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Avant même d'explorer le XIXème siècle, sujet de ce travail, ouvrons une courte parenthèse sur l'époque qui a vu se matérialiser la Franc-Maçonnerie spéculative, c'est-à-dire le XVIIIème siècle. Ce temps de foisonnement intellectuel reste marqué par ce qu'on a appelé le "Siècle des Lumières". Des lumières qui ont éclairé les consciences... Des lumières qui vont briller dans le
Temple Maçonnique.
En mai 1730,
Montesquieu, qui a traversé la Manche sur le yacht du Franc-Maçon Lord Chesterfield, sera
initié peu après
son arrivée en Angleterre à la Loge "
Horn", taverne de Westminster
[Note de l'auteur : Bien qu'il n'y ait aucune fiche à la Bibliothèque Nationale, on note que : « le 15 décembre 1732 est enregistrée, sous ce titre distinctif de "Vraie Loge Anglaise", un atelier à Bordeaux » (Essai des Loges Maçonniques Françaises des origines à nos jours - 1966).]. Un an plus tard, il présidera à la création de la Loge anglaise de
Bordeaux.
Le 21
janvier 1746, les 28 volumes de l'
Encyclopédie sont mis en chantier sous la direction de Diderot et d'Alembert. Sérieusement, on peut dire avec le chevalier Ramsay, écrivain et chancelier de l'Ordre Maçonnique, que ce monumental travail est d'origine maçonnique. C'est lui d'ailleurs qui lança "
l'encyclopédisme" en invitant les Francs-Maçons «
à s'unir pour former les matériaux d'un dictionnaire universel des arts libéraux et de toutes les sciences utiles ». On doit noter que le nom de onze
Frères,
dont Voltaire et Willermoz, est attaché à la rédaction de
cette uvre universelle.
Simple rappel maintenant
: à
Marseille, c'est en
octobre 1751 qu'est constituée la Mère-Loge
Ecossaise de France, dont nous dirons quelques mots plus tard.
Nous allons quitter le XVIIIème siècle avec un modeste bilan
statistique : en 1780 en France, il y a 72 Loges de régiments et 26 Loges
présidées par des
prêtres ; en 1784, on compte 800 Loges du
Grand Orient et 170 Loges de la Grande Loge.
Mais l'
acacia
sera violemment secoué par le souffle révolutionnaire. Point d'orgue
: la Grande Terreur de juin-juillet 1794. Les tribunaux révolutionnaires
envoient à l'échafaud près de 1400 condamnés, dont
de nombreux
Frères. Et quand Roëttiers de Montaleau, directeur de
la
Monnaie, convoque au printemps de 1796 une assemblée de Francs-Maçons
du Grand Orient, il se retrouve avec quelques rares
Frères qui l'élisent
pour, disent-ils, remettre la Maçonnerie en mouvement. Il prend alors ses
fonctions avec le titre unique de Grand
Vénérable de l'Ordre. Il
y a alors en France 18 Loges qui reprennent une activité : 3 à
Paris,
2 à
Perpignan, 7 à
Rouen, 4 au
Havre, 1 à
Melun et 1 à
La
Rochelle. Rien à
Marseille à cette époque ! Sauf quelques
Loges clandestines.
Voilà donc, en préambule,
quelques flashes sur ce siècle qui a sonné le glas d'un régime
monarchique, où l'autorité politique résidait dans un seul
individu qui avait droit de vie et de mort sur tout homme et toute femme de son
royaume...
*
* * Venons-en
maintenant à notre sujet. Pourquoi avoir choisi le XIXème siècle
pour parler de la Franc-Maçonnerie ? Pour plusieurs raisons !... La première
pourrait se résumer en quelques chiffres : en 70 ans (de 1800 à
1870) la France a vécu sous l'autorité de 2 empereurs, de 3 rois
et de 2 républiques. Dans ce décompte, il est nécessaire
d'insister sur le Consulat qui, de 1799 à 1804, a projeté sur le
devant de la scène
européenne un nom : Bonaparte, et, en moins de
cinq ans, un prénom : Napoléon. Dans le deuxième tome de
son
Histoire de la Franc-Maçonnerie, Pierre
Chevallier apporte une opinion définitive, semble-t-il, sur cette courte
période de notre
histoire. Il écrit : «
Avec Bonaparte
consul à vie, puis avec Napoléon empereur, la Maçonnerie
ouverte et libre de ses opinions et de ses décisions avait vécu.
Napoléon, dans la logique de son système de gouvernement, a vu d'un
œil favorable le développement de l'Ordre Maçonnique à condition
qu'il reste dans ses Temples et qu'il se transforme en une milice dévouée
aux intérêts de son régime et à sa gloire personnelle.
»
Je rappellerai que Napoléon a fait insérer
dans le Code Pénal promulgué en 1810 un article 291 qui sera d'un
poids écrasant sur la vie publique en France. Qu'on en
juge : «
Nulle
association de plus de vingt personnes dont le but sera de se réunir tous
les jours ou à certains jours marqués pour s'occuper d'objets religieux,
littéraires, politiques ou autres ne pourra se former qu'avec l'agrément
du gouvernement et sous les conditions qu'il plaira à l'autorité
publique d'imposer à la société. »
On comprend ainsi qu'avec une façade artificielle de
liberté,
l'Empire ait eu intérêt à laisser se développer un
Ordre dont les secrets et l'indépendance d'
esprit pouvaient inquiéter
les maîtres du moment. La tactique était simple : faire fructifier
la Maçonnerie afin de mieux la contrôler. Le subterfuge impérial
réussit à merveille. Deux chiffres seulement le prouvent. Nombre
de Loges du Grand Orient de France : en 1804 = 300, en 1814 = 1214. Aussi, lorsque
des
historiens posent la question de l'appartenance de Napoléon à
la Franc-Maçonnerie, est-on en droit d'être sceptique quant à
l'attachement de l'empereur à propos des «
principes capitaux
de notre Ordre ».
*
* * Ces quelques
idées générales pourraient servir de préface. Il est
temps de prendre nos quartiers en
Provence, et plus particulièrement à
Marseille. Avant de nous intéresser aux travaux des Loges du Grand Orient,
il faut présenter la Mère-Loge Ecossaise de
Marseille dont le
Temple
se trouvait à quelques pas de l'actuelle rue Armand Bédarride, sur
le
Cours Julien, au numéro 33 exactement.
C'est
milord Georges Walney, venu en France à la suite des Stuart, qui fonda
à
Marseille, le 17
juin 1751, la Loge de
Saint-Jean d'Ecosse qui allait
devenir la Mère-Loge Ecossaise pour tous les
Ateliers de France du même
Rite. Pendant les heures graves de la Révolution, c'est l'avocat
marseillais
Julien de Madon qui avait conservé dans la clandestinité les Loges
(on disait alors les "filles" de la Mère-Loge). Le vent de l'
histoire
tourna rapidement. Dans la cité
phocéenne, la Mère-Loge Ecossaise
va jouer à fond la carte impériale, au point de «
vouloir
discipliner dans les loges l'ardeur des libres-penseurs », écrivent
certains chercheurs. Ainsi, prenant «
la direction des âmes pieuses
ou réfractaires aux dogmes révélés, la Mère-Loge
recrutait ses adhérents dans les milieux bourgeois et protestants de la
ville »
[Note de l'auteur : Voir la liste des guillotinés
pendant la terreur dans l'Histoire de Marseille, de Raoul Busquet.].
Sans doute a-t-on oublié le bon grain maçonnique semé par
la Mère-Loge Ecossaise. C'est sûrement plus par intolérance
que vérité qu'on a écrit que cette Loge représentait
«
la police de la libre pensée ». Des accusations excessives,
certainement, tant il est vrai que trop souvent les mots cachent autre chose que
la simple réalité.
Nous avons retrouvé,
entre autres documents, le tableau de la Loge
marseillaise portant la date de
l'année 1808, imprimé par les
ateliers de typographie Achard. Voici
quelques noms que nous y avons relevés, montrant l'importance du recrutement.
Le
Vénérable Maître est Charles
Salles, l'un des plus gros
négociants de la cité. Premier surveillant : le préfet Antoine-Claire
Thibaudeau. Second surveillant : Rigordy, vice-président du Tribunal Civil.
Notons encore parmi les officiers : Anthoine,
maire de
Marseille, garde des sceaux
; Arsène Séjourné, membre de la
Chambre de Commerce, orateur.
Quant aux Maîtres de Cérémonies, le choix est particulièrement
impressionnant. Aux côtés du général Cervoni, commandant
la 8ème
Division Militaire, on trouve Joseph Ricard, président du
Tribunal Civil ; le commissaire général de la police, de Pernon,
ami de la famille impériale ; Girard Aîné, secrétaire
général de la préfecture, etc. Nous allons interrompre la
publication de cette liste déjà trop longue de personnages dont
quelques rues de
Marseille portent les noms.
A cette
date (1808), l'effectif de la Loge est le suivant : 183 membres résidants
et 75 non résidants. A noter : il n'y a plus un seul
prêtre parmi
les membres de la Mère-Loge, dont le
destin a été de suivre
la chute de l'Empire. On croit savoir que ses travaux ont été définitivement
interrompus le 11 avril 1814. La Mère-Loge Ecossaise entrait dans l'
histoire...
Quelques mois plus tard, le préfet Thibaudeau quittait clandestinement
Marseille : il avait été condamné à quinze ans d'exil
pour avoir courageusement refusé de reconnaître la légitimité
des Bourbon de retour sur le trône de France.
La
revanche des
royalistes éclaire d'une lumière crue les crimes connus
sous le vocable de Terreur Blanche. En deux ans (1815-1816), 100.000 arrestations
sont opérées. A
Marseille, la chasse aux bonapartistes, amis des
Francs-Maçons, est ouverte. En divers points de la ville, on massacre au
petit bonheur. Et notamment, Folo et
Vincent, officiers en retraite ; les
frères
Verse, pâtissiers ; le menuisier Galibert ;
Ange Terrier et son fils, boulangers
de la rue du Panier. Une égyptienne appartenant à la colonie des
Mamelucks, ramenée d'Egypte en 1801 par le général Menu,
est poursuivie, jetée à l'
eau et fusillée dans le
Port. 45
membres de cette même colonie seront massacrés près de l'actuel
Cours Gouffé. Il faudrait des pages entières pour rappeler les atrocités
commises en quelques mois dans le Midi, notamment ! A
Avignon, le
Frère,
le maréchal Brune, est assassiné le 02 août 1815. C'est dans
la descente de la Gineste que seront fusillés Aga dit "La Victoire",
Arnoux et
Puget accusés de bonapartisme...
*
* * Assistons
maintenant à la tenue du 12 primaire an XI (05 décembre 1802) de
"
La Parfaite Sincérité",
Respectable Loge du Grand Orient de France. Le
Vénérable Maître
propose des vux pour les défenseurs de la patrie. Et il précise
: «
Mes très chers Frères, si les portes de nos Temples
sont fermées aux discussions politiques ; si par notre essence, nous devons
être parfaitement étrangers à l'action et à la marche
de ce puissant mobile des Etats, les sentiments généreux n'en sont
pas moins notre apanage... »
Pas de politique, certes ! Mais il faudrait
avoir le temps de détailler ce long morceau d'architecture où il
est dit, je cite, «
que les Maçons peuvent faire, un instant,
abstraction de leurs principes et élever la voix contre les féroces
Anglais... » On pourrait continuer à feuilleter les documents
de cette Loge qui devait
initier le 08
octobre 1793 Joseph Bonaparte, devenu Grand
Maître du Grand Orient de France, puis du Grand Orient de Naples et, plus
tard, d'Espagne, et le Conventionnel Christophe Saliceti, qui vota la mort de
Louis XVI. On devine, avec un tel recrutement, l'
influence qu'avait "
La
Parfaite Sincérité" dans le monde maçonnique.
Les demandes de patronage affluent. Ainsi, les Loges "
La
Persévérance" de
Carcassonne, "
La
Parfaite Amitié" d'
Apt, "
Les
Trois Rois" de
Cologne sollicitent appuis et recommandations auprès
du Grand Orient. Enfin, dès 1807, tandis qu'elle installait à
Marseille
la Loge "
Les Amis Fidèles de Saint-Napoléon",
deux de ses membres, les
Frères Chaufard et Portret, fondaient à
Barcelone la Loge "
Le Triomphe de l'Amitié".
A Aix-en-Provence, même activité maçonnique sous le Consulat
et sous l'Empire. Cinq Loges civiles et une Loge militaire attachée à
la demi-brigade tenant garnison dans la cité sont constituées.
*
* * Avec la
chute de l'Empire, le tournant maçonnique va être pris à 180
degrés. Qu'on en
juge ! Le 02
janvier 1814, "
La
Parfaite Sincérité" formait des vux pour «
la conservation des jours du chef suprême de l'Etat, Napoléon-le-Grand
». Cinq mois plus tard, le 16 mai 1814, les
Frères de cette Loge
formulaient les mêmes vux pour «
le chef suprême de
l'Etat, Louis XVIII et son auguste famille ». Possible explication :
ne disait-on pas que le roi avait été
initié aux mystères
maçonniques ?
Mais ces revirements ne sont que
des incidents de parcours dans la longue
histoire de la Franc-Maçonnerie.
Mieux encore ! Ne pourrait-on analyser ces volte-face comme étant une preuve
de la neutralité politique prescrite par ses statuts ? Il reste cependant
que cet attachement exclusif aux principes de fraternité et de solidarité
n'a jamais été bafoué par les Loges provençales. D'ailleurs,
d'autres événements attendent les Francs-Maçons : ils y feront
face, on le verra, avec dignité et détermination.
Que dire de la Monarchie de
Juillet (1830-1848) ? Beaucoup de choses, sans
doute, mais qui n'entreraient pas dans le cadre de ce travail. Signalons seulement
que le roi Louis Philippe 1er ne fut nullement favorable aux Francs-Maçons.
En effet, son fils dit "Philippe Egalité" qui , député
à la Convention, vota la mort de Louis XVI fut un temps Grand Maître
du Grand Orient de France. Mais après de vives polémiques, il démissionna
de l'obédience qu'il présidait sans conviction. Le 07 novembre 1793,
l'
apostat fut condamné à mort et guillotiné. On retiendra
que la Monarchie de
Juillet a généré diverses insurrections
populaires, et notamment la Révolution de
février 1848, qui sera
bien accueillie dans les Loges marseillaises.
La fin
du règne de Louis-Philippe est lamentable. Des scandales révèlent
des ministres concussionnaires. Dans les
Ateliers, l'espoir de
liberté
renaît. Au banquet de la Loge aixoise "
Les Arts
et l'Amitié", on chante "
La Marseillaise".
Et le
Frère orateur Duvivier proclame : «
On ne brise plus les
institutions, on les fausse... On ne violente plus les consciences, on les achète
!... ».
*
* * Nous voici
arrivés au chapitre que l'on pourrait intituler : "
La Franc-Maçonnerie
sous le Second Empire". L'hostilité furieuse des cléricaux,
la vigueur avec laquelle les préfets avaient sévi contre les Loges
décrétées "suspectes" ne laissaient présager
rien de bon pour les Francs-Maçons. Or, le 09
février 1852, le prince
Murat, cousin de Louis-Napoléon, était élu Grand Maître
du Grand Orient de France. Cette élection fut célébrée
par tous les
Ateliers de la Région. Il y eut d'abord une fête d'Ordre
de tous les
Vénérables Maîtres en exercice. Elle fut présidée
par le
Frère Brochier, remplaçant le
Frère Bédarride,
président du Conseil des Chevaliers Kadosch. Il revint au
Frère
Daniel de présenter un morceau d'architecture intitulé : "
La
vie et la mort de Jacques de Molay"
[Note de l'auteur
: Voir La F:. M:. à Marseille in Encyclopédie des Bouches-du-Rhône,
p. 743.].
Ce préambule devait ouvrir la
porte à d'autres festivités. Une tenue solennelle de tous les
Ateliers
fut organisée à
Marseille. Les Loges représentées
étaient : "
La Parfaite Sincérité",
"
La Réunion des Amis Choisis",
"
La Française de Saint-Louis",
"
Les Disciples de Salomon et de l'Aimable Sagesse",
"
Les Inséparables", "
Les
Elèves de Minerve", "
La Parfaite
Union", "
Les Ecossais",
"
Les Amis de la Paix" ; les Loges d'
Aix
: "
Les Arts et l'Amitié" et
"
Les Amis de la Bienfaisance". Divers
Ateliers de
Toulon et de
Pertuis étaient également présents.
Alors que Maçonnerie et Second Empire semblaient vivre
en bonne entente sous la stricte surveillance du
frère de Persigny, ministre
de l'Intérieur, divers désordres furent engendrés par une
vive opposition entre le prince Murat et le prince Jérôme Napoléon
pour la grande maîtrise. Napoléon III trancha le différent
en prenant, en date du 11
janvier 1862, un décret stipulant :
1° que le Grand Maître de
l'Ordre Maçonnique était nommé par lui ;
2° que le maréchal
Magnan avait
été choisi pour assurer la grande maîtrise.
On peut l'imaginer : ce coup de
force impérial souleva quelques
protestations dans les Loges ! Alors, on se souvint que, dans sa
jeunesse, Napoléon
III avait été
initié dans une Vente de la Carboneria. Or,
le voilà en guerre contre l'Italie. Enfin, lorsque l'empereur prendra partie
dans la question romaine, en décidant notamment de protéger le
Saint
Siège contre les
patriotes italiens engagés dans la lutte courageuse
pour la réunification de la Péninsule, ce sera une explosion de
colère dans les Loges. Or, les Francs-Maçons
marseillais dans leur
grande majorité considéraient le pape comme leur pire
ennemi. Le
Frère Baille,
Vénérable Maître du "
Phare
de la Renaissance", écrivait alors : «
J'appartiens,
nous appartenons à un Ordre, nous sommes dévoués à
une institution... Il existe un ennemi de cet Ordre, ennemi ardent, permanent,
acharné, qui n'aspire qu'à détruire ce que nous aimons et
vénérons... Un jour, il advint que celui sur lequel je comptais
pour me défendre, au lieu de combattre mon ennemi, le protège, cherche
à augmenter sa puissance et fait avec lui pacte d'alliance. »
Les régimes autoritaires n'acceptent jamais la vérité ! Le
Frère Baille et plusieurs
Vénérables Maîtres furent
frappés de suspension. La vie maçonnique prenait alors un autre
visage...
*
* * Et la
révolte contre le Second Empire se développa : les Loges dites "dissidentes"
eurent le courage de revendiquer la
liberté de l'Ordre et de ses élections.
La pilule du décret du 11
janvier 1862, nommant le maréchal
Magnan
à la tête du Grand Orient de France, ne passait pas. Pour sa part,
"
Le Phare de la Renaissance" «
décidait la nomination d'une commission chargée d'étudier
les mesures qui lui paraîtraient propres à conjurer les attentats
dont l'Ordre Maçonnique était l'objet en ce moment ».
A la fête de l'Ordre du 21
janvier de la même année (1862),
le
Vénérable Maître
Lagarde déclarait : «
La
Maçonnerie ne marche pas avec le despotisme... Elle saura résister
à l'ultramontanisme... » C'est-à-dire à l'autorité
absolue du pape !... Même indépendance d'
esprit à la Loge
"
La Vérité".
Nous allons arrêter là l'aventure du Second Empire
qui finira, on le sait, le 1er septembre 1870 à
Sedan. En effet, comme
l'écrirons Nicolas Estier et Raoul Busquet, dans une étude réalisée
sur la Franc-Maçonnerie provençale : «
Le travail ne s'était
jamais interrompu dans les Ateliers. On s'y livrait à l'étude de
questions sociales, juridiques, philosophiques. Surtout l'on s'y occupait pratiquement
de bienfaisance. Les Loges participaient à la distribution de bons municipaux
de pain et de viande. Elles distribuaient des secours par leurs propres moyens
»
*
* * Je voudrais,
maintenant, vous faire part de mon étonnement, mais aussi de ma joie, lorsque
j'ai découvert par hasard dans le
Guide-Almanach
de Marseille d'Alfred Saurel, daté de 1870, qu'il existait dans
notre ville deux écoles maçonniques : l'une installée 49,
bd du Musée (actuellement Bd Garibaldi après le percement du
Cours
Lieutaud), l'autre au N°133 du Grand
Chemin de
Toulon. Il restait à trouver
trace de ces écoles et d'en connaître les
initiateurs. Disons tout
de suite que le mérite de ce travail éducatif revient aux membres
de la Respectable Loge "
Vérité",
dont les
Frères Félix
Chevrier et Antoine Alessandri ne disent mot
dans leur important document sur
La vie hermétique
à Marseille. Il est vrai que nos deux
historiens ont notamment
consacré l'essentiel de leurs recherches sur l'
Atelier "
La
Réunion des Amis Choisis".
La
Loge "
Vérité" (qui deviendra
en 1875, après
fusion avec la Loge "
Réforme",
l'
Atelier "
Vérité-Réforme")
avait, en 1862, mis à l'étude le projet de construction d'un orphelinat
maçonnique dont les archives conservent les statuts étudiés
lors de la tenue du 07
février 1862. Mais c'est en 1865 que cette même
Loge devait se signaler par une initiative des plus heureuses en matière
d'enseignement scolaire : le 31 mars 1865, en effet, le projet de création
d'une école sous les auspices de la Franc-Maçonnerie reçoit
un commencement d'exécution ! Alors les
Frères de "
Vérité"
vont déployer une rare énergie pour que leur projet aboutisse. Tous
les
Ateliers marseillais participent avec enthousiasme à cette grande œuvre
: ils vont verser annuellement une médaille de 3 à 400 F pour frais
de fonctionnement et assurer la paie des professeurs. Ce n'est qu'en 1867, le
07
juin exactement, que le Grand Orient va interroger "
Vérité"
sur «
les résultats que l'uvre d'enseignement a obtenus
».
Sans entrer dans le détail de cette réalisation,
qui mériterait un plus large développement, disons seulement que
:
- le 06 août 1866, les cours pour adultes réunissent
une quarantaine d'ouvriers ;
- le 14 août 1866,
70 élèves sont inscrits pour la prochaine rentrée scolaire
;
- le 02
octobre 1866, le
Frère Brochier,
Vénérable
de la Loge "
Le Bon Droit", est nommé
président de la Commission des Ecoles. Plus tard, en 1881, il sera élu
maire de
Marseille. Aujourd'hui, une rue porte son nom.
Enfin, pour couronner l'uvre maçonnique, dont le but était
de «
reprendre l'instruction dans les classes laborieuses »,
le 07 août 1868, était organisée la première distribution
des prix aux garçons les plus méritants. Dernière date importante
: 17 mai 1870. Toutes les Loges sont informées que l'examen scolaire aura
lieu pour les écoles maçonniques le dimanche 22 courant à
9 heures du matin au 24, rue Piscatoris, c'est-à-dire dans ce
Temple aujourd'hui
reconstruit de la rue Armand Bédarride. Il faudrait parler encore du 11
février 1868, qui vit naître, sur proposition de la Loge "
La
Réunion des Amis Choisis", le "Comité Central
d'Initiative" des Loges marseillaises qui sera présidé par
le
Vénérable Maître Gaston Crémieux. Les buts de cette
nouvelle organisation peuvent se résumer en trois points, qui n'ont rien
perdu de leur actualité :
- organiser une Caisse
Centrale de Secours ;
- réglementer les convois
funèbres ;
- étudier la question du local
unique, afin de réglementer les tenues générales mensuelles
et de
préparer en commun les fêtes
solsticiales.
*
* * La chute
de l'Empire va anéantir, momentanément, l'œuvre d'éducation
populaire et de solidarité maçonnique.
Les Francs-Maçons, on l'a vu, ne baissent jamais les bras... Nous savons
qu'après nous, d'autres vont fouiller dans les archives pour découvrir
et apprécier l'immense tâche accomplie par ceux qui nous ont précédés
dans des conditions souvent difficiles, parfois périlleuses... La vérité
ne se partage pas parce qu'elle n'a pas d'âge : elle peuple l'idée
maçonnique de tous les temps et devient ainsi la morale de chaque Franc-Maçon.
Alors, fouiller le passé est un acte salutaire. Etre curieux d'un autre
temps ne signifie aucunement être passéiste ! Cela peut simplement
nous inciter à essayer de mieux comprendre pourquoi et comment la Franc-Maçonnerie
a réussi à passer à travers
royautés, empires et républiques,
sans jamais faillir à sa tâche.
C'est Gaston
Crémieux qui conclura ce travail : «
Les Frères, disait-il,
veulent faire de la Maçonnerie une uvre d'intelligence et de progrès...
» Et il ajoutait : «
Entrons la tête haute et le cœur ferme
dans la carrière que nous nous sommes tracée... »
Partageons la foi de Gaston Crémieux et entrons, nous
aussi, dans la carrière qui n'est autre, dans "
La Marseillaise",
que le chemin sur lequel on s'engage et qui peut conduire vers la Lumière.
Mais aussi vers la
liberté, l'égalité et la fraternité.
[Note F.-S. : Référence aux deux premiers vers
du septième et dernier couplet de "La Marseillaise", dit
"La strophe des enfants" : "Nous entrerons dans la carrière
// Quand nos aînés n'y seront plus".]