
Pourquoi questionner sur l'authenticité de l'adeptat de Fulcanelli
?
Lorsqu'on n'a pas la chance de rencontrer un maître
vivant, possesseur du secret et de la sagesse, il faut au moins que les textes
publiés soient l'œuvre d'un
adepte. Pour ce qui concerne
Le
Mystère des Cathédrales et
Les
Demeures Philosophales, apparus dès le début de ce
siècle, c'est le préfacier qui les a attribués à un
adepte sans que ce dernier l'ait dit lui-même. Or, l'apprenti alchimiste
qui a lu les quelques textes des siècles précédents traduits
du latin ou d'une autre langue n¹est pas sans savoir que leurs auteurs, sous le
couvert de l'anonymat, ont toujours laissé entendre, expressément
ou symboliquement, au lecteur qu'ils avaient réussi – sans oublier de
rendre à
Dieu l'
hommage qui lui est dû, afin que ce dernier puisse
se fier à ce qui est écrit. Dans ce domaine, il n'est guère
possible de mentir ; l'enjeu métaphysique est trop important car il y va
du Salut.
Prenons quelques exemples.
Au
XIVe siècle , Nicolas Flamel, dans
Le
Livre des Figures Hiéroglyphiques : «
Donc la première
fois que je fis la Projection [...] Ce fut le 17 janvier, un lundi environ midi
en ma maison, en présence de Perrenelle seule, l'an de la restitution de
l'humain lignage mil trois cent quatre vingt deux. » et encore : «
Loué soit Dieu éternellement, qui nous a fait voir cette belle
et toute parfaite couleur de pourpre, [...] cette couleur tyriene étincelante
et flamboyante, qui est incapable de changement et d'altération. »
Au
XVe siècle est placée la naissance
de
Basile Valentin, dont les manuscrits apparaissent au XVIe. Dans
De
la Grande Pierre des Anciens Sages, il dit au lecteur : «
Ne dédaigne pas, ni ne méprise, ô mon ami, les livres véridiques
de ceux qui eurent la Pierre avant nous, car, après la révélation
de Dieu, c'est d'eux que je la détiens. »
Au
XVIe siècle,
Le Traité de la
Pierre Philosophale de Lambsprinck, où, dans l'avant-propos,
on
lit : «
Je m¹appelle Lambspring [...] J'ai compris clairement la Sagesse
et je suis parvenu par l'Art jusqu'à son fondement, car Dieu m'a dispensé
sa Grâce et m'a donné le savoir avec l'entendement. »
Au
XVIIe siècle,
Philalèthe, dans
L'entrée
ouverte au palais fermédu roi : «
Ayant pénétré,
moi, Philalèthe, philosophe anonyme, les arcanes de la médecine
[...] j'ai décidé de rédiger ce petit traité, l'an
1645 de la Rédemption du monde et le trente-troisième de mon âge,
afin d¹acquitter ce que je dois aux fils de l'Art, etc. »
Au
XVIIIe siècle, Solidonius, dans
Figures
secrètes des Egyptiens : En début d'ouvrage, Solidonius
est qualifié de "Maître des
éléments", puis en fin
de traité, il écrit : «
J'ai reconnu par expérience
qu'il faut préparer le métal sur lequel vous ferez projection qui
ouvre ledit métal et le rende capable de recevoir la semence de cette poudre
pour lui faire naître en nouveau soleil. »
Au
XIXe siècle, Cyliani, dans son
Hermès
Dévoilé, débute sa préface par les
mots suivants : «
Le Ciel m¹ayant permis de réussir à faire
la pierre philosophale, après avoir passé trente-sept ans à
sa recherche [...] J'ai juré à Dieu d'emporter dans la tombe ce
secret [...] et préfère déplaire aux homme qu'à l'Eternel.
»
Dans mon
Fulcanelli
Dévoilé (Editions Dervy), j¹ai dit mon sentiment
au
vue de pièces obtenues à
force de patience. J'avais à
cœur d'atteindre une vérité qui ne se satisfasse pas de leurres
: les leurres, c'est bien connu, sont notre lot quotidien et on les reconnaît
à ce qu'ils ne mènent guère loin. Il est écrit : «
La vérité vous sauvera ». En l'occurrence, la vérité
alchimique apparaît, dépouillée de tout son folklore. Foin
d'immortalité physique, de mondes parallèles, de richesse. L'approche
de la connaissance
hermétique demande de se libérer de croyances
ayant pour but de
coaguler notre petite personne au lieu d'en envisager la
dissolution.
Se
fixer d'atteindre la longévité physique ou la richesse matérielle
par le Grand-Œuvre dénote une incompréhension majeure car il
s'agit comme dans tout processus initiatique, d'une mort à la vie mondaine
par la connaissance pratique du principe qui nous
anime.
Ces documents, donc, me sont toujours arrivés providentiellement
parce que je les cherchais comme on entreprend une quête magique et à
ce titre, tout sur ce chemin faisait sens : synchronicité, rêves
prémonitoires, injonctions de l'invisible...
Pour l'
alchimie, la question d'une filiation est essentielle, car malgré
ce que prétendent les alchimistes contemporains, on ne tient pas de soi,
on tient d'un autre qui lui-même le tient d'un autre et ainsi sans fin à
l'
infini : il n'y a pas de
génération spontanée. Ce qui fait
qu'il s'agit de quelque chose qui est sorti du temps et de son usure caractéristique
et donc tout autant ancienne que futuriste. Dans cette filiation, chaque maillon
est forcément marqué par son époque, mais c'est la part de
nous amenée à mourir.
C'est en cherchant
Fulcanelli que j'ai trouvé Pierre Dujols de
Valois, et en m'intéressant
à ce dernier, j'ai été conduite tout droit chez
Henri Coton-Alvart.
Pierre Dujols s'est distingué en publiant en
1914 une introduction au
Mutus Liber sous
le pseudonyme de Magophon. En lisant ce superbe texte, on remarque que les exemples
choisis se retrouvent tous dans les ouvrages attribués à Fulcanelli...
La technique très particulière de cabale phonétique basée
sur l'
étymologie grecque qui donne des informations sur la pratique du
Grand-Œuvre est identique.
Le nostoc, par exemple,
dont parle Fulcanelli en 1926 à propos de la rosée céleste,
tandis que Dujols développe le flos cœli et le nostoc.
Autre exemple peu banal, l'appellation "
frères de
la rosée cuite" à propos des Rose-Croix selon le témoignage
de Thomas Corneille qui est aussi utilisée dans les Fulcanelli.
Cela confirme ce que disait
Henri Coton, qui avait eu pour
maître Pierre Dujols, que les notes de ce maître en hermétisme
avaient été utilisées par
Champagne à la mort de ce
dernier et mises en forme pour constituer les Fulcanelli. Pierre Dujols avait
donné à lire ses notes à
Henri Coton et c'est ce qui avait
permis à ce dernier, en 1926, à la parution du
Mystère
des Cathédrales, de se faire une opinion.
Pierre Dujols fut le dernier descendant des
Valois. Il naquit en 1862 à
St-Illide dans le Cantal. Sa famille s'étant installée à
, puis à Aix-en
Provence, il fit dans cette ville de solides études
classiques chez les
Jésuites. Il devint journaliste à
puis à
Toulouse. Il s'installa ensuite à
Paris, où il ouvrit
une librairie à l'enseigne de "
La Librairie du Merveilleux".
Il avait alors pour ami et sans doute
initiateur le docteur Jobert, à qui
il avait dédicacé ainsi son
Mutus Liber
: «
A mon vieil et bon ami, au philosophe adepte, ouverte aux ingénieux
et scellée pour les sots, je t¹offre cette lecture pour nous élucidée.
» C'est sans doute également Pierre Dujols qui envoya la lettre qui
figure dans la préface à la seconde édition du
Mystère
des Cathédrales, commençant par «
Mon vieil
Ami, cette fois, vous avez eu vraiment le Don de Dieu [...] Ma femme, avec cette
intuition inexplicable des êtres sensibles, avait fait un rêve vraiment
étrange, etc. »
Effectivement, Madame
Dujols avait des dons peu communs ; notamment elle faisait des rêves prémonitoires.
Elle était native d'
Hennebont en
Bretagne, où la famille allait
passer des vacances. Ceci n'est pas sans rappeler la fameuse bague que Fulcanelli
aurait reçue de la commanderie
templière de ce même lieu.
D'ailleurs, Pierre Dujols s'intéressait beaucoup à la Chevalerie
et aux
Templiers. Sur sa tombe, dans la région parisienne, figure une
croix
pattée. Il décéda en 1926.
Henri Coton-Alvart était fort jeune lorsqu'il rencontra Pierre Dujols.
Né en 1894, il avait 20 ans lorsqu'il commença à fréquenter
les groupes d'hermétistes, mais il s'intéressait déjà
au Grand-Œuvre. Il commença à travailler comme peintre en
héraldique.
Il avait le tempérament artistique de son père, qui était
sculpteur.
Il avait inventé un procédé
pour récupérer l'
argent des plaques photographiques et pendant un
certain temps, il gagna ainsi sa vie.
Par la suite, il
fut engagé comme chimiste dans une société qui fabriquait
des explosifs. Il s'y distingua tellement, en faisant profiter la maison qui l'employait
des nombreux brevets qu'il avait inventés, qu'il fut nommé ingénieur-maison
et finit par participer au conseil d'administration de cette grosse société.
Lorsqu'à sa retraite, il se retira dans les Charentes, à
Taillebourg,
il se rendait encore chaque année à
Paris pour présider à
la réunion de ce conseil d'administration. Pendant toutes les années qu'il
passa à
Paris, il avait fait partie de divers groupements, comme les
Veilleurs,
fondés par Schwaller, la
Société Théosophique
où il avait rencontré ce dernier, et
Atlantis, enfin, où
il donna quelques articles de premier ordre sur l'
alchimie à la revue.
Paul Le Cour ne s'y était pas trompé en écrivant un article
élogieux sur
Henri Coton.
A
Nice, il était
l'invité d'honneur de la comtesse Prozor, fervente anthroposophe, qui recevait
l'été, dans sa propriété de Cimiez, le gratin parisien
de l'
ésotérisme et de l'hermétisme. Puis en 1922, à
l'âge de 28 ans, il abandonna le dernier groupe auquel il était attaché,
les
Veilleurs, ne suivant pas ses membres et leur président,
René
Schwaller, en
Suisse, où ils allaient créer un centre de recherches
autour des arts et de l'
alchimie :
Suhalia...
Il poursuivait ses travaux alchimiques, notamment dans un laboratoire qu'il possédait
à côté de St-Paul-de-Vence, où résidaient ses
amis Elmiro et
Rose Celli. Il était alors marié à Claire
Lafitte, dont la famille, très aisée, était dans la finance.
Un fils leur naquit : Hugues, sculpteur, peintre et praticien en médecine
chinoise.
Puis ce fut la rupture définitive avec
tout le milieu
ésotérique de l'époque : Dujols était
décédé en 1926, Milosz, l'homme qu¹il admirait profondément,
avait eu une expérience
mystique qui lui aussi l'avait éloigné.
En 1960,
Henri Coton transfère son laboratoire à
Taillebourg, dans la petite maison près de la rivière où
il a pris sa retraite, et là, totalement retiré du monde, sans TSF,
télévision, journaux, recevant simplement un médecin aveugle
de
Lyon qui fut président d'
Atlantis, le Dr. Hollier, son ami intime
le Dr. Emerit, et son
disciple Henri La
Croix Haute. (Hollier a d'ailleurs écrit
un ouvrage consacré aux travaux d'
Henri Coton :
Le
Tohu Bohu.) Il échangeait aussi une correspondance avec
le docteur Gifreda de Barcelone qu'il guida également.
Dans cet ermitage, au milieu d¹une population qui protégeait sa
solitude, il étudiait et méditait sans relâche. Il avait appris
le sanscrit et l'hébreu pour vérifier les textes qu¹il avait découverts
et recopiés en bibliothèque. Ses recherches en
alchimie l'amenèrent
à s'intéresser à la gravitation, à la lumière,
et aux grands problèmes métaphysiques. Il accéda à
l'Adeptat dans les années 1970. Dès lors, il poursuivit sa vie avec
sagesse, éveillé tel un véritable Rose-Croix, laissant derrière
lui, à sa mort en 1988, des écrits que nous eûmes, pour une
infime partie seulement, la licence de publier sous le titre
Les
Deux Lumières. Lui-même n'avait jamais chercher à
faire éditer ses travaux, ce qui explique qu'il n'a pas ordonné
ses écrits dans ce sens ni pensé à les présenter à
la postérité.
Enfin, pour conclure,
voici ce que cet être exceptionnel écrivait sur le Grand-Œuvre
alchimique : «
Le monde créé contient en lui un principe
hostile qui a provoqué l'événement qualifié de chute.
Ce monde montre en toutes ses parties un dramatique mélange de vie et de
mort, de sagesse et d'absurdité. La notion centrale de l'hermétisme
est l'intervention efficace, curative et prépondérante de l'unité
manifestée pour surmonter le facteur pathogène du monde. Mystiquement,
c'est le Christ (Louis Cattiaux, dans son admirable Le Message
retrouvé, ne dit pas autre chose, lui qui réalisa le
Grand-Œuvre sans faire de bruit) ; physiquement, c'est la pierre
philosophale. Elle existe partout présente, car sans une étincelle
de cet agent, il n'y aurait ni vie ni permanence. La pierre philosophale n'est
ni une création ni une fabrication de l'alchimiste. Tout ce que celui-ci
peut faire est de la prendre là où elle est, la rassembler, la séparer
de sa gangue, la purifier, la placer dans son vaisseau et suivant le cas l'administrer
à qui en bénéficiera ou la renvoyer dans sa pureté
de lumière au monde céleste d'où elle est venue. »