Dans une étude récente, nous avons examiné le sens initiatique des épreuves et dégagé l'orientation philosophique et morale par elles imposée à l'Apprenti-maçon.
II importe de sonder le problème plus profondément
encore et de mettre chaque
adepte en présence de la signification vraiment
ésotérique de son ascèse personnelle. Par là seulement,
il pourra se rendre compte du chemin à parcourir et de l'
esprit vivifiant
caché sous les voiles de la doctrine. De toute évidence, comme on
va le voir, cette intelligence supérieure de la voie maçonnique
convient à la seule élite, aux hommes de volonté dont la
raison et l'entendement peuvent surclasser les contingences ordinaires de la vie
humaine.
La Maçonnerie, depuis ses lointaines
origines, a toujours été appelée : Science royale, Art royal.
Or, ces deux termes se complètent mutuellement, car la Maçonnerie
est une science par la
Gnose voilée sous les
symboles et un art par la
proportion, par le rythme qu'elle introduit dans les données de la science,
en les réalisant sur le plan vital, sur le plan éthique et finalement
sur le plan social. Par ce rythme, en effet, et par cette proportion, la beauté,
sous tous ses aspects, est infusée dans la matière humaine, et la
beauté est royale par destination, car elle se révèle, dans
ses multiples manifestations, aux
âmes nobles, aux belles intelligences
et aux grands curs à l'exclusion des autres. Mais, entendus dans
ce sens, l'art et la science ont aussi un autre nom, c'est le Grand uvre,
objet de l'
alchimie. Le Grand uvre peut se réaliser sur les trois
plans de la nature. Sur le plan matériel, c'est la transmutation des métaux
vils en or, en d'autres termes, la découverte de la Pierre philosophale.
Sur le plan animique, c'est la recherche d'un
équilibre constant des
forces
vitales, la découverte de la panacée et de l'
élixir de longue
vie. Sur le plan spirituel, c'est la stabilisation de la conscience dans les hautes
sphères intellectuelles, c'est la découverte de l'
élixir
de vie, ou, plutôt, d'immortalité.
Ainsi
le maçon est un alchimiste, mais dans ce dernier sens seulement. II ne
travaille pas à la transmutation des métaux : son labeur quotidien
consiste à perfectionner son humanité, à purifier, à
développer sa conscience, pour en faire un
feu vivifiant, un
feu inextinguible.
Il ne s'agit point, ici, d'étudier l'
arbre maçonnique
dans ses ultimes ramifications ; nous nous contenterons d'explorer les grades
du porche. Ils contiennent tout, du reste, dans leur riche substance et se prêtent
à des synthèses de plus en plus vastes dont les degrés subséquents sont les formules adéquates.
Sous quels
symboles la Maçonnerie a-t-elle voilé la route de l'immortalité ? Sous le couvert des phénomènes naturels dont le flux incessant est à notre portée immédiate. La carrière du maçon, en effet, est assimilée au mouvement diurne de la terre sur son axe et à une révolution complète autour de notre
soleil, c'est à
dire à ces
divisions temporelles qu'on nomme : le
jour et l'année.
Ces deux
symboles, de fait, sont une seule et même chose ; ils se répondent
membre à membre, comme dans une équation algébrique bien
équilibrée.
Le
jour, pour le maçon,
comporte cette partie du temps, qui s'écoule entre le lever et le coucher
de l'astre-roi ; il se calcule sur la période
idéale de l'
équinoxe,
moment où la lumière et les ténèbres sont réparties
avec équité sur l'ensemble d'un hémisphère. L'Apprenti
engagé arrive à la Maçonnerie pour voir poindre la lumière
au-dessus de l'
horizon. II a les pieds dans la nuit et son il est frappé
par le rayon lumineux. Tout autour de lui est enfoui dans l'ombre, mais la lumière
s'accroît de minute en minute, chaque chose perd progressivement sa forme
fantômale et revêt son aspect réel, s'échauffe, vibre
et chante sous le baiser du
soleil vivant. L'
âme de l'Apprenti se revêt
en même temps d'un manteau d'allégresse, car sa terreur et son angoisse
deviennent
amour et certitude. Or, le temps d'apprentissage va de 6h à
9h du matin ; le
soleil, alors, chasse les miasmes de la nuit, résorbe
la rosée et réchauffe les sillons. De 9h à midi, le
compagnon
se met à la besogne ; il ameublit la terre, il sème, il plante,
il élague et redresse, il prépare la récolte future. Et le
soleil vient au
zénith pour féconder et mûrir ; le maître
apparaît dans la moisson jaunissante et dans la vigne en
fleurs. A ses mains
expertes le vrai travail est confié, celui de préserver les
fruits
et de les récolter à la maturité totale. Il accomplit sa
tâche en deux temps, de midi à 3h et de 3h à 6h. Au premier
temps, c'est l'apogée de la lumière et de la
chaleur, sa sève
plus ardente monte jusqu'aux
fruits, les nourrit et les dore : c'est la vie dans
son complet épanouissement, la vie féconde, espoir des futures récoltes. Au second temps, c'est la cueillette : le
soleil à son déclin va rentrer dans sa période d'apparente passivité ; de l'orient les ténèbres montent pour le sommeil et la mort.
Cette
allégorie s'adapte exactement, en raccourci, à la révolution annuelle de notre planète. L'apprenti, c'est aussi le printemps, la moisson qui lève et fleurit ; le
compagnon, c'est l'été, les
fleurs font place aux
fruits ; la maîtrise, c'est l'
automne, la maturité
complète, la fin du cycle. Et l'
automne glisse à l'
hiver, c'est-à-dire aux bras de la mort. Mais le maître n'est plus l'apprenti, il a emmagasiné la récolte, il pourra parcourir le champ des ténèbres pour atteindre le renouveau, sans guide et sans autre soutien que les provisions amassées au cours des grands travaux de midi à la nuit.
La Science alchimique n'est-elle pas le
symbole concret de cette abstraite activité maçonnique ? On ne peut en douter. La matière appelée à devenir de l'or se revêt dans le creuset d'une
couleur noire, c'est le
corbeau ; les
germes métalliques sont comme putréfiés et morts. Ainsi l'apprenti enfermé dans la
chambre de réflexion est dans les ténèbres, au milieu des ossements et des débris de cercueils, car on ne peut passer du cercle
profane au cycle de la lumière sans traverser le royaume de l'obscurité et de la mort. Mais la matière en putréfaction renferme en elle la puissance de renaître, de se revivifier ; elle endosse successivement toutes les
couleurs de l'arc-en-ciel avant de refléter la
couleur jaune, image de la lumière parfaite, polarisée par le prisme vital. L'apprenti, comme elle, possède un principe de régénération, la lumière de sa conscience. Les ténèbres voudraient l'absorber, mais il la conserve jalousement et, grâce à elle, il arrive à la porte du temple. Il est alors soumis au
feu philosophique. Ce
feu, c'est l'enseignement oral du maître de la Loge, ce sont les épreuves et les voyages à travers les
éléments, origine de son expérience personnelle. Il voit alors apparaître la rouge lueur de l'aube. Puis, le
feu poursuit son uvre ; à chaque étape de l'opération, comme dans l'
alchimie, la lumière prend une teinte différente et plus vive. Enfin, c'est l'apogée, la lumière est totale, sans trace de mélange ; la transmutation est accomplie, il a réalisé en lui l'or pur des philosophes, la divine sagesse, la vraie science a mûri dans son intelligence et dans son cur.
Mais, ce n'est pas tout. A l'apogée succède le déclin, non pas de la science, mais de la vie individuelle, rançon de notre état humain. Et le maître est mis en présence de la grande loi des alternatives dont la mort est l'un des pivots. En effet, comme toute vie s'en va inexorablement vers la mort, celle-ci est une porte ouverte sur une vie nouvelle. L'être s'épanouit à la lumière du
soleil et se concentre à l'état latent dans la nuit du tombeau. Vie et mort sont des étapes successives sur la voie indéfinie de la vie éternelle.
Or, le maître, comme nous l'avons dit, n'est plus un apprenti, il n'accomplit plus le ténébreux trajet dans la même inconscience, il n'a plus besoin d'adjuvant extérieur, il possède un
viatique et il renaîtra bientôt sur un plan plus élevé du monde des idées. Tel est le sens profond de la
légende d'
Hiram, semblable de tous points à la
légende d'Osiris, à celle de l'Yma avestique, de l'
Yama hindou et du Min-Adam des plateaux caucasiens. Sur la tombe du maître, en effet, on plante le rameau d'
acacia, le rameau d'or des
initiés. Sous l'écorce de l'
arbre, dans son cur, sommeille le
feu de la
résurrection, le
feu vital et spirituel qui, plus tard, à l'intersection des deux branches de la
croix idéale, s'épanouira en cinq jets lumineux,
symboles de l'étoile flamboyante.
Pour pénétrer dans l'
ésotérisme
de la Maçonnerie du porche, nous avons fait appel aux
procédés de la science alchimique. N'est-ce pas
un rapprochement gratuit, une assimilation forcée et
conventionnelle ? Non. La matière première du
Grand uvre, le
corbeau, n'est pas autre chose que la pierre
brute, image de l'apprenti. Comme le
feu philosophique va commencer
à épurer la matière, le
maillet et le ciseau
contribuent à dégrossir le bloc informe sorti
de la carrière ; les deux méthodes et leurs résultats
sont identiques. La matière doit s'affiner progressivement
dans le creuset, il faudra de même, par un travail parallèle,
opérer le calibrage de la pierre. C'est pourquoi le
compagnon
copie, en quelque sorte, les métamorphoses réalisées
au sein de l'
Athanor. Au
maillet et au ciseau, il ajoute d'autres
outils : la règle, l'
équerre et le
compas. Avec
leur aide, il détermine les arêtes, les
angles
et les courbes : d'un moellon brut il fait une pierre cubique,
susceptible d'être utilisée dans la construction
du temple. Ici, encore, la corrélation et la signification
de l'activité sont semblables.
Quant au maître, il n'a plus besoin
d'outils spéciaux, il a réalisé en lui la Pierre cubique
à pointe, il est lui-même la poudre de projection, la pierre angulaire
de l'uvre. Aussi, on place dans sa main la branche d'
acacia réceptacle
du
feu latent qui informe toute vie nouvelle. Et c'est pourquoi, lorsqu'il prononce
la parole : «
Je connais l'acacia », il ne dit pas une chose
sans portée, il fait appel à la loi du retour,
germe de l'avenir.