A la faveur d'événements récents nous avons le triste spectacle
de
Frères, parmi ceux qui nous furent naguère les plus chers, qui,
touchés par une grâce subite, trouvent dans les revues anti-maçonniques un assez rocailleux chemin de Damas.
Tout homme est faillible, tout homme, à la croisée
des chemins, peut s'engager sur un sentier que fouleront bientôt avec peine
ses pas hésitants. Nous connaissons des
Frères dont les doigts seraient
plus aptes à égrener un chapelet qu'à donner un attouchement.
Mais nous connaissons aussi des
profanes dont la poitrine battrait plus à
l'aise sous le cordon des Maîtres que sous le scapulaire.
Nous savons qu'il faut un réel courage moral pour
conformer ses actes à ses principes, pour
dépouiller les vieux habits
auxquels on était habitué, pour rompre avec les habitudes de longues
années et voir s'écarter de soi les plus douces et les plus précieuses
amitiés. Fort, réellement fort, s'avère celui qui ose accomplir
de telles ruptures, sachant qu'il s'expose ainsi à souffrir les injures
et les calomnies de ceux avec lesquels, hier encore, il partageait le lot réduit
des joies, le fardeau si lourd des peines.
Celui qui, d'un cur sincère, reconnaît
s'être trompé, mérite notre respect, car il n'existe pas effort
plus douloureux que de se regarder, sans masque, dans notre miroir. Maçon
quittant sa Loge pour entrer à l'
Eglise,
catholique quittant l'
Eglise pour
venir à la Loge sont dignes d'être honorés parmi les meilleurs,
si aucun autre mobile n'a guidé leur décision que le louable et
légitime souci de retrouver leur véritable route, dont ils s'étaient
écartés. Plus tard, beaucoup plus tard, ils seront payés
de leurs peines, quand ils s'apercevront que tous les chemins conduisent au
Temple,
que tous les rayons de la roue, même opposés en apparence, se rejoignent
au moyeu.
*
* *
Mais, c'est avec une réelle affliction que nous voyons
des hommes perdre la notion de leur dignité humaine jusqu'à se leurrer
de motifs futiles pour justifier leur attitude agressive envers les groupements
qui les avaient accueillis :
prêtres défroqués battant monnaie
avec leur soutane souillée, Maçons exclus ou démissionnaires
satisfaisant une vanité déçue par l'étalage, à
tout venant, de leur tablier fripé.
Ceux-ci se réclament d'un
idéal patriotique
et
religieux dont ils violent la première règle, la plus belle :
le respect de la parole donnée.
Au
jour de son
initiation, l'Apprenti jure, en toute
liberté
et connaissance de cause, de ne jamais révéler les rituels maçonniques
et les noms de ses
Frères. Il est vain de se prétendre, de son propre
chef, délié de son serment parce qu'on a quitté l'Ordre en
claquant plus ou moins fortement les portes du
Temple.
Le serment est un acte sacramentel, dont la portée
dépasse la personnalité de celui qui le prête. Il nous engage
dans les mondes visibles et invisibles, pour le présent et pour l'avenir.
Que celui-là qui ne se sent plus à l'aise entre les colonnes se
retire loyalement. Il agit en homme libre et de bonnes m:urs. Mais qu'il
n'oublie jamais son serment, sous peine de
félonie. Nul ne peut étre
en ces questions son propre
juge, nul ne peut reprendre sa parole donnée.
Les récits de chevalerie ont conservé, comme les plus beaux exemples
de la valeur morale des
preux, les gestes qui nous les dépeignent préférant
mourir plutôt que se parjurer, si indigne soit leur adversaire.
«
Fidélité au devoir ».
Devise
des
Compagnons d'
antan, que les événements actuels nous remettent
en mémoire. Notre devoir consiste à créer des hommes. La
Maçonnerie n'a jamais fait faillite, chacun y a trouvé, selon sa
bonne volonté et son ardeur au travail, ce qu'il venait y chercher. Rappelons
sans cesse aux jeunes Maçons, et même parfois aux vieux, la gravité
du serment par eux librement consenti.
Et si, un
jour, un Maçon vient vers nous : « Je me suis trompé de chemin, est-il encore temps que je retourne sur mes pas ?... », nous nous pencherons, nous relèverons celui dont les genoux ont ployé... « La Maçonnerie est belle, la Maçonnerie est vraie... Mais il se peut que tu ne soies pas prédestiné pour la comprendre, l'aimer et la servir... Ailleurs est ta mission, soit. Retire-toi en paix, mon
Frère,
sous la loi du silence. »
Marius Lepage