, couvrir de nattes,
to use (
iouse) se servir de,
hall, salle, maison.
Les
enfants de
Seth ne sont point seuls à dévoiler les secrets des arts parmi les premiers hommes, et en parcourant la brève lignée des descendans de
Caïn, nous remarquons
Tubalcaïn « qui fut habile en toutes sortes d'ouvrages d'
airain et de fer. »
(25) Néanmoins cette habi- [47] leté à travailler le fer et le bronze n'est point écrite dans son nom ; elle y est remplacée par la mention d'une autre connaissance, celle de l'art nautique.
Les hommes étaient en état de construire de bons vaisseaux et on comprend ainsi comment ils ont prêté une médiocre attention à l'arche destinée à
Noé et faite suivant la forme et les
dimensions données par
Dieu lui-même. Peut-être même ont-ils compté sur eux pour tenter de se soustraire aux effets des menaces divines. Il y avait cependant une différence bien sensible entre la construction de leurs vaisseaux et celle de l'arche dont disposerait
Noé. Celle-ci était un vrai navire ponté, protégé contre la
pluie du
ciel et les grandes lames de la mer, tandis que les vaisseaux ordinaires, complètement découverts, n'étaient point défendus contre les grandes
pluies ni contre les hautes lames. Le premier mot qui entre dans la
composition du nom de
Tubalcaïn retrace la forme de ces premiers bâtiments,
tub, vaisseaux découvert, cuve, baquet,
hall, maison,
to coin (
coïn), inventer. [48]
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(18) Bible de Carrières,
Genèse, chap. V. 2. Nous donnons ordinairement la traduction de l'Ecriture Sainte d'après cette bible, parce qu'elle est fort exacte et très appréciée. Nous faisons ici cette remarque afin de n'avoir pas à y revenir dans toutes nos citations.
(19) Genèse, Chap. II. 18.
(20) Troisième livre des Rois, chap. II. 6.
(21) Les Soirées de Saint-Petersbourg, 2ème entretien, note VI.
(22) Genèse, Chap. IV. 2-4.
(23) Genèse, Chap. IV. 14-16.
(24) Genè, Chap. IV. 25.
(25) Genèse, Chap. IV. 22.