Le
Bulletin des Loges de l'Ouest est à coup sûr une lecture suggestive. Sauf quand j'ai l'honneur d'y collaborer, je le lis toujours volontiers et presque toujours ce que j'y lis éveille en moi le désir de prendre part à l'échange d'idées que ses articles appellent.
Cauwel a cent fois raison de dire que la
Franc-Maçonnerie n'est autre chose que la manifestation du sentiment
religieux affranchi de tout dogmatisme. Il a raison de dire que notre but est d'acquérir et de développer, non pas notre foi, mais la conscience de cette foi. En cela il est parfaitement d'accord avec cette phrase du Boudhisme
Zend : « Si, sur ta route, tu rencontres Boudha, tue-le. » C'est que le Boudhisme de la secte
Zend, plus encore que le Boudhisme en général, est absolument libéré de tout dogmatisme.
Mais la pensée de Cauwel soulève un problème : quelles sont les valeurs relatives du sens social, du sentiment
religieux et du
rite ?
Pour bien comprendre le problème et les diverses solutions
qu'il comporte, il conviendrait de lire toute la littérature des trente
dernières années sur la question. On y trouverait d'abord l'école
de Durkheim, qui rattache essentiellement le sentiment
religieux au social ; qui fait découler le
religieux du social. Et après cette école si féconde, parce qu'elle a ouvert la porte à une infinité de recherches objectives, sur cette matière presque vierge, on trouve tout le travail actuel qui semble, en l'état dernier, démontrer que le sentiment
religieux primitif n'était pas tout entier inclus dans le social. Aussi loin que l'on remonte, on en retrouve l'expression traduite par des
rites agraires. Banquets collectifs à certaines époques de l'année, qui marquent en général la fin des travaux champêtres ; fêtes célébrant les engrangements ; braderies concentrant plusieurs agglomérations humaines voisines en
vue de fiançailles collectives ; unions prégamiques ayant caractère
religieux, etc., avant même que les hommes ne créassent des
dieux personnalisés. C'est là l'expression la plus éloignée que nous puissions aujourd'hui connaître du sentiment
religieux.
Mais n'est-il pas curieux que les
rites mêmes primitifs nous soient parvenus dans leur quasi intégralité ? Les
mythes religieux
évoluent infiniment plus vite que les
rites. Ce qui change, c'est l'interprétation du
rite ; attaché d'abord à la matière, dont il résume ou préfigure l'évolution naturelle et saisonnière, le
rite inchangé trouve des explications de plus en plus spiritualisées, de plus en plus
symboliques.
Le mot même de «
Symbole » traduit philologiquement un tel état de choses.
Symbole vient du grec « Sumbole » qui ne veut pas dire
Symbole mais « Ecot ». Le verbe grec « Sumballestai » veut dire « apporter son écot ». Et dans les textes les plus anciens, il veut dire tantôt « apporter son écot » et tantôt « se rencontrer avec quelqu'un ». Plus qu'une idée d'interprétation, il exprime l'idée d'un
rite accompli en commun, d'un repas commun qui fut agraire pour devenir
cène rituelle.
Le mot aussi a suivi l'évolution des faits. Il n'a
cessé d'exprimer un
rite, mais le
rite exprimé, de terrestre et
matériel est devenu spirituel... c'est-à-dire
symbolique dans le sens secondaire du terme.
Le sens véritable de la Maçonnerie est le sens
même de la vie. Très
justement, Cauwel précise que son but est de dégager dans l'homme la conscience de sa foi. Qu'est-ce à dire ?
Sinon de dégager l'homme du monde matériel, de l'élever par ses propres moyens à une connaissance en
esprit, connaissance qu'il ne saurait tirer que de lui-même ?
N'est-il pas suggestif de songer qu'il s'agit tout simplement de faire parcourir, à l'homme, pendant sa vie, le chemin même de la pensée humaine, le chemin même qu'a parcouru le mot «
Symbole » à travers les âges. Comment une telle constatation ne contribuerait-elle pas à nous montrer que si l'uvre maçonnique n'était pas
symbolique, elle cesserait par là même d'exister ?