PREMIÈRE
PARTIE LES THÉORIES
CHAPITRE I
Définition de l'Alchimie L'Alchimie vulgaire et la Philosophie Hermétique
Souffleurs et adeptes Les buts de l'Alchimie : le Grand uvre, l'homonculus, l'alkaëst,
la palingénésie, le spiritus mundi, la Quintessence, l'or potable
Qu'est-ce que l'
Alchimie ? Pour nous, ce n'est guère qu'une science naturelle, mère de la Chimie. Mais les alchimistes eux-mêmes, comment définissaient-ils leur science ? «
L'Alchimie, dit Paracelse, est une science qui apprend à changer les métaux d'une espèce en une autre espèce. » (
Le ciel des philosophes). C'est la définition qu'en donnent la plupart des alchimistes ; ainsi,
Denys Zachaire, dans son
Opuscule de la philosophie naturelle des métaux, dit : «
C'est une partie de philosophie naturelle, laquelle démontre la façon de parfaire les métaux sur terre, imitant la Nature en ses opérations, au plus près que luy est possible. »
Roger Bacon,
esprit exact, donne une définition plus précise : «
L'Alchimie est la science qui enseigne à préparer une certaine médecine ou élixir, lequel étant projeté sur les métaux imparfaits leur communique la perfection dans le moment même de la projection. » (
Miroir d'Alchimie). De même, «
l'argyropée et la Chrysopée est l'art qui enseigne à donner à la matière prochaine de l'or et de l'argent, la forme de ces métaux » (G. Claves,
Apologia Chrysopaiæ). Au
XVIIIème siècle, où la chimie brillait dans tout son éclat, il fallut différencier les deux sciences, et voici comment en parle
dom Pernety : «
La chymie vulgaire est l'art de détruire les composés que la nature a formés, et la chymie hermétique est l'art de travailler avec la nature pour les perfectionner. » (
Fables grecques et égyptiennes)
Mais tous ces alchimistes n'ont envisagé que la haute
Alchimie ; il y avait en effet deux espèces d'alchimistes : les souffleurs, gens
dépourvus de théorie, travaillant à l'aventure ; ils cherchaient il est vrai la pierre philosophale, mais empiriquement ; entre-temps, ils faisaient de la chimie industrielle, fabriquant des savons, de fausses pierres précieuses, des
acides, des alliages, des
couleurs ; ce sont eux qui donnèrent naissance aux chimistes ; ce sont eux qui vendaient pour de l'
argent le secret de faire de l'or ; charlatans et filous, ils faisaient de la fausse monnaie ; plus d'un souffleur fut pendu au gibet doré, supplice réservé à cette sorte d'imposteurs ; les philosophes
hermétiques, au contraire, dédaignant ces travaux qu'ils flagellaient du nom de sophistications, s'adonnaient à la recherche de la pierre philosophale non par avarice mais pour l'
amour de la science. Ils avaient des théories spéciales qui ne leur permettaient pas de s'écarter de certaines limites dans leurs recherches.
Ainsi, dans la préparation de la pierre philosophale, ils ne travaillaient que sur les métaux et généralement sur les
métaux précieux, tandis que les souffleurs faisaient défiler dans leurs cornues les produits hétéroclites du règne végétal,
animal et minéral. Aussi les Philosophes persévèrent-ils dans la voie qu'ils se sont tracée, leurs doctrines traversent intactes des siècles, tandis que les souffleurs abandonnent peu
à peu des recherches coûteuses et très longues pour s'occuper de choses prosaïques mais d'un bon rapport ; peu à peu, la Chimie se constitue en science et se sépare de l'
Alchimie.
On ne peut mieux résumer la question qu'en citant un passage de la
Physica subterranea, de Beccher : «
Les faux alchimistes ne cherchent qu'à faire de l'or, les vrais philosophes ne désirent que la science ; les premiers ne font que teintures, sophistications, inepties, les autres s'enquièrent des principes des choses. »
Nous allons maintenant examiner les problèmes que les alchimistes se proposaient de résoudre. Le premier et le principal consistait dans la préparation d'un
composé, nommé
élixir, magistère, médecine, pierre philosophique ou philosophale, doué de la propriété de transmuer les métaux ordinaires en or ou en
argent. On reconnaissait deux
élixirs : un blanc transmuant les métaux en or, et un rouge les transmuant en or. Les alchimistes grecs connaissaient cette distinction en deux
élixirs : le premier blanchissait les métaux,
, le second les jaunissait,
(voir Berthelot,
Origines de l'alchimie). La pierre philosophale n'eut d'abord qu'un simple pouvoir transmutatoire sur les métaux, mais plus tard, les
philosophes
hermétiques lui reconnurent une foule d'autres propriétés : produire des pierres précieuses, du
diamant, guérir toutes les maladies, prolonger la vie humaine au-delà des limites
ordinaires, donner à celui qui la possède la science infuse et le pouvoir de commander aux puissances célestes, etc. On trouvera ce point, plus développé, dans la seconde partie de cet ouvrage.
Les premiers alchimistes n'avaient pour but que la transmutation des métaux, mais plus tard ils se proposèrent plusieurs autres problèmes. Dans leur orgueil, ils crurent pouvoir s'égaler à
Dieu
et créer de toutes pièces des êtres animés. Déjà, suivant la
légende,
Albert le Grand avait construit un automate en
bois, un androïde auquel il avait donné la vie par les conjurations puissantes.
Paracelse alla plus loin et prétendit créer un être vivant en chair et en os, l'homonculus. On trouve dans son traité,
De natura rerum (
Paracelsi opera omnia medico chimico chirurgica, Tome II) la manière de procéder. Dans un récipient, on place différents produits
animaux
que nous ne nommerons pas et pour cause ; les
influences favorables des planètes et une douce
chaleur sont nécessaires pour la réussite de l'opération. Bientôt une légère vapeur s'élève dans le récipient, elle prend peu à peu la forme humaine, la petite créature s'agite, elle parle, l'homonculus est né !
Paracelse indique très sérieusement le parti que l'on peut en tirer et la façon de le nourrir.
Les alchimistes cherchaient encore l'
alkaëst ou
dissolvant universel. Ce liquide devait
dissoudre tous les
corps qu'on y plongerait. Les uns crurent le voir dans la potasse caustique, d'autres dans l'
eau régale, Glauber dans son sel admirable (sulfate de soude). Ils n'avaient oublié qu'un point, c'est que l'
alkaëst dissolvant tout, aurait attaqué le vase qui le contenait. Mais comme il n'y a d'hypothèse si fausse qui ne fasse découvrir quelque vérité, en cherchant l'
alkaëst les alchimistes trouvèrent plusieurs
corps nouveaux.
La
Palingénésie peut, comme
conception, être rapprochée de l'homonculus. Ce mot signifie
résurrection ; c'était en effet une opération par laquelle on reconstituait un arbuste, une
fleur, avec ses seules cendres. Kircher, dans son
Mundus subterraneus, a indiqué la façon de faire renaître
une
fleur de ses cendres.
Les alchimistes essayèrent aussi de recueillir le
Spiritus mundi, l'
esprit du monde. Cette substance répandue dans l'
air, saturée des
influences planétaires, possédait une foule de propriétés
merveilleuses, notamment de
dissoudre d'or. Ils la cherchaient dans la rosée, dans le
flos cli ou nostoc, sorte de cryptogame, qui apparaît après les grandes
pluies : «
La pluye de l'équinoxe me sert d'instrument pour faire sortir de la terre le flos cli ou la manne universelle que je vais cueillir pour la faire corrompre, afin d'en séparer miraculeusement une eau qui est la vraie fontaine de Jouvence qui dissout l'or radicalement » (de Respour,
Rares expériences sur l'esprit minéral).
Le problème de la Quintessence était plus rationnel ; il s'agissait d'extraire de chaque
corps les parties les plus actives : le résultat
immédiat fut le perfectionnement des procédés distillatoires.
Enfin, les alchimistes cherchaient l'or potable. Suivant eux, l'or étant un
corps parfait, devait être un remède énergique et
communiquant à l'organisme une résistance considérable à toute espèce de maladies. Les uns se servaient d'une solution de chlorure d'or ainsi qu'on peut le voir par le passage suivant : «
Si on verse abondamment de l'eau dans cette solution et qu'on y mette de l'étain, du plomb, du fer ou du bismuth, l'or étant précipité, a accoutumé de s'attacher au métal. Et aussitôt que vous remuerez l'eau, l'or précipité qui ressemble à un limon trouble se rassemble dans l'eau » (Glauber,
La médecine universelle).
Mais généralement, les empiriques vendaient fort cher,
sous le nom d'or potable, tout liquide offrant une belle
couleur jaune, notamment la solution de perchlorure de fer.
Comme on le voit, les alchimistes ne manquaient pas de sujets pour exercer leur patience ; mais le plus grand nombre délaissant les problèmes secondaires ne poursuivaient que la réalisation du Grand uvre. La plupart des traités
hermétiques ne parlent que de la pierre philosophale ; aussi n'examinerons-nous que ce seul point, sans plus nous occuper des problèmes de second ordre, qui au reste n'apparaissent que fort tard dans l'
histoire de l'
Alchimie, et
qui furent soumis à une foule de variations, chacun modifiant le problème ou lui donnant une solution différente.