
28.
Pourquoi craindrais-je de revenir
trop souvent à la charge pour avertir ce nouvel homme des lois
qu'il doit suivre, s'il veut arriver à son terme, et des joies
et des consolations qui l'attendent dès le moment qu'il sera
sous la main du Seigneur ? N'est-ce pas par des coups réitérés
que le manuvre parvient à briser le rocher, et à
en détacher la pierre qui doit entrer dans l'édifice ?
N'est-ce pas par un travail soutenu qu'il parvient à lui donner
la forme et le poli qu'elle doit avoir avant d'être mise place ?
Souviens-toi donc, nouvel homme, à quel
prix tu devras te maintenir dans le poste que le Seigneur t'aura donné.
Moïse disait aux Hébreux : "Si votre
frère, fils
de votre mère, ou votre fils, ou votre femme qui vous est chère,
ou votre ami que vous aimez comme votre
âme, vous veut persuader, et
vous vient dire en secret : allons et servons les
dieux étrangers
qui nous sont inconnus, comme ils l'ont été à vos
pères, les
dieux de toutes les nations, dont nous sommes environnés,
soit de près ou de loin, depuis un bout de la terre jusqu'à
l'autre, ne vous rendez point à ses persuasions, et ne l'écoutez
point, et ne soyez touché d'aucune
compassion sur son sujet,
ne l'épargnez point, et ne tenez point secret ce qu'il aura dit
; mais tuez-le aussitôt. Que votre main lui donne le premier coup, et
que tout le peuple le frappe ensuite."
Nouvel homme, c'est dans toi-même que se peuvent
trouver
tous ces parents infidèles, auxquels il t'est
défendu de pardonner. N'en ménage aucun. Quand ce serait
le plus cher d'entre eux qui tâcherait de s'insinuer dans ton
esprit,
et de t'attirer à un culte trompeur pour quelqu'autre portion
de toi-même que celle où la voix de ton
Dieu s'est fait entendre,
lorsqu'il a allumé lui-même sa lampe vivante dans le
sanctuaire
de ton propre temple, rejette-le loin de ta fureur. Plus tu exerceras
de sévérité envers ces parents séducteurs,
plus tu assureras le règne et la gloire de ton maître, parce
que plus tu conserveras par là l'unité, la simplicité
et la sainteté de ce fils chéri qui doit le représenter
sur la terre.
Accoutume-toi aussi d'avance à embrasser
par un grand coup d'il le cercle que tu dois parcourir, et qui,
non seulement comprend l'éternité, et le temps, avec toutes
les causes de tout genre qui le font mouvoir mais encore toutes les
lois que cette sagesse éternelle a envoyées à l'homme
dès l'instant de sa chute, qu'elle déroule successivement
devant lui, à mesure que tourne la roue des siècles, et
dans lesquelles il peut toujours reconnaître le même
esprit, le même
amour, la même justice, la même bienfaisance, soit qu'il observe ces
lois dans leur premier âge, soit qu'il les observe dans leurs divers
états de développement ; car c'est l'unité qui
les a dictées, c'est aussi l'unité qui les dirige, qui
les fait croître, et qui leur fait manifester leur lumière, lorsque
le temps en est arrivé.
La seule différence, c'est que ces lois
t'ont paru pénibles, et fatigantes tant que tu n'as été
admis qu'à la première enceinte de ce
sanctuaire, parce
que cette enceinte est limitrophe des nations étrangères
contre lesquelles il te fallait continuellement être en garde, au lieu
que quand tu pénétreras dans les enceintes intérieures,
ces lois te paraîtront douces, et calmes comme l'atmosphère de
l'éternité, parce que ce seront elles qui agiront pour
toi, et dans toi, et qui te feront goûter le repos.
C'est là ce sabbat que le Réparateur
dont tu es devenu l'image, et le
frère, a apporté sur
la terre et a désiré qu'il pénétrât dans
le cur de tous les hommes, parce qu'il était lui-même ce
lieu de repos et qu'il savait combien son uvre paraîtrait calme,
et délicieuse, en comparaison de l'uvre compliquée
de tous les
agents inférieurs ; car lorsqu'il dit que l'homme
était maître du sabbat même, il n'entendait guère parler
que de cette uvre laborieuse, et pleine de tourments, qui avait
occupé ci-devant la postérité humaine, et ce divin
Réparateur venait l'abolir pour y substituer l'uvre de
la paix, et le sabbat de l'
amour.
Aussi, que nous dit la sagesse quand nous voulons
contempler nos voies, et les sentiers pénibles de notre retour
vers la lumière ? Elle nous dit dissipez vos ténèbres
matérielles, et vous trouverez l'homme ; dissipez vos ténèbres
spirituelles, et vous trouverez
Dieu. Quand le
chaos de la nature se
débrouilla, l'homme parut comme étant l'organe de la vérité
pour l'administration de l'univers. Quand le
chaos spirituel où
l'homme coupable s'était plongé fut dissipé, le
Réparateur se montra comme étant la vie de l'
esprit, et
le suprême
agent de notre délivrance et de notre régénération.
C'est alors que la source du
fleuve put dire aux
eaux qui s'écoulaient
:
Vous êtes ma génération. C'est alors que se prononcèrent
réellement ces passages prophétiques et figuratifs, répétés
si souvent dans les écritures :
Vous connaîtrez que je suis
le Seigneur ; je serai votre Dieu, et vous serez mon peuple.
Si nous n'avons donc pas dissipé nos ténèbres
matérielles pour trouver l'homme, et nos ténèbres
spirituelles pour trouver
Dieu, comment pouvons-nous sentir en effet
s'accomplir cette vérité en nous, comment pouvons-nous
de nouveau sentir
Dieu engendrer notre
âme, comment pouvons-nous connaître
ce sabbat qui ne se trouve que dans
Dieu, comment pourrons-nous voir
paraître en nous le nouvel homme, comment pouvons-vous voir s'élever
en nous cet édifice, et ce temple impérissable où
le
feu sacré doit
brûler éternellement, et où les
victimes ne doivent pas cesser d'être
immolées pour la manifestation
de la gloire et de la puissance du
Dieu qui ne peut être connu et honoré
que par l'organe de ceux qui sont saints ?
Cependant ne nous abusons point. Nous n'arrivons
ici-bas à cet heureux terme que pour en jouir pour quelques moments
passagers, et par intervalle, vu la privation à laquelle nous
sommes condamnés ; et nous ne pouvons entendre d'une manière
constante, et non interrompue la parole continue qui crée toujours.
Mais n'est-elle pas assez grande cette vérité que nous
pouvons apprendre dès ce monde, savoir: que le cur de l'homme
est la région que la Divinité a choisie pour son lieu
de repos, et qu'elle ne demande qu'à venir l'habiter ? N'est-ce
pas une assez grande vérité pour nous que de savoir que
Dieu n'a choisi un semblable lieu de repos que parce que le cur
de l'homme est
amour, tendresse, et
charité, et que, par conséquent,
ce secret nous découvre la véritable nature de notre
Dieu
qui est d'être éternellement
amour, tendresse et
charité,
sans quoi il ne chercherait pas à habiter chez nous, s'il n'y
devait pas trouver ces indispensables rapports ?
Ame de l'homme, songe donc à te soigner,
et à te nettoyer avec vigilance, puisque tu es destinée
à recevoir un pareil hôte ; songe que tu dois être le miroir
de l'éternel, oui, le miroir, et le reflet actif de son
amour.
Quoique tu ne passes, pour ainsi dire, qu'un
jour sur la terre, tu y
demeures assez longtemps pour observer, et pour connaître non seulement
que tel est le terme de ton existence, mais encore quelle est la voie
qui t'est tracée pour te maintenir dans le poste quel qu'il soit,
qu'il plaît à la sagesse suprême de te confier pendant ce séjour
passager.
Nous voyons que chaque
jour le
Soleil parcourt
un arc de son grand cercle ; nous voyons que chaque
jour cet arc est
le seul qu'il parcourt pour nous, et nous voyons qu'il en suit tous
les points avec une régularité parfaite. Prenons là
l'exemple et la leçon que nous devons suivre. Regardons-nous tous comme
des astres qui ont chacun un arc à parcourir dans la grand
sphère
de l'uvre de notre
Dieu. Depuis le
pôle jusqu'à
la
ligne, quelle que soit notre latitude, parcourons notre arc
avec
fidélité, et sans laisser échapper le moindre
murmure, sans le moindre mouvement de jalousie, ni de désir d'avoir
à paraître sur un climat plus fortuné que celui auquel
nous sommes attachés. Parcourons notre arc comme fait continuellement
le
Soleil, sans examiner si nous brillons sur
l'Arabie heureuse,
ou sur
les sables de l'Afrique, et sur
les déserts
de la Tartarie ; parcourons notre arc, comme lui, en purifiant les
régions qui se trouvent sous nos pas, et en ne laissant jamais
ternir notre éclat par les souillures et les
influences infectes
qui s'élèvent de ces régions.
N'ambitionnons pas d'embrasser dans notre cours
un champ plus vaste que celui qui nous est prescrit ; si un seul homme
avait suffi pour veiller aux besoins de toutes les régions de1'univers,
l'éternelle sagesse n'aurait pas créé ce nombre
incalculable d'individus qui composent la famille humaine.
Soleil divin, toi dans qui tous les
esprits et
toutes les
âmes ont puisé leur existence, toi qui domines sur
le centre de notre monde spirituel, comme le
Soleil élémentaire
domine sur le centre de notre globe, à toi seul appartient le
pouvoir d'éclairer à la fois, comme lui, tous les points
de notre atmosphère, et de balancer le poids des ténèbres
par l'abondance et la vivacité du
jour que tu répands
sur toutes les parties de la région divine que nous habitons
; à toi seul appartient le pouvoir de nous communiquer même cette
portion de lumière que tu charges notre
âme de verser ensuite
sur
les divers climats spirituels où tu nous attaches.
29.
Nous ne sommes encore parvenus dans cet écrit que
jusqu'au second âge du nouvel homme, et nous n'avons point encore ouvert
l'entrée du règne divin, parce que le nouvel homme est encore dans sa
croissance, et n'a point atteint l'âge de sa virilité ; pendant qu'il
croit, faisons ici sur le règne prophétique une observation essentielle
: c'est que les
esprits de Python n'ont point agi sur les
patriarches
et sur les prophètes, comme ils l'ont fait dans tous les temps sur le
genre humain. Abraham, Jacob,
Noé, Moise, David,
Ezéchiel,
Jérémie,
Daniel, ont suivi la voie naturelle dans mille circonstances de leur
vie, où la lumière supérieure se reposait pour eux. On leur montrait
les événements prophétiques les plus éloignés, on leur montrait souvent
même en songe, et puis on les livrait à la loi du temps, et aux ténèbres
naturelles qui enveloppent toute la famille humaine.
Quant à ceux qui furent dépositaires de la loi
sacerdotale, ils avaient le droit de consulter le Seigneur, et d'appliquer
l'Ephod, et le Seigneur seul leur répondait. Mais ces privilèges s'étant
affaiblis par les
iniquités des
prêtres et le règne prophétique n'ayant
eu qu'un temps, les nations de la terre se sont laissé engloutir à la
fois et dans les ténèbres, et dans les abominations pythoniques. Ne
doutons pas même qu'à la fin des temps ces abominations ne deviennent
comme universelles, et que les nations ne descendent presque toutes
sous la direction d'
esprits particuliers et inférieurs, qui n'étant
point liés à la grande source de la lumière, égareront les hommes chacun
de leur côté. Il naîtra une multitude de sciences, de sectes, de prodiges,
et de faits merveilleux qui se combattront les uns et les autres. C'est
là le sens de l'Évangile :
On verra s'élever peuple contre peuple,
royaume contre royaume.
Car toutes ces routes seront autant de divergences
et de subdivisions ; mais la masse corrompue de ces sciences verra toutes
ces parcelles se séparer, et se
dissoudre à mesure qu'elles s'élèveront
; et c'est cet état de
fermentation réciproque, et de
division universelle
entre ces fausses sciences, et entre ces
faux savants qui les fera disparaître
et les dissipera, pour ne laisser régner que la vérité qui sauvera les
restes du monde.
On peut, à certains de ces signes, reconnaître
que ces temps sont déjà ouverts sur la terre, par la multitude de visions,
d'inspirations, d'associations spirituelles qui s'élèvent de toutes
parts, et qui, se dévorant les unes et les autres, se précipitent mutuellement
vers la
destruction. On peut le reconnaître aussi à ce que la plupart
de ces prodiges éloignent d'autant plus l'
esprit de l'homme, de la seule
route simple et intérieure qui puisse le sauver. Aussi nous est-il dit
dans l'
Evangile que malgré toutes ces merveilles prédites pour la fin
des temps,
il n'y aura cependant point de foi sur la terre.
Seigneur, l'
iniquité des hommes serait trop grande
pour ne pas lasser ta patience, et pour ne pas enflammer ta justice
; sûrement, il y a des hommes de paix, et des élus déjà parvenus à ta
demeure sainte, qui par leurs vertus et leur encens te consolent des
abominations accumulées des autres hommes ; c'est par leurs prières
qu'ils te consolent, et retiennent ton bras, en attendant que les mesures
étant comblées, tu fasses éclater ta fureur, qui ne pourra manquer de
se développer, lorsqu'il n'y aura plus de foi sur la terre, puisque
lorsque tu ne trouveras plus d'asile dans le
coeur de l'homme, tu briseras
l'homme dans ta sagesse et dans ta justice, comme un vieil édifice qui
n'est ni sain, ni sûr, et où tu ne pourrais plus habiter.
Mortels, ensevelis dans le sommeil, relevez-vous,
et voyez combien cette fureur sera terrible puisqu'elle doit balancer,
et emporter le poids des
iniquités qui se seront accumulées pendant
toute la durée des siècles, et apprenez d'avance que c'est vous qui
déterminez vous-mêmes la mesure des fléaux et des vengeances que vous
devez faire un
jour tomber sur vous ; apprenez, dis-je, à ne plus blasphémer
votre
Dieu, parce que si vous devez vous attendre à trouver en lui une
justice, et une puissance supérieures à toutes vos abominations, pourquoi
ne croiriez-vous pas également y rencontrer une douceur, et des bienfaits
supérieurs à vos vertus, et à vos mouvements les plus purs, et les plus
animés du
feu de l'
esprit ? Si vous déterminiez vous-mêmes la mesure
de vos maux et de vos tourments, vos avez également le droit de déterminer
vous-mêmes la mesure de vos joies et de vos récompenses, et ne doutez
pas que le
coeur de votre
Dieu n'aimât mieux mille fois vous récompenser
que de vous punir.
Mais vous avez préféré vous livrer à des routes
illusoires et séductrices, vous avez préféré les images de la vérité,
à la vérité elle-même ; bien plus, vous n'avez pas pris le soin d'examiner
de quelle main vous venaient ces images, et sur le brillant de leurs
couleurs, vous avez cru devoir en orner vos habitations, vous avez cru
devoir vous en décorer vous-mêmes, sans songer que vous vous engagiez
par là à observer les lois, les ordonnances et les volontés de celui
qui vous envoyait ces décorations.
Voilà comment les
iniquités se sont glissées sur
la terre, voilà comment se combleront les mesures de l'abomination,
parce que chaque souverain ou plutôt chaque usurpateur ne manquera pas
de répandre abondamment ces trompeuses, mais attrayantes décorations
pour augmenter son règne, et s'attirer la foi, et les
hommages de ceux
qu'il aura subjugués par de semblables prestiges.
C'est par ces voies fausses et erronées qu'il
amène
les hommes à n'avoir de facultés que pour des connaissances de l'ordre
inférieur, qui ne sont elles-mêmes que des apparences mortes et mensongères
; c'est par là qu'il fait que ces sortes de lumières troubles et incertaines
deviennent les seuls
éléments de l'homme, et la seule mesure de son
esprit. Aussi, quel effet peuvent opérer alors sur les hommes, les tableaux
vifs et les
allégories spirituelles envoyées par la vérité ? Cet effet
est nul ou
faux à leurs yeux, ils rapportent le tout à des sciences
inférieures, ou à l'invention de l'
historien ou bien ils n'y voient
rien.
Or, pourquoi ces figures prophétiques si éloquentes,
et ces formes si pittoresques que l'
esprit prend sans cesse, ont-elles
si peu d'empire sur l'
esprit des hommes, si ce n'est parce qu'ils ont
entièrement perdu de
vue les modèles et les grandes vérités et qu'ils
se sont ensevelis dans les images qui ne demandaient pour leur part
aucun effort de leur intelligence, ni de leurs autres facultés morales
et divines ?
Le nouvel homme a déjà vu briller trop clairement
en lui sa propre lumière de son
essence pour ne pas échapper à de pareils
pièges. Il dira avec David (Ps. 15:7, etc.) : "Je bénirai le Seigneur
de m'avoir donné l'intelligence et de ce que, jusque dans la nuit même,
mes reins m'ont repris et instruit. Je regardais le Seigneur, et l'avais
toujours devant mes yeux, parce qu'il est à mon côté droit pour empêcher
que je ne sois ébranlé. C'est pour cela que mon
coeur s'est réjoui,
et que ma langue a chanté des
cantiques de joie, et que de plus, ma
chair même se reposera dans l'espérance, parce que vous ne laisserez
point mon
âme dans l'enfer, et ne souffrirez point que votre saint soit
sujet à la corruption. Vous m'avez donné la connaissance des voies de
la vie, vous me comblerez de joie en me montrant votre visage des délices
ineffaçables sont éternellement à votre droite."
En effet, le nouvel homme est celui qui gardera
soigneusement en lui la parole du Seigneur, de peur qu'il ne la transporte
ailleurs. Il travaillera
jour et nuit pour conserver dans son
coeur
la
chaleur de l'
esprit, et pour en conserver la lumière dans les trésors
de son intelligence. Il regardera le
corps de l'homme comme un vase
d'un puissant métal, qui soutient l'action du
feu sans se briser, et
sans se
fondre. Il se dira : avant que j'eusse reçu sensiblement pour
moi cette naissance spirituelle qui m'éclaire si puissamment sur ma
vraie nature, le Seigneur me comblait cependant de ses biens. Comment
m'abandonnera-t-il après m'avoir donné l'existence ? Il m'a enseigné
à distinguer la joie que nous goûtons en lui; comment ne viendrons-nous
pas tout entiers pour la posséder ? Comment nous contenterions-nous
de la joie qui ne serait attachée qu'aux images, quand nous pouvons
goûter la joie attachée aux réalités, et surtout quand les images nous
sont offertes comme au milieu d'un abîme, et au sein des plus profondes
ténèbres ?
Quelle grâce ne nous faut-il pas d'en-haut, et
quels efforts ne nous faut-il pas faire pour nous tenir fermes sur les
bords du précipice où nous marchons !
Le nouvel homme ne connaît le besoin de ces secours
indispensables, et c'est parce qu'il les a reçus, qu'il se remplit d'
indulgence
et de pitié pour ses malheureux concitoyens qui sont encore dans l'attente.
Il sait que nous ne connaissons
Dieu ici-bas que par les objets
sensibles
; qu'à notre mort nous commençons à le connaître par les
centres
spirituels, mais que ce n'est qu'à notre entière réintégration que
nous le connaîtrons par lui-même. Il voit que c'est une attente qui
décourage les mortels, et qui les mène dans le désert par les sentiers
de l'impatience. Il frissonne de douleur de savoir que la voie du retour
n'est pas, à beaucoup près, si large que la font les hommes, avec toutes
leurs doctrines qui semblent n'être que des recettes empiriques et de
charlatans.
Alors il dit au Seigneur : Ne laissez pas les hommes
dans des voies qui nuisent à votre oeuvre même, que j'ai si grand désir
de voir s'accomplir. Venez au secours de leur faiblesse, puisque vous
seul pouvez les préserver de la mort, et leur donner les
forces et tous
les appuis qui leur manquent. Puis se tournant vers l'
ennemi, il lui
dit : Faut-il que le sang de mon
esprit coule pour assouvir ta soif
et te faire lâcher ta proie ? Le voici : laisse aller mes
frères en
liberté. Ce n'est pas seulement en mon nom que je te parle, c'est au
nom de celui qui vient de me rendre à la vie; mais si tu ne veux pas
croire en mon nom, ni au nom de celui qui m'a envoyé, crois au moins
à l'oeuvre qu'il a faite dans mon être et dont tu ne peux nier la réalité
puisqu'elle t'est prouvée par mon existence que ton oeil ne peut méconnaître
et que tu ne peux t'empêcher de sentir.
30.
Un des plus merveilleux prodiges que l'homme puisse
apercevoir, c'est celui qu'il sent se passer en lui-même, lorsqu'il
fait quelque pas dans la carrière de sa régénération. Ce qu'il éprouve
est comme si toutes les grâces qu'il a reçues se rassemblaient en une
forte union, pour combattre et les obstacles que ses anciennes souillures
ont pu élever en lui, et tous ceux que l'
ennemi a élevés lui-même, et
élève tous les
jours sur ces bases qui sont ses propres oeuvres, et
les fondements de son temple d'
iniquité. L'homme sent que non seulement
on le bénit dans toutes ses substances, mais encore que toutes ses substances
deviennent bénissantes à leur tour, et qu'il peut par le secours de
ces grâces divines qui descendent en lui, devenir un baume bienfaisant,
et répandre partout la plus agréable odeur.
Aussi, son désir et son zèle s'accroissent à ces
douces expériences ; sa prière se transforme, pour ainsi dire en une
sainte fureur, et il veut prendre le
ciel par violence.
Dieu de ma vie,
viens donc vivre dans ma vie, afin que je puisse approcher la mort sans
mourir, mais au contraire afin que je puisse à mon tour faire revivre
la mort, comme tu m'as fait revivre moi-même lorsque j'étais mort.
Hélas ! Les hommes ne se touchent que par la mort
au lieu de, se
toucher par la vie ! Quels étaient les desseins de la
justice, lorsqu'après leur crime elle les a précipités dans l'abîme
terrestre où nous vivons, et qu'elle les a placés les uns auprès des
autres ? C'était pour qu'ils se servissent mutuellement de témoignages
de leur égarement, et de signes de leur misère. C'était pour qu'ils
eussent continuellement devant les yeux le triste tableau de l'horreur
où le péché les avait réduits. C'était pour que chacun d'eux
voyant
son
frère dans les ténèbres, dans l'inquiétude, dans les tribulations,
dans les souffrances et dans les puissances de la mort physique et morale,
il s'attendrît, il
rit un retour sur lui-même, et qu'en reconnaissant
humblement les droits de la justice qu'il verrait exercer avec tant
de constance et de sévérité, il tâchât, par ses larmes et sa pénitence,
d'en calmer le courroux et d'en tempérer la rigueur.
Par ce moyen, les hommes, après s'être servis réciproquement
de témoignages de leur égarement, et de signes de leur état d'
expiation,
auraient pu se servir ensuite les uns aux autres, de signes d'amendement,
de résignation, d'encouragement à la prière pour fléchir la colère divine,
et sans doute ils seraient arrivés bientôt après, à se servir mutuellement
de signes de grâces célestes, de pardons, de consolations, et de jouissances
qui eussent changé pour eux le règne de la mort, et les eussent placés,
en quelque sorte, dans le royaume de la vie, avant même qu'ils eussent
quitté cette région terrestre et mixte, à laquelle l'unité paraît devoir
être si étrangère. N'en doutons pas, telles étaient les
vues de la sagesse
sur la postérité de l'homme puisque cette sagesse ne cherche qu'à remplir
toute la terre.
Mais les hommes ne sont les uns pour les autres,
ni des signes de consolation, ni des signes d'amendement, ils font même
tous leurs efforts pour effacer d'entre eux ces témoignages de leur
égarement, et ces signes de leur misère qu'ils devaient s'offrir réciproquement,
et il ne sont devenus les uns pour les autres, que des réalités actives
d'imprudence, d'orgueil
impie, d'
iniquité, et de corruption pestilentielle.
Nous voyons bien, à la vérité, dans la nature,
le même
air, la même source de vie se communiquer à toutes les plantes,
et cependant les unes nous le rendent rempli de baumes et de parfums,
tandis que d'autres ne le rendent que corrompu et plein d'infection
; mais ce n'est point cette image pénible qui fait la véritable affliction
du nouvel homme, c'est de voir que le malheureux homme offre à nos yeux
le même tableau, et avec des
couleurs cent fois plus choquantes et propres
à jeter la désolation dans toutes les substances de l'
esprit.
La vie divine pénètre les
âmes, comme l'
air pénètre
tous les
corps. Elle pénètre les
âmes pour qu'elles puissent germer
et produire des
fleurs sans nombre, et dignes de parer le
jardin
d'Eden. Mais ces mêmes
âmes, au lieu de remplir l'atmosphère de la douce
odeur des aromates bienfaisantes, ne répandent dans la région de l'homme
que les poisons les plus pénétrants et les élus
fétides.
Pleurons de honte et d'humiliation de nous trouver
si loin de notre patrie ; de nous trouver continuellement serrés et
déchirés par le
cilice de l'
iniquité. Le sang ruisselle de tous nos
pores, et de peur que la douleur ne soit pas assez vive, nous tournons
le
glaive mutuellement dans nos plaies, et nous nous servons tous de
bourreaux les uns aux autres. Amis, amis, bornons-nous à nous servir
réciproquement de sacrificateurs, et efforçons-nous chacun de faire
sortir de l'
âme de nos
frères, des victimes pures, qui puissent être
présentées sur l'
autel des holocaustes.
Voyez ce nouvel homme; il a laissé jusque dans
lui, par 1'organe de ses prières, l'antidote puissant qui seul peut
détruire ces
animaux malfaisants dont le
coeur de l'homme est le repaire.
Il a raclé chaque
jour, comme
Job, la sanie de ses ulcères, avec le
morceau, de pot de terre qui lui restait ; aussi, l'
esprit du Seigneur
est venu renouveler son sang et lui rendre la santé. Aussi, son
âme
deviendra un
jour le trône du Seigneur. Du haut de ce siège superbe,
il étonnera les nations dans sa gloire, il lancera la foudre contre
ses
ennemis, il tracera les lois de sa puissance aux peuples innombrables
qui habiteront dans ses domaines ; il publiera des lois de grâce pour
ceux qui voudront rentrer dans les voies de la vérité ; il distribuera
des prix et des récompenses à ceux qui se seront dévoués au service
de son maître, et qui n'auront respiré que pour la gloire de la maison
du Seigneur.
Veille donc sans cesse, ô homme de paix, ô homme
de désir, pour que le trône soit ferme et inébranlable, puisque si ce
trône n'est pas en état, tu peux par ta négligence, retarder l'oeuvre
et la manifestation des merveilles et des grâces du Seigneur. Que serait-ce
donc si ce trône n'était pas érigé au nom de la vérité ?
Dieu vous dirait,
comme dans
Amos (5:20, etc.) : "Je hais vos fêtes et je les abhorre
; je ne puis souffrir nos assemblées ; en vain vous m'offrirez des holocaustes
et des présents, je ne les recevrai point, et quand vous me sacrifierez
les hosties les plus grasses pour vous acquitter de vos voeux, je ne
daignerai pas les regarder. Otez-moi le bruit tumultueux de vos
cantiques
; je n'écouterai point les airs que vous chantez sur la lyre ; mes
jugements
fondront sur vous comme une
eau qui se déborde, et ma justice comme
un torrent impétueux. Maison d'Israël, m'avez-vous offert des hosties
et des sacrifices dans le désert, pendant quarante ans ? Vous y avez
porté le tabernacle de Moloch, l'image de vos
idoles, et l'étoile de
votre
Dieu qui n'étaient que des ouvrages de vos mains. C'est pour cela
que je vous ferai transporter au-delà de Damas, dit le Seigneur qui
a pour nom le
Dieu des Armées."
Le nouvel homme ne veut pas d'un
Dieu qui soit
ainsi l'ouvrage de ses mains ; voilà pourquoi il n'a d'autre soin, d'autre
désir que de laisser agir sur lui la main du Seigneur. Il la sent pénétrer
jusque dans l'intérieur de son être. Elle commence par réveiller en
lui la sensibilité spirituelle par son approche ; elle lui communique
une nourriture douce et vivifiante, qui flatte son
goût et qui répand
des parfums délicieux pour son
odorat ; ce sont là les premiers sens
spirituels qui prennent naissance dans l'homme, par la main de l'
esprit.
Cette main bienfaisante lui ouvre ensuite les yeux
pour le rendre témoin des merveilles de sa sagesse et de sa puissance
; elle a soin de proportionner pour lui les tableaux à la
jeunesse de
sa
vue, et à la faiblesse de ses organes ; mais, dès qu'il a une fois
les yeux ouverts sur les richesses de la main divine qui lui communique
tous ces trésors, il ne peut plus en détacher ses regards, et il parvient,
par l'usage et le temps, à en discerner encore mieux la valeur et la
richesse.
Cette main divine lui ouvre alors le sens de l'ouie,
pour le convaincre que tous les trésors ne sont pas muets et silencieux
comme les trésors de la terre et son oreille est charmée par l'
harmonie
des concerts qu'elle entend, de même que par l'éloquence vive, lumineuse
et persuasive de toutes les langues dont il, est environné.
Enfin, cette main divine délie la langue même de
ce nouvel homme, afin qu'il puisse prouver à ceux qui lui parlent, qu'il
a le bonheur de les entendre, et qu'il n'a point laissé tomber leurs
paroles. Dès lors, la vie entière de ce nouvel homme va être un accroissement
continuel, et un développement de tous ses sens et de toutes ses facultés
spirituelles, par lesquels il témoignera que l'
esprit est venu en lui,
et qu'il l'a rendu son organe ; il tâchera de persuader ses semblables
que cette main l'
esprit est exclusivement la seule qui puisse faire
toutes ces diverses opérations dans son
âme, comme nous voyons que la
nature est la seule qui les opère dans les sens physiques de notre
corps,
et que nous ne pouvons que nuire à notre conformation à notre régularité,
si nous gênons, en la moindre chose, cette opération de la main divine
; il leur apprendra aussi que le don de la parole est le dernier de
nos sens spirituels que la main divine délie dans notre
âme, comme nous
voyons que la parole matérielle est le dernier développement que reçoivent
les
enfants.