Cet article a paru originellement dans le
Bulletin de la Société d'Etudes Scientifiques de l'Aude (Année 1898, Tome 9). Il a été ressaisi et corrigé par
Histoire & Spiritualité ®.
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Articles Au mois de
juillet dernier, M. Louis
Baleste, de
Cabrespine, qui m'avait souvent accompagné dans mes excursions dans la Montagne-Noire, me signala l'existence de deux pierres à écuelles ou à cupules aux environs de la vallée du Clamoux. Je m'empressai naturellement d'aller visiter ces curieux monuments préhistoriques et, le 31
juillet dernier, je partais de
Cabrespine pour gravir un sentier escarpé qui me conduisit, au bout d'une heure de marche, au-dessus du petit hameau d'Estresse, où nous rencontrâmes la première pierre sculptée.
Située à une
altitude de 700 mètres environ, cette pierre n'est qu'une saillie de la roche qui s'élève en surplomb, et sur laquelle plusieurs cupules ont été creusées. Celles-ci sont au nombre de vingt-cinq, de 0,03 c. à 0,10 c. de diamètre. Quelques-unes sont ovales, six sont réunies deux à deux par une rigole, ainsi que le montre la figure ci-jointe.
La roche où sont gravées ces cupules m'a paru être en calschiste ; elle a 2 mètres environ de long sur 1,20 m de large. Après avoir pris un rapide croquis de cette pierre, nous continuâmes notre route, et arrivés au lieu dit
Col de Mont Serrat, nous remarquâmes des ruines qui nous semblent être celles d'un vieux fort défendant les deux vallées.
Le rocher avait été creusé profondément à certains endroits pour former des réduits, et l'on voit encore les entailles faites pour recevoir des madriers.
A deux heures, nous arrivions à la seconde pierre à écuelles. Celle-ci est placée sur un point culminant, complètement isolée sur un terrain aride, à 900 m d'
altitude et sur le territoire de
Pradelles-Cabardès. Le mamelon au sommet duquel est la pierre s'appelle
le Devès ; au
dessous, à l'Est, se trouve la métairie de
Lanoux. Cette pierre peut avoir, comme la précédente, 2 m de long sur 1,30 m de large. Elle est en schiste gréseux très dur. Elle possède quinze cupules dont six ovales, ainsi que le représente la figure ci-jointe.
Que sont ces pierres à écuelles ? Je crois que la question est loin d'être élucidée. On a remarqué de nombreuses pierres ainsi sculptées en
Suisse : ce sont généralement des blocs erratiques ; des sculptures du même genre ont aussi été remarquées dans des
cryptes funéraires, dolmens ou allées couvertes. Mais ces sculptures, propres à l'époque de la pierre polie, disparaissent à l'âge du bronze : elles devaient avoir évidemment un sens pour leurs contemporains.
On s'est évertué à deviner et à vouloir expliquer l'usage ou la signification de ces cupules. Les uns y ont vu une écriture
symbolique, d'autres des figures zodiacales, d'autres enfin des dessins dûs simplement au désœuvrement des bergers. Quoi qu'il en soit, dans beaucoup d'endroits ces sculptures ont été découvertes en des sépultures, par conséquent lieux sacrés, et dans plusieurs localités où ils se trouvent, ces monuments sont encore l'objet de superstitieuses pratiques ; ils devaient donc avoir eu jadis un sens
symbolique et
religieux.
Il résulte de tous ces faits et de l'ensemble de ces monuments, connus aujourd'hui en assez grand nombre, qu'il y a là un fait général, une idée commune ignorée encore, mais que de patientes et intelligentes recherches pourront peut-être nous révéler un
jour.
Je crois que c'est la première fois que l'on signale dans notre département l'existence de pierres à écuelles ou à cupules.
Château de Rivière, près Caunes, février 1897
G. SICARD
N. B. — La planche qui devait accompagner cette note, n'ayant pu être livrée à temps, figurera dans le prochain Bulletin.