34.
Ces occupations et ces soins du nouvel homme sont
si urgents et si importants qu'il va rester encore un temps dans le
désert pour assurer les fondements de l'uvre. S'il a reçu
la naissance spirituelle, s'il a été nourri du verbe jusqu'à
l'âge de sa mission, c'était pour son propre avantage, et pour
sa délivrance personnelle ; actuellement, il lui faut songer
à l'uvre de son maître. Il lui faut tellement
fermer la
porte inférieure du cur de l'homme, après en avoir
chassé l'
ennemi, que la porte supérieure et divine puisse
s'ouvrir sans inconvénients, et sans craindre ces horribles prostitutions
que cet
ennemi ne cesse de projeter, et de machiner selon tous les moyens
qui sont en lui.
Tel était l'
esprit des trois tentations
par lesquelles il attaqua le Réparateur ; il ne cherchait, sous
l'apparence de la piété et de la foi, qu'à faire
descendre les vertus divines dans sa région, et à les
faire employer à un usage
faux, afin que les
fruits en fussent
tous à l'avantage de ses
vues cupides et criminelles. Tel était,
dis-je, l'
esprit de ces trois tentations, parce que ce prince dés
ténèbres ne marchant point dans la lumière, ne
peut connaître que la même route erronée qu'il a suivie dès
le commencement, et il attaquait le Réparateur, comme il avait
attaqué le premier homme, et comme il attaque journellement tous
les mortels.
Mais le Réparateur, au contraire, se conduit
envers lui comme l'homme aurait dû le faire dans le temps primitif,
comme le nouvel homme se conduira désormais, et comme tous les
mortels devraient se conduire. C'est-à-dire, que se regardant
seulement comme le ministre et le serviteur de
Dieu, il ne peut prendre
sur lui de se déterminer à céder à aucune
proposition quelconque sans l'autorisation de son maître, et il se contente
de rapporter la loi et les volontés de ce maître à celui
qui veut le séduire ; il lui fait entendre par là qu'il
ne peut se rendre légitimement à ce qui lui est suggéré,
et que la volonté de son maître était sa première
loi, il doit la consulter avant d'agir, et la suivre dès qu'elle
lui est connue.
Peut-être même des yeux intelligents trouveront-ils
dans la douceur de cette réponse, et dans la citation des volontés
supérieures, un indice de la manière dont l'homme aurait
dû se diriger dans son état de gloire, et de la fonction qu'il
aurait eu à remplir envers l'être égaré ; car cette
citation de la loi et de la volonté supérieure eût été
une sorte d'instruction que l'homme eût donné au
prévaricateur,
et qui peut-être l'eût engagé à faire un retour sur lui-même,
et à rentrer dans la vérité.
Mais il aurait dû faire cette citation, non pas
comme la fit
Eve en disant au
serpent, en chancelant et déjà
troublée :
Dieu nous a commandé de ne point manger
du fruit de l'arbre qui est au milieu du paradis, et de n'y point toucher,
de peur que nous ne fussions en danger de mourir ; mais avec la
ferme résolution de rester fidèle au précepte,
et de s'opposer par une suite de cette
fidélité à
toutes les tentatives du
prévaricateur. Voilà donc encore
un des
fruits que le nouvel homme peut communiquer à ses
frères,
en attendant les nombreuses récoltes qui sortiront de lui lorsqu'il
aura terminé le cours de ses épreuves et de ses combats
dans le désert.
Ce
fruit est la manière dont nous pouvons
nous délivrer de l'
ennemi lorsqu'il nous tente par quelque proposition
insidieuse, par des images
illusoires et par des insinuations accoutumées.
Disons-lui, comme le nouvel homme :
Je ne suis pas mon maître, je
ne suis que le serviteur de Dieu, c'est à lui que je le renvoie
pour faire juger tes plans et tes propositions. L'
ennemi ne tiendra
pas contre ce langage ; ou, s'il a l'intention de poursuivre ses entreprises
et ses tentatives, il viendra
frapper contre la loi même qui le brisera
et le couvrira de honte et de confusion.
Combien faudra-t-il d'efforts et de soins à
ce nouvel homme avant qu'il ait
fermé ainsi à l'
ennemi
toutes les issues ! Car il ne faut pas qu'il y ait un seul point de
son être où cet
ennemi puisse accomplir le moindre de ses projets
séducteurs, et établir ces fausses joies avec lesquelles
il enchaîne journellement les mortels. Ce sont là ces assemblées
de
jeux et de divertissements où
Jérémie disait
qu'il ne se trouvait point.
Aussi ce nouvel homme vous dira comme
Jérémie
15:15 : " Seigneur, vous qui connaissez le fond de mon cur, souvenez-vous
de moi, venez en moi, et défendez-moi contre ceux qui me persécutent...
Votre parole est devenue la joie et les délices de mon cur,
parce que j'ai porté le nom de votre prophète : ô Seigneur,
Dieu des armées... Je ne me suis point trouvé dans les
assemblées de
jeux et de divertissements.... Je me suis tenu
retiré et solitaire... Pourquoi ma douleur est-elle devenue continuelle...
? C'est pourquoi voici ce que dit le Seigneur : Si vous savez distinguer
ce qui est précieux de ce qui est vil, vous serez alors comme
la bouche de
Dieu. Je vous rendrai à l'égard de ce peuple
comme un mur d'
airain et inébranlable. Ils vous feront la guerre,
et ils n'auront sur vous aucun avantage, parce que je suis avec vous
pour vous sauver et pour vous délivrer... Je vous dégagerai
des mains des méchants, et je vous préserverai de la puissance
des forts."
Rappelons-nous qu'il n'y a pas un seul point de
l'être de l'homme sur lequel ces sublimes paroles ne doivent se prononcer,
et que
Dieu ne demande autre chose,
sinon que le nouvel homme soit en
état de les entendre continuellement. Nous avons été
déjà trop loin pour être étonnés de cette
merveilleuse
miséricorde. La grandeur de l'homme est un témoignage
évident de la grandeur de l'uvre de
Dieu envers la malheureuse
famille humaine; et réciproquement la grandeur de l'uvre
de
Dieu est une démonstration de la grandeur de l'homme. Cette
uvre est telle qu'il suffirait de la contempler et de l'apercevoir
pour renaître, et pour nous rétablir dans les régions
saintes de l'
amour et de la sagesse, de manière que non seulement
le monde des ténèbres et des illusions disparût pour nous,
mais que même tous les mondes de lumière semblassent se trouver
dans notre
âme, comme ils se trouvent dans la pensée de
Dieu.
Ô nouvel homme, combien tu deviens respectable
à tes propres yeux quand tu sens ce qu'opère pour toi
l'auteur des choses ! Il est le
Dieu unique, tu es son fils ; peut-il
y avoir quelque chose qui ne soit divin dans l'uvre qui s'opère
en toi et lui ! Peut-il y avoir quelque chose qui ne soit pas l'acte
même de ton
Dieu ! Aussi
tu ne vivrais pas, et tu serais déjà
mort, si tu ne croyais pas à celui qu'il a envoyé en toi.
En même temps, c'est par cette vive confiance,
c'est par cette
fidélité aux volontés de son maître,
que le nouvel homme va rendre à son être l'activité qui
lui est propre ; il sent qu'il nage dans le sang du Réparateur,
comme dans une mer abondante qui enveloppe tout l'Univers ; il sent
que les
germes engendrés par ce sang ne sont point périssables
comme les
germes terrestres, et produits par les simples puissances
secondaires ; il sent que les
fruits qui en proviennent ne sont point
nuls ni sujets à la loi du temps, et il est dans l'admiration
de les retrouver en lui dans leur vive activité, lors même qu'il
semblait avoir perdu de
vue leur existence ; il sent que leur activité
se communique à son propre
germe, et le dispose à réaliser
toutes leurs
vertus, à l'image et à la ressemblance
de celui qui a bien voulu le choisir pour son
frère.
Aussi il n'a nul doute que ce sang dans lequel
il nage ne rétablisse, dans tous les points de son être, la vie
qui leur manque, et la
force et la sécurité dont ils ont
besoin, pour conserver intact l'intérieur de la place, et échapper
à la fureur de ceux qui l'attaquent et le poursuivent ; car si
son être est l'abrégé universel de tout ce qu'il y a dans
les deux mondes, il faut qu'il recouvre toutes les mesures qui lui appartiennent
sous ce rapport, et qu'ainsi les deux mondes qui sont en lui, rentrent
dans leurs relations, dans leur
justesse et dans leurs propriétés
originelles.
C'est là le sens de sa véritable
réconciliation et régénération ; ainsi il
faut qu'il soit réconcilié en lui avec ces principes et
actions élémentaires, avec toutes les régions temporelles,
avec les deux régions spirituelles, célestes et terrestres,
avec toutes les régions surcélestes, avec toutes les régions
saintes et avec toutes les régions divines; puisque toutes ces
régions-là sont en lui, et qu'elles n'ont pas été
placées en lui pour y demeurer dans l'inertie et dans la mort.
Le premier homme avait laissé dévaster
ces sept domaines par le crime, et nous a exposés tous à
la nécessité de travailler, comme lui, à les réhabiliter
dans nous, avant de travailler à les réhabiliter autour
de nous. L'
agent suprême prêta son secours au premier homme, dès
l'instant du crime, pour l'aider à entreprendre avec succès
le grand uvre de sa réhabilitation. Ce même
agent suprême
ne cesse de prêter son secours au nouvel homme, pour l'aider à
se régénérer dans ses lois, et dans ses mesures
particulières ; c'est pour cela qu'il a vu renaître en lui les
sept canaux qui devaient primitivement le rendre l'instrument actif
de la Divinité, c'est pour cela qu'il s'est retiré dans
le désert, afin de se séparer totalement de ce qui n'avait
point de rapport avec ses
éléments primitifs. Enfin, c'est
pour cela que, rempli de confiance en celui qui ne l'a point perdu de
vue, et dans tous les
germes de régularité, de
force,
de
justesse, de lumières, de sagesse, de puissances et de vérités
que cette main suprême a semés en lui, il va abandonner son désert,
et répandre au-dehors les
fruits que, grâce à la toute
puissance, il a su leur faire produire par sa culture soigneuse et vigilante.
35.
Comment ce nouvel homme paraît-il avoir des rapports
si parfaits, et des droits si actifs sur la nature, au point de pouvoir
changer les substances qui la composent, et de leur donner des propriétés
si puissantes, en comparaison de celles qu'elles annonçaient avant qu'il
eût paru ? C'est qu'il a déjà fait
les noces de Cana.
C'est qu'il a déjà changé en lui
l'eau en vin
; c'est qu'il a déjà revivifié en lui les six urnes,
c'est-à-dire, les six actions élémentaires qui
composent la
circonférence visible de tout ce qui est matière,
et que, par cette revivification, il a donné accès en
lui, à leur principe central et septénaire qui leur donne
le mouvement et la vie, et qui peut la transmettre par leur moyen à
tout ce qui ne l'a pas reçu, et est encore dans le séjour de
la mort, et de l'inaction ; c'est qu'en donnant accès en lui
à ce principe central et septénaire, il a rendu à
sa forme corporelle la propriété originelle qui lui appartient
par sa nature, d'être supérieure à toutes les formes de
l'univers, et de leur prouver sa supériorité ; c'est qu'en
rendant à sa forme corporelle sa propriété originelle,
il peut prouver, à toutes les autres formes que sa destination
primitive fût en effet de produire de pareils résultats, et de
semblables régénérations sur toutes les formes
de la nature qui auraient été soumises à son empire.
Voilà pourquoi rien n'est comparable à
l'imprudence de celui qui essaie de faire des entreprises quelconques
dans cet ordre de choses supérieures, sans avoir commencé
par rendre à sa forme les propriétés essentielles
dont elle devrait être le dépositaire et l'organe ; mais aussi
s'il parvient à rendre à sa forme ses propriétés
originelles, il n'y a point de résultats qu'il n'en puisse attendre,
puisqu'elle est au-dessus de toutes les formes de la nature.
Que serait-ce donc si le nouvel homme était
régénéré dans tout son être ? Il ferait
de plus grandes choses que le Réparateur même, parce que le Réparateur
n'a fait que semer les
germes de l'uvre, et que le nouvel homme
peut entrer en moisson, puisque chaque
jour, la récolte se mûrit.
Le Réparateur a ressuscité des morts individuels ; le
nouvel homme pourra ressusciter des
tribus entières. Le
Réparateur a calmé les flots d'un lac, le nouvel homme
pourra calmer les flots de l'océan. Le Réparateur a rendu
la vie à quelques aveugles, le nouvel homme pourra ouvrir les
yeux à tout ce qui l'entoure. Le Réparateur a délivré
des hommes détenus corporellement par les liens de l'
ennemi,
le nouvel homme pourra rompre, à la fois, toutes les chaînes
de tous les hommes de désirs.
En opérant toutes ces merveilles, il dira
: Seigneur,
c'est à votre nom que toute la gloire en est due,
parce que vous vous êtes humilié pour élever l'homme,
vous n'avez fait que voler légèrement devant lui, comme
l'aigle vole devant ses petits pour leur enseigner à voler à
leur tour et à exercer leurs forces, et vous avez voulu qu'il
devînt, par vos leçons, aussi grand qu'il aurait dû l'être, s'il n'avait
point abandonné l'ancien poste que vous lui aviez confié.
Vous n'avez voulu opérer devant l'homme que dans votre état
d'abaissement, et d'humiliation, afin que, par sa
fidélité
à suivre votre exemple et vos ordonnances, il pût parvenir à
opérer dans votre gloire, et c'est pour cela que vous lui avez
promis qu'il ferait de plus grandes choses que vous. Mais quelque grandes
que soient les uvres qu'il pourra faire, il ne pourra cesser de
célébrer d'autant plus vos louanges, parce que c'est vous
qui l'avez régénéré, et que c'est par vous
seul qu'il a acquis le pouvoir d'opérer en vous.
Tel fut l'
esprit de sagesse et d'humilité
qui dicta la réponse du Réparateur à sa mère
lorsqu'elle lui dit :
Ils n'ont point de vin. Car lorsque le
Réparateur lui répondit :
Femme, qu'y a-t-il de commun
entre vous et moi ? Mon uvre n'est pas encore venue ; il contempla
sa grande puissance par laquelle il devait un
jour ouvrir la source
des
eaux vives dans le
ciel, et voir le
fruit nouveau de la vigne dans
le royaume de son père ; mais les hommes n'étant point
encore préparés à partager divinement ces avantages,
puisqu'ils sont encore sous le joug de l'apparence, il déclare
que son heure n'est point encore venue, et il se borne à laisser
opérer son action, devant eux, sur des substances élémentaires
; opération assez frappante pour les remplir d'étonnement,
et de respect pour celui qui en est l'auteur ; tandis que la sublime
opération divine dont elle est l'image, eût échappé
à leurs regards, et fût devenue entièrement inutile pour
eux.
Cette opération devenait en même temps un
type instructif pour ceux dont l'intelligence avait acquis quelques
développements ; non seulement elle annonçait le renouvellement
de la nature, mais elle fit naître au maître d'hôtel une observation
significative quand il dit à l'
époux :
Tout homme sert
d'abord le bon vin, et après qu'on a beaucoup bu, il en sert
alors de moindre, mais pour vous, vous avez réservé jusqu'à
cette heure le bon vin.
Le sens de cette réponse peut en effet annoncer
la différence du règne de la matière, et du règne
de l'
esprit, parce que le règne de la matière ne va jamais
qu'en dégénérant, puisque son principe, ses moyens,
son terme, tout est borné en elle, et finit par le néant
; au lieu que le règne de l'
esprit ne peut aller qu'en s'accroissant
continuellement, et promet toujours à l'homme de nouvelles jouissances
; or cette différence était clairement indiquée,
puisque c'est le Réparateur lui-même qui avait agi directement,
et spirituellement sur l'
eau dont il avait fait remplir les urnes. En
outre, le sens de l'observation du maître d'hôtel annonçait avec encore
plus de
clarté le caractère, et le terme de la loi ancienne,
et l'
esprit de la loi nouvelle que l'
amour divin venait apporter sur
la terre.
Car cette loi ancienne étant circonscrite
dans les mesures du temps, et proportionnée à l'état
terrestre de la famille humaine, devait subir un terme, et ne pouvait
manquer d'occasionner la satiété quand les besoins spirituels
de l'homme auraient été plus développés,
au lieu que la loi nouvelle, remplaçant l'homme dans la ligne de vie,
devait lui procurer des jouissances toujours croissantes comme l'
infini,
et des trésors toujours plus doux, et plus abondants. Or il n'y
avait que le Réparateur qui pût ainsi apporter le bon vin à
la fin du repas ; et cette uvre fut l'occasion d'une grande joie
dans la région supérieure et divine, car le
grand monde
ne peut manquer d'éprouver un ravissement lorsque le petit monde
entre dans ses mesures particulières, vu le rétablissement
des similitudes qui est le principal désir de ce
grand monde.
Lisons ici une seconde raison pour laquelle le
nouvel homme a acquis tant de droits et de propriétés
si puissantes, et si merveilleuses. C'est que pendant le séjour
qu'il a fait dans le désert, il a appris à connaître le
nom de l'
ennemi qui était attaché à sa poursuite
; il a connu sa région, ses facultés, sa puissance, les
causes éloignées ou prochaines qui l'ont placé
près de lui, le nom et l'autorité des chefs sous lesquels
il agit, ses rapports, ses correspondances, les plans généraux
et particuliers qui lui sont tracés, et les moyens qu'il emploie
chaque
jour pour tâcher de parvenir à ses fins désastreuses
; plus le nouvel homme a fait de profondes découvertes sur le
mobile, et la marche de ce malfaiteur, plus il a été en
état de déranger ses plans et de faire manquer tous ses
pièges, parce que comme l'
esprit de l'homme ne peut rester dans
le néant, et dans le vide d'action, il ne peut non plus éloigner
de lui l'
influence fausse, sans que l'
influence vraie ne le remplisse.
Le nouvel homme a donc reçu aussi dans le désert
la connaissance du nom de celui qui le protège et l'accompagne
dans sa carrière d'épreuves et de combats ; il a connu
non seulement le nom de celui qui le protège, mais le rang qu'il
occupe dans la hiérarchie céleste, ses rapports, ses correspondances,
les vastes desseins que la sagesse lui a confiés pour la direction
de son élève, et les motifs sacrés pour lesquels
cette sagesse l'a envoyé près de lui.
Le
fruit que le nouvel homme a retiré de
toutes ces découvertes, c'est d'avoir laissé pénétrer
en lui une sorte d'impétuosité spirituelle qui s'est emparée
de son courage, de son
amour, de sa parole, de sa pensée et qui
n'est que la correspondance de cette impétuosité divine
avec laquelle l'action supérieure cherche à se précipiter
en nous pour y prendre la place des ténèbres et de la
mort.
Mais il n'a recueilli un pareil
fruit qu'après
avoir éprouvé une sensation, à la fois, bien lamentable
et bien consolante. Car comment contempler avec indifférence
le tableau des malheurs de l'homme et des ressources qui lui sont offertes
contre ces malheurs ! Aussi le nouvel homme, frappé alternativement
par ces deux
forces opposées, est parvenu, par leur comparaison,
à sentir sa dignité, et sa noblesse. Après avoir
frissonné sur les misères de l'homme, il a frissonné
sur sa grandeur, qui ne l'aurait pas rendu si malheureux s'il n'avait
pas eu de si immenses moyens de devenir coupable ; et réciproquement
après avoir frissonné sur la grandeur de l'homme, il a
frissonné sur ces misères ; et c'est par le choc de toutes
ces violentes sensations que l'
âme du nouvel homme s'est mise à
découvert, que le principe supérieur a pu opérer
sur elle un contact puissant qui l'a revivifiée, et qui l'a pénétrée
de cette active et sainte impétuosité qui est le vrai
caractère de la vie.
36.
Le Seigneur a choisi l'
âme de l'homme pour y faire
sa demeure ; il voudrait s'y promener à loisir dans les sentiers
spacieux qu'il s'y est préparés. Il y déploie toute
sa majesté, et pour qu'elle puisse être mieux aperçue, il y fait
briller des astres éclatants dont la lumière répand
une splendeur
ineffable jusque dans les retraites les plus cachées
de cet asile sacré. Il s'y est formé un temple où
ses
Lévites sont employés journellement au culte de leur
Dieu, et à la pratique des cérémonies saintes.
Chaque
jour il y consacre l'
huile de vie qui doit servir à renouveler
perpétuellement les sources sacramentelles de tous les dons de
son
esprit. Il a placé dans le lieu le plus éminent de
ce temple une chaire de vérité ; il y fait asseoir son
envoyé pour annoncer aux nations la parole de joie qu'il puise
dans la langue éternelle.
Moïse, ceux qui étaient assis sur ta chaire,
le Seigneur nous ordonna de les écouter, et de pratiquer ce qu'il
recommandait d'après la loi.
Saint réparateur, tu nous
ordonnas d'écouter tes
apôtres que tu envoyais dans le
monde pour annoncer ta parole, puisque tu ne priais que pour eux, et
pour ceux qui croiraient à leur
prédication. Comment ne
croirions-nous donc pas aux apôtres qui habitent dans le temple de l'homme,
puisque nous avons dû croire aux
prophètes qui ont déjà
prophétisé en lui ?
Comment, dis-je, ne croirions-nous pas aux apôtres
qui habitent dans le temple de l'homme, dans ce temple plus ancien que
les temples temporels des deux alliances, dans ce temple où celui
qui prêche la parole, est non seulement assis sur la chaire de Moise,
et sur la chaire de la seconde loi, niais encore sur la chaire de la
loi primaire, de cette loi assez ancienne pour être assise, elle-même,
sur la chaire de l'unité ?
C'est là cette
montagne sur laquelle le
nouvel homme va monter pour parler à tout le
peuple qui
l'environne, et après qu'il se sera assis, et que toutes ses
pensées se seront rassemblées autour de lui comme étant
ses
disciples, il ouvrira la bouche et leur dira :
"
Bienheureux ceux qui sont assez pauvres
d'
esprit pour se laisser dérober par
leur ennemi secret
leur gloire et leurs avantages temporels, et laisser leur
propre
monde briller au-dessus d'eux, et les plonger dans l'obscurité,
parce qu'étant exclusivement occupés à la recherche
de leur principe et de leur rapprochement de la vérité,
ils se rendront assez semblables à elle pour qu'elle vienne les
visiter, et les rendre par là possesseurs du royaume des cieux,
dans le temps même que
leur propre monde, où l'homme de
péché qui est lié à eux les croira dans
l'indigence et, l'
ignominie !"
"Bienheureux ceux qui ne s'offenseront point des
efforts et des tentatives que cet homme de péché fera
pour leur nuire ; mais qui seront tellement occupés à
la culture de
leur terre, qu'ils ne se laissent pas même distraire
par les reproches qu'il leur fera intérieurement d'être sans
lumières, sans éclat, sans honneur, sans richesses, sans
estime à ses propres yeux qui ne font qu'un avec les yeux du
monde ! C'est avec justice que
la terre leur sera donnée,
qu'elle leur appartiendra, et qu'ils la posséderont, puisqu'ils
en auront gagné la possession par une culture si exclusive, et
par des soins aussi assidus."
"Bienheureux ceux dont l'homme intérieur
est dans les larmes, et dont le cur est tourmenté par l'abondance
de l'amertume ! C'est une preuve que la parole du Seigneur est descendue
en eux, et qu'elle y comprime toutes les substances de mensonge ; c'est
une preuve que la parole s'est imprégnée elle-même de
leurs douleurs jusqu'à en être gonflée ; c'est une preuve
qu'ils ont senti les pleurs de la parole de vie qui s'est répandue
dans l'
âme des prophètes de tous les temps, qui n'a cessé
de parler par eux des pleurs des
prêtres, des pleurs de la terre d'Israël,
des pleurs des voies de
Sion, des pleurs du rempart et de la muraille,
des pleurs de la récolte de la vigne, des pleurs des habitations
des pasteurs, qui s'est transformée en larmes de sang, dans l'uvre
du Réparateur, qui s'est empressée de recommander à
l'homme de laisser librement pleurer la parole en lui, et de pleurer
abondamment avec elle, puisque ce n'est qu'ainsi que le péché
sortira de lui pour y être remplacé par la joie pure, par le
sentiment actif de la
liberté de sa nouvelle existence, et par
les plus douces et les plus
ineffables consolations de la vie."
"Bienheureux ceux qui sont affamés et altérés
de la justice, qui auront aimé leur
être jusqu'à
se déterminer à goûter la mort, pour lui fournir les moyens
de goûter la vie, et pour se mettre en état de prononcer le
jugement
qui est remis à tous les
enfants des hommes ! Car le vieil homme
est toujours en litige avec l'homme nouveau, et si l'homme intérieur
prononce avec
force le
jugement et l'arrêt contre le vieil homme, l'homme
nouveau n'est-il pas sur le champ remis dans tous ses droits, comme
cela arrive dans les contestations des hommes par le seul effet de la
sentence des
juges de ce monde ? L'effet n'en doit-il pas être plus
grand dans les choses qui tiennent à un ordre vif ? Et n'est-ce
pas là le vrai moyen qui est offert à l'homme d'être rassasié
de la justice ?"
"Bienheureux ceux qui sentent que nul autre qu'eux-mêmes
ne peut leur faire une réelle offense, puisque nul autre qu'eux-mêmes
ne peut percer jusqu'à leur
essence ? Il seront uniquement occupés
à leur propre surveillance, et à ne pas souffrir qu'ils
se fassent eux-mêmes le moindre toit et le moindre outrage ; et cette
sévérité sans borne les absorbera tellement, comme
étant la seule nécessaire et la seule utile pour eux,
qu'ils seront naturellement disposés à être
miséricordieux
envers les autres, puisque les autres ne peuvent pas les offenser. Par
cette véritable et vivifiante
indulgence envers les autres, le
nouvel homme peut leur faire naître le désir de se surveiller
eux-mêmes à leur tour, et les ramener par là à
la vie de leur
être qui consisterait à ne se faire à
eux-mêmes aucune offense ; et voilà de quelle manière
il obtiendra que
Dieu soit
miséricordieux à son égard,
s'il était assez malheureux que de s'oublier au point de l'offenser."
"Bienheureux ceux qui auront assez purifié
leur cur pour qu'il puisse servir de miroir à la divinité,
parce que la divinité sera elle-même un miroir pour eux ! Le
nouvel homme ne doute pas que par ce moyen il ne parvienne intérieurement
à voir
Dieu, parce qu'il sait que tel était l'objet de
l'existence de l'homme primitif ; en conséquence il posera des
sentinelles à toutes les avenues de son
être pour empêcher
qu'aucune
influence altérée ne pénètre jusqu'à
lui, et ne ternisse l'éclat de ce miroir divin qu'il porte en
lui. Ces sentinelles seront fidèles à garder leur poste,
parce que c'est avec autorité que l'homme peut les placer, et
qu'elles ne peuvent manquer de remplir avec soin leurs fonctions, lorsqu'il
se détermine à leur en prononcer les ordres."
"Bienheureux ceux qui soupirent après la
paix de l'
esprit, et qui y marchent par le sentier des uvres pacifiques,
en ne se livrant à aucun des partis opposés et furieux
qui se battent journellement dans l'homme ! En se délivrant ainsi
de la tourbe tumultueuse de leur propre monde, ils prendront pour leur
père le souverain auteur de la tranquillité suprême, et
de l'éternelle paix, et deviendront par là les légitimes
enfants de
Dieu, puisqu'ils manifesteront le caractère distinctif
de cette source où ils ont puisé la naissance et qui ne
peut manquer d'être calme, puisqu'elle est perpétuellement remplie
du sentiment inaltérable de son infinité, de son éternité,
de son universalité. Ainsi ils pourront dire à leurs
ennemis
: tremblez, fuyez, vous ne pouvez rien contre moi, parce que je porte
en moi un nom qui signifie le fils de votre
Dieu."
"Bienheureux ceux qui souffrent la persécution
pour la justice ! Ils ressemblent à ceux qui sont pauvres d'
esprit,
et c'est la même récompense qui leur est réservée
; car il n 'y a que le nouvel homme qui souffre de persécution
pour la justice, attendu qu'il n'y a que lui qui soit affamé
de la justice, et que l'
ennemi laisse tranquille tous les autres, puisque
les autres ne le troublent point, ne le révoltent point, et ne
le gênent point dans ses mesures fausses et injustes ; mais quand la
lampe est mise sous le boisseau, elle décèle les malfaiteurs
qui s'étaient cachés dans la maison, et elle les oblige
ou à fuir, ou à entrer en combat avec le maître du logis
pour empêcher qu'il ne les dénonce, et qu'il ne les livre à
la justice. Quelles persécutions, et quels combats le nouvel
homme n'aura-t-il donc pas à éprouver puisqu'il allume
des lampes dans tous les lieux de sa maison, et qu'il
anime contre lui
à la fois tous les malfaiteurs qui s'y étaient introduits
et qui la menaçaient d'une grande ruine ? Mais aussi quelles réjouissances,
et quelles consolations ne doit-il pas se promettre pour avoir si bien
surveillé la maison qui lui a été confiée,
puisque cette maison est la maison du Seigneur ? Le
ciel même sera sa
récompense, puisque le
ciel n'attendait que le moment où
cette maison serait ainsi nettoyée et purgée des malfaiteurs
pour venir y faire son habitation."