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Le Nouvel Homme

Louis-Claude Saint-Martin
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Colombe


64.

      Rassemblons ici toutes nos puissances, précipitons-nous avec ardeur dans le torrent qui porte avec lui la conviction, parce que sans la conviction, il n'y a point de force et de courage, et que sans la force et le courage, il n'y a point de bonté ni dans notre cœur, ni dans nos œuvres. Rassemblons, dis-je, toutes nos puissances, et disons avec le Réparateur:

      Mon père, l'heure est venue, glorifiez votre fils, afin que votre fils vous glorifie, parce que la gloire, et l'intérêt de la louange de notre père, et notre maître doivent nous animer plus que notre propre gloire, et malheur à celui qui dans sa pensée, dans son amour, ou dans ses œuvres, se compte lui-même un seul instant, puisque cet instant est perdu pour lui comme pour son maître ! Les temps antérieurs ont été sacrifiés à la consommation de notre vanité ; mais l'heure est venue où doivent se faire connaître à la fois la puissance du maître, la faiblesse de l'ennemi, la fidélité du serviteur.

      "Vous lui avez donné puissance sur tous les hommes, afin qu'il donne la vie éternelle à tous ceux que vous lui avez donnés. Or, la vie éternelle consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu véritable, et le Réparateur que vous avez envoyé " La puissance n'est donnée au nouvel homme sur toutes les régions de son être, qu'afin qu'il leur communique la vie éternelle dont il est rempli ; et cette vie éternelle peut-elle être autre chose que de connaître le suprême auteur de la vie dans celui qu'il a envoyé pour le manifester, et de sentir en nous-mêmes, comme cela est donné à tous, l'œuvre effectif de cette naissance spirituelle par la naissance du nouvel homme en nous ; merveille qui pourrait nous combler de joie, mais qui ne devrait pas nous surprendre, si nous avions présent à la pensée, que nous devons être sous tous les rapports, l'image, et la ressemblance de Dieu.

      "Je vous ai glorifié sur la terre... maintenant, glorifiez-moi en vous-mêmes, de cette gloire que j'ai eue en vous avant que le monde fût." Le nouvel homme sent aisément qu'il y a deux gloires, celle qu'il a droit d'attendre de nous quand il nous manifeste la lumière éternelle de la vie, et celle que cette lumière éternelle doit recevoir lorsqu'elle agit elle-même directement en lui. L'une de ces gloires semble être plus réversible à lui-même, qu'à la source dont il descend ; l'autre semble plus réversible à cette source elle-même, voilà pourquoi il désire tant être glorifié de cette gloire-là, parce qu'il brûle uniquement du zèle de la maison de son maître.

      "J'ai fait connaître votre nom aux hommes que vous m'avez donnés après les avoir séparés du monde ; ils étaient à vous, et vous me les avez donnés, et ils ont gardé votre parole ; maintenant ils connaissent que tout ce que vous m'avez donné vient de vous, parce que je leur ai donné les paroles que vous m'avez données, et ils les ont reçues, ils ont reconnu véritablement que je suis sorti de vous, et ils ont cru que vous m'avez envoyé." Cette gloire que le Réparateur a eue dans son père avant que le monde fût, est si grande, que le nouvel homme la demande comme une récompense de ses travaux, comme un lieu de repos pour avoir manifesté la parole ; cette gloire doit en effet être le véritable lieu de repos pour l'esprit de l'homme qui, selon la loi de tout ce qui existe, ne peut trouver de repos que dans la génération de sa propre source en lui-même.

      "C'est pour eux que je prie ; je ne prie point pour le monde, mais pour ceux que vous m'avez donnés, parce qu'ils sont à vous. Tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi, et je suis glorifié en eux." Comment le nouvel homme prierait-il pour le monde, puisque le monde dont il s'agit ici n'est point composé d'hommes, mais du temps, et de l'apparence qui ne peuvent ni enfanter la prière, ni participer aux douceurs de ses fruits ?

      "Je ne suis plus maintenant dans le monde, mais ils sont encore dans le monde, et je m'en vais à vous. Père saint, conservez en votre nom ceux que vous m'avez donnés, afin qu'ils soient un comme nous." Le nouvel homme quoique sorti du monde en esprit, s'occupe des siens qui sont encore dans le monde parce qu'il sait qu'ils y sont encore en danger, jusqu'à ce que l'œuvre soit entièrement accomplie sur eux ; et comme il sait ne pouvoir vivre que par son père, il emploie tout son amour auprès de ce même père qui les lui a donnés, et sans lequel il sait qu'ils ne peuvent pas plus vivre que lui-même.

      "Lorsque j'étais avec eux dans le monde, je les conservais en votre nom. J'ai conservé ceux que vous m'avez donnés, et nul d'eux ne s'est perdu, mais celui-là seulement qui était enfant de perdition, afin que l'Ecriture soit accomplie." La présence du nouvel homme, parmi les siens, est suffisante pour les préserver, aussi si l'homme veillait dans la sainteté sur son cercle, il ne perdrait aucun de ceux qui sont en lui, excepté le fils de perdition qui est également en nous, qui doit même assister à notre régénération, comme il a assisté à notre perte, mais qui ayant assisté avec triomphe à notre perte ne doit pouvoir assister qu'avec honte et confusion à notre délivrance, afin que la justice prononcée contre lui dès l'instant du crime, et promulguée par les Ecritures, soit exécutée dans notre sanctification, comme cela est arrivé à Iscariot qui assista bien à la cène célébrée par le Réparateur, et qui triompha en le livrant aux princes de la synagogue, mais pour qui le sacrifice glorieux de ce Réparateur, ne fût ensuite qu'une honte, et qu'un fléau de plus.

      "Maintenant je viens à vous, et je dis ceci étant encore dans le monde, afin qu'ils aient en eux, la plénitude de ma joie. Je leur ai donné votre parole, et le monde les a haïs... Je ne vous dis point de les ôter du monde, mais de les garder du mal... Sanctifiez-les dans votre vérité... Je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu'ils soient aussi sanctifiés dans la vérité." Que serait la sanctification du nouvel homme, si elle ne s'étendait à tout notre être ? Et que serait la sanctification de tout notre être, si elle ne s'étendait qu'à notre propre cercle ?

      "Je ne prie pas seulement pour eux, mais encore pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole. Afin qu'ils soient un, tous ensemble, comme vous, mon père, êtes en moi, et moi en vous, qu'ils soient de même un en nous, afin que le monde croie que vous m'avez envoyé." Quel autre désir que celui de l'expansion de l'unité peut se faire connaître à celui qui est plein de la vie de l'unité ? Aussi les traits les plus vifs que le nouvel homme éprouve dès qu'il entre dans la voie de sa régénération, ce sont ceux du zèle, et de l'ardeur pour cette expansion de l'unité ; c'est la douleur qui lui occasionne la vue des campagnes d'Israël abandonnées et désertes, de même que le spectacle de tous ceux de ses frères qui sont emmenés en captivité, et languissants dans l'esclavage, et c'est sur lui-même qu'il trouve à éprouver toutes ces diverses impressions, puisque nous ne devons plus oublier que l'homme est à lui seul un univers tout entier, et nous ne devons plus douter que si, à l'image du Réparateur universel, il se trouve en chacun de nous un libérateur particulier, ce n'est que parce qu'il s'y trouve aussi des rois d'Egypte, et de Babylone, qui ne manquent pas de trouver également en nous un peuple coupable qu'ils emmènent journellement en servitude?

      "Je leur ai donné la gloire que vous m'avez donnée, afin qu'ils soient un comme nous sommes un. Je suis en eux, et vous en moi, afin qu'ils soient consommés en l'unité, et que le monde connaisse que vous m'avez envoyé, et que vous les aimez comme vous m'avez aimé." C'est là cette unité effective, et connue en effectivité de ceux qu'elle aime, et qui la cherchent comme l'a fait le nouvel homme. C'est là ce qui les met dans le cas de convaincre le monde que la gloire de cette unité est venue jusqu'à eux, et que par conséquent la voie qui la devait apporter est venue aussi, et a été montrée aux nations.

      "Mon père, je désire que là ou je suis, ceux que vous m'avez donnés y soient aussi avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire que vous m'avez donnée, parce que vous m'avez aimé avant la création du monde." Nouvel homme, contemple ici la gloire que te prépare le Réparateur, afin que tu la prépares toi-même à ton tour à tous les tiens. Ce n'est rien moins que d'être là où est le Réparateur lui-même ; ce n'est rien moins que de contempler sa propre gloire, de percer par là jusqu'à cette lumière qui est au-dessus des temps, de sentir; en t'élevant jusqu'à lui, ce que c'est que d'avoir été aimé de Dieu avant la création du monde ; et de reconnaître par ce moyen, l'immensité du vaste champ que peut embrasser ton antique origine, et ta sainte immortalité.

      "Père juste, le monde ne vous a point connu, mais moi, je vous ai connu, et ceux-ci ont connu que vous m'avez envoyé. Je leur ai fait connaître votre nom, et le leur ferai connaître encore, afin que l'amour par lequel vous m'avez aimé soit en eux, et que je sois moi-même dans eux." Nouvel homme, ne cesse point de faire remarquer à tous les tiens ces dernières paroles du Réparateur, avant qu'il soit livré pour aller consommer son sacrifice ; ne cesse point de leur dire que le terme de tous ses désirs est que l'amour par lequel son père l'a aimé soit dans ses disciples, et qu'il cherche qu'à être en eux pour leur faire parvenir cet amour dont il est aimé de son père, et dont il aime toute la famille humaine. Ne cesse point de leur faire observer qu'il ne leur montre ainsi son amour comme le terme final de toutes ses œuvres et de toutes ses entreprises, que parce que cet amour en est le principe éternel et universel.


65.

      Après avoir ainsi terminé ses instructions, le Réparateur se retire dans la vallée de Gethsemani, ou la vallée de l'Huile, et il entre dans le jardin des Oliviers où il allait ordinairement avec ses disciples. Ce nom de vallée d'Huile est lui-même analogue à l'œuvre de paix que ce Réparateur venait opérer ; et c'est dans ce jardin de pacification où il va être trahi et livré, comme le fut autrefois le premier homme dans le jardin d'Eden, ou de délices, afin que, par ces frappantes correspondances, l'homme intelligent aperçoive les rapports qui existent entre ces diverses époques, et qu'il ne puisse plus douter que le Réparateur n'ait voulu absolument marcher par les mêmes voies que l'homme coupable, mais dans un autre esprit, et dans l'intention de rectifier ces voies, et de rétablir ce que cet homme coupable avait détruit.

      C'est ici, nouvel homme, que le poids de l'œuvre te va paraître accablant ; tu vas commencer à être saisi de tristesse, tu diras à ceux des tiens qui sont les plus près de toi : Mon âme triste jusqu'à la mort, demeurez ici et veillez avec moi. Mais comme l'homme coupable pécha seul, tu les croiras encore trop près de toi, dans l'expiation que tu vas subir, et tu travailleras seul à cette terrible expiation. Tu concentreras toutes tes facultés en toi-même, en raison de la criminelle concentration où l'homme se réduisit par son crime. Cette expiation te paraîtra redoutable que tu diras : Mon père, faites s'il est possible que ce calice passe et s'éloigne de moi. Mais la soumission l'emportant sur ta faiblesse, tu ajouteras : Néanmoins que votre volonté s'accomplisse, et non la mienne !

      Tu reviendras jusqu'à trois fois vers les tiens, et les trouvant chaque fois endormis, comme s'endormirent jadis les trois facultés du premier coupable, tu leur diras : Voici l'heure qui proche, et le fils de l'homme va être livré entre les mains pêcheurs. Dès lors tu recevras le baiser de Juda ; baiser semblable à celui que le premier coupable reçut de l'ennemi dans les fausses promesses d'une grandeur illusoire dont il berça son espérance ; et tu tomberas comme ce premier homme coupable, de celui qui te trahit. Mais le premier homme ne tomba ainsi au pouvoir de ses ennemis que parce qu'il suspendit ses puissances ; et toi, nouvel homme, c'est pour retomber au pouvoir de Dieu que tu vas suspendre les tiennes afin, que tous les ressorts de l'expiation puissent être mis en mouvement.

      Tu n'ignorais pas la loi : quiconque frappera de l'épée périra par l'épée, puisque tu la rappelles à celui qui veut te défendre, et que tu ne veux pas même recourir au secours de ton père qui t'enverrait douze légions d'anges, parce que ton sacrifice doit être volontaire pour t'être utile, puisque le crime du premier homme ne lui a été funeste que parce qu'il avait été volontaire.

      C'est même pour prouver à tes ennemis ton volontaire dévouement que tu les renverseras d'abord par cette seule parole : c'est moi, et qu'ensuite tu te livreras entre leurs mains pour leur montrer d'un côté ta redoutable puissance ; et de l'autre l'énormité de leur crime, puisque malgré ces témoignages évidents de ta puissance ils ont la criminelle impiété de se saisir de toi, et de continuer leurs atrocités contre toi : aussi c'est là ce qui les rendra à jamais indignes de pardon, puisque l'ignorance ne pourra pas leur servir d'excuse. Mais tout cela se fait afin que les paroles des prophètes s'accomplissent. Et même alors les tiens t'abandonnant, s'enfuiront tous, comme dans une énorme douleur, et dans les maux extrêmes, inévitables, et qui tombent déjà sur nous, toutes nos puissances se suspendent, et semblent se retirer de nous.

      Mais devant qui vas-tu paraître ? C'est devant le grand prêtre de la loi du temps, et où se trouvent assemblées toutes les ténèbres, c'est-à-dire, les docteurs de la loi, et les sénateurs, qui, tourmentés par les rayons de vérité qui sont sortis de toi, et qui les humilient, cherchent partout des faux témoignages contre toi pour te faire mourir.

      Tant que le grand prêtre n'emploiera avec toi que la voix de ces faux témoignages, tu garderas le silence, non seulement parce que tu t'es dévoué, mais encore parce que tu sais que l'homme ayant lui-même faussé le témoignage qu'il devait rendre autrefois à la Divinité suprême, c'est une loi de la justice qu'il éprouve la peine du talion, et qu'il soit l'objet des faux témoignages. Mais quand le grand prêtre te commandera par le Dieu vivant, de lui dire si tu es le Christ fils de Dieu, tu montreras ton respect pour ce nom ineffable, et tu lui répondras que tu es l'oint du Seigneur pour opérer ta régénération particulière, comme le Réparateur est l'oint du Seigneur pour la régénération universelle. Tu ajouteras même pour lui faire connaître ta tranquillité au milieu de ses menaces, et ton espérance au milieu de tes tribulations, qu'un jour il verra le fils de l'homme assis à la droite de la majesté de Dieu, qui viendra sur les nuées du ciel.

      Ce grand prêtre de la loi du temps, feindra d'être scandalisé de tes paroles. Dans son hypocrite ignorance, il déchirera ses vêtements en disant : il a blasphémé, qu'avons-nous plus besoin de témoins ? Vous venez vous-mêmes de l'entendre blasphémer. Qu'en jugez-vous ? En étant remplis de l'esprit de leur chef, ils répondront : Il a mérité la mort. Alors tous les adhérents de ce chef ambitieux et jaloux se réuniront contre toi ; ils t'accableront d'insultes et d'outrages ; ils multiplieront contre toi les accusations afin de te troubler dans ton œuvre, et surtout afin de t'empêcher de manifester les titres de la véritable royauté.

      Les ennemis de la paix et de la lumière, en te traitant de la sorte, auront grand soin d'observer quelques points de la loi, afin de parenté fidèles à la justice, tout en égorgeant l'innocence. C'est ainsi que les Juifs, en conduisant le Réparateur chez Pilate pour le livrer à la mort, ne voulurent point entrer dans le palais de ce gouverneur qui n'était pas de leur religion, de peur qu'étant impurs, ils ne pussent manger la Pâque.

      Il y aura bien en toi un homme naturel, dirigé par sa simple raison qui condamnera toutes les injustices que tes ennemis intérieurs dirigeront contre toi. Il essaiera même, comme Pilate, de ne point se prêter à la fureur de tes adversaires, et de leur persuader que c'est injustement, et sans sujet qu'ils t'accusent, et qu'ils te condamnent : mais cet homme même, tu seras obligé de le réduire au silence, parce que c'est le moment où la puissance des ténèbres doit régner, afin que ton sacrifice puisse s'accomplir ; c'est là le moment où le pacifique dévouement du nouvel homme doit se manifester ; et c'est là où il doit sentir ce qu'il en a coûté à la vérité suprême lorsqu'elle s'est vue outragée par l'homme prévaricateur, et où il reconnaîtra qu'il faut qu'il éprouve la même espèce d'injustice qui a été commise lors de la chute.

      Néanmoins, cet homme naturel qui est encore en toi, et qui ne s'aveugle point sur les injustices qui se commettront intérieurement contre toi, se séparera de tes accusateurs, et dira comme Pilate lorsqu'il fit apporter de l'eau, et qu'il se lava les mains devant le peuple : je suis innocent du sang de ce juste ; ce serait en vain qu'il s'opposerait à ta condamnation, ce serait en vain que les rois de la terre, tout en te méprisant, comme Hérode méprisa le Réparateur, diraient cependant qu'ils ne trouvent rien en toi qui mérite la mort ; ce serait en vain qu'ils offriraient de te délivrer au moment de la Pâque, selon l'usage où était le gouverneur de délivrer un criminel à cette époque. Tes ennemis intérieurs ne se contentent pas de te dénoncer comme criminel, ils veulent encore que tu sois crucifié comme tel, tandis qu'au contraire, ils veulent qu'on délivre Barabbas, c'est-à-dire, qu'ils veulent que la grâce tombe sur le coupable, et toute la fureur de la vengeance qu'ils appellent justice, sur l'innocent.

      Nouvel homme, nouvel homme, admire ici cette sainte et profonde économie que la sagesse emploie pour accomplir les desseins qu'elle a formés en faveur de la postérité de l'homme.

      Porte des yeux intelligents sur tous ces faits que le Réparateur a présentés à ta pensée. Pour quel objet était venu ce Réparateur ? N'était-ce pas pour sauver le coupable ? N'était-ce pas pour délivrer l'esclave ? N'était-ce pas pour arracher ta parole aux abîmes qui la retenaient renfermée ? Eût-ce été pour se délivrer lui-même, puisqu'il n'était point sous la loi du péché ?

      Mais la délivrance du coupable ne pouvait avoir lieu sans le sacrifice de l'innocent, puisqu'il fallait présenter un appât à l'ennemi sur lequel il pût décharger sa rage afin de le forcer par là à lâcher sa proie. Voilà pourquoi le Réparateur suspend toutes ses puissances spirituelles pour se livrer à la puissance temporelle des hommes. Il suspend toutes ses puissances spirituelles par son amour et par le désir qu'il a de rendre la vie à ses frères, comme le premier homme avait suspendu les siennes par un cupide orgueil, et par un inique aveuglement ; il se livre à la puissance temporelle des hommes dans un temps marqué où leur loi et leur coutume les autorise à délivrer un criminel ; et tandis qu'il a en lui tous les moyens pour s'arracher aux mains de ses ennemis, il se laisse condamner par eux, et laisse délivrer le voleur. Image temporelle de la délivrance spirituelle qu'il allait opérer sur toute la postérité humaine par la consommation de son sacrifice.

      C'est donc à toi, nouvel homme, de puiser ici les instructions salutaires que cette marche du Réparateur a présentées à ton intelligence ; suspends en toi-même toutes tes puissances spirituelles d'empire et d'autorité, pour ne mettre en œuvre que tes puissances de résignation ; immole sans cesse dans toi l'homme innocent pour la délivrance de l'homme coupable, ou du Barabbas que tu portes dans ton sein. Enfin livre courageusement l'homme illusoire et passager aux mains de tes ennemis ; ils seront eux-mêmes les victimes des maux qu'ils lui feront souffrir ; son sang retombera sur eux et sur leurs enfants ; parce qu'en exerçant leur rage sur l'homme illusoire et passager, ils ouvriront la voie à l'homme réel et régénéré dans la vie, et c'est cet homme réel et régénéré dans la vie qui les couvrira de honte, et les précipitera dans les abîmes.


66.

      Après que ce Réparateur a été couvert d'outrages, après qu'il a été revêtu de toutes les marques de la dérision, après que dans cet état d'humiliation Pilate l'a présenté au peuple et a dit : Voilà l'homme, comme pour nous retracer ce dépouillement ignominieux de toute notre puissance et de toute notre gloire où le crime primitif nous a entraînés, après, dis-je, que tous ces types préparatoires sont accomplis, le Réparateur est livré entre les mains de ses ennemis pour qu'ils le crucifient, et aussitôt ils le conduisent au supplice avec deux voleurs qui doivent être crucifiés en même temps.

      Nouvel homme, pourquoi le Réparateur marche-t-il ainsi au supplice au milieu de deux voleurs, si ce n'est pour montrer qu'il ne venait que pour briser l'iniquité ? Mais quelle est cette iniquité qu'il doit briser ? C'est toi-même, ô âme de l'homme qui t'es transformée en mensonge et en abomination ; car c'est par toi qu'il doit passer aujourd'hui pour aller attaquer l'ennemi comme autrefois il aurait passé par toi pour lui porter des secours et des lumières ; la loi n'a pas changé quoique l'objet de la loi ne soit plus le même. Et toi malheureux mortel, toi que le Réparateur ne craint pas de traverser quoique tu ne sois plus qu'iniquité, tu craindrais de traverser avec lui les iniquités qui t'environnent, ces iniquités que tu ne peux briser et dissoudre sans lui, ces iniquités qu'il vient lui-même dissoudre de concert avec toi, tandis qu'il ne te demande que de se laisser entrer en toi sous la figure d'un criminel, et marcher au supplice avec toi !

      Non, imitons le Cyrénéen qui l'aide à porter sa croix afin que le fardeau en soit moins pesant pour lui. Ouvrons-lui en nous une voie large et spacieuse, laissons-le marcher à son gré au milieu de tous les voleurs qui sont en nous, et baisons dans une sainte et tremblante désolation tous les pas qu'il voudra bien faire en nous, jusqu'à notre Calvaire, afin que par lui et avec lui nous puissions briser et dissoudre toutes les iniquités qui nous environnent, et devenir ensuite des types de sa gloire et de sa lumière, après avoir été si honteusement les instruments de ses humiliations et de ses souffrances.

      Nouvel homme, s'il y a en toi un peuple qui t'accuse et te condamne, il y en aura aussi en toi qui s'attendriront sur ton sort, et qui pleureront de te voir traité, comme scélérat ; mais tu te retourneras vers ce peuple et tu leur diras : "Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes, et sur vos enfants, car le temps s'approche auquel on dira : heureuses les stériles, et les entrailles qui n'ont point porté d'enfants, et les mamelles qui n'en ont point nourri. Ils commenceront alors à dire aux montagnes : tombez sur nous, et aux collines, couvrez-vous. Car si le bois vert est ainsi traité, que sera-ce du bois sec ?"

      Marche donc sur les pas du Réparateur dans ta résignation et dans ta confiance jusque sur ton Calvaire ; laisse-toi crucifier entre les voleurs qui sont dans toi. Si ton exemple et ta douceur ne les convertissent pas tous, peut-être au moins s'en peut-il trouver un qui soit touché de te voir si maltraité malgré ton innocence, et de te voir prier pour tes bourreaux. Peut-être fera-t-il alors un retour sur lui-même, et méritera-t-il par sa récipiscence d'entrer dès aujourd'hui avec toi dans le paradis préparatoire.

      Tu te rempliras donc de l'esprit de l'intelligence pour pénétrer dans l'œuvre et le sacrifice du Réparateur, et pour en faire ensuite l'application à ton sacrifice particulier. Tu verras pourquoi il y avait un jardin où ce Réparateur fut crucifié (Jean 19:41). Puisque tu as déjà compris pourquoi c'est dans un jardin qu'il fut arrêté, comme c'est dans un jardin que le premier homme est devenu coupable.

      Tu verras pourquoi les soldats qui le crucifièrent prirent ses vêtements, et les divisèrent en quatre parts, mais ne voulurent point diviser sa robe, parce que la robe du premier homme n'aurait jamais dû être divisée ; et qu'elle aurait pu répandre l'éclat de sa céleste lumière dans les quatre régions de l'univers.

      Tu verras pourquoi les trois Marie se trouvent au pied de sa croix pendant son supplice comme représentant les trois premiers principes élémentaires dont l'esprit de l'homme qui se régénère est censé être entièrement séparé pour entrer dans la région de l'esprit, la seule qui lui soit naturelle, puisque s'il ne l'avait pas abandonné autrefois, il ne serait jamais né des femmes.

      Tu verras pourquoi les princes des prêtres, les sénateurs, les soldats, et tout le peuple qui passait par là l'accable de mépris, en lui disant que s'il était l'élu de Dieu envoyé pour sauver les autres, il se sauverait lui-même, et que s'il voulait qu'ils crussent en lui, il n'avait qu'à descendre de la croix ; parce qu'ils ignorent qu'il n'a que cette voie cruelle pour accomplir l'œuvre de notre délivrance, puisque nous avons laissé crucifier par le sang et par la matière ce qui était à lui, et ce qui était sorti de lui, et parce que si le Réparateur descendait de la croix, l'œuvre spirituelle serait manquée, quand même les yeux corporels de la multitude se promettraient d'être convaincus par ce prodige.

      Tu n'écouteras donc point cette voix mensongère qui voudrait t'arrêter dans ton œuvre, et te faire descendre de ta croix, et tu t'animeras d'un zèle ardent qui ne connaîtra aucun obstacle et qui ne se donnera aucun repos, que ton œuvre ne s'accomplisse, et que tes yeux spirituels ne soient dessillés par des prodiges cent fois au-dessus de tous ceux que la matière pourrait t'offrir. Par là tu déconcerteras entièrement les projets de l'ennemi de toute vérité, lequel ne cherche qu'à arrêter le progrès des mesures vraies, pour faire procéder ses mesures fausses.

      Comment pourrait-il avancer son œuvre quand il attaque le diamant vif, puisqu'en croyant agir pour son propre avantage, il agit presque toujours contre ? Il a poussé les Juifs à faire mourir le Réparateur, et c'est cette mort qui devait le tuer. Il a poussé les Juifs à demander que le sang de ce Réparateur retombât sur leur tête parce qu'il comptait les perdre par cette imprécation, et c'est ce sang qui devait les sauver. N'ayant pu réussir dans ces deux entreprises, il essaie de le faire tenter par eux en lui demandant de se délivrer lui-même pour les convaincre, et c'est au contraire ce sacrifice qu'il fait de lui-même qui doit les amener à la conviction.

      Nouvel homme, tu étudieras toutes ces sagesses, et tu verras où est la source et le foyer de l'intelligence.

      Tu sauras pourquoi l'inscription qui fut mise au-dessus de la tête du Réparateur, portait : Jésus de Nazareth roi des Juifs, et pourquoi ces mêmes Juifs demandaient que l'on mit seulement qu'il s'était dit : roi des Juifs, parce qu'il eussent été choqués de l'apparence de leur crime si le nom positif était resté, tandis qu'ils ne l'étaient pas du crime même pourvu que la victime eût l'apparence d'être criminelle.

      Tu découvriras aussi des traits de lumière dans cette triple inscription en hébreu, en grec et en latin, parce que cet objet tient particulièrement à la marche que la vérité a voulu suivre sur la terre ; ce n'était point en vain que ces trois langues étaient connues et comme familières à Jérusalem ; et ce n'eut point été seulement pour être entendues des trois nations qui les parlaient, que cette inscription eût été mise ainsi dans les trois langues, si la sagesse n'avait eu des desseins secrets sur ces trois nations ; car il y avait encore à Jérusalem d'autres nations et d'autres tangues ; et ces desseins secrets de la sagesse se sont expliqués en partie aux yeux des hommes les moins attentifs, puisqu'ils ont pu voir l'expulsion des Juifs et la vocation des Grecs et des Romains ; nouvelle image de cette unité qui est continuellement sacrifiée pour la destruction de l'iniquité et pour la délivrance des malheureux qui font leur séjour dans les ténèbres. Mais abandonnant cette recherche particulière à l'histoire spirituelle des peuples dans laquelle doivent se trouver aussi d'immenses trésors d'intelligence et de vérité, tu poursuivras tes observations sur le sacrifice du Réparateur.

      Tu verras pourquoi il dit : J'ai soif. Paroles qui avaient moins de rapport à la soif matérielle que son corps pouvait éprouver, qu'à la soif de la justice, de la force et de la lumière dont, comme homme, il sentait le besoin. Cette soif ne t'étonnera point, parce que te représentant sans cesse dans quelle détresse l'homme dut se trouver depuis qu'il eut abandonné la source éternelle de la vie, il n'est pas surprenant que cette même détresse se fasse sentir à celui qui venait prendre la place de l'homme pour opérer ce que l'homme n'aurait pu opérer seul.

      C'est en ne t'écartant point de la contemplation de ces principes que tu comprendras pourquoi on lui donne du vinaigre à boire, car indépendamment de ce que les interprètes nous apprennent que c'était un usage de donner une potion amère aux criminels, tu verras que l'homme n'en pouvait trouver d'autre après s'être séparé de la source éternelle des eaux vives et pures ; et que le Réparateur en subissant corporellement une loi si rigoureuse à sa matière, donnait en même temps une profonde instruction à la pensée, et traçait la route à l'esprit de ceux qui désirent marcher dans les voies de la régénération.

      C'est même là la dernière épreuve qui termine l'œuvre visible de ce Réparateur ; et il semble que c'est à goûter cette amertume spirituelle, comme on l'a vu au commencement de cet écrit, que consiste réellement le sacrifice et tout le prix de l'expiation, puisque le Réparateur, après avoir pris le vinaigre qui lui fut présenté dans une éponge au bout d'un bâton d'hysope, dit : Tout est accompli. Et ayant baissé la tête, rendit l'esprit.




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