64.
Rassemblons ici toutes nos puissances,
précipitons-nous avec ardeur dans le torrent qui porte avec lui
la conviction, parce que sans la conviction, il n'y a point de
force
et de courage, et que sans la
force et le courage, il n'y a point de
bonté ni dans notre cur, ni dans nos uvres. Rassemblons,
dis-je, toutes nos puissances, et disons avec le Réparateur:
Mon père, l'heure est venue, glorifiez
votre fils, afin que votre fils vous glorifie, parce que la gloire,
et l'intérêt de la louange de notre père, et notre
maître doivent nous
animer plus que notre propre gloire, et malheur
à celui qui dans sa pensée, dans son
amour, ou dans ses
uvres, se compte lui-même un seul instant, puisque cet instant
est perdu pour lui comme pour son maître ! Les temps antérieurs
ont été sacrifiés à la consommation de notre
vanité ;
mais l'heure est venue où doivent se faire
connaître à la fois la puissance du maître, la faiblesse de l'
ennemi,
la
fidélité du serviteur.
"Vous lui avez donné puissance sur tous
les hommes, afin qu'il donne la vie éternelle à tous ceux
que vous lui avez donnés. Or, la vie éternelle consiste
à vous connaître, vous qui êtes le seul
Dieu véritable,
et le Réparateur que vous avez envoyé " La puissance n'est
donnée au nouvel homme sur toutes les régions de son être,
qu'afin qu'il leur communique la vie éternelle dont il est rempli
; et cette vie éternelle peut-elle être autre chose que
de connaître le suprême auteur de la vie dans celui qu'il a envoyé
pour le manifester, et de sentir en nous-mêmes, comme cela est
donné à tous, l'uvre effectif de cette naissance
spirituelle par la naissance du nouvel homme en nous ; merveille qui
pourrait nous combler de joie, mais qui ne devrait pas nous surprendre,
si nous avions présent à la pensée, que nous devons
être sous tous les rapports, l'image, et la ressemblance de
Dieu.
"Je vous ai glorifié sur la terre... maintenant,
glorifiez-moi en vous-mêmes, de cette gloire que j'ai eue en vous
avant que le monde fût." Le nouvel homme sent aisément qu'il
y a deux gloires, celle qu'il a droit d'attendre de nous quand il nous
manifeste la lumière éternelle de la vie, et celle que
cette lumière éternelle doit recevoir lorsqu'elle agit
elle-même directement en lui. L'une de ces gloires semble être
plus réversible à lui-même, qu'à la source
dont il descend ; l'autre semble plus réversible à cette
source elle-même, voilà pourquoi il désire tant
être glorifié de cette gloire-là, parce qu'il
brûle
uniquement du zèle de la maison de son maître.
"J'ai fait connaître votre nom aux hommes que vous
m'avez donnés après les avoir séparés du
monde ; ils étaient à vous, et vous me les avez donnés,
et ils ont gardé votre parole ; maintenant ils connaissent que
tout ce que vous m'avez donné vient de vous, parce que je leur
ai donné les paroles que vous m'avez données, et ils les
ont reçues, ils ont reconnu véritablement que je suis sorti de
vous, et ils ont cru que vous m'avez envoyé." Cette gloire que
le Réparateur a eue dans son père avant que le monde fût,
est si grande, que le nouvel homme la demande comme une récompense
de ses travaux, comme un lieu de repos pour avoir manifesté la
parole ; cette gloire doit en effet être le véritable lieu
de repos pour l'
esprit de l'homme qui, selon la loi de tout ce qui existe,
ne peut trouver de repos que dans la
génération de sa
propre source en lui-même.
"C'est pour eux que je prie ; je ne prie point
pour le monde, mais pour ceux que vous m'avez donnés, parce qu'ils
sont à vous. Tout ce qui est à moi est à vous,
et tout ce qui est à vous est à moi, et je suis glorifié
en eux." Comment le nouvel homme prierait-il pour
le monde, puisque
le monde dont il s'agit ici n'est point
composé d'hommes,
mais du temps, et de l'apparence qui ne peuvent ni enfanter la prière,
ni participer aux douceurs de ses
fruits ?
"Je ne suis plus maintenant dans le monde, mais
ils sont encore dans le monde, et je m'en vais à vous. Père
saint, conservez en votre nom ceux que vous m'avez donnés, afin
qu'ils soient un comme nous." Le nouvel homme quoique sorti
du monde
en
esprit, s'occupe
des siens qui sont encore dans
le monde
parce qu'il sait qu'ils y sont encore en danger, jusqu'à ce que
l'uvre soit entièrement accomplie sur eux ; et comme il
sait ne pouvoir vivre que par son père, il emploie tout son
amour
auprès de ce même père qui les lui a donnés,
et sans lequel il sait qu'ils ne peuvent pas plus vivre que lui-même.
"Lorsque j'étais avec eux dans le monde,
je les conservais en votre nom. J'ai conservé ceux que vous m'avez
donnés, et nul d'eux ne s'est perdu, mais celui-là seulement
qui était
enfant de perdition, afin que l'Ecriture soit accomplie."
La présence du nouvel homme, parmi les siens, est suffisante
pour les préserver, aussi si l'homme veillait dans la sainteté
sur son cercle, il ne perdrait aucun de ceux qui sont en lui, excepté
le fils de perdition qui est également en nous, qui doit même
assister à notre régénération, comme il
a assisté à notre perte, mais qui ayant assisté
avec triomphe à notre perte ne doit pouvoir assister qu'avec
honte et confusion à notre délivrance, afin que la justice
prononcée contre lui dès l'instant du crime, et promulguée
par les Ecritures, soit exécutée dans notre sanctification,
comme cela est arrivé à Iscariot qui assista bien à
la
cène célébrée par le Réparateur,
et qui triompha en le livrant aux princes de la synagogue, mais pour
qui le sacrifice glorieux de ce Réparateur, ne fût ensuite qu'une
honte, et qu'un fléau de plus.
"Maintenant je viens à vous, et je dis ceci
étant encore dans le monde, afin qu'ils aient en eux, la plénitude
de ma joie. Je leur ai donné votre parole, et le monde les a
haïs... Je ne vous dis point de les ôter du monde, mais de les garder
du mal... Sanctifiez-les dans votre vérité... Je me sanctifie
moi-même pour eux, afin qu'ils soient aussi sanctifiés
dans la vérité." Que serait la sanctification du nouvel
homme, si elle ne s'étendait à tout notre être ?
Et que serait la sanctification de tout notre être, si elle ne
s'étendait qu'à notre propre cercle ?
"Je ne prie pas seulement pour eux, mais encore
pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole. Afin qu'ils soient
un, tous ensemble, comme vous, mon père, êtes en moi, et
moi en vous, qu'ils soient de même un en nous, afin que le monde
croie que vous m'avez envoyé." Quel autre désir que celui
de l'expansion de l'unité peut se faire connaître à celui
qui est plein de la vie de l'unité ? Aussi les traits les plus
vifs que le nouvel homme éprouve dès qu'il entre dans
la voie de sa régénération, ce sont ceux du zèle,
et de l'ardeur pour cette expansion de l'unité ; c'est la douleur
qui lui occasionne la
vue des campagnes d'Israël abandonnées
et désertes, de même que le spectacle de tous ceux de ses
frères qui sont emmenés en captivité, et languissants
dans l'esclavage, et c'est sur lui-même qu'il trouve à
éprouver toutes ces diverses impressions, puisque nous ne devons
plus oublier que l'homme est à lui seul un univers tout entier,
et nous ne devons plus douter que si, à l'image du Réparateur
universel, il se trouve en chacun de nous un libérateur particulier,
ce n'est que parce qu'il s'y trouve aussi des rois d'Egypte, et de Babylone,
qui ne manquent pas de trouver également en nous un peuple coupable
qu'ils emmènent journellement en servitude?
"Je leur ai donné la gloire que vous m'avez
donnée, afin qu'ils soient un comme nous sommes un. Je suis en
eux, et vous en moi, afin qu'ils soient consommés en l'unité,
et que le monde connaisse que vous m'avez envoyé, et que vous
les aimez comme vous m'avez aimé." C'est là cette unité
effective, et connue en
effectivité de ceux qu'elle aime,
et qui la cherchent comme l'a fait le nouvel homme. C'est là
ce qui les met dans le cas de convaincre le monde que la gloire de cette
unité est venue jusqu'à eux, et que par conséquent
la voie qui la devait apporter est venue aussi, et a été
montrée aux nations.
"Mon père, je désire que là
ou je suis, ceux que vous m'avez donnés y soient aussi avec moi,
afin qu'ils contemplent ma gloire que vous m'avez donnée, parce
que vous m'avez aimé avant la création du monde." Nouvel
homme, contemple ici la gloire que te prépare le Réparateur,
afin que tu la prépares toi-même à ton tour à
tous les tiens. Ce n'est rien moins que d'être là où
est le Réparateur lui-même ; ce n'est rien moins que de
contempler sa propre gloire, de percer par là jusqu'à
cette lumière qui est au-dessus des temps, de sentir; en t'élevant
jusqu'à lui, ce que c'est que d'avoir été aimé
de
Dieu avant la création du monde ; et de reconnaître par ce
moyen, l'immensité du vaste champ que peut embrasser ton antique
origine, et ta sainte immortalité.
"Père juste, le monde ne vous a point connu,
mais moi, je vous ai connu, et ceux-ci ont connu que vous m'avez envoyé.
Je leur ai fait connaître votre nom, et le leur ferai connaître encore,
afin que l'
amour par lequel vous m'avez aimé soit en eux, et
que je sois moi-même dans eux." Nouvel homme, ne cesse point de
faire remarquer à tous les tiens ces dernières paroles
du Réparateur, avant qu'il soit livré pour aller consommer
son sacrifice ; ne cesse point de leur dire que le terme de tous ses
désirs est que l'
amour par lequel son père l'a aimé
soit dans ses
disciples, et qu'il cherche qu'à être en
eux pour leur faire parvenir cet
amour dont il est aimé de son
père, et dont il aime toute la famille humaine. Ne cesse point
de leur faire observer qu'il ne leur montre ainsi son
amour comme le
terme final de toutes ses uvres et de toutes ses entreprises,
que parce que cet
amour en est le principe éternel et universel.
65.
Après avoir ainsi terminé ses instructions,
le Réparateur se retire dans la vallée de Gethsemani,
ou la vallée de l'
Huile, et il entre dans le
jardin des Oliviers
où il allait ordinairement avec ses
disciples. Ce nom de
vallée
d'Huile est lui-même analogue à l'uvre de paix
que ce Réparateur venait opérer ; et c'est dans ce
jardin
de
pacification où il va être trahi et livré, comme
le fut autrefois le premier homme dans le
jardin d'Eden, ou de délices,
afin que, par ces frappantes correspondances, l'homme intelligent aperçoive
les rapports qui existent entre ces diverses époques, et qu'il
ne puisse plus douter que le Réparateur n'ait voulu absolument
marcher par les mêmes voies que l'homme coupable, mais dans un
autre
esprit, et dans l'intention de rectifier ces voies, et de rétablir
ce que cet homme coupable avait détruit.
C'est ici, nouvel homme, que le poids de l'uvre
te va paraître accablant ; tu vas commencer à être saisi
de tristesse, tu diras à ceux
des tiens qui sont les plus
près de toi :
Mon âme triste jusqu'à la mort, demeurez
ici et veillez avec moi. Mais comme l'homme coupable pécha
seul, tu les croiras encore trop près de toi, dans l'
expiation
que tu vas subir, et tu travailleras seul à cette terrible
expiation.
Tu concentreras toutes tes facultés en toi-même, en raison
de la criminelle concentration où l'homme se réduisit
par son crime. Cette
expiation te paraîtra redoutable que tu diras :
Mon père, faites s'il est possible que ce calice passe et
s'éloigne de moi. Mais la soumission l'emportant sur ta faiblesse,
tu ajouteras :
Néanmoins que votre volonté s'accomplisse,
et non la mienne !
Tu reviendras jusqu'à trois fois vers
les
tiens, et les trouvant chaque fois endormis, comme s'endormirent
jadis les trois facultés du premier coupable, tu leur diras :
Voici l'heure qui proche, et le fils de l'homme va être livré
entre les mains pêcheurs. Dès lors tu recevras le baiser
de
Juda ; baiser semblable à celui que le premier coupable reçut
de l'
ennemi dans les fausses promesses d'une grandeur
illusoire dont
il berça son espérance ; et tu tomberas comme ce premier homme
coupable, de celui qui te trahit. Mais le premier homme ne tomba ainsi
au pouvoir de ses
ennemis que parce qu'il suspendit ses puissances ;
et toi, nouvel homme, c'est pour retomber au pouvoir de
Dieu que tu
vas suspendre les tiennes afin, que tous les ressorts de l'
expiation
puissent être mis en mouvement.
Tu n'ignorais pas la loi :
quiconque frappera
de l'épée périra par l'épée,
puisque tu la rappelles à celui qui veut te défendre,
et que tu ne veux pas même recourir au secours de ton père
qui t'enverrait douze
légions d'
anges, parce que ton sacrifice
doit être volontaire pour t'être utile, puisque le crime
du premier homme ne lui a été funeste que parce qu'il
avait été volontaire.
C'est même pour prouver à tes
ennemis
ton volontaire dévouement que tu les renverseras d'abord par
cette seule parole :
c'est moi, et qu'ensuite tu te livreras
entre leurs mains pour leur montrer d'un côté ta redoutable puissance
; et de l'autre l'énormité de leur crime, puisque malgré
ces témoignages évidents de ta puissance ils ont la criminelle
impiété de se saisir de toi, et de continuer leurs atrocités
contre toi : aussi c'est là ce qui les rendra à jamais
indignes de pardon, puisque l'
ignorance ne pourra pas leur servir d'excuse.
Mais tout cela se fait afin que les paroles des prophètes
s'accomplissent. Et même alors les tiens t'abandonnant, s'enfuiront
tous, comme dans une énorme douleur, et dans les maux
extrêmes,
inévitables, et qui tombent déjà sur nous, toutes
nos puissances se suspendent, et semblent se retirer de nous.
Mais devant qui vas-tu paraître ? C'est devant
le grand
prêtre de la loi du temps, et où se trouvent assemblées
toutes les ténèbres, c'est-à-dire, les docteurs
de la loi, et les sénateurs, qui, tourmentés par les rayons
de vérité qui sont sortis de toi, et qui les humilient,
cherchent partout des faux témoignages contre toi pour te
faire mourir.
Tant que le grand
prêtre n'emploiera avec
toi que la voix de ces
faux témoignages, tu garderas le silence,
non seulement parce que tu t'es dévoué, mais encore parce
que tu sais que l'homme ayant lui-même faussé le témoignage
qu'il devait rendre autrefois à la Divinité suprême,
c'est une loi de la justice qu'il éprouve la peine du talion,
et qu'il soit l'objet des
faux témoignages. Mais quand le grand
prêtre te commandera par le Dieu vivant, de lui dire si tu
es le Christ fils de Dieu, tu montreras ton respect pour ce nom
ineffable, et tu lui répondras que tu es l'oint du Seigneur pour
opérer ta régénération particulière,
comme le Réparateur est l'oint du Seigneur pour la régénération
universelle. Tu ajouteras même pour lui faire connaître ta tranquillité
au milieu de ses menaces, et ton espérance au milieu de tes tribulations,
qu'un
jour il verra le fils de l'homme assis à la droite de la
majesté de
Dieu, qui viendra sur les nuées du
ciel.
Ce grand
prêtre de la loi du temps, feindra
d'être scandalisé de tes paroles. Dans son hypocrite
ignorance,
il déchirera ses vêtements en disant :
il a blasphémé,
qu'avons-nous plus besoin de témoins ? Vous venez vous-mêmes
de l'entendre blasphémer. Qu'en jugez-vous ? En étant
remplis de l'
esprit de leur chef, ils répondront : Il a mérité
la mort. Alors tous les adhérents de ce chef ambitieux et jaloux
se réuniront contre toi ; ils t'accableront d'insultes et d'outrages
; ils multiplieront contre toi les accusations afin de te troubler dans
ton uvre, et surtout afin de t'empêcher de manifester les
titres de la véritable
royauté.
Les
ennemis de la paix et de la lumière,
en te traitant de la sorte, auront grand soin d'observer quelques points
de la loi, afin de parenté fidèles à la justice,
tout en égorgeant l'innocence. C'est ainsi que les Juifs, en
conduisant le Réparateur chez Pilate pour le livrer à
la mort, ne voulurent point entrer dans le palais de ce gouverneur qui
n'était pas de leur
religion, de peur qu'étant impurs,
ils ne pussent manger la Pâque.
Il y aura bien en toi un homme naturel, dirigé
par sa simple raison qui condamnera toutes les injustices que tes
ennemis
intérieurs dirigeront contre toi. Il essaiera même, comme
Pilate, de ne point se prêter à la fureur de tes adversaires,
et de leur persuader que c'est injustement, et sans sujet qu'ils t'accusent,
et qu'ils te condamnent : mais cet homme même, tu seras obligé
de le réduire au silence, parce que c'est le moment où
la puissance des ténèbres doit régner, afin que
ton sacrifice puisse s'accomplir ; c'est là le moment où
le pacifique dévouement du nouvel homme doit se manifester ;
et c'est là où il doit sentir ce qu'il en a coûté
à la vérité suprême lorsqu'elle s'est
vue
outragée par l'homme
prévaricateur, et où il reconnaîtra
qu'il faut qu'il éprouve la même espèce d'injustice
qui a été commise lors de la chute.
Néanmoins, cet homme naturel qui est encore
en toi, et qui ne s'aveugle point sur les injustices qui se commettront
intérieurement contre toi, se séparera de tes accusateurs,
et dira comme Pilate lorsqu'il fit apporter de l'
eau, et qu'il se lava
les mains devant le peuple :
je suis innocent du sang de ce juste
; ce serait en vain qu'il s'opposerait à ta condamnation,
ce serait en vain que
les rois de la terre, tout en te méprisant,
comme Hérode méprisa le Réparateur, diraient cependant
qu'ils ne trouvent rien en toi qui mérite la mort ; ce serait
en vain qu'ils offriraient de te délivrer au moment de la Pâque,
selon l'usage où était le gouverneur de délivrer
un criminel à cette époque. Tes
ennemis intérieurs
ne se contentent pas de te dénoncer comme criminel, ils veulent
encore que tu sois
crucifié comme tel, tandis qu'au contraire,
ils veulent qu'on délivre
Barabbas, c'est-à-dire,
qu'ils veulent que la grâce tombe sur le coupable, et toute la fureur
de la vengeance qu'ils appellent justice, sur l'innocent.
Nouvel homme, nouvel homme, admire ici cette sainte
et profonde économie que la sagesse emploie pour accomplir les
desseins qu'elle a formés en faveur de la postérité
de l'homme.
Porte des yeux intelligents sur tous ces faits
que le Réparateur a présentés à ta pensée.
Pour quel objet était venu ce Réparateur ? N'était-ce
pas pour sauver le coupable ? N'était-ce pas pour délivrer
l'esclave ? N'était-ce pas pour arracher ta parole aux abîmes
qui la retenaient renfermée ? Eût-ce été pour se
délivrer lui-même, puisqu'il n'était point sous
la loi du péché ?
Mais la délivrance
du coupable ne
pouvait avoir lieu sans le sacrifice
de l'innocent, puisqu'il
fallait présenter un appât à l'
ennemi sur lequel il pût
décharger sa rage afin de le forcer par là à lâcher
sa proie. Voilà pourquoi le Réparateur suspend toutes
ses puissances spirituelles pour se livrer à la puissance temporelle
des hommes. Il suspend toutes ses puissances spirituelles par son
amour
et par le désir qu'il a de rendre la vie à ses
frères,
comme le premier homme avait suspendu les siennes par un cupide orgueil,
et par un
inique aveuglement ; il se livre à la puissance temporelle
des hommes dans un temps marqué où leur loi et leur coutume
les autorise à délivrer un criminel ; et tandis qu'il
a en lui tous les moyens pour s'arracher aux mains de ses
ennemis, il
se laisse condamner par eux, et laisse délivrer
le voleur.
Image temporelle de la délivrance spirituelle qu'il allait opérer
sur toute la postérité humaine par la consommation de
son sacrifice.
C'est donc à toi, nouvel homme, de puiser
ici les instructions salutaires que cette marche du Réparateur
a présentées à ton intelligence ; suspends en toi-même
toutes tes puissances spirituelles d'empire et d'autorité, pour
ne mettre en uvre que tes puissances de résignation ;
immole
sans cesse dans toi
l'homme innocent pour la délivrance
de
l'homme coupable, ou du
Barabbas que tu portes dans
ton sein. Enfin livre courageusement l'homme
illusoire et passager aux
mains de tes
ennemis ; ils seront eux-mêmes les victimes des maux
qu'ils lui feront souffrir ;
son sang retombera sur eux et sur leurs
enfants ; parce qu'en exerçant leur rage sur l'homme illusoire et passager,
ils ouvriront la voie à l'homme réel et régénéré
dans la vie, et c'est cet homme réel et régénéré
dans la vie qui les couvrira de honte, et les précipitera dans
les abîmes.
66.
Après que ce Réparateur a été
couvert d'outrages, après qu'il a été revêtu
de toutes les marques de la dérision, après que dans cet
état d'humiliation Pilate l'a présenté au peuple
et a dit :
Voilà l'homme, comme pour nous retracer ce
dépouillement
ignominieux de toute notre puissance et de toute
notre gloire où le crime primitif nous a entraînés, après,
dis-je, que tous ces types préparatoires sont accomplis, le Réparateur
est livré entre les mains de ses
ennemis pour qu'ils le crucifient,
et aussitôt ils le conduisent au supplice avec deux voleurs qui doivent
être crucifiés en même temps.
Nouvel homme, pourquoi le Réparateur marche-t-il
ainsi au supplice au milieu de deux voleurs, si ce n'est pour montrer
qu'il ne venait que pour briser l'
iniquité ? Mais quelle est
cette
iniquité qu'il doit briser ? C'est toi-même, ô
âme
de l'homme qui t'es transformée en mensonge et en abomination
; car c'est par toi qu'il doit passer aujourd'hui pour aller attaquer
l'
ennemi comme autrefois il aurait passé par toi pour lui porter
des secours et des lumières ; la loi n'a pas changé quoique
l'objet de la loi ne soit plus le même. Et toi malheureux mortel,
toi que le Réparateur ne craint pas de traverser quoique tu ne
sois plus qu'
iniquité, tu craindrais de traverser avec lui les
iniquités qui t'environnent, ces
iniquités que tu ne peux
briser et
dissoudre sans lui, ces
iniquités qu'il vient lui-même
dissoudre de concert avec toi, tandis qu'il ne te demande que de se
laisser entrer en toi sous la figure d'un criminel, et marcher au supplice
avec toi !
Non, imitons le Cyrénéen qui l'aide
à porter sa
croix afin que le fardeau en soit moins pesant pour
lui. Ouvrons-lui en nous une voie large et spacieuse, laissons-le marcher
à son gré au milieu de tous les voleurs qui sont en nous,
et baisons dans une sainte et tremblante désolation tous les
pas qu'il voudra bien faire en nous, jusqu'à notre
Calvaire,
afin que par lui et avec lui nous puissions briser et
dissoudre toutes
les
iniquités qui nous environnent, et devenir ensuite des types
de sa gloire et de sa lumière, après avoir été
si honteusement les instruments de ses humiliations et de ses souffrances.
Nouvel homme, s'il y a en toi un peuple qui t'accuse
et te condamne, il y en aura aussi en toi qui s'attendriront sur ton
sort, et qui pleureront de te voir traité, comme scélérat
; mais tu te retourneras vers ce peuple et tu leur diras : "Filles de
Jérusalem, ne pleurez point sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes,
et sur vos
enfants, car le temps s'approche auquel on dira : heureuses
les stériles, et les entrailles qui n'ont point porté
d'
enfants, et les mamelles qui n'en ont point nourri. Ils commenceront
alors à dire aux
montagnes : tombez sur nous, et aux collines,
couvrez-vous. Car si le
bois vert est ainsi traité, que sera-ce
du
bois sec ?"
Marche donc sur les pas du Réparateur dans
ta résignation et dans ta confiance jusque sur ton
Calvaire ;
laisse-toi crucifier entre les voleurs qui sont dans toi. Si ton exemple
et ta douceur ne les convertissent pas tous, peut-être au moins
s'en peut-il trouver un qui soit touché de te voir si maltraité
malgré ton innocence, et de te voir prier pour tes bourreaux.
Peut-être fera-t-il alors un retour sur lui-même, et méritera-t-il
par sa récipiscence d'entrer dès aujourd'hui avec toi
dans le paradis préparatoire.
Tu te rempliras donc de l'
esprit de l'intelligence
pour pénétrer dans l'uvre et le sacrifice du Réparateur,
et pour en faire ensuite l'application à ton sacrifice particulier.
Tu verras pourquoi il y avait un
jardin où ce Réparateur
fut crucifié (Jean 19:41). Puisque tu as déjà compris
pourquoi c'est dans un
jardin qu'il fut arrêté, comme c'est
dans un
jardin que le premier homme est devenu coupable.
Tu verras pourquoi les soldats qui le crucifièrent
prirent ses vêtements, et les divisèrent en quatre parts,
mais ne voulurent point
diviser sa robe, parce que
la robe du
premier homme n'aurait jamais dû être divisée ; et qu'elle
aurait pu répandre l'éclat de sa céleste lumière
dans les quatre régions de l'univers.
Tu verras pourquoi les trois
Marie se trouvent
au pied de sa
croix pendant son supplice comme représentant les
trois premiers principes élémentaires dont l'
esprit de
l'homme qui se régénère est censé être
entièrement séparé pour entrer dans la région
de l'
esprit, la seule qui lui soit naturelle, puisque s'il ne l'avait
pas abandonné autrefois, il ne serait jamais né des femmes.
Tu verras pourquoi les princes des
prêtres,
les sénateurs, les soldats, et tout le peuple qui passait par
là l'accable de mépris, en lui disant que s'il était
l'élu de
Dieu envoyé pour sauver les autres, il se sauverait
lui-même, et que s'il voulait qu'ils crussent en lui, il n'avait
qu'à descendre de la
croix ; parce qu'ils ignorent qu'il n'a
que cette voie cruelle pour accomplir l'uvre de notre délivrance,
puisque nous avons laissé crucifier par le sang et par la matière
ce qui était à lui, et ce qui était sorti de lui,
et parce que si le Réparateur descendait de la
croix, l'uvre
spirituelle serait manquée, quand même les yeux corporels
de la multitude se promettraient d'être convaincus par ce prodige.
Tu n'écouteras donc point cette voix mensongère
qui voudrait t'arrêter dans ton uvre, et te faire descendre
de ta croix, et tu t'animeras d'un zèle ardent qui ne
connaîtra aucun obstacle et qui ne se donnera aucun repos, que ton uvre
ne s'accomplisse, et que tes yeux spirituels ne soient dessillés
par des prodiges cent fois au-dessus de tous ceux que la matière
pourrait t'offrir. Par là tu déconcerteras entièrement
les projets de l'
ennemi de toute vérité, lequel ne cherche
qu'à arrêter le progrès des mesures vraies, pour
faire procéder ses mesures fausses.
Comment pourrait-il avancer son uvre quand
il attaque le
diamant vif, puisqu'en croyant agir pour son propre avantage,
il agit presque toujours contre ? Il a poussé les Juifs à
faire mourir le Réparateur, et c'est cette mort qui devait le
tuer. Il a poussé les Juifs à demander que le sang de
ce Réparateur retombât sur leur tête parce qu'il comptait
les perdre par cette imprécation, et c'est ce sang qui devait
les sauver. N'ayant pu réussir dans ces deux entreprises, il
essaie de le faire tenter par eux en lui demandant de se délivrer
lui-même pour les convaincre, et c'est au contraire ce sacrifice
qu'il fait de lui-même qui doit les amener à la conviction.
Nouvel homme, tu étudieras toutes ces sagesses,
et tu verras où est la source et le foyer de l'intelligence.
Tu sauras pourquoi l'inscription qui fut mise au-dessus
de la tête du Réparateur, portait :
Jésus de
Nazareth roi des Juifs, et pourquoi ces mêmes Juifs demandaient
que l'on mit seulement
qu'il s'était dit : roi des Juifs,
parce qu'il eussent été choqués de l'apparence
de leur crime si le nom positif était resté, tandis qu'ils
ne l'étaient pas du crime même pourvu que la victime eût
l'apparence d'être criminelle.
Tu découvriras aussi des traits de lumière
dans cette triple inscription en hébreu, en grec et en latin,
parce que cet objet tient particulièrement à la marche
que la vérité a voulu suivre sur la terre ; ce n'était
point en vain que ces trois langues étaient connues et comme
familières à Jérusalem ; et ce n'eut point été
seulement pour être entendues des trois nations qui les parlaient,
que cette inscription eût été mise ainsi dans les trois
langues, si la sagesse n'avait eu des desseins secrets sur ces trois
nations ; car il y avait encore à Jérusalem d'autres nations
et d'autres
tangues ; et ces desseins secrets de la sagesse se sont
expliqués en partie aux yeux des hommes les moins attentifs,
puisqu'ils ont pu voir l'expulsion des Juifs et la vocation des Grecs
et des Romains ; nouvelle image de cette unité qui est continuellement
sacrifiée pour la
destruction de l'
iniquité et pour la
délivrance des malheureux qui font leur séjour dans les
ténèbres. Mais abandonnant cette recherche particulière
à l'
histoire spirituelle des peuples dans laquelle doivent se
trouver aussi d'immenses trésors d'intelligence et de vérité,
tu poursuivras tes observations sur le sacrifice du Réparateur.
Tu verras pourquoi il dit :
J'ai soif. Paroles
qui avaient moins de rapport à la soif matérielle que
son
corps pouvait éprouver, qu'à la soif de la justice,
de la
force et de la lumière dont, comme homme, il sentait le
besoin. Cette soif ne t'étonnera point, parce que te représentant
sans cesse dans quelle détresse l'homme dut se trouver depuis
qu'il eut abandonné la source éternelle de la vie, il
n'est pas surprenant que cette même détresse se fasse sentir
à celui qui venait prendre la place de l'homme pour opérer
ce que l'homme n'aurait pu opérer seul.
C'est en ne t'écartant point de la contemplation
de ces principes que tu comprendras pourquoi on lui donne du vinaigre
à boire, car indépendamment de ce que les interprètes
nous apprennent que c'était un usage de donner une potion amère
aux criminels, tu verras que l'homme n'en pouvait trouver d'autre après
s'être séparé de la source éternelle des
eaux vives et pures ; et que le Réparateur en subissant corporellement
une loi si rigoureuse à sa matière, donnait en même
temps une profonde instruction à la pensée, et traçait
la route à l'
esprit de ceux qui désirent marcher dans
les voies de la régénération.
C'est même là la dernière épreuve
qui termine l'uvre visible de ce Réparateur ; et il semble
que c'est à goûter cette amertume spirituelle, comme on l'a vu
au commencement de cet écrit, que consiste réellement
le sacrifice et tout le prix de l'
expiation, puisque le Réparateur,
après avoir pris le vinaigre qui lui fut présenté
dans une éponge au bout d'un bâton d'hysope, dit :
Tout est
accompli. Et ayant baissé la tête, rendit l'esprit.