B. S. & France-Spiritualités : Paul Saussez, bonjour. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser au mystère de Rennes-le-Château et plus particulièrement à la crypte de son église ?
Paul Saussez : J'y suis arrivé par un assez long détour.
J'ai toujours été passionné par l'Egypte
ancienne. C'est sans doute
Le Mystère de la Grande Pyramide,
d'Edgar P. Jacobs, qui a déclenché cet engouement
lorsque j'étais adolescent, mais surtout mon professeur
d'
histoire au
collège, le R. P. Capart, neveu du célèbre
égyptologue belge. Plus tard, je me suis intéressé
à la Franc-Maçonnerie, dont la
symbolique puise largement
aux sources de l'antiquité égyptienne. L'étude
des origines de cette institution m'a conduit à m'intéresser
aux
Templiers, ces "Gardiens du Graal". En recherchant ce
sujet, j'ai lu
L'énigme sacrée, qui parle de l'abbé
Saunière et de Rennes-le-Château. J'étais alors
en vacances sur la côte audoise. Deux heures de route plus tard,
je rejoignais la célèbre colline. C'était en 1997.
Hélas, déception ! Je m'attendais
à trouver une information historique et archéologique
sérieuse sur le site et l'
église. Je n'y ai trouvé
qu'une caisse de résonance pour les mythographies et autres chasses
au trésor qui alimentent "l'affaire" de Rennes-le-Château depuis 50 ans. C'est d'autant plus dommage que la région est riche en vestiges romans remarquablement valorisés au plan touristique.
J'ai donc commencé à me documenter.
Un livre en particulier a retenu mon attention. C'est
L'héritage de l'abbé Saunière par Claire Corbu et Antoine Captier. Les auteurs ont hérité un registre
paroissial du XVIIIème siècle qui mentionne des
inhumations «
dans l'église de ce lieu, au tombeau des seigneurs ». Une révélation ! Alors que cette information capitale circule depuis 20 ans, la littérature
castelrennaise la passe sous silence, les visites guidées sur
place n'y fait aucune référence et elle n'a suscité
à ce
jour l'intérêt d'aucune autorité scientifique.
Je tenais mon sujet !
B. S & France-Spiritualités : Pensez-vous qu'elle puisse être la clef de la fortune de l'abbé Saunière ?
Paul Saussez : L'abbé
Saunière a certainement trouvé
des dépôts monétaires mis en sécurité
par les habitants à l'approche de la Révolution de 1789.
Qu'il ait en outre exhumé du tombeau des pièces d'or,
des bijoux ou d'autres ornements, c'est fort probable. Toutefois, je
ne pense pas que cela ait constitué une "fortune".
D'après les récentes découvertes de Laurent Buchholtzer
[Note de Paul Saussez : Voir www.octonovo.org], qui a mis à
jour les carnets de comptes de l'abbé, il est désormais établi que ses ressources provenaient essentiellement
de dons et d'honoraires de messe qu'il a sollicités avec méthode
et à grande échelle. Entre 1897 et 1915, cette martingale
lui a rapporté plus de 216.000 francs de l'époque !
B. S. & France-Spiritualités : Vous dites dans votre CD : « Outre le tombeau des Seigneurs, l'église de Rennes pourrait aussi
receler une crypte abritant les reliques d'un ou plusieurs personnages
vénérés dans la religion chrétienne
». Comment en arrivez-vous à cette déduction ? A
qui pensez-vous ? Pourrait-il s'agir des reliques de Marie-Madeleine
? Dans ce cas, comment expliquez-vous la présence de ces reliques
en ce lieu ?
Paul Saussez : Ce tombeau pourrait présenter un très grand
intérêt historique et archéologique. D'abord, il
doit s'agir d'un caveau assez vaste, puisqu'on y enterrait non seulement
les seigneurs du lieu mais aussi, et jusqu'au XVIIIème siècle,
certains de leurs parents et alliés. Ensuite, son ancienneté.
L'
église datant de la fin du VIIIème siècle, le
tombeau devrait lui être contemporain. Enfin, je suis convaincu
qu'il existe une
crypte attenante au tombeau. Il s'agit de bien
faire la différence. La
crypte est un lieu où l'on
expose à la vénération des fidèles, les
reliques d'un ou de plusieurs saints. Si l'on applique à
l'
église de
Rennes la notion "d'église-reliquaire"
largement admise en archéologie
religieuse médiévale,
particulièrement en Languedoc-Roussillon, il est plus que probable
qu'elle ait été érigée sur un site
de dévotion ou de
pèlerinage plus ancien. Nous pourrions
ainsi remonter jusqu'au VI° siècle, à l'époque
wisigothique. Ainsi, l'
église de
Rennes pourrait abriter l'une
des plus anciennes
nécropoles de France.
Deux
historiens du XVIIème siècle
nous livrent à cet égard des indices intéressants.
Le premier, Guillaume
Besse, dans son
Histoire
des comtes de Carcassonne, signale que les
évêques
de
Carcassonne, fuyant les persécutions des princes
wisigoths,
auraient mis en sûreté les
reliques du
diocèse à
Rhedae.
Besse situe cet épisode au Vème siècle
pendant le règne du roi
Euric, quoiqu'il n'y ait pas eu d'
évêché
à
Carcassonne avant 530. Je pencherais plutôt pour les
persécutions menées par le roi Leovigild entre 582 et
586. Le second, Pierre de Marca, dans
Marca
Hispanica, rapporte un épisode similaire mais
il concerne cette fois les
évêques de
Narbonne, qui se
seraient réfugiés dans la cité forte de Redda au
moment des
invasions sarrasines, vers 720, et y seraient restés
pendant plus de cent ans.
On ne sait rien des personnages dont les
reliques
ont été emportées par ces
prélats dans le
Razès. Quant à citer Marie-Madeleine, rien n'est moins
certain. Le
légendaire de la sainte, dont Christian Doumergue
a fait une étude exhaustive dans son dernier ouvrage
[Note de Paul Saussez : Christian Doumergue, Marie-Madeleine, la Reine oubliée, Lacour, 2004], gravite encore loin du
Razès. On ignore même à quelle époque pour autant que cela
puisse constituer un indice l'
église a été
dédicacée à Marie-Madeleine. Les anciennes chartes
ne citent que "Beata Maria" ou "Sancta Maria", sans
plus.
B. S. & France-Spiritualités : Selon vous, pour quelles raisons des fouilles qui pourraient mettre à jour cette crypte, sont-elles systématiquement refusées ? Son ouverture serait-elle une menace pour certaines personnes ? Lesquelles ?
Paul Saussez : Ce n'est pas que les demandes de fouilles soient systématiquement
refusées. C'est tout simplement que personne n'a encore pris
l'initiative de monter un dossier sérieux qui réponde
aux exigences
légales et scientifiques en la matière.
La demande introduite en 2003 par les professeurs Eisenman et Barattolo
a été rejetée précisément parce que
leur argumentaire était médiocre.
Je me refuse à croire que la mise à
jour d'une
nécropole carolingienne puisse constituer une menace,
sauf, peut-être, pour ceux qui font commerce de spéculations
hasardeuses. Au contraire, cette opération promet les plus intéressantes retombées dans plusieurs domaines. Les arguments que j'ai développés me semblent plus que convaincants pour justifier des fouilles archéologiques. Elles permettraient d'enrichir nos connaissances sur l'
histoire civile et ecclésiastique du lieu, de valoriser le site aux plans culturel et touristique et d'éclaircir une fois pour toutes ce sombre "mystère" qui suscite depuis trop longtemps un intérêt douteux pour Rennes-le-Château.
B. S. & France-Spiritualités : Vous évoquez un parchemin où l'on peut lire cette curieuse phrase : « (Jés)us de Galilée nest point icy ». Comment l'interprétez-vous ?
Paul Saussez : On doit la trouvaille de ce document à Frédéric
Fons. Il se trouvait dans une liasse de papiers écrits par l'abbé
Bigou. Outre la litanie du texte, l'écriture paraît mal
assurée, presque
juvénile. C'est ce qui m'a fait penser
à une punition infligée à un élève
du catéchisme.
La phrase rappelle un épisode du Nouveau
Testament relaté chez Matthieu, Marc et
Luc. Marie-Madeleine
s'étant rendue au tombeau de
Jésus après la
résurrection,
un
ange lui adressa ces paroles : «
...je sais que c'est Jésus,
le crucifié, que vous cherchez. Il n'est pas ici... »
(Mt 28, 5-6) «
C'est Jésus que vous cherchez,
le Nazarénien, le crucifié. Il s'est relevé; il
n'est pas ici. » (Mc 16, 6) «
Pourquoi cherchez-vous
le Vivant parmi les morts ? Il n'est pas ici... » (Lc 24,
5-6)
C'est la thèse, soutenue par plusieurs auteurs,
du
corps de
Jésus ramené en Gaule par Marie-Madeleine,
qui suscite une lecture subliminale. Mais il s'agit là d'un tout
autre débat.
B. S. & France-Spiritualités : Selon vous, Marie de Nègre n'aurait été
enterrée ni dans le tombeau des Seigneurs, ni dans le cimetière
de Rennes. Quels éléments vous ont amenés à
ces déductions ? Pourtant, sa dalle funéraire aurait bien
existé, puisque la S.E.S.A. en fit un relevé en 1905.
Cette dernière était-elle uniquement destinée à
délivrer un message ? Où reposerait alors Marie de Nègre
?
Paul Saussez : Le constat d'
inhumation, rédigé par l'abbé Bigou le 19
janvier 1781, dit simplement «
...a été
ensevelie par nous, curé de cette paroisse... » sans
préciser le lieu de sépulture. C'est inhabituel pour une
personne titrée, mais ce n'est pas une exception dans la mesure
où l'on remarque cette omission sur d'autres constats de la main
de Bigou. J'exclus le tombeau des Seigneurs, car il avait été
condamné depuis 1740.
François d'Hautpoul, dont
Marie
de Nègre était veuve depuis 1753, n'avait pas non plus
été enterré à
Rennes, mais dans une chapelle
qu'il s'était réservée dans l'
église Saint
Martin à
Limoux.
Marie ne pouvait donc pas l'y rejoindre. On
peut ainsi conclure que sa
dépouille a été transférée
ailleurs. Peut-être à
Niort ou à
Roquefeuil dans
le pays de
Sault, berceau de famille des Nègre d'Ables, où
Marie avait assuré les fonctions de bailli depuis la mort de
son
époux.
Il persiste pourtant des zones d'ombre dans ces
conjectures. Si, au contraire,
Marie de Nègre avait bel et bien
été enterrée au cimetière de
Rennes, et
comme sa tombe n'a pas été retrouvée, est-ce parce
que l'abbé
Saunière l'aurait fait disparaître ?
Aurait-il aussi fait disparaître une autre tombe non retrouvée,
dont on sait pourtant qu'elle se trouvait «
dans le cimetière
de la paroisse tout près de la grande croix », celle de Joseph
d'Hautpoul, fils de
Marie, mort en bas âge en 1739 ?
La célèbre
épitaphe "CIT
GIT NOBLE M..." pose une
énigme, puisque la
stèle
aujourd'hui disparue, comme vous le rappelez
justement, a réellement
existé. Il est prouvé que l'
anagramme "
Bergère
pas de tentation..." ne résulte pas d'un mélange
aléatoire des lettres mais d'un codage extrêmement complexe.
Le rédacteur de l'
épitaphe, l'abbé Antoine Bigou,
y a donc inscrit une intention volontaire et précise.
Outre ce premier code à caractère
littéraire, la
disposition même du texte sur la
stèle
cache un second code, de nature géométrique, qui suggère
l'indication d'un lieu. Comme pour l'
anagramme, il faut rejeter tout
effet du hasard ou, comme l'a soutenu
René Descadeillas
[Note
de Paul Saussez : René Descadeillas, Mythologie du trésor
de Rennes, Collot, 1991 (réédition de 1968)],
la maladresse d'un tailleur de pierre illettré. Si tel avait
été le cas, la gravure aurait été immédiatement
rejetée par la famille de
Marie de Nègre, dont sa fille
Elisabeth, âgée de 46 ans et qui vivait encore au château,
tant certaines erreurs, surtout le "
requies catin
",
étaient injurieuses. Cette
stèle insoutenable n'a donc
jamais pu exister comme monument funéraire. Ceci conforte l'idée
de l'
épitaphe codée et, par ailleurs, d'une rédaction
largement postérieure à la mort de
Marie de Nègre
en 1781.
Au plus fort des orages de la Révolution,
l'abbé Bigou prête serment à la République,
mais avec tant de réserves qu'il est déclaré réfractaire.
A 70 ans, désormais menacé de déportation, le vieil
abbé est un homme traqué. Avant de quitter sa cure en
1790, il songe à coder le secret de son
église à
l'intention de ses successeurs. Elisabeth de
Rennes s'était déjà
réfugiée chez sa sur à
Toulouse. Ainsi, Bigou
rédige l'
épitaphe et fait graver la
stèle qu'il
abandonnera au cimetière, où elle passera inaperçue.
Il suivra en exil son
archevêque, Mgr de la
Cropte de Chanterac,
et partira pour l'Espagne en 1792.
Il est fort probable qu'à partir de là,
le secret de l'
église de
Rennes se soit transmis au sein du haut
clergé. Mgr de Bonnechose,
archevêque de
Carcassonne entre
1848 et 1856, appuiera la nomination de son propre
vicaire général
à ce siège en 1881: c'était Félix-Arsène
Billard. A son tour, Mgr Billard nommera Bérenger
Saunière
à la cure de
Rennes en 1885. Il devait savoir qu'un tombeau "intéressant" se trouvait à
Rennes. La découverte de l'abbé
Saunière n'aura donc pas été fortuite
[Note de Paul Saussez : Patrick Ferté, Arsène Lupin, Supérieur inconnu, Trédaniel, 1992 / 2005].
B. S. & France-Spiritualités : Pensez-vous qu'à l'heure actuelle, la crypte contienne encore quelques reliques ou trésor, ou peut-on
supposer que Saunière l'ait entièrement dépouillée,
ce qui serait envisageable, étant donné qu'il cherchait
à la fin de sa vie, à vendre son domaine et à quitter
Rennes ?
Paul Saussez : Si, comme je le crois, la
crypte a été condamnée en 1740, les
reliques auront été retirées au préalable. Il y a donc très peu de chances d'en trouver aujourd'hui, pas plus que du temps de l'abbé
Saunière. Comme pour ses prédécesseurs à l'époque des persécutions wisigothiques et des
invasions sarrasines, une raison majeure, qui reste encore à expliquer, aura motivé l'abbé Jean Bigou à transférer
ce "trésor", comme on appelle encore aujourd'hui les
reliques et objets précieux d'une
église.
Pour le reste, on peut s'attendre à trouver
des sarcophages, tombeaux et enfeux, ainsi que les dépouilles
mortelles elles-mêmes.
Saunière aura très probablement
remonté une partie de leurs effets personnels, des bijoux, des
monnaies, peut-être même des armes, des documents et du
mobilier, comme la "Dalle des Chevaliers", que je crois être
un panneau de sarcophage. Ce macabre pillage ne doit en rien énerver
l'intérêt de la future découverte. Le plus intéressant sera sans doute de cerner l'identité des personnages qui, en
l'espace de 1000 ans, auront élu leur lieu de sépulture
au tombeau des Seigneurs.
Bérenger
Saunière avait en effet
songé à vendre son domaine, aux heures les plus sombres
de son procès avec l'
archevêché de
Carcassonne.
A partir de 1910, comme en témoignent ses carnets de comptes,
ses ressources, mais également ses débours, avaient diminué de moitié par rapport aux années 1898 à 1909. Mon
explication est que l'abbé
Saunière commissionnait Mgr Billard sur toutes ses opérations. Un pacte sinistre s'est peut-être scellé entre les deux hommes au moment de la découverte du tombeau : Billard fermait les yeux sur le pillage en échange d'une part des revenus du trafic de messes. C'était dans la nature du personnage. N'oublions pas que Mgr Billard fut lui-même suspendu a divinis pour sa gestion suspecte des fonds de l'
archevêché et eut à subir plusieurs procès pour simonie et captation d'héritage. En définitive, je crois que le procès intenté à l'abbé
Saunière par Mgr Beuvain de Beauséjour n'était qu'une
péripétie dans une enquête beaucoup plus vaste, au sujet de laquelle les autorités ecclésiastiques sont restées jusqu'à ce
jour très discrètes.
B. S. & France-Spiritualités : Merci beaucoup pour ces réponses.