
7.
La sagesse conduit l'homme par des degrés insensibles afin
de ne pas l'effrayer par l'immensité de la tâche qu'il a à remplir.
Aussi commence-t-elle par dire à l'homme qu'il doit servir d'organe et
de passage à la Divinité tout entière, s'il veut que son
ange jouisse
de la paix et des félicités Divines. Cet avis est si consolant que
l'
âme de l'homme en est comme absorbée dans l'admiration et dans la
joie. Elle pleure de regret, elle pleure d'espérance : c'est comme si
l'image Divine elle-même était venue se dessiner sur toutes ses
substances, et qu'elle eût senti la douce
chaleur de la main qui a
conduit le pinceau ; mais comme c'est là le terme final de l'œuvre,
cette sagesse nous apprend bientôt qu'avant d'atteindre à cet heureux
terme, nous devons voir passer en nous le
Dieu souffrant, puisque lui
seul peut enchaîner tous les
lions voraces, et tous les
serpents qui
circulent en nous, et ne cessent de nous effrayer par leurs
sifflements, ou de nous empoisonner par leur venin.
La sagesse ne nous découvre ce grand
combat que le dernier, afin qu'étant préparés d'avance par les douceurs
qui nous sont promises dans le
Dieu bienfaisant, et par les moyens qui
nous sont offerts dans le
Dieu souffrant, nous puissions nous lancer
plus courageusement dans le champ de bataille, et nous flatter de
remporter la victoire ; car ce n'est qu'après cette victoire que se
tracent en nous les plans du temple et les différentes
divisions qu'il
renferme, parmi lesquelles il en est une par où le
Saint des
Saints se
communique à nous, comme il se communiquait au grand
prêtre dans le
temple de Jérusalem ; ce n'est qu'alors que se confirme en nous, et
l'annonciation de la part de l'
ange, et la
conception par l'opération
de l'Esprit-Saint, d'où nous pouvons espérer un heureux enfantement
Divin, si nous remplissons toutes les conditions dont nous avons déjà
parlé à ce sujet, et qui nous sont imposées à la fois par la sagesse,
et par le besoin de notre propre régénération.
Ce n'est pas que par notre victoire
sur ces
animaux féroces qui tendent journellement à nous dévorer, nous
les ayons entièrement séparés de notre cercle, et qu'ils ne soient plus
liés à notre existence : non, ils y sont liés par la nature de notre
chair et de notre sang ; et ils sont destinés à être entraînés avec
tout notre être dans le cercle passager que nous parcourons, comme
l'abîme est entraîné avec l'univers dans le vaste cercle du temps ;
mais de même que cet abîme est entraîné avec l'univers sans lui nuire
et sans gêner la marche de ces opérations et l'accomplissement de ses
lois, de même la région de nos
animaux dévorants, doit être entraînée
avec nous sans se mêler aux fonctions de notre
esprit, et comme
occupant une demeure séparée, cette région n'existant pour nous, que
comme l'abîme pour l'univers, c'est-à-dire pour faire le contrepoids,
et pour que nous ne remontions pas dans la région de la vie, avant
d'avoir eu le temps de purger nos
éléments spirituels, sans quoi nous
ne serions pas admis dans son sein.
C'est pourquoi nos prières ne sont
encore que des gémissements, des lamentations, et des invocations, au
lieu d'être des contemplations, des commandements, des actions de
grâces, et des jouissances, comme elles auraient dû l'être dans
l'origine, et comme elles le seront à la fin de toutes choses, pour
ceux qui se seront dévoués au maintien de la justice et à l'observation
des lois du Seigneur.
Car, lorsque le premier homme fut
créé,
Dieu ne lui dit point de se lamenter, et de passer sa vie dans
les larmes, il lui dit qu'il l'établissait sur tous les ouvrages de ses
mains ; il lui dit de donner des noms à tous les
animaux ; il lui dit
de remplir la terre et de la dominer ; mais après sa chute, la terre
est maudite, il ne doit plus manger son pain qu'à la sueur de son front
; ainsi la famille humaine n'a plus de ressource et de salut dans la
supplication, et le recours à la
miséricorde du Seigneur, d'autant que
les nouvelles
prévarications des
générations successives, ne font
qu'accroître les maux et la misère de l'homme.
Aussi tous les envoyés ne lui
prêchent-ils autre chose, que de travailler à l'absolu dépouillement de
l'homme de péché, afin que par ses soupirs et ses sanglots, il puisse
obtenir que la parole créante, souffrante, sanctifiante, multipliante,
vienne fonder en lui sa demeure, comme n'y trouvant rien qui la gêne,
qu'elle puisse parler pour lui dans tout ce qui le constitue, et dans
tout ce qu'il a à manifester, c'est-à-dire, qu'elle parle dans la
pensée de l'homme, qu'elle parle dans la parole de l'homme, qu'elle
parle dans toutes les affections de l'homme, qu'elle parle dans tous
ses mouvements, dans toutes ses vertus, dans tous ses
éléments, dans
son sang, dans sa chair, dans tous les organes de sa vie, dans les
aliments dont il se nourrit, dans toutes les substances qu'il emploie à
ses besoins ; et enfin, qu'elle fasse de l'homme une
oraison
universelle ; en un mot, il faut que nous soyons dévorés comme une
proie par toutes les puissances du Seigneur, avant qu'il trouve en nous
sa joie et sa consolation, et que nous ayant consumés en lui-même par
le
feu créateur de sa propre vie, il nous rende de nouveau cette
primitive existence libre, et joyeuse où nous n'avions à former que des
prières de jubilation.
Ô vous, instituteurs humains, combien
vous repentirez-vous un
jour d'avoir abusé les
âmes en les menant par
des voies nulles, figuratives et
illusoires qui leur auront donné un
calme trompeur, en leur procurant des joies extérieures, et en leur
communiquant des ombres de vérités qui les auront empêchées de
travailler au renouvellement du centre de leur être ! Toutes vos
associations emblématiques ne leur auront point communiqué la vie
puisqu'elles ne l'ont point elles-mêmes. Vos associations pratiques
leur auront encore été plus funestes, si ce n'est pas l'
esprit qui les
a convoquées, assemblées, constituées et sanctifiées par ses larmes, et
les prières de sa douleur ; et où sont-elles ces associations qui nous
seraient si salutaires !
Oui, instituteurs aveugles,
ignorants,
ou présumant trop de vos
forces et de vos lumières, vous vous
repentirez un
jour d'avoir abusé les
âmes. Ce n'était point assez que
par l'effet du crime primitif elles fussent sous le joug du septénaire
temporel qui les distrait et les détourne continuellement de la
simplicité de leur ligne, vous les aurez encore plus attirées à
l'extérieur par toutes vos images et vos
symboles, et vous aurez fini
peut-être par les
diviser entièrement, en les éloignant tout à fait de
ce point central et invisible qui est le seul lieu de ralliement que
nous ayons ici-bas dans nos ténèbres. Car l'
âme mal dirigée augmente
encore ses entraves, et la désemboîture de ce septénaire temporel :
c'est ce qui fait que par notre
force, et par notre
impatiente
puissance, nous rendons nous-mêmes notre existence cent fois plus
malheureuse que celle des bêtes.
Vous resterez vous-mêmes alors sous le
joug de ce septénaire temporel, jusqu'à ce que les
âmes que vous aurez
égarées aient pu recouvrer leur propre centre particulier, afin
qu'elles puissent ensuite recouvrer leur centre général : et vous
frissonnerez de honte et de désespoir, tandis que si vous aviez eu plus
de confiance à l'
esprit, vous auriez avoué qu'il n'avait pas besoin de
vos moyens factices et détournés pour se répandre ; et que si vous
aviez eu plus de bonne foi, vous auriez dit qu'il fallait commencer par
chercher vous-mêmes à avoir l'
esprit avant de vouloir mener les autres
à un
esprit que vous n'aviez point.
Oh ! mes amis, prenons garde à un
autre danger qui nous menace tous : c'est d'être traités comme ceux à
qui on redemandera le sang des prophètes ; non pas que nous leur ayons
ôté la vie temporelle, mais pour n'avoir pas profité de leur
esprit
plus que les nations auxquelles ils avaient parlé, ni plus que les
hommes du torrent ; car cet
esprit des prophètes est leur véritable
sang que nous versons à tous les instants, quand nous ne suivons pas
les leçons qu'ils nous ont données, et qu'au bruit de leurs menaces
nous ne rentrons pas sous la domination exclusive du seul, et souverain
être qui est jaloux de tout gouverner lui-même, comme étant le seul qui
ait pu tout créer ; oui, voilà ce véritable sang qui sera demandé à la
famille humaine, non seulement depuis le sang d'
Abel, jusqu'à celui de
Zacharie, mais encore depuis celui de Zacharie, jusqu'à celui qui sera
également versé et profané pendant toute la durée des siècles. Voilà ce
sang que versent tous les
jours les
Pharisiens, les
Scribes, et les
docteurs de la loi qui étouffent sans cesse l'
esprit du prophète, non
seulement sous le poids de la lettre, mais sous le poids de leurs
hypocrites et frauduleuses interprétations, et sous celui de leurs
superstitieuses traditions dans lesquelles la vérité va toujours en
descendant.
Veillons donc
jour et nuit pour que ce
sang de l'
esprit nous soit profitable, veillons pour qu'on ne nous
reproche pas un
jour de l'avoir laissé perdre et couler en vain ;
veillons, car c'est ce sang qui doit servir à la formation et à la
nourriture du fils spirituel conçu en nous par l'opération de la
sagesse sainte.
8.
Quand l'homme prie avec constance,
avec foi, et qu'il cherche à se purifier dans la soif active de la
pénitence, il peut lui arriver de s'entendre dire intérieurement ce que
le réparateur dit à Céphas :
tu es pierre, et sur cette
pierre, je bâtirai mon église, et les portes de l'enfer ne prévaudront
jamais contre elle. Cette opération de l'
esprit dans l'homme
nous apprend qu'elle est la dignité de l'
âme humaine, puisque
Dieu ne
craint point de la prendre pour la pierre fondamentale de son temple ;
elle nous apprend combien nous devons nous nourrir de douces
espérances, puisque cette élection nous met à couvert des puissances du
temps, et plus encore des puissances des ténèbres et des abîmes ; elle
nous apprend enfin ce que c'est que la véritable
église, et que, par
conséquent, nulle part, il n'y a d'
église où cette opération invisible
de l'
esprit ne se trouve pas.
Mais remarquons pour quelle raison
cette opération de l'
esprit constitue la véritable
église ; c'est que
c'est la parole éternelle qui se grave elle-même alors sur la pierre
fondamentale qu'elle choisit, comme le réparateur gravait sa propre
parole sur l'
âme de saint Pierre à qui il parlait face à face. Sans
l'impression de cette parole Divine sur notre
âme, l'
église ne s'élève
point ; comme nous voyons que dans l'ordre temporel les édifices que
les rois se proposent de bâtir ne commencent à s'élever que lorsque,
d'après l'usage reçu, le nom du fondateur est inscrit sur la première
pierre qu'il est censé par là, avoir posée lui-même.
Dès ce moment nous nous trouvons
engagés à veiller soigneusement à la construction spirituelle qui nous
est confiée ; construction qui doit d'autant plus nous attrayer que
nous en trouvons en nous tous les matériaux et que, sous l'inspection,
et avec l'aide de celui qui nous a fait cette annonce, nous pouvons
devenir à la fois, l'architecte, le temple et le
prêtre par qui le
fondateur Divin y sera honoré : nous devons, comme un artiste zélé et
reconnaissant, tracer sur toutes les parties de notre édifice, le nom
de celui qui nous emploie, et ne pas oublier un seul instant que ce nom
sacré, inscrit sur la pierre fondamentale, est aussi celui qui doit
accompagner tous les accroissements que l'
église va prendre en nous,
marquer les décorations extérieures et intérieures, régler les
divisions du temple,
fixer ses
horizons, et prescrire tous les détails
du culte qui doit y être éternellement célébré.
En un mot, l'idée de cet être puissant
doit désormais devenir aussi inséparable de notre œuvre que la pensée
l'est de nos paroles, et de toutes les opérations qui en sont les
fruits. Lors même que nous sentons contrariés dans notre entreprise, ou
que nos
forces se ralentissent, nous avons le droit d'interpeller par
ses propres paroles celui qui nous a dit qu'il voulait fonder sur nous
son
église ; nous avons droit de lui rappeler que sa parole ne peut pas
passer ; comme l'a promis (Isaïe 55)
ma parole qui sort de ma
bouche ne retournera point à moi sans fruit ; mais elle fera tout ce
que je veux, et elle produira l'effet pour lequel je l'ai envoyée.
C'est honorer
Dieu que de se servir ainsi des titres qu'il nous donne
envers lui, et il ne demande pas de nous voir en faire un pareil usage
; et la preuve que c'est l'honorer que d'agir ainsi, c'est que nous ne
tardons pas à recevoir le prix de notre confiance, et que la paix et la
lumière renaissent bientôt dans notre être, quand nous avons employé ce
moyen.
Réveille-toi donc, homme, chaque
jour
avant l'aurore pour accélérer ton ouvrage. C'est une honte pour toi que
ton encens journalier ne fume qu'après le lever du
soleil. Ce n'est
point l'aube de la lumière qui devait autrefois avertir ta prière de
venir
rendre hommage au
Dieu des êtres, et solliciter ses
miséricordes,
c'est ta prière qui devait elle-même appeler l'aube de la lumière et la
faire briller sur ton œuvre, afin qu'ensuite tu puisses du haut de cet
orient céleste la verser sur les nations endormies dans leur inaction,
et les arracher à leurs ténèbres. Ce n'est que par cette vigilance que
ton édifice prendra son accroissement, et que ton
âme pourra devenir
semblable à l'une de ces douze perles qui doivent un
jour servir de
portes à la ville sainte.
Car l'
âme de l'homme a été produite
pour servir à la fois de réceptacle et d'
intermède à la lumière ; et de
même que des vases transparents et remplis d'une
eau limpide, nous
transmettent la douce et vive émanation de ces rayons nombreux qui se
sont rassemblés et préparés dans leur sein, de même notre
âme doit
embrasser les rayons de l'
infini qui sortent du centre de la ville
sainte, et les unir à nos propres facultés qui sont finies, afin que
par cette divine alliance étant nous-mêmes vivifiés, et rendus
resplendissants par la
clarté de ces rayons, nous puissions la faire
sortir de nous, plus rassemblée, plus tempérée, et plus appropriée aux
besoins des peuples que quand elle agit dans sa libre dispersion et
dans sa vaste immensité ; et tel sera l'emploi et la destination des
portes de la Jérusalem future.
Ne te relâche donc point, homme de
désir, car le
Dieu des êtres lui-même ne dédaigne pas de venir faire
alliance avec ton
âme, il ne dédaigne point de venir opérer avec elle
cette divine et spirituelle
génération dans laquelle il t'apporte les
principes de vie, et veut bien te laisser le soin de leur donner la
forme. Si tu voulais t'observer avec attention, tu sentirais tous ces
principes divins de l'
essence éternelle, délibérer et agir puissamment
en toi chacun selon leur vertu et leur caractère ; tu sentirais qu'il
t'est possible de t'unir à ces suprêmes puissances, de devenir un avec
elles, d'être transformé dans la nature active de leur
agent, et de
voir toutes tes facultés s'accroître et s'aviver par de divines
multiplications; tu sentirais ces divines multiplications continuer et
s'étendre journellement en toi, parce que l'impression que les
principes de vie auraient transmise sur ton être les y attirerait de
plus en plus, et qu'à la fin ils ne feraient plus que s'attirer
véritablement eux-mêmes en toi, puisqu'ils t'auraient assimilé à eux.
Tu pourrais alors te faire une idée de
ces joies futures dont tu goûterais déjà les prémices ; tu aurais de
délicieux pressentiments, que grâce aux
miséricordieuses faveurs de
celui qui t'a créé et qui veut bien te régénérer, ton entrée dans la
vie t'est comme cautionnée par lui, et que tu peux dire avec une sainte
sécurité inspirée par lui :
Mon âme ne m'a point été donnée
en vain ; il a daigné la faire renaître pour l'appliquer à l'œuvre
active à laquelle ma sublime émanation me donnait droit de prétendre,
et il me promet encore de me faire recueillir un jour les fruits du
champ que lui-même a bien voulu cultiver par mes mains. Que ce Dieu de
toute puissance et de toute consolation soit à jamais honoré comme il
devrait l'être, et comme il le serait des hommes, s'il leur était plus
connu !
Nous pouvons donc déjà apercevoir les
biens qui nous sont promis si nous perrsévérons à nourrir en nous
l'
esprit de douleur ou plutôt la douleur de l'
esprit, c'est-à-dire,
cette pénétrante amertume cachée au médicament spirituel par où doit
commencer toute notre œuvre ; car n'oublions pas que nous sommes encore
dans les déserts, et que nous n'entrevoyons la terre promise que sur
les récits et les images que nous en offrent les fidèles envoyés qui
l'ont parcourue ; et s'il est consolant pour nous d'avoir à attendre un
si magnifique héritage, ne perdons pas de
vue le seul chemin qui puisse
nous y conduire.
Disons-nous sans cesse les uns aux
autres : le médicament spirituel veut nous rendre la santé, et la vie ;
le
Dieu universel veut passer tout entier par notre être afin de
parvenir jusqu'à l'ami qui nous accompagne ; il veut y passer
souffrant, avant d'y passer dans sa gloire, il veut rompre les liens
qui nous enchaînent dans la caverne des
lions et des bêtes féroces et
venimeuses, il veut régénérer notre parole par l'impression de sa
propre parole, il veut fonder sur notre
âme son
église, afin que les
portes de l'enfer ne prévalent jamais contre elle, il veut s'unir à
nous pour opérer avec nous une
génération spirituelle dont les
fruits
soient aussi nombreux que les étoiles du
firmament, et puissent comme
elles faire briller universellement sa lumière ; et tous ces biens
qu'il veut nous procurer, il veut les réaliser en nous par
l'annonciation de son
ange, et par la sainte
conception de son
esprit,
puisque c'est là le terme final de tous ses desseins et de toutes ses
manifestations : louons-le dans la magnificence de ses merveilles, et
dans l'abondance de ses trésors ; mais que ce soit dans le chemin et en
faisant notre route que nous occupions ainsi notre pensée ; afin que
ces saintes méditations nous servent à
adoucir les fatigues du voyage,
et non pas à nous arrêter.
9.
Comment pourrions-nous cesser de
nourrir en nous l'
esprit de douleur, ou plutôt la douleur de l'
esprit
quand nous considérons la voie temporelle et spirituelle de l'homme sur
la terre ? L'homme est conçu non seulement dans le péché, comme le
disait David de lui-même, mais il est encore conçu par le péché, vu les
ténébreuses
iniquités de ceux qui l'engendrent. Ces ténébreuses
iniquités vont influer sur lui corporellement, et spirituellement
jusqu'à sa naissance. Il naît ; il va recevoir intérieurement le lait
taché de ces mêmes
iniquités, et extérieurement mille traitements
maladroits qui vont déformer son
corps avant même qu'il soit formé ;
des
conceptions dépravées, des langues fausses et corrompues vont
assaillir toutes ses facultés et les épier au passage pour les infecter
dès qu'il les manifestera par le moindre de ses organes.
Ainsi vicié dans son
corps et dans son
esprit avant même d'en avoir l'usage, il va entrer sous la fausse
administration de ceux et celles qui l'environnent dans son premier
âge, qui sèmeront en abondance des
germes empoisonnés dans cette terre
déjà empoisonnée elle-même, et s'applaudiront de lui voir produire des
fruits analogues à cette atmosphère désordonnée devenue leur élément
naturel.
La
jeunesse, l'âge viril ne vont être
qu'un développement successif de tous ces
germes. Un régime physique,
presque toujours contraire à la nature va continuer de presser à contre
sens le principe de sa vie. Un régime moral destructif de toute morale
va nuire encore plus à son être intérieur, et le dévier tellement hors
de sa ligne, qu'il ne croira plus même qu'il en existe une pour lui ;
des doctrines de tout genre vont repousser son
esprit par leur
contrariété, ou ne l'asservir qu'en le trompant ; des occupations
illusoires vont absorber tous ses moments, et lui voiler sans cesse sa
véritable occupation.
C'est ainsi qu'au milieu d'une tempête
perpétuelle, il arrive au terme de sa vie ; et là pour achever de
mettre le sceau sur le décret qui l'a condamné à venir dans cette
vallée de larmes, l'on tourmente son
corps par les procédés d'une
médecine
ignorante, et son
esprit par des consolations maladroites,
tandis que dans ces moments périlleux, cet
esprit ne cherche qu'à
entrer dans sa voie et éprouve peut-être en secret toute la douleur de
s'en voir écarté.
Quand on pense que nous sommes tous
composés de ces
éléments, dirigés par ces mêmes lois, alimentés par ces
désordres, et ces mêmes erreurs, que nous sommes tous
immolés par ces
mêmes tyrans, et que nous immolons nos semblables à notre tour par ces
mêmes armes empoisonnées ; quand enfin on pense que telle est
l'atmosphère qui nous enveloppe et nous pénètre, on craint de respirer,
on craint de se regarder, on craint de se remuer et de se sentir.
Que doit-ce donc être si l'on pénètre
dans l'homme intérieur et spirituel, et si l'on réfléchit aux dangers
qui le menacent et qui sont incomparablement plus effrayants que ceux
qu'il a à craindre de la part des hommes, et des désordres de ce monde
? C'est alors qu'il sent la nécessité d'être jeté d'abord dans le
désert par l'
esprit, c'est-à-dire, de rectifier en lui toutes les
difformités que la maladresse des hommes, et ses propres écarts ont
semées dans son être ; afin qu'étant devenu totalement étranger au
régime de l'illusion, il puisse s'adonner tout entier au combat de
l'
esprit, lequel combat ne commence point ici-bas pour ceux qui sont
livrés au torrent, parce qu'étant entraînés loin du désert, ils ne
savent pas même qu'il y ait un combat à livrer ; aussi voit-on sur cet
article combien d'hommes passent leurs
jours dans la tranquillité !
Mais celui qui a senti l'aiguillon du
désir se lance courageusement dans cette carrière où les dangers et les
puissances ennemies vont l'environner, et l'assaillir
jour et nuit ;
l'ardeur de la victoire lui cache la grandeur du péril et des fatigues
; il est déterminé à tout, parce qu'il sait que les récompenses qui
l'attendent embrassent tout. Il doit donc compter qu'en
entrant dans ce
désert toutes les facultés de son être vont être éprouvées, et qu'il
n'y en a pas une non seulement dans son
corps, mais encore plus dans
son
âme et dans son
esprit, qui ne doive verser des sueurs de sang, et
en
imbiber les différentes terres auxquelles appartiennent ces
différentes facultés ; et cela continuellement jusqu'au
jour de sa
sépulture, parce que tant qu'il demeure sur cette terre de douleur, il
est dans le règne du mensonge, et que celui qui y domine n'oublie rien
pour faire prospérer son empire.
Voilà pourquoi nous ne devons méditer
qu'en marchant et qu'en faisant notre chemin, les merveilles que le
Seigneur veut bien faire briller de temps en temps dans nos ténèbres ;
et sans la plus sérieuse vigilance, ces merveilles mêmes peuvent nous
devenir funestes en ce que notre
ennemi a le pouvoir de s'en emparer et
de les employer à sa gloire, quand nous n'avons pas la sagesse de les
employer à sa molestation ; mystère d'
iniquité qui a comme inondé la
terre.
Mais cependant après être avertis sur
cela comme nous le sommes, ouvrons aussi nos
cœurs à l'espérance et à
la joie, et ayons la confiance que la même main qui nous aura poussés
dans le désert, la même main qui nous aura choisis pour servir de
fondement à son
église, la même main qui aura fait opérer en nous une
conception spirituelle daignera nous accompagner dans l'épreuve, et ne
permettra pas que notre
ennemi altère et souille en aucune manière les
jouissances qu'elle nous réserve. Car ces jouissances doivent être
aussi incalculables, que le sont pour nous les dangers et les fatigues
de l'épreuve que nous avons à subir ; et même elles doivent en faire
plus que la compensation, parce que la
miséricorde l'emporte toujours
sur la justice.
Aussi toutes les facultés de notre
être après avoir versé des sueurs de sang, doivent verser des sueurs de
joie et de délice ; il n'y a pas une seule de nos fibres qui ne doive
devenir un des torrents de la vie, et recevoir sans cesse une
accumulation de trésors qui nous établisse à demeure au milieu de ces
multiplications de lumières, de ces multiplications de confiance, de
ces multiplications de courage, de ces multiplications d'espérances et
de consolations que nous avons déjà eu occasion de peindre, et que l'on
ne peut jamais trop retracer pour ranimer la foi du faible, et même
pour l'entretenir dans celui qui ne l'est pas.
Pour quelle raison nous doit-il
arriver de si grands biens ? C'est que c'est ainsi que la mesure
suprême se fait connaître quand nous l'avons laissé s'emparer en nous
de toutes les mesures. C'est que cette mesure étant la vie par
essence
ne peut communiquer d'autre impression à ceux qui l'approchent ; c'est
que cette mesure ne tend qu'à percer jusqu'à l'unité de notre centre,
pour le gouverner par la même action par laquelle elle se gouverne, et
l'entraîner perpétuellement dans l'identité de son mouvement ; et voilà
le sort qui est réservé à ceux qui auront aimé à manger
du
verbe.