Pierre Commelin
Fille de
Cérès et de Jupiter,
Proserpine
fut enlevée par
Pluton, un
jour qu'elle cueillait des
fleurs,
et malgré la résistance opiniâtre de Cyané,
sa compagne.
Cérès, accablée de chagrin à
la perte de sa fille, et revenue de ses longs voyages à travers
le monde sans avoir de ses nouvelles, apprit enfin par
Aréthuse,
ou par la nymphe Cyané, le nom du ravisseur. Indignée,
elle demanda que Jupiter la fît revenir des Enfers
ce que le
dieu lui accorda, pourvu toutefois qu'elle n'y eût
encore rien mangé.
Ascalaphe, fils de l'Achéron et
officier de
Pluton, rapporta qu'il l'avait
vue manger six pépins
de
grenade depuis son entrée dans les sombres demeures. En
conséquence,
Proserpine fut condamnée à rester
dans les Enfers en qualité d'
épouse de
Pluton et de
reine de l'empire des Ombres.
Selon d'autres,
Cérès obtint
de Jupiter que
Proserpine passerait six mois de l'année avec
sa mère. La scène de l'enlèvement de cette
déesse par
Pluton est placée en divers lieux, par
les uns en
Sicile, au pied du mont
Etna, par d'autres en
Attique,
en Thrace, en Ionie. Quelques-uns ont choisi pour le lieu de la
scène une
forêt près de
Mégare, que la
tradition fit regarder comme sacrée. Orphée dit, au
contraire, que la déesse fut conduite sur la mer par son
redoutable amant qui disparut au milieu des ondes. Dans cette
fable,
certains mythologues ont cru voir l'
emblème de la germination.
On croyait communément que
personne ne pouvait mourir sans que
Proserpine, par elle-même, ou par le
ministère d'Atropos, lui eût coupé un
cheveu fatal auquel
la vie était attachée.
C'est en
Sicile
que le culte de cette déesse était le plus solennel, et les
Siciliens
ne pouvaient assurer la
fidélité de leurs promesses par un serment
plus fort qu'en jurant par
Proserpine. Dans les funérailles, on se frappait
la poitrine en son honneur ; les amis, les serviteurs du mort se coupaient parfois
les
cheveux et les jetaient dans le bûcher funèbre pour fléchir
cette divinité. On lui
immolait des génisses stériles. Les
Arcadiens lui avaient consacré un temple sous le nom de
Conservatrice,
parce qu'ils l'invoquaient pour retrouver les objets perdus.
Cette déesse est ordinairement représentée à
côté de son
époux, sur un trône d'ébène,
et portant un flambeau qui jette une
flamme mêlée d'une fumée
noirâtre. Dans la scène du rapt, elle paraît évanouie
sur le char qui doit la transporter aux Enfers. Le pavot est son attribut ordinaire.
Si parfois on lui met dans la main droite un bouquet de narcisse, c'est parce
que, dit-on, elle était occupée à cueillir cette
fleur printanière
quand elle fut surprise et enlevée par
Pluton.
On lui donnait en grec le nom de Corè,
c'est-à-dire "la jeune fille", parce qu'on supposait
que la reine de l'empire des Morts ne devait pas avoir d'
enfant,
ou parce qu'elle n'était encore qu'une adolescente quand
elle descendit aux Enfers. Elle eut cependant un fils de Jupiter
qui se fit aimer d'elle sous la forme d'un
serpent. Ce fils, nommé
Sabasius, était d'une habileté remarquable ; ce fut
lui qui sut coudre
Bacchus dans la cuisse de son père.
Proserpine et
Pluton n'étaient
pas toujours et partout considérés comme des divinités infernales.
Certains peuples, qui se livraient surtout à l'agriculture, les honoraient
comme les divinités mystérieuses de la fécondation de la
terre, et ne commençaient les semailles qu'après leur avoir fait
des sacrifices.
Pierre Commelin, Mythologie grecque et romaine, pp. 9-12.