France-Spiritualités
: Quels liens la Kabbale a-t-elle entretenus et entretient-elle actuellement avec ce que l'on pourrait appeler l'orthodoxie talmudique ?
Virya : La relation entre les kabbalistes et les
religieux
orthodoxes est assez particulière. D'un
côté, les
religieux orthodoxes
s'intéressent à la Kabbale ils sont
même parfois très attirés par elle ,
mais la vision qu'ils en ont ne correspond pas tout à fait
à l'idée fondamentale de la Kabbale, qui est une
voie d'ouverture. Le kabbaliste apprend en effet à s'ouvrir,
car le but de la Kabbale est de recevoir (nous disions tout
à l'heure que "
Kabbalah" signifie "
réception")
; c'est là son but. Toute la méthode du
kabbaliste est basée sur l'ouverture : ouverture du texte,
ouverture des racines hébraïques, ouverture
permanente. En revanche, lorsqu'on observe les
religions orthodoxes, on
s'aperçoit qu'elles se renferment sur elles-mêmes,
autour de commandements fixes, précis, qu'elles appliquent
avec une grande rigueur sans jamais les remettre
véritablement en question. Or, les kabbalistes ont souvent
remis en question les préceptes du Judaïsme, sans
les renier, mais en cherchant à les interpréter
et à les vivre différemment.
Les relations entre la Kabbale et le
monde orthodoxe sont donc très tendues. On peut dire qu'il
existe en fait deux types de Kabbale. Il y a tout d'abord une Kabbale
religieuse, basée sur les écrits de Moshe H'aim
Luzzatto et d'Isaac Louria, dont l'étude ne peut
être entamée qu'après des
études talmudiques ; normalement, le kabbaliste
religieux ne
commence à étudier la Kabbale qu'à
partir de 40 ans ; il ne le fait que s'il est marié, s'il a
un
enfant, et s'il a l'autorisation de son rabbin. Cela fait donc
beaucoup de conditions à remplir, ce qui restreint
l'accès à la Kabbale. En face de cela, il existe
une autre forme de Kabbale, beaucoup plus libre, plus
mystique, au sein
de laquelle beaucoup de grands noms de la Kabbale se sont
révélés ; et là,
l'ouverture est beaucoup plus grande. Entre les deux, peu de points
communs et peu d'échanges ; ce sont deux mondes qui ne se
regardent pratiquement pas. Pour schématiser, on pourrait
dire que la relation entre la Kabbale
mystique et les
religieux
orthodoxes, c'est un peu : «
Je t'aime, moi non plus
».
Ceci dit, la Kabbale
religieuse est
assez intéressante, mais elle touche essentiellement
l'intellect. Le niveau intellectuel en est très
élevé, mais la pratique est uniquement
religieuse. Dans la Kabbale
mystique, on trouve également
des gens qui ont de grandes capacités intellectuelles ;
toutefois, la pratique est plus diversifiée travaux
particuliers sur les combinaisons de lettres, sur les sons, sur le
Verbe, sur l'utilisation des différents Noms de
Dieu et
sort un peu du rituel juif journalier, qu'en revanche les kabbalistes
religieux respectent avec une grande rigueur. Il s'agit donc de deux
mondes totalement séparés.
Il faut dire aussi que si les
kabbalistes
mystiques agressent peu les
religieux orthodoxes, le
contraire n'est pas vrai et cette situation ne date pas d'hier.
Ainsi, au
XIIIe siècle, Abraham Aboulafia (1240-~1292), qui
fut l'un des précurseurs et fondateurs de la Kabbale
mystique, eut de gros problèmes avec un grand rabbin de
Barcelone, qui s'appelait Ibn Adret (1235-1310). Ce rabbin
était lui-même kabbaliste, mais il
était un peu terrifié par la démarche
mystique d'Aboulafia, à tel point qu'il est allé
le dénoncer à l'
Inquisition. Et Aboulafia a ainsi
fini sa vie près de Malte, sur la petite île de
Comino. Depuis cette époque-là, les deux types de Kabbale,
mystique et
religieuse, n'ont jamais fait bon
ménage, et en fait, quand on y réfléchit, il ne peut guère en
être autrement.
En effet, la vision de
Dieu chez les
kabbalistes
religieux est assez figée, presque
préconçue
Dieu dit ceci,
Dieu dit cela, etc.
alors que dans la Kabbale
mystique, la notion de nom, de forme ou
d'actions de
Dieu disparaît totalement, puisque
Dieu, c'est "
Ein"
("
rien"). On ne connaît jamais
Dieu
directement ; on ne Le connaît qu'à travers Ses
œuvres, Ses vêtements (Malbushim), qui sont des attributs et
des qualités. C'est là que réside la
grande différence. Il est donc inutile d'essayer de marier
ces deux types de Kabbale, car cela ne marchera jamais. Il faut
simplement que chacune respecte l'autre.
Je dois préciser que je
présente là une vision très globale de
la relation entre les Kabbales
religieuse et
mystique. Car il y a des
religieux très ouverts, dont la pratique kabbalistique est
de grande qualité et portée par un grand
mysticisme. On peut prendre l'exemple d'Aryéh Kaplan, qui
fut un grand
religieux et un grand kabbaliste
adepte de la
méditation.
France-Spiritualités : Ceci nous permet de faire le lien avec la question suivante... La Kabbale
apparaît comme une voie de connaissance et non de croyance ; pourtant, il est traditionnellement fait mention de Kabbale dogmatique. Qu'en est-il ?
Virya : La Kabbale
religieuse est basée sur un
système de croyances absolues, alors que la Kabbale
mystique
se trouve dans un état de perpétuel
questionnement, ce qui explique que les kabbalistes ont
énormément évolué. Entre
les kabbalistes du
Languedoc du XIe siècle et les
kabbalistes de Safed du XVIIIe siècle, on note une
évolution considérable. Il y a tellement de
liberté dans l'évolution de la Kabbale, que
certains textes ne peuvent pas se lire ensemble dans la mesure
où ils se contredisent mutuellement. Il y a des
écoles kabbalistiques qui en contredisent
complètement d'autres. Donc, cette grande
liberté
et cette grande ouverture, qui permettent de remettre en question tout
ce qui a été dit et tout ce qui a
été fait, n'existent pas dans la Kabbale
religieuse. Celle-ci reste en effet cantonnée dans un
principe, en se référant en permanence aux 613
commandements ; et tout doit entrer dans ce cadre. A tel point que les
kabbalistes
religieux vont dire que la Kabbale rend fou en parlant
surtout de la Kabbale
mystique parce qu'ils considèrent
qu'il s'agit d'une Kabbale sans garde-fous, dans laquelle une certaine
dose de folie est presque nécessaire pour avancer, pour
briser certains tabous et certaines idées
préconçues. Mais ceci fait partie de l'ouverture
dont nous parlions ; ce qui est vécu comme une folie par
certains constitue en fait une ouverture pour les autres.
Ceci dit, la Kabbale
possède quand même un dogme, une structure, qui
fait qu'elle reste la Kabbale. Car malgré tout, on ne peut
pas dire n'importe quoi sur la Kabbale. Il y a donc certains concepts
que l'on doit accepter et autour desquels il faut travailler.
Sinon,
ça n'est plus de la Kabbale, c'est autre chose... et il faut
lui donner un autre nom. Ainsi, les kabbalistes se basent sur le fait
que
Dieu est
infini : Ein Sof c'est le premier concept de base , que
sa Lumière émane, du plus subtil au plus dense,
et que sa Lumière se qualifie c'est ce que l'on appelle
les Séfiroth , et ce concept doit également
être respecté. Il y a ainsi
énormément de choses qui font que la Kabbale est
la Kabbale, et les kabbalistes, dans leur plus grande
liberté ou dans leur plus grande folie, pour certains ,
ont toujours respecté cette structure.
France-Spiritualités : Que rapporte la
Tradition Kabbalistique au sujet de Dieu ?
Virya : D'après les kabbalistes, la vie de
Dieu
peut être conçue sur deux niveaux ; le premier est
connu sous le nom d'Ein Sof,
Infini. Il représente l'aspect
de
Dieu complètement inconnaissable et inconcevable,
caché au-delà de toute compréhension
humaine. Racine cachée et parfaite de toute la
réalité, Ein Sof ne peut être
nommé réellement ni imaginé. Chez la
plupart, il est décrit comme «
ce que la
pensée ne peut atteindre », «
la
lumière dissimulée », ou
«
l'unité indiscernable
».
Dieu n'est connu que de Lui-même. Les
limitations de la connaissance humaine rendent impossible la
contemplation de l'Ein Sof.
Le second niveau est celui des
Séfiroth (
). Avec la
conception des Séfiroth,
nous abordons le trait le plus particulier du système
kabbalistique. "
Séfiroth" signifie "
numérotations".
Dans un des premiers travaux kabbalistiques, le terme "
Séfirah"
(
) est
rattaché au mot hébreu "
sappir"
(
, "
saphir"),
et suggère l'image du rayonnement divin ou de son
illumination. Les dix Séfiroth sont les
émanations qui épanchent à partir d'un
mouvement
occulte de l'Ein Sof. Ceci se passe comme si la
dimension
cachée de
Dieu donnait naissance à d'autres
parties, davantage manifestées, de Lui-même.
Chacune de ces Séfiroth est connue par des noms
différents et possède des
caractéristiques très distinctives. Nous voyons
alors que les kabbalistes ne décrivent pas
Dieu dans les
termes conventionnels de la tradition biblique ou rabbinique. Dans la
Bible et la littérature rabbinique,
Dieu est un et ne peut
pas être "divisé" en différentes
parties. Il est vrai qu'Il est décrit comme
possédant divers attributs de personnalité, tels
que pitié, patience, et ainsi de suite. Ceux-ci, cependant,
sont des traits de personnalité, s'utilisant comme si nous
parlions de la personnalité d'un ami. Pour les kabbalistes,
les Séfiroth ne sont pas uniquement des aspects externes,
mais aussi des
symboles décrivant les
éléments essentiels de la vie divine, ou de la
vie tout court. Ceux-ci ne doivent pas être conçus
comme des objets nous décrivant approximativement
Dieu,
comme s'ils étaient séparés, d'une
façon ou d'une autre, de l'existence divine. Ce sont les
éléments constituants, les parties organiques de
la vie divine. Il ne s'agit pas non plus de simples
métaphores, mais de
symboles qui signalent les
réalités spirituelles que représente
la vie de la divinité.
France-Spiritualités : Et que rapporte-t-elle au sujet du Mal ?
Virya :Là aussi, cela va dépendre des
écoles. Par exemple, les écoles de tendance
plutôt
religieuse vont créer une sorte de
séparation entre les notions de bien et de mal : il y a
d'une part un aspect du monde qui est bien, bon, correct, conforme le
monde de
Dieu , et d'autre part le monde des
ténèbres, du mal le monde de Satan. Et dans le
domaine
religieux, on se mettra du côté de
Dieu et
l'on repoussera le mal.
Mais ce n'est pas là le
concept de la Kabbale
mystique, qui postule que toute chose existe par
son contraire. Ainsi, le Mal va permettre de définir ce qui
est bien. En fait, c'est un système de balance qui se met en
place. Et le système des Séfiroth, que je viens
d'évoquer, est entièrement construit de cette
façon-là. Une Séfirah,
c'est-à-dire un réceptacle de Lumière
et une qualité de
Dieu, n'existe que parce qu'il y a un
autre réceptacle et une autre qualité qui lui
renvoient son image. Les kabbalistes vont tout comprendre à
travers de ce qu'ils ne sont pas : en définissant ce qu'ils
ne sont pas, ils vont comprendre ce qu'ils sont. Ainsi, la notion de
Mal est un système nécessaire pour nous renvoyer
une image de ce que l'on est.
Dans le système des
Séfiroth, il y a cette notion de rapport avec la
pensée de Pythagore. Les 10 Séfiroth, qui
existent en système de balance, ne sont que la reprise des
dix Enanthioses pythagoriciennes : il y avait ainsi, dans le
système du philosophe grec, une Enanthiose du Bien et une
Enanthiose du Mal, une Enanthiose de l'
amour et une Enanthiose de la
haine. Dans un tel système, on ne peut pas dire «
Ceci
est bien, ceci est mal » si l'on n'a pas ces
relations.
Il y avait à
Troyes, en
France, un grand commentateur de la Bible, Rashi, à qui l'on
doit les plus importants commentaires sur la Bible ; Rashi disait que
le Mal avait forcément été
créé avant le Bien parce que dans la Bible, la
première chose qui apparaît, c'est le Bien ("
Et
Dieu vit que cela était bon") ; et Rashi
expliquait que si
Dieu a pu dire que cela était bon, cela
voulait dire qu'Il savait déjà ce
qu'était le Mal ; dans le cas contraire, Il n'aurait pas eu
de point de comparaison possible.
Le Mal est une structure de
référence ; de plus, le Mal n'est pas le
même pour tous. Si l'on considère
différentes civilisations, différentes
époques de l'humanité, on s'aperçoit
que la notion de Mal varie. Ainsi, certaines choses qui
étaient considérées comme bien au
siècle dernier ou il y a une trentaine d'années,
sont considérées comme mal de nos
jours. Si l'on
prend, par exemple, l'époque de l'esclavage, on sait qu'en
ce temps-là beaucoup de gens trouvaient ça
très bien et pensaient que c'était une bonne
chose, quelque chose de nécessaire ; aujourd'hui, la
majorité des gens pensent que c'est mal. Cette
notion-là a donc évolué.
C'est pourquoi la Kabbale
mystique va
bien mettre en avant le fait que le concept de Bien et de Mal n'est pas
un concept figé, et qu'il s'agit là de la
clef
même de la vie. Le Bien et le Mal, par leur opposition, par
leur antagonisme, vont en effet entretenir la vie. Peu importe
où se trouvent le Bien et le Mal ; la chose la plus
importante est la façon dont on le vit.
Si l'on prend le système des
Séfiroth, lui non plus ne peut pas rester figé.
Si l'on considère de façon très
symbolique les axes de l'
Arbre des Séfiroth, on va dire que
l'axe central est le pilier de l'
Equilibre, l'axe de droite le Pilier
de la Clémence, et l'axe de gauche, le Pilier de la Rigueur.
Et si l'on applique de façon très simpliste la
symbolique attribuée à ces colonnes, on va dire
que la colonne de droite est lumineuse, masculine, positive, que c'est
la colonne du Bien, de l'ouverture ; et que la colonne de gauche est
féminine, négative, que c'est la colonne de la
Lune, du Mal, etc. Et l'on peut bien sûr aboutir à
des conclusions hâtives, du type : «
Le
masculin, c'est le Bien ; le féminin c'est le Mal
», et l'on arrive alors à une
séparation totale entre les deux colonnes, alors que chaque
colonne permet à l'autre d'exister.
Le
Zohar,
qui est l'un des textes fondamentaux de la Kabbale, et qui est apparu
au
XIIe siècle en Castille, va bien préciser
qu'il n'y a pas de colonne du Bien et de colonne du Mal, mais qu'il n'y
a que de bons et de mauvais engendrements. Et c'est la façon
dont le masculin et le féminin vont s'engendrer qui va
donner le Bien ou le Mal. Si la relation entre le masculin et le
féminin se passe mal, cela va donner le Mal ; si elle se
passe bien, cela va donner le Bien. Ce qui est donc très
important, c'est cette colonne centrale, qui, elle, n'appartient ni au
Bien ni au Mal, et qui n'est que le point d'
équilibre entre
toutes les oppositions. Et c'est cette colonne qui intéresse
particulièrement les kabbalistes, dans la mesure
où c'est la colonne de la relation directe entre l'origine
de la création et la création, et que c'est par
là que passe la Vie, et la réception des
kabbalistes.
France-Spiritualités : A la
lumière des textes classiques, dans quel but l'univers et
l'homme ont-ils été créés ?
Virya : C'est là la grande question... C'est un
concept qui se marie d'ailleurs très bien avec la Kabbale et
que l'on appelle la "
Maassé Béreshith"
("
l'Œuvre du Commencement") – "
Maassé"
(
)
signifiant "
œuvre" et "
Béreshith"
(
, "
au
commencement") étant le premier mot de la Bible.
C'est là la grande recherche des maîtres de la
Tradition, avant même d'être celle des kabbalistes.
Pourquoi le monde a-t-il été
créé et pourquoi sommes-nous là ?
Les kabbalistes ont donné,
notamment avec Isaac Louria et l'école de Safed, en
Haute-Galilée, une version de la création assez
originale et intéressante. Ainsi, pour Isaac Louria,
Dieu a
créé le monde pour se purifier ce qui requiert
évidemment quelques explications. Dans un premier temps,
Dieu, pour les kabbalistes, est "
Ein", qui signifie "
rien",
"
néant" on ne sait pas de quoi il
s'agit. Et même ce "Ein" Lui-même ne sait pas ce
qu'Il est, ce qu'Il représente. Isaac Louria explique alors
que par un acte de libre volonté, ce "Ein" va se retirer, se
concentrer, et créer un espace vide où Il n'est
pas. Ainsi, pour déterminer ce qu'Il est, Il va
déterminer ce qu'Il n'est pas. Et ça,
ça s'appelle "
Ein Sof", l'"
Infini".
Sa Lumière va ensuite remplir cet
infini et le processus
entier de création va se mettre en place. La raison en est
la suivante : c'est le mouvement et la vie qui priment.
Pour les kabbalistes, ce qui est pur,
c'est ce qui est vivant le fait de se remettre en question en
permanence, d'évoluer et ce qui est impur, c'est ce qui
n'évolue plus, qui est figé, mort, et qui ne peut
plus poser de questions. Et dans un premier temps, lorsque
Dieu cherche
qui Il est, Il va finir par trouver
Son point d'
équilibre,
Sa véritable identité,
Son point
d'unité. Et en faisant cela, Il est en quête de
perfection. La quête de perfection est un acte pur, mais le
fait d'arriver à la perfection et de s'installer dans la
perfection devient un état impur parce que, dans ce cas, on
n'évolue plus, on est figé, on ne se remet plus
en question il n'y a pas de vie. C'est pour cela que j'ai dit tout
à l'heure que ce qui est intéressant pour les
kabbalistes, ce n'est pas le but, mais le chemin qui nous
mène, car le chemin est plein de vie, plein de
questionnements. Une fois le but atteint, c'est fini ; on s'ennuie et
on meurt de son ennui. Eh bien,
Dieu va se retrouver dans cette
même situation à savoir que par Sa perfection,
Il est perdu. Alors, pour qu'il y ait mouvement permanent, Il va lancer
un processus de création et se projeter dans Ses
créatures.
On passe alors dans ce que l'on
appelle le Grand Visage et le Petit Visage de
Dieu. Le Grand Visage de
Dieu est le visage où
Dieu se pense Lui-même ; Il
est en expansion permanente, Il n'a pas de limites, pas de contraintes.
Seulement, Il peut se retrouver dans un état figé
de
béatitude et de plénitude. Il va donc produire
un Petit Visage, précis, court, réduit, soumis
à l'espace, et c'est là que se trouvent toutes
les créatures c'est là que nous nous trouvons.
Isaac Louria affirme donc que
Dieu a
créé le monde pour que celui-ci Lui renvoie en
permanence une nouvelle image qui maintienne un mouvement lui
permettant de se purifier. Ainsi, les doutes que l'on a sur
Dieu, les
différentes croyances et
religions, le fait même
de ne pas y croire, etc. font qu'à chaque seconde de
nouvelles images sont créées ; et donc,
à chaque fois que le Grand Visage contemple le Petit Visage,
celui-ci Lui donne une nouvelle image de Lui-même. Il s'agit
là d'un paradoxe, mais le
Zohar
nous apprend que si le Grand Visage arrête de penser au petit
Visage, celui-ci disparaît ; et de la même
manière, si le Petit Visage c'est-à-dire les
créatures arrête de penser au Grand Visage,
celui-ci disparaît aussi. Par conséquent, en
créant le monde,
Dieu s'est auto-créé
Lui-même, et Il s'auto-purifie et s'auto-engendre en
permanence. Et chaque fois qu'on Lui offre une nouvelle image, on Lui
accorde une survie. C'est un concept très particulier, qui
fait que les kabbalistes sont souvent en opposition avec l'image fixe
que les
religieux donnent de
Dieu. Si l'on poursuit cette
réflexion plus loin, on peut dire que toutes les
religions,
toutes les philosophies, tous les courants de pensée sont un
bien pour entretenir la vie.
Et cette notion va s'appliquer
à chacun de nous. En effet, le
Zohar
dit que si quelqu'un ne se voit plus dans un miroir, cela annonce sa
mort. Bien sûr, tout le monde se voit dans un miroir ; mais
la question que le
Zohar,
pose, en fait, c'est : «
Est-ce que ce matin, en me
levant, je vois quelqu'un de nouveau dans le miroir, ou est-ce que je
vois toujours la même image figée de quelqu'un qui
n'évolue pas ? » Et si effectivement, je
ne vois rien de nouveau dans le miroir, je suis en état de
mort potentielle, et donc d'impureté. En fait, nous nous
maintenons en vie mutuellement. C'est peut-être pour cela que
lorsque nous nous rencontrons, nous disons : «
Ca
va ? ». C'est en quelque sorte une façon
de sauver la vie de l'autre, en lui envoyant une nouvelle image ; et
nous attendons que l'autre nous envoie une nouvelle image de
nous-même pour nous sauver la vie aussi. Voilà le
concept. On regroupe ainsi toutes les notions de Bien, de Mal, de
Dieu,
d'
équilibre, etc.
(suite
et fin)