La Maçonnerie ne disposait pas, à l'origine, de locaux uniquement réservés à ses réunions. Celles-ci se tenaient dans une salle quelconque, pourvu qu'elle puisse être rigoureusement close, en sorte de préserver les mystères de toute indiscrétion
profane. Se mettre à couvert était donc le premier soin des
initiés qui s'apprêtaient à ouvrir leurs Travaux. Ils s'assuraient ensuite de leur qualification au Travail : tous les assistants avaient-ils bien réellement le droit de participer aux mystères ?
Aucun doute ne subsistant plus à cet égard, il était procédé à la transformation du local, jusqu'ici
profane, en
Temple sacré. Cette métamorphose s'effectuait par la vertu d'un tracé fait à la craie sur le plancher de la salle, tracé qui était soigneusement effacé avec une éponge lors de la fermeture des travaux.
Bien qu'affectant la forme d'un
carré long, ce tracé
n'en correspondait pratiquement pas moins aux cercles magiques. Les
initiés
venaient de procéder à une évocation : ils avaient appelé
au milieu d'eux l'
esprit maçonnique. Désormais ils cessaient d'être
ce qu'ils étaient encore peu d'instants auparavant : une émotion
particulière les saisissait, et ils se sentaient entrés en communion avec ce qui est au-dessus des individus, dans le domaine des pensées larges et des aspirations noblement humanitaires. Quelques lignes et quelques figures, plus ou moins gauchement tracées, suffisaient à réaliser cette merveille.
Par la suite, lorsque les Loges eurent leur domicile fixe, on s'offusqua des imperfections d'un dessin rapidement exécuté à la craie, et l'on crut génial de substituer au tracé chaque fois renouvelé un tableau permanent, peint sur toile. Les
symboles essentiels de la
Franc-Maçonnerie y furent représentés. Chaque grade eut ainsi son ensemble caractéristique, sorte de pentacle complexe, dont l'explication plus ou moins approfondie constituait le plus clair de l'instruction initiatique.
Ces tableaux se terminaient d'ordinaire par une
bordure
dentelée, composée de
triangles équilatéraux, les uns noirs et les autres blancs. Parfois, les
triangles de la rangée extérieure étaient noirs, comme dans le tableau
mystique reproduit page 110 du
Livre du Compagnon. Les
triangles blancs indiquaient alors une émanation lumineuse, partie du centre du tableau, où brille l'
Etoile flamboyante.
La
disposition inverse serait cependant plus correcte, d'après le F
:. J. Eigenhuis, le savant rédacteur du
Vrijmetselaar, organe de l'Association maçonnique hollandaise pour l'étude des
symboles et des rituels
(1). Se basant sur les recherches érudites du F
:. Dr Ludwig Keller, de Berlin, le F
:. Eigenhuis ne voit, en effet, dans la bordure dentelée rien moins qu'un souvenir des catacombes. Cela nous ramène en droite ligne au
Fossoyeur Diogène, dont nous avons fait mention à propos du
Pasteur d'Hermas, page 25 de notre premier fascicule.
Ce personnage a bien pu être membre d'un «
Portique », c'est-à-dire d'une «
Loge », car le grec
Stoa, le latin
Porticus et l'italien
Loggia désignent un parvis ou péristyle, constructions formant un abri ouvert d'un côté.
Or, les inscriptions des catacombes nous révèlent que les mots
Stoa et
Porticus avaient pour les premiers chrétiens un sens conventionnel particulier. Ils considéraient, en effet, leurs lieux de réunion, non comme des
sanctuaires proprement dits, mais comme des parvis,
convenables aux délibérations. Ainsi s'expliquerait l'origine du mot
Loge, qui n'a jamais été fixée avec certitude.
Le portique, tel qu'il était alors conçu, comportait
deux colonnes, rappelant à la fois celles du temple de Salomon et celles
d'
Hercule, destinées à marquer les confins du monde sensible. Trois marches y conduisaient à un pavé
composé de dalles carrées, alternativement blanches et noires. Au fond, s'ouvrait une porte surmontée d'un fronton, au-dessus duquel étaient pratiquées trois lucarnes, dites
lumina. Les deux colonnes étaient enfin rejointes par une sorte de voûte formant toit et représentant intérieurement un
ciel avec cinq étoiles, la
lune et le
soleil. Le tout était donc bien un
symbole de l'univers visible.
Mais, comme nous le montre une ancienne gravure que nous
reproduisons ici, cet ensemble était sculpté dans le roc, lequel,
dans ce qui restait à l'état brut, figurait l'immense domaine de
l'inconnu, situé en dehors des limites de nos perceptions. Ce domaine du
mystère enveloppait le portique, image du monde connu ; il formait même
à celui-ci un cadre de brisures du roc, que rappellerait la
bordure
dentelée des Tableaux
mystiques de la
Franc-Maçonnerie moderne.
S'il en est réellement ainsi, ce sont les
triangles de la rangée extérieure qui doivent être blancs, pour indiquer l'
influence illuminative exercée sur nous par l'immensité ambiante que nous ignorons. En ce cas, les
triangles noirs exprimeront, de la part des
initiés, un effort de compréhension réceptive, alors que les
triangles blancs, dont la pointe serait tournée vers l'extérieur, comme dans le tableau
mystique du
Livre du Compagnon, dénoteraient une sorte d'offensive prise contre le mystère par l'
esprit humain, fort des principes de lumière puisés dans la
Gnose. Les deux systèmes peuvent donc se soutenir ; mais le premier suppose qu'aucune
clarté n'émane du portique, alors que le second fait prédominer la lumière intérieure ou sulfureuse sur celle qui prend sa source dans l'extérieur, d'où elle pénètre toutes choses, en vertu de ce que les hermétistes appellent l'action mercurielle
(2). Hâtons-nous d'
ajouter que la lumière est
une dans son
essence, vérité dont le Maître se rendra pleinement compte quand il discernera la provenance de tout ce qui sortira de lui. Il transmettra une lumière qu'il aura su attirer de l'extérieur et condenser en lui. Aurait-il dès lors droit aux
triangles blancs tournés vers l'extérieur, ou, passif et actif tour à tour, devrait-il disposer d'une bordure dentelée à renversement ? Fort heureusement, la question ne passionnera personne, et nous ne risquons pas de voir les Maçons se
diviser et s'excommunier réciproquement, à propos de
triangles blancs ou noirs. Il est bon cependant que chacun sache désormais, grâce au F
:. Eigenhuis, à quoi rime la bordure dentelée.
Oswald Wirth
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(1) Cette très instructive publication, fondée il y a sept ans par le F
:. Dr W. H.
Denier van der Gon, paraît tous les deux mois. Administrateur : le F
:. D. Ramondt, Jacob van der Dstraat, 107, , à La
Haye. Abonnement annuel : 2 florins 50.
(2) Voir
Symbolisme hermétique, page 31.