Vous me demandez, honoré ami, de vous communiquer
quelque chose touchant les enseignements secrets de Martinèz Pasqualis,
auxquels vous vous êtes intéressé à travers les écrits
de deux de ses
disciples,
feu Saint-Martin et l'abbé Fournié
[Note
de l'auteur : Il a publié à Londres, en 1801, la première
partie d'un ouvrage intitulé : Ce que nous avons été,
ce que nous sommes, et ce que nous deviendrons, dont nous pouvons nous attendre
à avoir prochainement la suite, d'après ce que l'auteur m'a dit
l'année dernière. Cf. l'excellente revue : Der Lichtbote,
vol. I, p. 478.] qui vit encore à Londres ; je vais donc, selon
mes
forces et autant qu'il m'est permis, accéder à votre désir.
Si, en tout temps, il y eut et il y aura des hommes qui,
en tant que représentateurs du futur, tels les prophètes, nous ont
montré que le futur est
déjà là, il doit également
y en avoir eu en tout temps d'autres qui, en tant que représentateurs du
passé, nous montrent, par le souvenir, que le passé est
encore
là
[Note de l'auteur : C'est dans ce sens, honoré
ami, que vous appelez l'historien un prophète regardant en arrière,
et vous rejetez ainsi de l'étude de l'histoire tous ceux auxquels ce don
de vision n'a pas été accordé. Du reste, comme ce n'est que
le point central de vision, qui a été une fois obtenu ou atteint,
qui permet de contempler l'ensemble, on conçoit comment ce regard du voyant
en arrière ou en avant, cette pré ou post-résonnante dans
l'histoire est surtout indivisible, bien que ce même don se manifeste davantage
dans un sens chez tel individu, et davantage dans un autre sens chez tel autre
individu. C'est ce que j'ai pu constater moi-même chez des sujets magnétiques.],
et un tel représentateur du passé (du Judaïsme) est assurément
Pasqualis qui, à la fois juif et chrétien, il confessait
la
religion catholique romaine, a fait revivre pour nous l'ancienne Alliance,
non seulement dans ses formes, mais encore avec ses pouvoirs magiques. Et si l'on
peut avec raison considérer cette nouvelle époque, à laquelle
vivait Pasqualis, comme le commencement d'une éclipse générale,
d'un affaiblissement de la lumière du Christianisme, on ne doit pas s'étonner
de voir, durant cet obscurcissement de l'unique
soleil, survenu par notre faute,
réapparaître certains astres qui, pour parler le langage de
Saint-Martin,
se montrent comme des revenants, simplement parce qu'ils sont non allant. Si donc
le Christianisme, dans la
force de sa prime manifestastion, a rendu muette la
magie du
Paganisme et du Judaïsme, la réapparition de cette magie,
même si elle ne s'est fait que peu remarquer, ne peut être attribuée
qu'à l'affaiblissement du Christianisme, et être considérée
comme le réactif nécessaire à une nouvelle et plus puissante
manifestation.
En effet, le Judaïsme est au Christianisme ce que ce
dernier est à un troisième terme supérieur, dans lequel chacun
des deux doit être transfiguré. Si l'on interprète la parole
de
saint Paul : «
Par, avec et en Dieu, » dans son véritable
sens, alors, comme il est vrai que la parfaite habitation de l'
Esprit divin dans
l'homme-esprit est le but et le sabbath, il devient évident que ce troisième
moment a dans les deux antécédents, per-habitation et co-habitation,
à la fois ses prédécesseurs et ses coopérateurs, dont
la présence dans le temps, ainsi que la disparition, sont purement phénoménales
[Note de l'auteur : Ainsi, dans la Transfiguration, Elie
et Moïse n'agissent que comme coopérateurs.].
Dans cette première ère, régime
du Père ou premier degré d'Apprenti de l'homme-esprit, l'Absolu
se tient encore comme Seigneur absolu, supérieur seulement à l'Unique,
habitant seulement par celui-ci, «
il déplace les montagnes
et ils ne savent pas »
[Note de l'auteur : Merveilleuse
est l'échelle que Pasqualis nous présente sur les différentes
manières d'être d'un agent supérieur auprès d'un inférieur
et de celui-ci envers celui-là dans son action et sa condnite, en nous
disant « L'esprit agit dans, avec, par, sans et contre l'homme. »
En effet, je ne connais pas de gradation plus complète pour désigner
ma manière d'être ou celle de tout chrétien envers Dieu. Par
là, l'homme peut chaque fois se rendre compte s'il agit en, avec, par,
sans ou contre Dieu.], tandis que, dans la seconde ère, régime
du Fils ou degré de
Compagnon, !e Premier, S'unifiant en lui et Se dépouillant
de l'Unité de Sa Gloire dans la figure de ce Serviteur
[Note
de l'auteur : On peut consulter le Judas Iscariot de Daub sur ce libre
renoncemement ou suspension de l'universel jusqu'à l'unité le Fils
de Marie et l'opposé de cette concentration, qui a pour but l'expansion
universelle en amour, est cette compression tout à fait forcée du
Mauvais esprit, qui a pour but l'explosion universelle dans la haine accompagnée
des tourments de Tantale. Saint-Martin, un disciple de Pasqualis, s'exprime ainsi
: « Qui atteindra la sublimité de l'uvre de la renaissance
de l'homme ? Ne lui comarons pas la création de l'univers. Ne lui comparons
pas même l'émanation de tous les êtres pensants »
émanation que Pasqualis distingue toujours de l'émanation suivante
ou création. Pour opérer tout es ces merveilles, il a suffi
que la sagesse développât ses puissances, et ce développement
est la véritable loi qui lui est propre. Pour régénérer
l'homme, il a fallu qu'elle se concentrât, qu'elle s'anéantît
et qu'elle se suspendit, pour ainsi dire, elle-même. D'ailleurs les trois
moments dont il est question dans le texte peuvent nous donner une théorie
suffisante de ces différents états, dont nous parlent plusieurs
mystiques, par exemple, Mme Guyon ; car le triple nom du Seigneur Jésus,
Christ et Fils de Marie indique déjà une triple manifestation dans
l'homme extérieur (Etre naturel) dans l'homme-esprit intérieur (Etre
spirituel); et dans l'homme central (Centre divin).], descend vers
le particulier, l'
Aigle qui, auprès du Prophète, volète
pendant un temps sur la terre devant ses petits, se rendant pareil à
lui, c'est-à-dire demeurant auprès de lui ou avec lui, jusqu'à
ce que et pour qu'enfin, à la dernière ère, régime
de l'
esprit ou degré de Maître, l'Universel, soulevant
[Note
de l'auteur : Ici nous yoyons une nouvelle signification du mot soulever,
dont Hegel, le premier, a déja fait remarquer le grand nombre de sens.
Le Médiateur, dont le soulèvement ou l'intercession a pour but le
mouvement de l'esprit, peut lui-même être ce qui soulève ou
ce qui est soulevé, et, ainsi, l'intercession ou le soulèvement
peut se faire de trois façons. Je ne dois me laisser relever que par ce
qui est plus élevé que moi, c'est-à-dire soulever, dresser,
enlever, ou rendre vrai, de même que je dois relever et redresser ce qui
est au-dessous de moi. Mais si une chose inférieure cherche à me
soulever, c'est-à-dire veut m'entraîner, alors on conçoit
aisément que mon action médiatrice s'y oppose et prenne un autre
caractère. Mais ici aussi, en conflit avec le mal et le mauvais, cette
action se manifeste d'une façon quand elle doit être dirigée
contre le mal, qui inhabité et cohabite déjà en moi, et d'une
autre manière contre le mal qui seulement perhabite en moi, ou qui m'emplit
ou qui est déjà hors de moi ; c'est-à-dire que, de même
que je puis encore faire le mal, quoique mon cur et ma tête n'y participent
pas, de même je puis et je dois faire le bien, quoique mon cur et
ma tête n'y acquiescent point. Et, de même que, pour parler de l'inhabitation
de la puissance soulevante, chaque action bonne occasionne et fixe la disposition,
le caractère, la nature, etc., de même chaque action destructive
ne produit que la négation de soi-même, détruit, soulève
de nouveau, et ce soulèvement de soi-même tuer, la
volupté est à la factio continui ce que la douleur est à
la solutio continui cette sui-nocence consiste précisément
dans ce processus de soulèvement sans lequel aucune opération du
malin et aucune occasion de bonne disposition ou de bonne nature ne sont possibles.
Car, dans le bien comme dans le mal, l'action de l'esprit commence par un acte
immédiat et s'y termine, et le pouvoir du bien comme du mal doit nécessairement
me posséder avant que je puisse en être maître. Si, du reste,
on considère la nature comme l'universel non-médiat, on ne peut
se dispenser d'établir une distinction entre ce non-médiat (la nature)
qui se trouve d'une part supérieur, et le non-médiat inférieur
à l'homme-esprit, ce qui justifie le ternaire de Pasqualis relatif aux
modes de l'être : le divin, le spirituel dans un sens plus restreint, et
le naturel également dans un sens plus restreint. Le premier mode pense
seulement et n'est pas compris, veut seulement et n'est pas incité, agit
seulement et ne reçoit aucune impulsion ; le deuxième mode pense
et est compris, veut et est incité, agit et reçoit des impulsions
et le troisième n'est que conçu, ne pense jamais, qu'incité
et ne veut jamais, et reçoit des impulsions sans jamais agir. Ce ternaire
rappelle dans une certaine mesure la « natura creans et non creata, natura
quæ creatur et creat, et natura quæ creatur et non creat » de
Scot Erigène, natures auxquelles il ajoute une quatrième, «
natura. neque creans nec creata », ou plutôt à laquelle it
subordonne les trois autres.] l'Unique en soi, habite en même
temps par lui, auprès de Lui et en Lui. Mais à l'orgueil des
émigrants
de l'homme-esprit, ce discours semble dur, et ils se tournent alors plus volontiers
vers ceux qui leur offrent ce grade de Maître à meilleur compte,
c'est-à-dire sans qu'ils aient besoin de passer par le travail de l'Apprenti
et l'école du
Compagnon, et qui leur promettent par conséquent,
non seulement de les faire parvenir à la compréhension du Christianisme
sans avoir besoin de comprendre le Judaïsme, mais qui se font forts de les
rendre complets (sapients, illuminés), par une voie plus facile qu'en passant
par le Judaïsme et le Christianisme. Or, à de tels Sages
ignorants
on pourrait dire avec raison :
Si tu déifies seulement l'intelligence et la science,
Pouvoirs suprêmes du moi hautain,
Tu t'es déjà donné au diable,
Et avec lui tu périras.
Un des principes de Pasqualis est que chaque homme est né
prophète et, par conséquent, obligé de cultiver en lui ce
don de vision, culture à laquelle devait précisément servir
l'école de ce maître. Dans ce même sens et dans un sens encore
plus hardi, son
disciple appelait chaque homme un Christ-né, c'est-à
dire Christ et non Chrétien. A notre époque, ce « réchauffé
de notions vieux-testament » doit paraître à beaucoup de gens
dépourvu de saveur. L'auteur
[Note de l'auteur :
Il est notoire que ce penseur, dont la dialectique, aussi coupante qu'une lame
à deux tranchants, blesse souvent à la fois l'adversaire et celui
qui la manie, fut le premier qui, d'une main audacieuse, alluma le processus de
l'auto-incinération de la philosophie moderne son auto-da-fé
et que c'est à lui que nous devons l'intelligence claire de cette
angoisse dialectique de l'esprit, dont Kant, à la vérité,
a méconnu d'une part l'indestructibilité, mais qu'il a d'autre part
reconnue comme un désir curieux de la raison, contre lequel il n'y a d'autre
remède que de s'en tenir opiniâtrement à la réalité
sensible et de se lancer hardiment, un peu comme ceux qui fuient devant la dialectique
qui les poursuit de la mort terrestre, et qui prennent leur crainte de la vie
pour la crainte de leur véritable mort. Si cependant il existe une dialectique
immanente, au sens le plus strict, c'est-à-dire se dirigeant vers
l'intérieur on vers le supérieur, il y a aussi une dialectique,
une action spirituelle, non moins intrinsèque, qui mène vers le
bas. C'est aussi la raison pour laquelle les anciens nous représentaient
le diable comme un subtil dialecticien.] de la Phénoménologie
de l'
Esprit n'appelle-t-il pas même ironiquement « le don de prophétie
» le « don d'exprimer les choses saintes et éternelles d'une
manière inintelligible ». Bon mot, il est vrai, mais qui réfute
aussi peu la véritable interprétation des choses sacrées
de cette façon, qu'il ne donne une explication sensée de ce phénomène.
Semblablement nous voyons nombre de nos magnétiseurs considérer
leurs
voyants comme des ventriloques stupides, quand ils racontent avec le ventre,
comme ils se l'imaginent, des choses trop hautes et trop subtiles pour leur intellect
de magnétiseurs
[Note de l'auteur : Il est fâcheux,
pourrait-on crier à ces prophètes qui se sont eux-mêmes rendus
muets, que les prophètes ventriloques soient obligés, comme l'ânesse
de Balaam, de témoigner contre vous. Néanmoins le magnétisme
animal se maintient toujours malgré tous ses adversaires, c'est-à-dire
malgré les risées, la condamnation et les mépris, qui sont
certes plus faciles que la compréhension.]. A mon avis, il est
également mauvais de faire l'
apothéose de ces manifestations spirites,
de décider dans le trouble, de suivre tout
ignis fatuus, comme une
clarté éternelle, et de ne prendre aucune lumière pour la
lumière qui n'est point froide, qui ne laisse pas de froid et qui ne donne
pas froid. Est-il donc si difficile de discerner, à travers la lueur phosphorescente
de cette trouble manifestation spirituelle, les ténèbres radicales
intérieures, comme aussi, à travers cette ardeur passionnée
extérieure, l'interne froid de la mort, impression hivernale de Méphistophélès
dans le rayonnement d'un
soleil d'été ? On ne doit pas, dit Claudius,
cesser de respecter le vrai roi sous prétexte qu'il y a aussi les rois
de pique et de cur ; et tu n'es même pas capable d'ôter le pouvoir
de te pénétrer à ce
Dieu qui inhabite ou cohabite en toi,
non parce que tu l'as fait descendre vers toi, ni parce que tu t'es haussé
ou enflé jusqu'à Lui, mais parce qu'il est librement. descendu vers
toi
[Note de l'auteur : De même que l'action mauvaise
ne peut pénétrer dans l'élément actif le feu,
l'homme qu'en passant par l'élément passif l'eau,
la femme de même l'action bonne ne pouvait prendre que le même
chemin. C'est pourquoi la. femme, en tant que médium inconscient, ne fait
que propager, pour ainsi dire, la bonne et la mauvaise action. Et tous les philosophes
modernes confondent l'agent et le médium, lorsqu'ils étendent l'infériorité du médium ou instrument, à l'action bonne ou mauvaise qui l'emploie.
De cette manière, l'action divine elle-même semblerait en quelque
sorte subordonnée à l'action humaine ; tandis que c'est, au contraire,
l'instrument ou véhicule de cette action divine qui lui est soumise. Du
reste, d'après ce qu'on vient de dire, on peut indiquer le véritable
point de vue, d'aprés lequel la femme, comme le corps, doivent
être aussi respectés que redoutés dans nos relations actuelles
avec eux. Ne la gâte pas (la femme), car il y a en elle une bénédiction, mais crains la toutefois, car il y a sur elle une malédiction !].