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La dignité humaine

article d'Oswald Wirth (février 1934)
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Cet article a paru originellement dans le N°181 de la revue Le Symbolisme (février 1934). Il a été ressaisi et corrigé par France-Spiritualités.
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      Ce qui distingue l'homme de la brute, c'est qu'il se sent responsable de ses actes. Il délibère avant d'agir et se détermine en choisissant entre ce qui lui apparaît comme le bien et le mal. Lorsque ce choix n'intervient pas, ses actes sont spontanés, impulsifs, et relèvent de l'instinct, donc de l'animalité.

      Parmi les hommes, il en est qui n'ambitionnent guère de s'élever au-dessus de la vie animale. Ils font alors fi de la dignité de leur espèce et se comportent en arriérés, réfractaires à l'évolution normale. Ce sont des humains moralement mal nés, qui se complaisent à l'esclavage de l'animalité et ne sauraient se dire nés libres, au sens des exigences de l'initiation maçonnique. Libre vient de libra, balance, et implique une pesée, une appréciation des motifs opposés qui sollicitent l'action. L'enfant irresponsable ne sait pas encore se déterminer délibérément, en pleine conscience de la valeur de ses actes ; aussi est-il tenu en tutelle jusqu'à l'âge où il devient homme, capable de se diriger humainement.

      Jadis, l'adolescent ne conquérait la dignité d'adulte et d'homme libre qu'en subissant de cruelles épreuves démonstratives du développement en lui d'une énergie supérieure aux exigences de l'animalité. Le sauvage s'affirme à cet égard plus perspicace que le civilisé, dont l'éducation hominale demeure négligée, si bien qu'oubliant d'en faire un homme, nous nous contentons de le dresser en animal savant.

      Le résultat se constate : l'animal instruit se montre plus féroce que l'autre ; il sait mentir avec perfidie et son savoir le rend plus dangereux que la bête la plus venimeuse. Or, tout le mal se ramène à l'atrophie du sentiment de la dignité humaine.

      Une animalité pervertie, faussée, domine ceux de nos contemporains qui oublient qu'ils sont hommes et que, comme tels, ils doivent s'affirmer humains. Cette affirmation exige une lutte qui doit aboutir en chacun de nous à la victoire de l'homme sur l'animal. Tant que l'hominalité n'est pas victorieuse en l'individu, il reste esclave de ses appétits et ne peut prétendre à la pleine dignité humaine.

      Vaincre l'animal ne veut pas dire le tuer. Guilgamès, le sage roi d'Ourouk, en qui les Chaldéens ont personnifié l'Initié, presse sur son cœur le lion rugissant dont il a triomphé, en ayant soin de laisser à la bête toute sa frénétique énergie. L'Art Royal enseigne à capter les forces brutales, pour les appliquer au travail judicieux que dirigent les adeptes du Grand Œuvre.

      L'homme est appelé à régner sur ce qui est vivant ; il n'a donc rien à tuer, mais il doit apprendre à dompter et à discipliner. Il va de soi que sa royauté s'exerce avant tout sur lui-même, sur le royaume constitué par sa propre personnalité. Ce qui affirme la supériorité hominale. c'est le vouloir avec discernement, en vue d'exercer la puissance royale sur laquelle se base la dignité humaine.

      L'homme-roi, c'est l'être humain pleinement humanisé, affranchi de la servitude animale, donc libre et apte à l'exercice de sa souveraineté. Cet idéal n'implique aucun héroïsme surhumain ; il est accessible à tout être humain normal et sain, puisqu'il se borne à exhorter chacun de nous à se comporter humainement. Le malheur de l'homme est que, mésusant de sa demi-liberté, il puisse cesser d'être humain. Il fait alors son propre malheur en se ravalant au-dessous de la bête : il provoque sa chute par une perversion qui le détourne de l'hominalité.

      Comment la bête humaine, dangereusement instruite et pervertie, peut-elle être ramenée au sentiment de sa dignité ? La question est angoissante, alors que le désarroi moral est à son comble parmi ceux qui se disent civilisés. Les religions sont en discrédit : ceux qui les pratiquent extérieurement n'adorent le plus souvent, en leur cœur, que le veau d'or ou une autre idole, symbole d'un vice anti-humain. Quand la foi subsiste, elle escompte des félicités éternelles qui promettent satisfaction au besoin de repos et de jouissance propre à l'animalité. Seul l'Art Royal se base sur la dignité humaine et sur la noble ambition de réaliser le bien par amour du bien. Mais qui est instruit de cet Art, dont la mission est d'achever l'homme en formation dans l'animal humain ?

      Ceux qui se disent adeptes de ce grand Art, s'en tiennent beaucoup trop aux extériorités qui se traduisent pédagogiquement en symboles et en allégories. Ils s'arrêtent à la lettre morte, sans pénétrer jusqu'à l'esprit vivifiant ; mais de plus en plus nombreux sont ceux qui aspirent à mieux.

      Nous assistons à un réveil de la conscience humaine éclairée. Apprenant à mieux se connaître lui-même, l'homme découvre qu'il n'est pas né pour l'esclavage, mais qu'il ne peut s'affranchir sans lutte méritoire visant à la conquête de sa liberté souveraine. Pour être libre, il faut qu'il se fasse roi, par l'acquisition d'une effective dignité royale.

      Cette vérité n'est pas du goût des démagogues, exploiteurs des droits, que revendiquent avec férocité les troupeaux excités à la révolte contre le devoir. Or, dans la réalité, les droits sont le salaire du devoir accompli ou pour le moins accepté. Les droits acquis à l'enfance, aux faibles et aux ignorants constituent des avances, impliquant une dette dont doit s'acquitter l'adulte, le fort et le sage, autrement dit, l'homme normalement développé, conscient de sa responsabilité de souverain.

      Ne tenir compte en l'homme que de l'animal est une erreur qui se venge cruellement. Cultivons l'hominalité, rendons hommage à la dignité de notre espèce, en apprenant à nous comporter en rois ! Pourquoi sommes-nous sur terre, sinon pour nous élever à la dignité humaine et régner légitimement ? Convertissons-nous à la religion sur laquelle tous les hommes seront d'accord, dès qu'ils seront résolus à conquérir le seul ciel véridique, qui est celui de la dignité humaine.

Oswald Wirth




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