Cet article a paru originellement dans le numéro spécial 11-12 sur la Magie de la revue La Tour Saint Jacques (juillet-décembre 1957). Il a été ressaisi et corrigé par France-Spiritualités. Reproduction de cette version interdite sans autorisation écrite.
Avec le magnifique volume que, si gentiment André
Breton et Gérard Legrand nous ont adressé, outre le plaisir longuement
goûté à la lecture, quelle excellente occasion nous est offerte
aujourd'hui que nous confrontions l'
alchimie à la magie, sa sur également
occulte ! De même, André
Breton, aux
Cahiers de la Pléiade été 1948 s'appliqua-t-il, sur
La Poussière de Soleils de
Raymond Roussel, en prenant pour base les
Fulcanelli et d'un point de
vue magico-cabalistique, à une étude intitulée
Fronton Virage, dans laquelle se dégagent déjà les linéaments premiers de cette étonnante réalisation que constitue
L'Art Magique :
«
Et par là non seulement le nom de Magès,
personnage marque de la fraise, s'illumine mais encore le titre de la pièce
de Raymond Roussel devient transparent. »
N°1 de
Formes de l'Art,
L'Art Magique,
édité par le
Club Français de l'Art, est un livre
splendide dont justifient immédiatement nos épithètes élogieuses ses caractéristiques matérielles de présentation
In-quarto, relié pleine toile écrue, imprimé
en Antique
corps douze, abondamment
illustré en regard du texte des auteurs,
puis, à la suite, de quatre-vingts hors-texte à pleine page (16
en
couleurs et 64 en noir), le tout sur papier couché.
Intercalé entre les pages 46 et 119 et plus modestement
composé en romain de petit
corps à cause de sa densité, est
réuni, sur papier jaune, le copieux résultat de l'
Enquête
que la diversité même des participants a rendue si particulièrement
instructive. On y retrouve les questions précises, savamment ordonnées
et renforcées d'une gamme
iconographique d'appréciation qu'André
Breton adressa, il y a deux ans, séparément et sous enveloppe, «
aux personnes disposant pour y répondre d'une qualification particulière
: sociologues, ethnologues, philosophes, historiens de l'art, critiques d'art,
psychologues, ésotéristes, magistes, poètes ».
De très pertinentes considérations précédaient et
complétaient ce questionnaire que reproduisit
in extenso la presse
littéraire et qui, bien sûr, provoqua des réponses de valeur
différente, parfois inattendues dans la vivacité de véritables
réactions et souvent discordantes au sein même de disciplines communes.
Toutes indications qui proclament, au demeurant, I'absence quasi générale
de cet état de conscience, libéré et candide, propre à
la perception comme à la pénétration du phénomène
surréel ou surnaturel, qu'il soit immatériel ou physique.
Assurément l'intérêt majeur de l'ouvrage ne réside pas dans cette enquête, quoique se montre déjà non négligeable, nous l'avons dit, celui qu'elle nous ait permis de connaître les opinions de toute une élite, à l'endroit du très grand problème de l'expression et de la transmission magiques, par le truchement de l'uvre artistique peinte ou sculptée.
L'Art Magique ! Quel monde d'idées bouillonne
entre les deux puissantes images qui, dans le flou d'un panorama lointain et enchanté, naissent de la substitution du nom régime à l'épithète dérivée : l'
art de la magie ; puis, de l'échange des deux termes, à savoir du nominatif contre son complément : la
magie de l'art ! Il est certain que l'art peut engendrer la magie, comme celle-ci, réciproquement, peut faire naître celui-là. C'est là le double mécanisme dont parle André
Breton et «
qui préside aux images poétiques les plus hardies » ; ce qu'il appelle encore le
jeu de
l'un dans l'autre.
Curieuse rencontre que celle de ce véritable traité
des secrètes résonances, dû à André
Breton,
avec le présent numéro spécial, à laquelle il est
impossible de ne pas s'arrêter, pour lui refuser en même temps tout
caractère de banale coïncidence. De son côté,
La Tour
Saint-Jacques ne se devait-elle pas de rendre cet
hommage à la Magie
baignant encore l'édifice admirable auquel elle a emprunté son nom
et qui survécut, par miracle, à la
destruction de l'
église
Saint-Jacques-la-Boucherie ! Poètes et philosophes ne se consoleront jamais
de cette perte irréparable et s'indignent vainement de l'inconcevable vandalisme
qui fleurit sur l'excuse
fallacieuse de l'amélioration urbaine et ne laisse
pas de toujours menacer certains quartiers de
Paris, si ce n'est même d'y
poursuivre ses aveugles ravages.
Que d'attachantes constructions ont ainsi disparu, par exemple
avec la rue des Nonnains-d'
Hyères, large suffisamment, au regard de la
salubrité, pour qu'ait été justifiée, en quoi que
ce soit, sa suppression ! Nous y avons souvent admiré, au N°5, à
l'
angle de la rue de l'Hôtel de
Ville, jadis de la Mortellerie, également
amputée, sur une maison de la fin du
XVIIème siècle, à
la
hauteur du premier étage, une enseigne de pierre et de grandes
dimensions,
sculptée en haut-relief et peinte. Nous aimerions apprendre ce qu'est devenu
ce
gagne-petit, en tricorne
noir, redingote
rouge et bas
blancs, appliqué à son art devant sa solide brouette et utilisant
l'action magique des deux premiers
éléments, du
feu caché
de sa
meule et de l'
eau rare, distribuée goutte à goutte
par un gros
sabot ?
Ce dernier substantif désigne aussi le jouet maintenant
abandonné, mais qui faisait encore fureur dans notre enfance. Pendant le
Moyen-Age, et même beaucoup plus tard, les
enfants de chur actionnaient
semblablement ce
sabot en le frappant à coups de fouet dont la lanière
était taillée dans une
peau d'anguille. C'était, à
la
cathédrale de
Langres en particulier, la
Flagellation de l'Alléluia,
d'inspiration évidemment magique. « Toupie au profil de
Tau
ou
Croix », nous dit Fulcanelli, clans le
Mystère des Cathédrales, prolongeant la portée du
rite assez peu édifiant jusqu'au domaine de l'
alchimie.
« En cabale,
sabot équivaut à
cabot ou
chabot, le
chat botté des
Contes de ma
mère l'Oie. La galette de l'
Epiphanie contient parfois un
sabot
au lieu d'une
fève. »
Il suffit de bien regarder autour de soi pour constater que la magie est répandue au sein de toute la Nature, qu'elle se manifeste dans les occupations les plus modestes de l'homme, comme elle éclate, positivement, dans ses actions les plus élevées et les plus solennelles. C'est ainsi que l'office
religieux de l'
Eglise, le
Saint sacrifice de la Messe, donne toute l'apparence d'une suite d'opérations magiques dont on ne conçoit pas ordinairement quels seraient le
fruit et la portée, si l'
harmonie des assistants étaient réellement établie et l'égrégore constitué. Tout rituel magique exige la pureté, la foi et la ferveur, qu'il s'agisse de la prière ou de l'incantation ainsi que des manipulations qui les accompagnent et les renforcent.
La Messe nous montre clairement que la magie et l'
alchimie
s'unissent en un étroit rapport, se manifestant avec plus ou moins d'intensité dans l'
iconographie et offrant ce double aspect dont il est très difficile
de n'être pas immédiatement frappé. C'est l'impression qu'on
aura devant les figures qu'
anime l'excellent texte de
Basile Valentin, alchimiste
du
XVème siècle, et moine sous la règle de
saint Benoît
à Erfurt
[Note de l'auteur : Les Douze Clefs de
la Philosophie]. De même, un autre
Adepte, le
marquis Palombara,
deux cents années plus tard, orna de telle manière l'issue
réservée de sa luxueuse demeure, que l'étrange vestige conservé dans le vieux square de la
Ville Eternelle, est préférablement appelé la
Porte magique [Note de l'auteur : Deux Logis Alchimiques. Paris, Jean Schemit, 1945].

Plus précisément, la magie et l'
alchimie forment avec l'astrologie les trois branches sorties du même tronc central, c'est-à-dire de la Science universelle, émanation réelle de l'indivisible Vérité. Si nous les imaginons disposées en trident, la magie répond à la tige médiane, et rien ne rend mieux compte de l'idée éveillée en ce lieu que la deuxième des
quatre compositions gravées sur plaques de cuivre, quatuor æneis laminis incisis Picturis exhibita, pour le moins remarquables, qui
illustrent le très rare petit traité d'Etienne-Michel Spacher
[Note de l'auteur : Cabala Speculum Artis & Naturæ in Alchymia, Stephani-Michaelis Spacheri, 1654. Un exemplaire en assez médiocre état est conservé à la Bibliothèque de l'Arsenal, dans ce délicieux sanctuaire de l'érudition jadis Bibliothèque de "Monsieur" qui fut assidûment
fréquenté par Honoré de Balzac. L'auteur de La Recherche
de l'Absolu vivait non loin de là, dans une mansarde, rue Lesdiguières
(Facino Cane).]. On nous saura gré sans doute que nous
donnions la reproduction de cette luxuriante
allégorie dont l'
essence est
évidemment magique et où la bête, à tête humaine
et cornue, coiffée du trirègne, porte sur son dos le vase philosophal.
Ce quadrupède griffu vomit en abondance le fluide inconnu que l'étoile
du mercure redistribue, en lourde chute, à plomb par le col du matras.
«
Mon essence est céleste, dit la nymphe
de Cyliani,
tu peux me considérer comme une déjection de l'étoile
polaire. Ma puissance est telle que j'anime tout ce qui respire et végète,
je connais tous. »
On imagine aisément, devant le danger que l'
artiste
va courir, la nécessité d'une effective protection, et l'on comprend,
par là même, le rôle du
pentacle maintenu au niveau
du
plexus solaire.
Au demeurant, différemment utilisé, suivant
l'universelle et féconde loi de synthèse, c'est le rayonnement
cosmique qui élève la Physique, la Chimie et l'Astronomie au plan
supérieur des trois sciences secrètes correspondantes : la Magie,
l'
Alchimie et l'Astrologie. EXALTATION, prononce, en français, le titre
de notre gravure, pendant que le vocable CABALA souligne l'extraordinaire mise
en scène opératoire, que circonscrit le cercle magique des vingt-trois
lettres de l'alphabet, initiales des multiples acteurs minéraux du Grand
uvre désignés en allemand ou en latin.
On notera que
Virtutes, sur l'autre diagonale, répond à
Philosophia et rappelle, non seulement la
force, le courage que réclame du magicien ou de l'artiste, l'exercice de leurs arts, mais
encore les qualités et les mérites indispensables de l'
âme et du cur. Quant à cette perfection morale, tant recommandée par les vieux Maîtres, combien nous a été agréable que Vladimir Orlov, écrivain soviétique certainement agréé, au sujet de la conférence internationale de
Paris, relative à l'utilisation des radio-isotopes (1957), eût fait cette remarque révélatrice
d'une rassurante tendance philosophique :
« Les « alchimistes » d'aujourd'hui doivent
se rappeler les statuts de leurs prédécesseurs du
Moyen-Age, statuts
conservés dans une des bibliothèques parisiennes et qui proclament
que ne peuvent se consacrer à l'
alchimie que les hommes "au cur
pur et aux intentions élevées".
[Note
de l'auteur : Les Lettres Françaises, du 19 au 25 septembre 1957,
traduction du russe par M. Calschi.] »
Abstraction faite de
Dieu et de la prière, incompatibles
avec l'athéisme de la science
officielle, on croirait entendre,
non sans ravissement,
Basile Valentin lui-même dans ses considérations
« En effet, si le Créateur a voulu dispenser la véritable science et sa connaissance non commune, c'est tout au moins à certains qui condamnent le mensonge, qui affectionnent la vérité, la recherchent, désignés pour l'art, avec un cur sensible, et qui, avant tout, sans hypocrisie, aiment
Dieu et, pour cette raison, le prient. »
[Note de l'auteur : Les Douze Clefs de la Philosophie,
op. cit. sup., p.78] La Magie est avant tout l'
Art divin, qui consiste
à prendre contact avec l'
Ame universelle et, par elle, à dominer
les
forces spirituelles, invisibles dans l'espace comme dans la substance. Or,
ce pouvoir exige de l'homme l'absolue maîtrise de soi-même, le rigoureux
contrôle de son psychisme et de ses facultés, en un mot, le développement de ses dons magiques à l'état latent ou de
chaos. Rien, évidemment, n'apparaît plus anachronique que cette
conception, à notre époque où c'est, hélas ! le règne odieux du nombre et de la vulgarité, qu'il faut bien reconnaître, sans qu'on doive pour autant se soumettre à son abomination.
La magie, nous nous devons d'y insister, se tient à
l'origine de l'
alchimie et de l'astrologie et préside obligatoirement
à toutes leurs opérations, puisqu'elle en constitue le moteur
essentiel et impondérable. C'est bien ce qui découle de l'affirmation
de Jean-Baptiste
Marin, dans sa
Préface à l'Astrologie tout
entière justifiée, in universam Astrologiam Præfatio
apologeticam, lorsqu'il écrit que «
toutes deux sont
les plus excellentes vis-à-vis de toutes les autres, parmi les Sciences
Physiques ; inter Physicas Scientias duæ sont præ cæteris
excellentissimæ ».
Au vrai, les trois sciences, magique, alchimique et astrologique,
s'interpénètrent sans jamais s'interférer, et même
quand on s'applique uniquement à l'une d'elles, on pratique infailliblement
les deus autres.
Selon que Michel Auphan le développe tout d'abord
très clairement, puis le démontre par calculs mathématiques,
quoi d'impossible qu'un rayonnement astral, qu'il qualifie
odique et
qui obéirait aux mêmes lois de propagation régissant les
vibrations magnétiques et sonores, soit à la base du déterminisme
de l'existence humaine, et, quant à celle-ci, conséquemment, la
source de scientifiques révélations
[Note
de l'auteur : L'Astrologie confirmée par la Science. La Colombe,
Paris, s. d. (1956).] ? Quoi qu'il en soit, ce courant très
réellement magique demeure, pour nous, celui-là même qui
fait descendre, dans le creuset de l'alchimiste, l'étoile suivie par
les
Mages jusqu'à la caverne de l'Enfant-Roi.
On ne s'étonnera pas davantage que nous complétions
maintenant ce que nous avons avancé plus haut, à l'endroit de
l'Office
catholique et de sa nature secrète magico-alchimique, en donnant
déjà le titre révélateur d'un petit manuel latin :
Conditions philosophiques et préalables que rappelle
l'auteur de
L'Astrologie gauloise (Astrologia Gallica), Jean-Baptiste
Morin (Joannes Baptista Morinus), par l'
anagramme rassemblant exactement les
lettres de ses nom et prénom : Mira Sapiens uni bono stat, que nous traduisons
: « Le Sage défend les choses admirables par le seul bien. »
[Note de l'auteur : Hagae-Comitis, ex Typographia Adriani
Vlacq. 1661.]
La Magie est avant tout l'
Art divin, qui consiste à prendre contact avec l'
Ame universelle et, par elle, à dominer les
forces spirituelles, invisibles dans l'espace comme dans la substance. Or, ce pouvoir exige de l'homme l'absolue maîtrise de soi-même, le rigoureux contrôle de son psychisme et de ses facultés, en un mot, le développement de ses dons magiques à l'état latent ou de
chaos. Rien, évidemment, n'apparaît plus anachronique que cette
conception, à notre époque où c'est, hélas ! le règne odieux du nombre et de la vulgarité, qu'il faut bien reconnaître, sans qu'on doive pour autant se soumettre à son abomination.
La magie, nous nous devons d'y insister, se tient à
l'origine de l'
alchimie et de l'astrologie et préside obligatoirement
à toutes leurs opérations, puisqu'elle en constitue le moteur
essentiel et impondérable. C'est bien ce qui découle de l'affirmation
de Jean-Baptiste
Marin, dans sa
Préface à l'Astrologie tout
entière justifiée, in universam Astrologiam Præfatio
apologeticam, lorsqu'il écrit que «
toutes deux sont
les plus excellentes vis-à-vis de toutes les autres, parmi les Sciences
Physiques ; inter Physicas Scientias duæ sont præ cæteris
excellentissimæ ».
Au vrai, les trois sciences, magique, alchimique et astrologique,
s'interpénètrent sans jamais s'interférer, et même
quand on s'applique uniquement à l'une d'elles, on pratique infailliblement
les deux autres.
Selon que Michel Auphan le développe tout d'abord
très clairement, puis le démontre par calculs mathématiques,
quoi d'impossible qu'un rayonnement astral, qu'il qualifie
odique et
qui obéirait aux mêmes lois de propagation régissant les
vibrations magnétiques et sonores, soit à la base du déterminisme
de l'existence humaine, et, quant à celle-ci, conséquemment, la
source de scientifiques révélations
[Note
de l'auteur : L'Astrologie confirmée par la Science. La Colombe,
Paris, s. d. (1956).] ? Quoi qu'il en soit, ce courant très
réellement magique demeure, pour nous, celui-là même qui
fait descendre, dans le creuset de l'alchimiste, l'étoile suivie par
les
Mages jusqu'à la caverne de l'Enfant-Roi.
On ne s'étonnera pas davantage que nous complétions
maintenant ce que nous avons avancé plus haut, à l'endroit de
l'Office
catholique et de sa nature secrète magico-alchimique, en donnant
déjà le titre révélateur d'un petit manuel latin
:
«
Et j'ajouterai le Développement, sous la forme de la Messe, envoyé jadis à Ladislas, roi de Bohême et de Hongrie, par Nicolas Melchior de Hermannstadt [Note de l'auteur : Egalement en latin Hermannopolis et, en hongrois, Nagy-Szeben.],
Transylvanien ; Addam et Processum, sub forma Missæ, a Nicolao Melchiore Cibinensi, Transilvano, ad Ladislaum Ungariæ & Bohemiæ regem
olim missum. »
Petit-être s'agit-il de
Nicolas Melcer qui élabora
la Pierre Philosophique devant l'Empereur en 1449 ; Nicolai Melceri, Lapis
Philosophicus coram Imperatore factus 1449. Traité rarissime dont Fulcanelli
possédait une copie remontant au début du
XVIIème siècle,
extrêmement difficile à lire, à cause de la cursive et de
la pénétration de l'
encre dans le papier.
Néanmoins, de cet Office initiatique calqué
sur l'
Ordinaire, lisons seulement, pour une idée assez juste,
le
Kyrie, tout de suite après l'
Introitus :
«
Seigneur, source de la bonté, inspirateur
de l'art sacré, par qui tous les bienfaits arrivent aux fidèles,
aie pitié. Ô Christ ! ô
Saint ! ô pierre bénite
de l'art et de la science, toi qui a inspiré la lumière de la
science pour le salut du monde, aie pitié.
Seigneur, ô
feu divin, secours nos
âmes, afin
que, pour ta louange également, nous puissions exposer les mystères
de l'art, aie pitié. »
[Note de l'auteur : Kyrie fons bonitatis, inspirator sacræ artis, a quo bona cuncta fidelibus procedunt. Eleison. Christe, Hagie, lapis benedicte artis scientiæ qui pro mundi salute inspirasti lumen scientiæ, Eleison. Kyrie, ignis divine, pectora nostra juva, ut pro tua laude pariter sacramenta artis expandere possimus. Eleison. Nous avons pris Hagie (Hagius) pour la forme latinisée du grec Agios employé substantivement.] Suivent le Gloria, la Collecte, l'
Epître, le Graduel,
etc., que, nonobstant l'intérêt considérable, nous délaissons faute de place.
Il serait assurément illogique qu'on ne crût
point à la magie, lorsqu'on s'émerveille communément des
sortilèges de la
radiotélévision, qu'on assiste,
dans l'angoisse, au progrès de la physique, hallucinant, illimité
et dont la source intarissable s'identifie, en une insondable
énigme,
avec l'énergie cosmique, dénommée
spiritus mundi
par les anciens Sages. Hélas ! cet
esprit universel, dont nous
avons si souvent parlé, ne s'offre-t-il pas indifféremment à
toute activité, qu'elle soit bénéfique ou maléfique,
et qu'il s'agisse de l'alchimiste ou de l'atomiste, du magicien ou du sorcier
!
D'après
Tertullien,
docteur de l'Eglise au second
siècle, les
anges pécheurs (angeli peccatores) «
dévoilèrent
les secrets des métaux, firent connaître les propriétés
des plantes, divulguèrent les pouvoirs de l'incantation et décrivirent
toute la connaissance [Note de l'auteur : Dans la
Bible antérieure à la Vulgate sancta scriptura
vetus curiositas a le sens de magie.],
jusqu'à
l'interprétation des astres » ; metallorum operta nudaverunt
et herbarum ingenia traduxerunt et incantationem vires provulgaverunt et omnem
curiositatem usque ad stellarum interpretationem designaverunt... (
De Cultu
Feminarum).
N'est-ce point là le témoignage qu'aux premiers
temps de notre ère, la magie, l'
alchimie et l'astrologie étaient
étroitement associées dans une même étude ? Triade
que nous avons établie ci-dessus et de laquelle nous retrouvons l'expression,
plus
idéale sinon plus orthodoxe, sur une gravure signée C. Galle,
probablement Cornélius père, dit
le Vieux,
et commémorant, de façon singulière, la consécration
de
à Notre-Dame, le 28
octobre 1634. Chef-d'uvre moins par
le burin délicat que par la plus haute
conception hermétique,
duquel nous pensons qu'André
Breton l'eût volontiers inclus parmi
ses bouleversantes images, en regard de sa remarque s'adaptant si bien à
notre propos :
«
On s'abstiendra de vouloir trancher ici de l'antériorité
de la démarche magique à la démarche religieuse ou inversement,
faute de preuve objective ou d'argument péremptoire qui puisse être
apporté dans un sens ou dans l'autre. »

Voyons maintenant notre cliché.
A l'intérieur du cancel primitif, grillagé
en
losange, la Vierge est assise, portant l'Enfant-Jésus et arrosant
de son lait une
colombe que retient un
ange, tous deux emprisonnés dans
une coque cernée de courtes
flammes. Le jet mince et long s'échappe
du sein droit que
Marie presse de son sceptre royal, frappe l'
oiseau,
emblème
du
Saint-Esprit, et se sépare pour vivifier, à droite et à
gauche, un lis et une
rose épanouis au bout de leurs tiges.
Quant au
symbolisme de ces deux
fleurs, il est d'une lumineuse
transparence, éveillant, dans tous les attraits de la beauté,
dans la subtile et double vertu de
dissolution et de
sublimation
attachée aux parfums, le sentiment de la véritable noblesse qui
est celle des
fidèles d'amour.
Voilà pourquoi nous y prenons notre meilleur argument, pour une affirmation de base, celui-là même qui se dissimule au fond de tout ce que nous venons d'écrire et qu détruit cette idée fausse que deux Magies soient toujours en présence, impitoyablement antagonistes, à savoir celle de
Dieu et celle du Diable. En conséquence, c'est ici le lieu de nous rallier, avec André
Breton,
à l'opinion de M. Louis Chochod (
Histoire de la Magie et de ses Dogmes, Payot, 1949) :
«
On distingue entre la "magie blanche"
ou théurgie et la "magie noire" ou goétie. Nous pensons
que cette discrimination est arbitraire. Et inexacte, car elle se base sur les
fins supposées de l'art magique et non sur sa nature. Il n'y a qu'une
magie... »
N'est-ce pas là, nettement formulé, le point
de
vue d'
Eliphas Lévi qui veut que la Magie soit «
la science
traditionnelle des secrets de la nature, oppose l'Adepte au charlatan et clarifie
magistralement le début pour le clore en définitive ».
«
Le magicien est le souverain pontife de la nature,
le sorcier n'en est que le profanateur. »
«
Le sorcier est au magicien ce que le superstitieux
et le fanatique sont à l'homme véritablement religieux. »
(
Dogme et Rituel de la Haute Magie,
1861, tome premier, p. 108.)
Opposition que fait sentir, énergiquement et non
sans
esprit, cette observation amusante et juste, venant à la suite de
pensées, aussi brèves que belles, sur l'oeuvre sombre mais combien
riche et géniale du peintre espagnol Valdes Leal :
«
Le satan barbu et androgyne, devant qui deux anges balancent l'encensoir au sommet du porche restauré de Saint-Merri, à Paris, n'est que la plaisanterie anticléricale d'un élève de Viollet-le-Duc. »
On aura reconnu le langage de l'auteur de
L'Art Magique, auprès de qui nous nous plaçons encore,
afin de souligner l'inexactitude de cette conclusion que la magie soit issue
«
de la généralisation abusive d'expériences en
elles-mêmes valables et à partir desquelles la science avait pu
prendre son essor ».
Quelle saisissante connexité avec la décision
de Fulcanelli refusant, voici trente années, que l'
Alchimie, parfaite
et
immuable, dès la plus lointaine antiquité, eût donné
naissance à l'empirisme chimique, à l'archimie et à la
spagyrie en perpétuel changement !
N'est-ce pas la même Sagesse qui se tient sur la
route des plus hauts sommets, comme au milieu des plus petits sentiers et qui
ne craint pas de nous donner cette affirmation ?
«
Le Seigneur m'a possédée au commencement
de ses voies, dès l'origine, avant qu'il fît aucune chose. «
J'ai été établie de toute
éternité, avant que la terre fût créée. «
... lorsqu'll posait les fondements de la terre,
j'étais avec Lui, réglant toutes les choses. »