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Fragments sur la Franc-Maçonnerie - Ce que la Franc-Maçonnerie n'est pas

article d'Eugène-Bernard Leroy, 33° (février 1934)
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Cet article a paru originellement dans le N° de la revue Le Symbolisme (février 1934). Il a été ressaisi et corrigé par France-Spiritualités.
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      Les opinions que l'on se fait (en France particulièrement) sur notre Ordre, dans le grand public, ont pour base un certain nombre d'idées fausses extrêmement tenaces qu'il importe avant tout d'éliminer. Contrairement aux préjugés courants, la Franc-Maçonnerie n'est ni une organisation politique, ni une religion, ni une secte philosophique ; ce n'est pas davantage une association de « courte échelle », et ceux qui viennent y chercher des « moyens de parvenir » ne tardent pas à être amèrement déçus.


I

      Nombre de personnes se représentent confusément notre association à peu près comme une grande administration à pouvoir centralisé, conférant une partie de sa puissance à chacune de ses succursales, à chacun de ses membres même, et chargée d'assurer à sa clientèle toutes sortes d'avantages, en échange d'un versement pécuniaire et de quelques services réciproques ; c'est imbus de cette idée que certains se présentent chez nous ; parvenus à se faire admettre dans une Loge, ayant versé régulièrement leurs cotisations, ils se croient désormais parés contre toutes les difficultés et tous les revers, et se retirent tranquillement sous la tente, indifférents à la vie de l'organisme dont ils font partie. Quand viendra l'heure des ambitions personnelles intenses, ils se réveilleront désorientés et maussades, très vexés de ne pas voir venir ce qu'ils attendaient et que nul, pourtant, ne leur avait jamais promis ; on les entendra bientôt exprimer amèrement leur dédain pour les formes et les traditions (qu'ils ignorent d'ailleurs), puis leur dédain pour l'institution même ; et finalement, ils la quitteront pour aller proclamer partout que la Franc-Maçonnerie n'est qu'une association d'arrivistes.

      En fait, dans son activité maçonnique, il est rare qu'un de nous soit soutenu par une arrière-pensée d'intérêt personnel ; l'adhésion même à une association aussi solidement unie a précisément pour effet de réfréner les ambitions égoïstes, et chacun fait facilement passer les intérêts moraux du groupe au-dessus de ses propres intérêts matériels. Bien souvent, nous voyons de nos frères consacrer leur temps, leurs forces et leur argent à des travaux maçonniques qui ne leur vaudront jamais ni gloire ni profit, soutenus simplement par le sentiment de collaborer à une œuvre très haute, dépassant de beaucoup leur personnalité. Leur esprit de propagande et leur désintéressement se montrent même dans les plus petites entreprises, et il n'y a guère de fête ou de cérémonie maçonniques sans le dévouement obscur de nombreux collaborateurs.

      Les heureux effets de la solidarité maçonnique sont indéniables, mais on aurait tort de se figurer que la bienfaisance par laquelle ils se traduisent surtout se limite aux seuls Maçons ; alors que tel groupe religieux, par exemple, recueille sans scrupule les contributions de toute la population pour des œuvres sur lesquelles il placera son étiquette, les maçons versent leur argent avec celui des profanes pour des œuvres, conformes sans doute à leurs tendances, mais parfaitement indépendantes.


II

      Evidemment, il sera difficile de persuader au public français que la Franc-Maçonnerie n'est pas un groupement politique, le préjugé contraire se manifestant sans cesse dans la presse, dans les réunions publiques, et même au Parlement. Un Franc-Maçon pourtant étant essentiellement un homme libre qui élabore ses opinions lui-même, tous les partis peuvent et doivent être représentés dans la Franc-Maçonnerie ; tous le sont, sauf les partis dont la doctrine se trouve précisément en contradiction directe avec l'esprit tolérant de l'institution : elle est au-dessus des partis et n'a aucune doctrine, pas plus en matière de politique qu'en matière de philosophie ou de religion.

      Notons qu'en certains pays, les statuts interdisent formellement toute discussion politique ou religieuse en Loge. Dans les fédérations maçonniques qui ont fait disparaître ou laissé tomber en désuétude cette interdiction, et où chacun peut, en séance, traiter n'importe quel sujet, même politique, cette liberté n'implique pas que la Loge doive ou même qu'elle puisse prendre parti entre les opinions, sanctionner les discussions par des votes, formuler des programmes électoraux ou des projets de lois, encore moins, manifester qu'elle approuve ou désapprouve les actes du gouvernement. Du droit de tout dire découle le devoir de tout entendre sans qu'une majorité ait à choisir entre les opinions ; cette règle n'est pas seulement une conséquence naturelle de la tolérance, mais encore de l'égalité que chacun peut légitimement réclamer pour ses idées comme pour sa personne.

      L'organisation, le but d'une Loge, appartiennent intégralement à l'universalité de ses membres ; il est impossible de les modifier pour servir les intérêts ou les aspirations, même légitimes d'un groupe ; elle ne saurait s'engager dans l'action politique, devenir servante ou inspiratrice d'un parti, sans se transformer en quelque chose de parfaitement étranger à l'esprit maçonnique, et, admirable instrument social, elle serait détestable pour un tel usage.


III

      Un autre préjugé attribue à la Franc-Maçonnerie, comme but essentiel ou principale préoccupation, une lutte acharnée contre l'Eglise catholique, sinon contre la religion même. Comment méconnaître pourtant le caractère de neutralité religieuse inhérent à la Franc-Maçonnerie ? Déjà, la Constitution maçonnique dite du Prince Edwin (elle date vraisemblablement de la fin du XVIIème siècle) porte en son article 3 : « Vous serez serviables envers tous les hommes ; vous leur témoignerez autant que vous le pourrez une amitié fidèle, sans vous soucier de ce qu'ils auraient une autre religion que vous. » Plus tard, les intellectuels qui transformèrent l'institution, s'empressèrent d'inscrire ce qui suit dans les Constitutions de 1723 : « Aux temps anciens, les Maçons étaient tenus, dans chaque pays, de professer la religion locale ou nationale, quelle qu'elle fut. Mais aujourd'hui, leur laissant leurs obligations particulières, on trouve plus convenable de les obliger seulement à suivre la religion sur laquelle s'accordent tous les hommes : elle consiste à être bons, sincères, modestes, gens d'honneur, par quelque dénomination ou croyance que l'on se distingue. D'où suit que la Franc-Maçonnerie devient un centre d'union et un moyen d'établir une amitié sincère entre des gens qui seraient, autrement, restés à jamais séparés. »

      On a parfois objecté que permettre la discussion et l'examen scientifique des questions religieuses dans les Loges, c'était déjà prendre implicitement parti contre les groupes religieux se prétendant fondés sur des dogmes immuables et indiscutables. C'est possible, mais alors, avouons que les Universités, les Académies, les Sociétés savantes de toutes sortes, agissent de même et se livrent à une propagande plus intense encore que la Franc-Maçonnerie. La tolérance maçonnique ne peut aller pourtant jusqu'à interdire aux Maçons de penser librement et d'exprimer librement leurs idées.

      Cette tolérance en matière religieuse, le simple fait que dans les Ateliers, les catholiques pussent se trouver associés à des hérétiques, l'idée enfin exprimée hautement, que l'on pouvait être un honnête homme, un homme vrrtueux, quelque religion que l'on professât, furent parmi les plus graves motifs invoqués dans les premières bulles d'excommunication : la pratique de la tolérance, il n'en fallait pas plus pour justifier l'indignation et les anathèmes de l'Eglise. C'est évidemment un point sur lequel il semble bien difficile que Catholiques et Francs-Maçons puissent jamais s'entendre ; la tolérance est inscrite dans les fondements mêmes de la Maçonnerie, et la Maçonnerie protestera toujours contre l'intolérance, quelles qu'en soient les formes. Devant les attaques haineuses et calomniatrices qui, sans motifs raisonnables, ont accueilli notre Ordre dès son apparition sur le Continent, devant les persécutions auxquelles les Francs-Maçons sont en butte de la part de l'Eglise, il serait impossible que la plupart d'entre nous ne sympathisent pas étroitement avec les hommes luttant sur différents terrains contre la domination cléricale. Dans la plupart des pays catholiques, l'Ordre est ainsi devenu d'une façon en quelque sorte traditionnelle, le point de ralliement et l'asile de ceux qui cherchent à faire triompher dans le monde la liberté de pensée, mais, ne voir en lui qu'une machine de guerre dressée contre l'Eglise catholique, serait une conception vraiment trop simpliste.


IV

      La Franc-Maçonnerie n'est pas une secte philosophique, car elle n'a pas de doctrine ; encore moins pourrait-elle présenter un ensemble de propositions arrêtées constituant une sorte de religion laïque ou un système. Elle n'est pas plus religieuse qu'irreligieuse ; elle ne formule pas des résultats, elle n'aligne ni propositions, ni articles de foi, comme font les institutions dogmatiques : « Tu seras ici seul maître de tes opinions, dit-elle à ses adeptes, tu auras le droit d'être dans l'erreur, le droit même d'être, parmi nous, seul de ton avis : nous ne te demandons que d'être sincère. Si tu manques de logique ou de courage, nos enseignements t'éclaireront et t'aideront sans doute, mais librement. » En ce sens, la Franc-Maçonnerie peut être appelée une institution de libre pensée parfaite, à la différence de certaines associations qui confondent libre-examen avec adhésion à certaines théories particulières, telles par exemple, que le matérialisme.

      En France, suivant les époques, nous voyons la majorité des Francs-Maçons exprimer des idées philosophiques qui, rapprochées, peuvent sembler contradictoires ; au XVIIIème siècle, ils sont nettement déistes, tandis qu'au XIXème, nombreux sont ceux qui écartent l'hypothèse d'un Dieu personnel ; mais, ces opinions philosophiques individuelles ne doivent en aucune façon être considérées comme engageant la Franc-Maçonnerie ; même les vérités acceptées comme définitives par la presque totalité des membres, ne sont imposées à personne. Cela déroute les petits esprits et surtout les esprits paresseux qui aimeraient des formules de deux ou trois lignes à apprendre par cœur. Quand ils voient que chacun de nous a ses idées, les gai de et ne craint pas de les exprimer, ils s'affligent ou s'indignent fort ; nous avions cru entrer dans un Temple, seraient-ils tentés de dire, et c'est la Tour de Babel. Et quelque-suns vont ailleurs chercher des propositions bien ordonnées, un credo inébranlable et définitif.

      S'efforçant de toujours rester en accord avec les nécessités sociales et morales présentes, la Franc-Maçonnerie s'inspire des progrès scientifiques pour rectifier sans cesse son idéal en le rendant plus rationnel ; dans son ensemble, elle évolue sans repos ; après chaque but atteint, l'horizon s'élargit et des buts nouveaux se présentent ; il y a en elle comme une force agissante qui ne lui permet pas d'arrêt. Ce qui ne varie pas, ce sont seulement (en outre des règles de tolérance même) certains principes très généraux. Ecoutons nos Frères de 1717 : au moment où ils organisent la « Grande Loge d'Angleterre », ils décident « de suivre cette religion sur laquelle tous les hommes sont d'accord, c'est-à-dire d'être bons, sincères, hommes d'honneur et de probité », et s'ils formulent une règle, c'est la règle d'amour : « Vous cultiverez l'amour fraternel, fondement et pierre angulaire, ciment et gloire de notre ancienne fraternité. » Ces principes sont encore les nôtres.

      Evidemment il faut, chez nous comme ailleurs, faire la part des imperfections humaines : l'institution a parfois à lutter, dans son propre sein, contre l'ignorance, l'indolence, la passion ; dans quelques pays protestants, les Loges exigent l'adhésion au Christianisme ; ailleurs, l'affirmation de la croyance en Dieu. Certaines Loges américaines excluent les nègres. Mais ces déviations regrettables résultent, soit de vieilles traditions mal comprises, soit d'interprétation vicieuses du rituel, lorsqu'elles ne représentent pas simplement la part faite à la faiblesse de ceux qui se prononcent sur les admissions.

Eugène-Bernard Leroy, 33°




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