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Entrevue avec Virya (Georges Lahy)

Georges Lahy
Introduction à; la Kabbale (1 / 3)
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Le kabbaliste Virya (Georges Lahy), auteur de nombreux ouvrages de fond sur la Kabbale mystique et traducteur de textes importants de la mystique juive – tels que le Sepher Yetsirah et Les Portes de la Lumière, de Joseph Gitakilla – a bien voulu répondre à quelques questions sur les fondements de la Kabbale. Reproduction partielle ou intégrale de cette interview interdite.
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Virya (Georges Lahy)France-Spiritualités : Virya, bonjour. Merci de nous accorder cette entrevue. Pourriez-vous tout d'abord nous indiquer, dans les grandes lignes, en quoi consiste la Kabbale et quel est son champ d'étude ?

Virya :
Pour le Judaïsme, la Kabbale désigne globalement l'enseignement ésotérique et la mystique. On considère généralement qu'elle représente les divers courants ésotériques qui se sont développés depuis le second Temple. Toutefois, la Kabbale ouvre des thèmes très particuliers qui la différencient, sans l'en détacher d'ailleurs, du mysticisme classique.
      Nous disons Kabbale, mais il s'agit de l'hébreu "Kabbalah" (Kabbalah), qui littéralement signifie "réception" et par extension "tradition", dans le sens où la tradition est ce que l'on reçoit de génération en génération. Il faut d'ailleurs tordre le cou à une signification populaire du terme "cabale". Vous savez qu'en français, il y a cette expression : "monter une cabale". Il s'agit d'une homophonie, qui ne vient pas de l'hébreu, mais de l'italien. Monter une cabale consistait à réunir un parterre de perturbateurs afin de nuire à l'auteur d'une pièce de théâtre. Et puisque l'on est dans les homophones, savez-vous qu'au XVIIe siècle, en Angleterre, il y avait un ministère de la Cabal ? Il s'agissait d'une coalition de conseillers royaux réunis autour de Charles II. Mais dans le sens qui nous intéresse ici, la Kabbale ou Kabbalah, c'est recevoir directement sans intermédiaire. Le mot vient du verbe "Qibel" (Qibel, "recevoir"). Ce mot fut utilisé lorsque Moïse (Moïse) reçut la Torah directement. Un petit traité intitulé Pirqé Aboth commence ainsi : « Moshé qibel Torah missinaï oumssarah lihoshouâ... » : «Moïse à reçu la loi du Sinaï et l'a transmise à Josué... ».
      Dans le Talmud (Talmud), le terme "Kabbalah" est utilisé pour désigner la loi orale. Mais, dans ce cas, la Kabbalah ne représente qu'une des nombreuses appellations utilisées durant 1500 ans pour désigner des courants mystiques. En voici pêle-mêle quelques uns : "sitré torah" ("secret de la Torah"), "Maassé Béreshith" (Maassé Béreshith, "Œuvre de la Création"), "Maassé Merkavah" (Maassé Merkavah, "Œuvre du Char"), "Hokhmah penimit" ("Sagesse interne"), et c'est à partir du XIe siècle que le terme Kabbalah se mit à dominer tous les autres.
      Cependant, le mot Kabbalah n'est pas une expression exclusive de la mystique ; l'hébreu moderne connaît également ce mot. Si en Israël , vous prenez un taxi et qu'à la fin de la course, vous demandez : « Eifshar léqabel Qabalah ? » (« Puis-je avoir un reçu ? »), le chauffeur de taxi vous donnera une "qabalah", un reçu. Dans un hôtel, vous vous présenterez à la Kabbalah, la réception. Mais gardons à l'esprit que Kabbale vient du verbe recevoir ou du verbe accepter. Je peux encore préciser que la racine trilitère "qabal" signifie "être en face de". Cette signification prendra tout son sens dans la contemplation mystique et dans ce que l'on appelle les Partsoufim, qui sont les personnifications des qualités divines. Toutefois, dans la Kabbale, le face à face n'est pas un affrontement, mais une ouverture par rapport à l'autre – un acte essentiel de purification par l'échange vital. Pour simplifier, deux choses qui se contemplent mutuellement se donnent mutuellement vie, car chacune accepte l'autre et chacune est un réceptacle pour l'autre. Dans l'histoire du Judaïsme, les kabbalistes ont souvent ramené la vie dans des situations que la religion tendait à étouffer. Pour ne citer qu'un seul exemple : au Moyen-Age, l'idée avait été répandue par des religieux à l'esprit étriqué que musique et débauche ne faisaient qu'un. Les disciples d'Isaac Louria, sublime maître qui vécut à Safed au XVIe siècle, entreprirent de convaincre les Juifs d'abandonner cette idée, en montrant selon la Kabbale, que la musique est d'essence divine.
      La Kabbale cherche à accéder à la connaissance de ce qui peut unir le Créateur avec sa création. Pour cela, de grandes théories sur la création furent génialement développées. Les kabbalistes ont développé pour cela une connaissance et des méthodes qui leur sont propres. Tout cela repose sur une analyse et une étude minutieuse de la Parole créatrice et de tous les mots qui animent notre monde. Des techniques de combinaisons, de permutations de lettres, d'équivalences numériques, aident à l'ouverture des mystères de la création et des mystères de la conscience humaine, qui sont en fait une seule et même chose. Le chemin pour accéder à ce but est très long et peut en décourager beaucoup. Mais les kabbalistes sont beaucoup plus intéressés par le chemin qu'ils parcourent que par le but à atteindre. Chaque pas sur le chemin est un but atteint.


France-Spiritualités : Pourriez-vous également nous indiquer les grandes lignes de l'histoire de la Kabbale, depuis les origines, qui sont sans doute en partie mythique, jusqu'aux derniers développements contemporains ?

Virya :
Il y a différentes périodes et différents lieux. Pour résumer rapidement, voici cinq périodes ; mais on peut en trouver davantage. Il y eut une première période de mysticisme ancien à partir de la fin de l'Antiquité et durant la période talmudique. Puis apparurent les premières écoles mystiques en Europe médiévale aux XIIe et XIIIe siècles. Puis vint la grande époque de la Kabbale dite espagnole, du XIIe au XVe siècle. Puis il y eut la Kabbale après l'expulsion d'Espagne, en 1492, avec pour centre la Kabbale galiléenne de Safed autour d'Isaac Louria, du XVIe au XVIIIe siècle. Puis enfin l'émergence du H'assidisme et les écoles kabbalistiques modernes et contemporaines. Je ne saurais trop vous conseiller l'excellent ouvrage de Charles Mopsik [Note France-Spiritualités : Chargé de recherche au C.N.R.S., historien, philosophe et traducteur de textes de mystique juive, dont le Zohar, malheureusement décédé le 13 juin 2003.] : Cabale et cabalistes (Editions Bayard), qui dresse un historique très précis.
      La tradition veut que la Kabbale remonte à la réception des commandements par Moïse sur le Sinaï ; mais le véritable codage ésotérique de la Bible et la mystique qui l'accompagne n'apparaissent clairement qu'à partir du second Temple, après le retour de Babylone. Cela ne veut pas dire qu'il n'en existait pas avant, bien au contraire, mais les sources manquent.
      Avant que la Kabbale aboutisse sous un aspect ésotérique qui lui est singulier, une très ancienne mystique l'avait déjà précédée, qui était en fait l'authentique mystique ésotérique du Temple. Cette mystique ésotérique est décrite dans une vingtaine de traités de la période du Talmud (entre les IIIe et VIIe siècles). Elle est habituellement désignée par le terme "Hekhaloth" (Palais), ou encore par un terme plus connu : "Merkavah" (le char). – Je vous signale au passage que l'appellation "Merkabah" est reprise depuis quelques temps par un mouvement d'origine américaine, mais cela n'a absolument aucun rapport avec ce dont je parle ici. [Note France-Spiritualités : il s'agit du mouvement New Age développé par l'auteur américain Drunvalo Melchisedech.]
      Dans cette ancienne mystique, le mystique cherchait à s'élever spirituellement pour traverser les palais célestes afin de contempler le char ou le trône divin. Cette expérience se faisait à partir d'interprétations ésotériques de la vision d'Ezéckiel (Ezéckiel), que la tradition appelle "Maassé Merkavah" ("Œuvre du Char"), d'après cette vision du char divin que décrit le livre d'Ezéckiel. La mystique du Char a généré une abondante littérature, dont un des traités les plus célèbres est le Livre d'Enoch, que Charles Mopsik a traduit et publié aux Editions Verdier. Dans ce livre, Rabbi Ismaël, le dernier Grand-Prêtre du Temple, relate sa rencontre avec Métatron (Métatron), le Sar haPanim (Sar haPanim), le "Prince de la Face", la plus haute entité mystique. Ce traité contient également une description détaillée du royaume céleste et de la hiérarchie des puissances divines qui environnent Dieu. La mystique des Palais a connu des périodes assez typiques ; une époque est apparue, le Shiour Qomah (Shiour Qomah), c'est-à-dire la "Mesure de la Taille", consacrée à la description anthropomorphique de Dieu.
      Mais la Kabbale dont on parle de nos jours, avec ses concepts typiques de l'Ein Sof (Ein Sof, "Infini"), du Tsimtsoum (concentration), des Séfiroth, etc… est une doctrine de diaspora qui a atteint son apogée aux XIIe et XIIIe siècles, probablement en réaction à la philosophie rationaliste de l'école cordobane conduite par Moïse ben Maimon, dit Rambam, ou Maïmonide (1135-1204), qui essaya de relier la tradition hébraïque à la doctrine aristotélicienne. Pendant la première moitié du XIIIe siècle, le Cercle de Gérone apporta une contribution décisive au développement spirituel de la Kabbale. Il était formé d'un groupe étroitement lié par une grande unité de pensée, comme le démontrent les travaux de ses membres. Ils entretenaient un contact permanent avec les autres écoles européennes, particulièrement en Provence, où le maître était Isaac l'Aveugle, le premier véritable kabbaliste, qui vécut à Narbonne entre 1165 et 1235 et surpassa ses contemporains par son grand mysticisme, combiné à une personnalité particulière et une grande originalité. La plupart des kabbalistes admettent que leurs sources remontent à Isaac l'Aveugle, ou au plus, à son père Abraham de Posquières. On trouve dans le livre Peroush haHagadah, du grand kabbaliste Joseph Gikatilla, la mention suivante : « La Kabbale que nous connaissons aujourd'hui vient de l'ancienne tradition de la Maassé Merkavah (Œuvre du Char), d'où elle est passée à la colonne droite, l'édifiant Rabbi Isaac l'Aveugle ». L'école d'Isaac l'Aveugle a laissé un enseignement où la métaphysique prédomine ; la mystique des lettres et des nombres sortira surtout de l'école d'Eléazar de Worms et connaîtra un aboutissement avec Abraham Aboulafia, dans un domaine de contemplation pure, au XIIIe siècle.
      Après l'expulsion des Juifs d'Espagne en 1492, les maîtres de la Kabbale ont propagé leurs enseignements de la Méditerranée jusqu'à l'Europe du Nord. Au XVe siècle, les enseignements de la Kabbale attirèrent l'attention de philosophes chrétiens, et l'on vit apparaître à cette époque la "Kabbale chrétienne". Parallèlement, une importante communauté de maîtres kabbalistes s'étant installée dans le petit village de Safed, en Haute-Galilée, la Kabbale connut là son apogée intellectuel. Cet aspect de la Kabbale est généralement désigné comme la Kabbale du Arizal, c'est-à-dire d'Isaac Louria (1534-1570) ; mais il y eut plusieurs générations de maîtres importants avant et après lui.


France-Spiritualités : Puisque vous avez fait référence à Moïse, pourriez-vous nous préciser quel(s) lien(s) on peut dégager entre les conceptions ontologique et cosmogonique de l'univers telles que la Kabbale les présente et celles de l'Egypte ?

Virya :
Il s'agit là d'un sujet délicat, car ce qu'on connaît de l'épopée du peuple hébreu en Egypte est décrit par la Bible. Mais la Bible joue sans arrêt entre le récit historique et son herméneutique. Et très honnêtement, je pense que personne n'a assez de données sur cette époque pour affirmer quoi que ce soit. Il est vrai que quelques livres ont paru ces derniers temps sur ce thème, mais bien qu'ils ouvrent des pistes intéressantes, je n'y ai rien trouvé de bien convaincant. En revanche, je ne peux nier la trace d'influences égyptiennes dans la structure du premier Temple. Je me suis rendu dernièrement en Egypte – je m'y trouvais d'ailleurs lors des événements du 11 septembre 2001 – et j'ai vu des structures, des formes, et entendu des sons qui me sont familiers. En effet, quelques caractères de l'alphabet des anciens Egyptiens, mais pas tous, sont à rapprocher de l'hébreu sinaïtique. Mais le plus troublant fut les visites des temples d'Edfou et de Philae, en Haute-Egypte. Cela fait nombre d'années que j'étudie la structure et les proportions du premier Temple de Jérusalem, celui de Salomon, et la découverte de ces deux Temples égyptiens a été un choc pour moi, car j'ai eu la sensation de me trouver dans les plans que j'avais étudiés. Sans n'y être jamais allé auparavant, j'aurais pu me promener dans ces temples avec un bandeau sur les yeux et y retrouver tous les couloirs.
      De toutes façons, les influences de la Kabbale sont multiples ; alors pourquoi pas l'Egypte ? On peut aussi parler de l'influence pythagoricienne sur la Kabbale ; il suffit pour cela de comparer le système des 10 Séfiroth et celui des 10 Enanthioses de Pythagore. D'autre part, la pensée d'Aristote est très présente chez les maîtres de la Kabbale espagnole des XIIe et XIIIe siècles.


France-Spiritualités : Et par rapport à la civilisation assyro-babylonienne ?

Virya :
Ce lien se trouve à partir du retour de l'exil de Babel, décrit par le prophète Ezékiel, et dans la mystique du second Temple. Beaucoup de choses ont été ramenées de Babel – en particulier les anges, et d'autres choses comme le calendrier hébreu, dont les noms des mois ne sont pas en hébreu mais en araméen, langue utilisée à Babel.  (suite)




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