Il y aura bientôt cinq cents ans, le 25 novembre, l'
obituaire de la
cathédrale de
Bourges notait : «
Le jour de Catherine vierge et martyre, obit d'une âme noble, le seigneur Jacques Cur, soldat de l'Eglise et capitaine général contre les infidèles, qui donna, construisit et embellit d'ornements notre sacristie et d'autre part prit soin des biens importants de notre église... ; Catherinæ virginis et martiris,... Ob (itus) generosi animi dominus
Jacobus Cordis miles ecclie (ecclesiæ) qz (que) capitaneus generalis contra infideles qui sacristiam nostra(m) fundit, extruxit et ornamentis decoravit alia qz (que) plurima ecclie (ecclesiæ) nostre (nostræ) procuravit bona
[Note de l'auteur : Bibl. nat., nouv.
acq. lat., n° 1415. Beau ms. sur vélin, calligraphié en gothique,
aux encres noire, bleue et rouge, et orné de lettrines.].
» Décès officiel qui est confirmé l'année suivante,
1457, par le don du roi Charles VII «
a Ravaut et Geoffroy Cueur enfans
de feu Jaques Cueur et a Guillaume Varie de certains heritages avec plusieurs
debtes et biens de Jaques Cueur ». Cette lettre de rémission
poursuit «
...et nous aient faict remonstrer que ledict feu Jaques Cueur
qui s'estoit durant son arrest eschappé de nos prisons est depuis naguères
allé de vie à trepassement exposant sa personne a l'encontre des
ennemis de la foy catholique [Note de l'auteur : Bibl.
nat., ms. fr. no 3868, fol. 99 r° et v°.] ».
Ainsi, Charles VII, le bien servi, réparait-il faiblement
son injustice envers son meilleur ministre et les
compagnons de ce dernier : Jehan
de Village et Guillaume de Varie, de qui la conduite, toute de désintéressement, de sacrifice et d'
abnégation pour leur maître tombé dans la plus sombre infortune, contraste vigoureusement avec l'
ignominieuse et criminelle avidité de l'entourage royal. Cette pureté, cette noblesse de cur et d'
esprit ne devraient-elles pas surprendre, s'il ne s'était agi que d'une vaste entreprise commerciale, de laquelle
historiens et biographes veulent unanimement que Jacques Cur ait été le fondateur et l'
âme ? C'était là, en vérité, une très singulière société de marchands, qui offrait bien plutôt tous les caractères de solidarité absolue, régnant au sein des fraternités initiatiques
tant en honneur au moyen âge. Négoce assez peu banal, en tout cas,
dans lequel, faute de marchandises suffisantes à échanger contre
les importations, on réglait celles-ci avec de la vaisselle d'or ou d'
argent,
des perles, des gemmes ou des
diamants, quand ce n'était pas, ordinairement,
avec des lingots d'
argent fin. Dans cette France du
XVème siècle
presque dépourvue de mines, au sortir de la guerre de Cent Ans et de ses
indicibles misères, s'il nous apparaît très difficile de déterminer
la provenance normale du métal précieux, nous ne pouvons nous défendre
de penser qu'il n'était pas indifférent à Jacques Cur
d'écarter tout soupçon que son
argent fût, pour une grande
part, le produit de procédés
archimiques d'enrichissement
du sujet brut, voire de l'élaboration philosophale. C'est pourquoi le prudent
alchimiste fit «
mult besoigner » en sa mine de galène
argentifère de Pampalieu, aujourd'hui Pampailly, commune de
Brussieu, département
du Rhône, laquelle était ouverte aux flancs des
hauteurs formant
la vallée de la Brévenne
[Note de l'auteur
: Ces mines du Lyonnais, même du Beaujolais, n'expliquent-elles pas secrètement
la décision de Charles VII de transporter les foires de Troyes à
Lyon où Jacques Cur, tout aussitôt, installe de luxueuses maisons
? Voilà bien ce qui nous fait remarquer que le substantif latin feria,
foire, conservé par l'espagnol, est phonétiquement très près
de féerie, l'art des fées. A ce propos, signalons la petite
étude de René Alleau, Les Voiles féeriques de la Voie,
dans les Cahiers du Sud, N° 324, consacré au Domaine féerique
où voisinent, en des dissertations originales, judicieuses ou piquantes,
Michel Carrouges, Louis-Paul Guigues, Michel Butor, Aimé Patri et Pierre
Gordon.]. Selon Pierre Borel, beaucoup avaient ce sentiment, qui estimèrent
que Jacques Cur «
avoit la Pierre philosophale, & que tous
ces commerces qu'il avoit sur mer, ses galeres & les monnoyes qu'il gouvernoit,
n'estoient que des pretextes pour se cacher, afin de n'estre point soupçonné
[Note de l'auteur : Tresor de Recherches et Antiquitez
Gauloises et Françaises. Paris, 1655, p. 127.] ».
Nous ajouterons à ce propos, que cette « compaignie
» devint déficitaire aussitôt que le grand argentier eut été
décrété, et que, dès ce moment encore, ses comptes
et ses inventaires, qu'il dressait lui-même, en dehors de tout concours,
et qu'il conservait jalousement secrets, disparurent et demeurèrent introuvables.
Au cours du procès, Jean Mailhet déposa «
qu'il vit en la monnoie de grande quantité d'argent blanc
pour Guillaume Guymard et autres lequel comme il a ouy dire fut transporté
es galées [Note de l'auteur : Dans les galères]
dudict Argentier et pour l'auctorité dudict Argentier ne l'osa arresté
en la dicte monnoye, grande quantité
argent blanc tasses esguieres
[Note
de l'auteur : Aiguières] et autres especes et manieres d'
argent
que Jean de Village y faisoit poiser
[Note de l'auteur :
Peser. Ms. cit. supra, fol. 6.] ».
Concernant Jean de Village, que Jacques Cur avait marié...
à sa nièce Perrette, une lettre de rémission énonce
le même grief pardonné, dans le passage que voici : «
...avoit
porté en pays estranges par plusieurs fois de l'argent blanc tant monnayé
que en vaisselle, en grande quantité qu'il ne saurait déclarer et
entre les autres en un voyage qu'il fist en Levant quand il fut a Rhodes il bailla
a Bernard de Vaux et Lazarin d'Andrea de certaine somme en quantité
d'argent qu'il avoit en sa dicte gallée et ne luy souvient bonnement de
la somme pour la faire fondre, lequel argent fut fondu audict lieu de Rhodes par
lesdicts de Vaux et Lazarin d'Andrea a neuf ou dix deniers d'aloy ou environ et
par eux marqué de la marque d'un orphesvre en l'hostel duquel ledite argent
fut fondu, laquelle marque a son avis estoit un trefle [Note
de l'auteur : Archives nationales : An JJ191, N° 234.]. »
Afin que son alliage ne devînt pas du billon, très
certainement Jacques Cur le maintenait-il à la limite exigée
par les monnayeurs, c'est-à-dire à 10 deniers de fin, de
loi
ou d'
aloi (ad legem), soit, selon notre système décimal,
au titre 833,333.
Quand on sait combien, à cette époque surtout,
les peuples orientaux recherchaient l'
argent jusqu'à le préférer
à l'or, on comprend que l'
Adepte ait trouvé, dans le Levant, le
large et fructueux débouché nécessaire à l'écoulement
de sa production métallique.
Argentier, il l'était doublement,
car il semble bien qu'il avait reçu le
Don de la
Pierre au blanc.
C'est ce que laisse entendre David de Planis-Campy, chirurgien du roi
Louis XIII,
qui ne craignit pas de déclarer :
« Ie ne puis icy passer la mort de Jacques Cur
lequel, en consideration de ce secret qu'il possedoit, obtint de Charles VII pouvoir
de forger monnoye d'
Argent pur, qui estoient des Gros vallant trois sols, surnommez
de Iacques Cur : au revers desquels y avoit trois curs qui estoient$
ses
armoiries & desquels on en voit quelques-fois
[Note
de l'auteur : L'Ouverture de l'Escolle de Philosophie transmutatoire metallique.
A Paris chez Charles Sevestre, ruë des Amandiers, au Pellican, 1633, p. 4.].
»
Borel parle de ces pièces de monnaie, après
La
Croix du Maine dans son
Livre des Vies des Tresoriers de France ; il
signale aussi des textes que le
grand argentier aurait rédigés
sur le Grand uvre, sans oublier les scènes
symboliques, sculptées
ou peintes, et réparties, à l'exemple de Nicolas Flamel, sur des
logis divers, dans la nécessité d'obéissance à la
transmission charitable et prudente du savoir. Ces trois raisons, l'érudit
médecin de
Castres les donne successivement à l'appui de sa ferme
conviction que Jacques Cur possédait une grande partie des
arcanes
de l'
art philosophal :
« ...en ce qu'il fit
battre des monnoyes dites des
Jacques
Cueur (comme Lulle autresfois les
Nobles a la Rose)...
« ...par les escrits qui se trouvent de luy touchant cet uvre,
dont j'ay yne petite pratique. Mais il y en a un Livre, entier Ms, à
,
entre les mains de M. de Rudavel, Conseiller.
« ...les figures hieroglyphiques... celles que j'ay veuës
sur la Loge de
, qu'il a bastie,...
[Note de l'auteur : Tresor
des Recherches, op. cit.] ».
Aussi bien la
Médecine au blanc, devenue pierre
transmutatoire par sa projection sur l'
argent, change en ce métal noble
les métaux imparfaits, sans compter les résultats qu'on peut obtenir,
avec ce merveilleux
agent que beaucoup d'auteurs ont encore dénommé
Elixir, «
sur tous sujets, comme sur l'emery, l'acier, le corail, le
jaspe, le porphire, le marbre, & quantité d'autres choses... ; car
qui croiroit qu'il fût capable de changer les pierres soit naturelles, soit
artificielles, en pierres précieuses, d'ôter toutes les taches de
celles qui en ont... Cet elixir reduit le cristal en diamant,... ôte les
taches des Perles & les blanchit d'un blanc plus eclalant que leur naturel,...
[Note de l'auteur : Le Filet d'Ariadne, pour entrer avec
seureté dans le Labirinthe de la Philosophie Hermetique, Paris, 1695,
p. 140.] ».
Cela expliquerait, évidemment, la prestigieuse ascension
de Jacques Cur aux plus élevés sommets de la fortune, du sujet
de
Bourges, d'origine
plébéienne, civis Bituricensis, ex
plebeio genere
[Note de l'auteur : Thomæ Basini. Historiarum
Caroli VII, liber quartus, capit. XXVI.]. Dès lors aussi,
ne surprendra personne, le dicton qui avait cours dans le royaume, au temps même
où y florissait l'association colossale du
grand argentier :
«
Jacques Cur fait ce qu'il veut, Le Roi fait
ce qu'il peut. »
Orgueilleuse proclamation en vérité, fort peu
en accord avec l'humilité et la sagesse philosophiques, dont nous avons
peine à croire qu'elle ait eu sa source dans le même distique que
l'
Adepte aurait fait graver au-dessus de la porte du château de Boisy, par
lui acquis avec la terre, selon que l'avance un auteur, par ailleurs quelque peu
tendancieux, voulant sans doute justifier l'épithète d'arrogant
qu'il décoche au trop puissant ministre
[Note de
l'auteur : Bernard (A.). Histoire du Forez. Montbrison, 1835, vol. 2.].
Dans le palais que Jacques Cur fit bâtir à
Bourges se trouvait, au premier étage du
donjon, son cabinet familier,
appelé aussi
chambre de l'argent. Elle a conservé, par miracle,
sa cheminée d'origine, comme la
chambre, dite du
Trésor,
à l'étage au-dessus, son extraordinaire serrure et ses
corbeaux
étrangement historiés. Le manteau de cette cheminée est orné
d'une ogive abritant, sculptée en haut-relief, une femme vêtue et
ailée qui présente un
phylactère et qui se dresse dans une
sorte de claie où l'entourent, alternant à ses pieds, une
rose,
un chardon, une
rose, un chardon, etc... Quoi de plus
hermétique que cette
image ? Quoi de plus alchimique surtout ?
La devise offerte, «
A vaillans cuers riens impossible
», est ici accompagnée des sigles énigmatiques R. G. qu'on
pense signifier
Réal Guerdon,
royal salaire, mais qui pourraient
aussi bien s'interpréter Recipe G,
prends G, la consonne fameuse,
symbolisant la matière brute et constituant la base des travaux
hermétiques
de l'ancienne
Franc-Maçonnerie.
Ayant longuement et récemment parlé de la sublimation,
il est superflu d'y revenir dans le cadre exigu de la présente étude
[Note de l'auteur : Les Douze Clefs de la Philosophie
de Frère Basile Valentin. Editions de Minuit, 1956.]. Pourtant,
nous ne saurions manquer d'attirer l'attention du lecteur sur les deux végétaux
faisant la ronde autour de la
Dame du lieu. Le chardon souligne l'
influence
céleste à laquelle est soumis le
mercure des sages, tandis
que la
rose évoque le phénomène physique qui rendra compte
de la canonicité de ce même mercure. Quant au chardon qui est sensible
aux changements de la température et dont la
fleur, selon qu'elle s'ouvre
ou se ferme, annonce le beau temps ou la
pluie, faut-il rappeler que ses capitules
ornent certaines faces du singulier cadran solaire, en
icosaèdre, du palais
Holyrood à Edimbourg, faisant l'objet du dernier chapitre des
Demeures Philosophales de Fulcanelli ?
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