52.
Des
vertus diverses et
nombreuses nous environnent, et cherchent à pénétrer
jusque dans nous. Chacune d'elles dirige son souffle salutaire sur l'un
de nos organes, de même que par notre parole nous transmettons
à ceux qui nous écoutent les différents mouvements
dont nous sommes animés. L'une de
ces vertus qui est supérieure
à toutes les autres, dirige son souffle divin sur le centre même
de notre être, et par l'organe de la parole dont elle est le principe,
elle transmet en nous sa propre vie, son propre
amour, sa propre lumière
:
Philippe, celui qui me voit, voit mon père (Jean, 14:9).
Tel est le langage que le nouvel homme peut tenir
à ses disciples,
à l'instar du Réparateur ; parce qu'il cherche comme lui
à transmettre sa propre vie par le souffle de sa bouche et par
l'organe de sa parole à toutes les facultés de son être.
Mais ce nouvel homme doit multiplier et varier
sans nombre son action et sa parole selon les différentes régénérations
qu'il lui faut opérer en lui-même ; aussi tantôt il se
montre environné de gloire et de puissance pour remplir les
peuples
d'admiration pour son nom et pour la grandeur de ses uvres ; tantôt
il se peint comme une victime dévouée au salut
du peuple,
et comme un être de réprobation exposé à
toutes les insultes et à tous les mépris
de ses ennemis.
Tantôt il se peint comme l'ami, le sage instituteur de ses
frères
à qui il distribue les divers préceptes qui leur conviennent
pour se diriger dans la carrière. Tantôt il se peint comme l'homme
de douleur, et même comme l'homme de péché, en employant
sans cesse ses larmes et ses sanglots pour fléchir la
miséricorde.
C'est là ce qui rend si variés les
caractères et les nuances qui doivent le manifester aux yeux
des siens ; et voilà pourquoi il est si méconnaissable
aux yeux de ceux qui ne sont vivants que dans l'extérieur. Il
leur échappe, ou il leur paraît contradictoire pour n'avoir pas
la monotone uniformité des êtres de matière qui
n'ont qu'une seule action à opérer, qui par conséquent
ne reçoivent qu'une seule réaction et laissent passer en vain
au-dessus d'eux et autour d'eux toutes les autres réactions qui
ne sont point de leur classe inférieure, et dont ils ne s'aperçoivent
même pas ; tandis que ce nouvel homme est en butte à la
fois à toutes les réactions destructives dont il faut
qu'il se défende, et à toutes les réactions régénératrices
dont il faut qu'il se laisse pénétrer, auxquelles il faut
qu'il corresponde, et dont il faut encore qu'il transmette les
fruits
et les
vertus salutaires à tout le cercle particulier
qui le compose.
C'est aussi cette même raison qui rend si
variés et si imperceptibles les caractères de tous les
écrits qui annoncent le Réparateur, et où tantôt
il instruit, tantôt il se voile, tantôt il se lamente, tantôt il se
félicite de ses triomphes, tantôt il s'offre comme victime, tantôt
il se donne pour exemple à l'homme et aux nations.
L'homme de régénération semble
avoir été conçu sous le règne
patriarcal, il paraît
être au berceau au temps de David, où on lui donne une
nourriture proportionnée à son âge ; il paraît être
dans l'adolescence sous les prophètes où sa nourriture
devient plus forte et ses mouvements plus déterminés,
et il semble être à l'âge viril sous le Réparateur
qui l'affranchit et 1'émancipe des entraves de la minorité
; c'est à la mort de le remettre au rang des anciens et des princes
du peuple pour en obtenir la vénération et les respects
qui sont
dus aux sages vieillards.
C'est par cette marche toujours croissante que
le Réparateur a développé le cours de ses manifestations
sur la terre. La loi et les prophètes ont duré jusqu'à
Jean ; depuis ce temps-là le royaume de
Dieu est annoncé,
et il souffre qu'on le prenne par violence. L'
agneau sacré avait
été figuré par les sacrifices de l'ancienne loi
; l'ecclésiastique et les prophéties nous l'avaient désigné
comme devant rendre la paix à la terre. Jean est le premier qui
(comme nous l'avons dit, n°41) ait fait connaître visiblement le Réparateur
sous le caractère de l'
agneau qui venait ôter les péchés
du monde. C'est par sa bouche que sont passés l'annonce et le
signalement des nations.
Ce même Jean dans l'Apocalypse nous montre
cet
agneau sous un rapport encore plus vaste. Il nous le montre
immolé
depuis le commencement du monde ; il nous le montre ouvrant les sept
sceaux, siégeant sur le trône de
Dieu, célébrant
les noces divines, et servant de lampe et de lumière au temple
du Seigneur.
Hommes curieux, et avides d'intelligence, suivez
dans cette chaîne la progression de la
miséricorde, et voyez
par quelle abondance de paix et de félicités tout doit
se terminer; mais n'oubliez pas que ceux qui auront suivi le modèle
dans ses sacrifices, dans ses humiliations, et dans sa pénitence,
seront les seuls qui le pourront suivre un
jour dans sa gloire. Je ne
crains point de vous assurer que c'est dans les Ecritures où
vous trouverez le guide éclairé qui vous fera parcourir
tous les sentiers de ces diverses progressions, et toutes les merveilles
que ces diverses époques renferment. Mariez donc continuellement
vos principes immortels avec les vérités des Ecritures
saintes, et vous verrez croître dans vous, et autour de vous
de nombreuses
générations.
Vous êtes cet
époux muni de tous les
avantages de la fortune, puisqu'il a l'oreille et les faveurs de son
maître, et l'Ecriture est une
épouse toujours rayonnante des
grâces de la beauté et de la
jeunesse. Quelles délices
peuvent se comparer à celles qui sont réservées
à la tendresse de vos deux curs ?
Vous pourrez trouver dans les Ecritures ce miroir
interne dans lequel nous devrions nous regarder sans cesse ; vous pourrez
y trouver le tableau fidèle de ces régions paisibles qui
auraient dû être éternellement votre demeure; vous y trouverez
ces sources vives qui, s'accumulant continuellement contre les obstacles
que l'
iniquité leur oppose, ne peuvent manquer de les renverser
et d'en triompher ; vous y trouverez le plus grand secret qui puisse
être communiqué à l'homme dans ce bas monde, qui
est d'apprendre à ouvrir vos propres facultés à
ces vertus bienfaisantes qui vous environnent et vous recherchent
à tous les instants, et par là de parvenir à en
être pénétrés plus profondément, plus
universellement, de façon que cette union vous devenant habituelle,
vous ne sortiez plus de leur
sphère, et que vous vous formiez
sur la terre une demeure céleste et durable.
Vous y apprendrez comment seront traités
un
jour vos
ennemis, ou cette Babylone, qui selon Isaïe (47),
n'a
point eu de miséricorde pour ses captifs, qui a aggravé
son joug sur le vieillard, et qui a dit : Je dominerai éternellement...
Il n'y a personne qui me voie... Je suis la seule, et après moi
il n'y en a point d'autre. Vous y verrez que cette fille des Chaldéens
ne sera plus appelée la reine du monde, que les deux maux dont
elle se croyait à couvert,
la viduité et la stérilité,
lui viendront la fois dans le même jour, qu'elle ne saura
point d'où lui tous ces maux. Et on lui dira : "Reste avec tes
enchanteurs, avec la multitude de tes
maléfices dans lesquels
tu t'es exercée dès ta
jeunesse, essaie s'ils te serviront
à quelque chose, et si tu en deviendras plus forte... qu'ils
demeurent et qu'ils te sauvent ces augures du
ciel qui contemplaient
les astres, qui supputaient les mois, afin de pouvoir t'annoncer les
choses qui devaient t'arriver. Ils sont devenus comme de l'étoupe,
le
feu les a dévorés, ils ne délivreront point
ton
esprit des
flammes ; ainsi périront tous les arts dans lesquels
tu as employé tant de travaux ; ceux qui étaient tes
agents
dès ta
jeunesse ont erré chacun dans leurs voies il n'en
est pas un qui puisse te sauver."
Mais vous, hommes de désir, qui suivez les
traces du vieil homme, vous aurez le discernement de préférer
aux enchanteurs la voie simple des Ecritures qui lie naturellement l'homme
à
Dieu. Qui pourrait compter sur les faits produits par des opérations
forcées ? Ils sont enfantés par la violence, ils doivent
disparaître lorsque le règne de la paix vient à se montrer
; mais avant cette époque, il leur faudra un temps pour qu'ils
s'effacent, et que les opérants puissent rentrer dans la route
des
fruits naturels. Cette attente sera douloureuse, en ce qu'elle tiendra
l'homme dans la privation. Heureux encore si ces
fruits ne sont que
prématurés, et s'ils ne sont pas viciés dans leurs
éléments, ou piqués
des insectes malfaisants
!
53.
Si tu demandes au nouvel homme quand est-ce que
tu pourras comme lui goûter les consolations dont il ne cesse de te
parler, il te répondra :
C'est lorsque tu ouvriras ton oreille
aux gémissements de ceux qui soupirent après les sentiers
; les voix de tous ces hommes de désir, forment une longue
chaîne de sons lugubres et douloureux qui est comme l'annonce des beaux
jours d'Israël. Cette longue chaîne, le nouvel homme en a mesuré
toute l'étendue ; et cette mesure se trouve dans l'intervalle
du sabbat septenaire au sabbat huitenaire ou
dominical.
Le fils d'Isaïe était le type de ce sabbat,
non seulement parce qu'il était le dernier des huit
enfants de
son père, mais encore parce qu'il prit cinq pierres avec sa fronde,
et qu'il attaqua et vainquit le
géant. Il ne voulait point se
servir
des armes étrangères, elles embarrassaient
sa marche et ses mouvements qui devaient être libres comme ceux
de l'
esprit et de la sainteté.
Homme de désir, dites donc sans cesse avec
le nouvel homme : Seigneur quelle est la parole dont les sons s'élèvent
jusqu'à toi ; c'est celle que tu réveilles dans l'homme,
en descendant jusqu'au fond de son être : tu frappes et tu t'insinues
jusque dans les bases de son temple, et tu fais sortir de lui des cris
de louange, des cris de jubilation ou des cris de douleur, selon les
substances qu'il a laissé s'accumuler ou se développer
en lui, et qui se présentent à ton action.
Hélas, il faut auparavant que ton
feu dessèche
le
fleuve des paroles mortes et sans vie ! Ce
fleuve coule sur un
lit
pestilentiel, dont il dérobe le fond à nos yeux, et qui
n'en devient par là que plus funeste. Il
coule sur le
lit des
paroles mortelles, et dont les sons ne se propagent que dans une direction
opposée à celle de la vérité.
Pourquoi les
eaux du
fleuve des paroles mortes
n'absorbent-elles pas au moins les vapeurs des paroles mortelles ? C'est
qu'il s'en laisse infecter lui-même, et il répand ensuite
cette infection dans l'atmosphère ; et c'est dans ce triste et
malheureux séjour d'horreur et de disette, que l'homme est néanmoins
tenu de payer les rétributions légitimes qui sont dues
à son souverain.
Mais, remplissez-vous de confiance, vous tous,
hommes de l'
esprit, songez que celui qui a bien voulu régénérer
le nouvel homme a payé lui-même
cette rétribution
au prince, et qu'il l'a payée pour tous ceux qui s'unissent
à lui dans l'
esprit de justice et d'équité dont
il a donné l'exemple. N'a-t-il pas dit à ses
disciples
:
Allez-vous en à la mer, et jetez votre ligne ; et le premier
poisson qui s'y prendra, tirez-le, et lui ouvrez la bouche, vous y trouverez
une pièce d'argent de quatre drachmes, que vous prendrez et que
vous leur donnerez pour vous et pour moi ?
Quelle était cette mer ? C'est cet abîme
dans lequel le crime primitif nous a tous plongés. Quelle était
cette ligne qui s'y devait jeter ! C'est ce rayon de
miséricorde
et d'
amour, que la main du pêcheur n'a pas craint, du haut de
son siège éternel, de faire descendre jusque dans cette
mer si distante de lui et si ténébreuse. Quel était
ce premier poisson qui s'y devait prendre ? C'était ce vieil
homme qui tenait renfermé dans ses entrailles, le seul trésor
avec lequel nous pouvons payer l'imposition. Quelle est cette pièce
d'
argent de quatre drachmes qui devait se trouver dans la bouche de
ce poisson ? C'est cette parole éternelle dont le quaternaire
de l'homme est l'image ; c'est cette parole qui seule pouvait régénérer
la nôtre, et qui seule pouvait payer pour elle comme pour nous, à
César, ce qui était dû à
César.
Homme de paix, voilà sur quoi doit reposer
votre confiance. La drachme est retrouvée, ne vous séparez
point de celui qui la fait sortir du fond de la mer, et vous serez toujours
prêts a vous acquitter, parce qu'il a rendu la valeur et la vie
à ce qui était mort et sans
vertu en vous. Le nouvel
homme a aussi retrouvé cette drachme, il a saisi avidement la
ligne qui se présentait, il est sorti du fond de l'abîme, il
a satisfait aux droits de la justice, n'hésitez point à
suivre son exemple.
Mais ne faites pas ensuite comme tant de malheureux
qui ont laissé effacer les signes de cette drachme par les pouvoirs
de la lime tranchante ; leur numéraire ne porte plus l'effigie
du prince. Ce numéraire ne peut plus circuler, il laisse l'homme
dans la disette la plus affreuse ; cherchez au moins s'il ne vous reste
pas quelques moyens d'échapper à la mort. Ecoutez.
L'effigie du prince est effacée, et votre
numéraire est sans valeur ; mais le métal ne demeure-t-il
pas encore ? Confiez-le à l'habile artisan chargé par
le souverain de rendre à ce numéraire tout son prix. De
nouveau il imprimera dessus l'effigie du prince, et vous pourrez en
son nom vous procurer votre subsistance, et acquitter les légitimes
impositions de l'Etat.
Vous pouvez abréger cette uvre pendant
votre vie terrestre ; après qu'elle sera terminée, vous
serez obligés d'attendre, et de subir toute la longueur du décret,
pour que dans vous
le mort ou
le numéraire reprenne
sa vie, son caractère, et sa valeur.
Il est une
eau féconde qui peut vous aider
à prévenir ces malheurs. Cette
eau est cachée dans
votre terre, il vous faut creuser profondément pour la découvrir
; mais elle vous dédommagera de vos peines. Cette
eau n'est point
corrosive comme celle du vaste océan ; elle n'est point fade,
et
insipide comme les
eaux des
fleuves qui roulent sur votre globe ;
elle est plus limpide que l'éther, plus douce que le miel, plus
active que les
eaux les plus spiritueuses, enfin elle est plus inflammable
que le soufre et l'
huile.
Par sa limpidité elle laisse passer en elle
une immense quantité de rayons de lumière, qui rapprochent
de vous les objets les plus éloignés, et vous éclairent
sur la nature, et la destination de tout ce qui vous environne. Par
sa douceur, elle vous communique des affections si délicieuses,
que vous ne trouvez rien sur la terre qui puisse vous en procurer de
semblables. Par son activité elle brise en vous les
humeurs les
plus épaisses, et leur rend cette libre
circulation sans laquelle
vos
jours ne peuvent vous promettre aucune durée ; enfin par
sa propriété inflammable elle peut, dans l'instant, porter
le
feu à la fois dans tout votre être, et mettre en
jeu
toutes vos facultés spirituelles, et tous les organes de ces
facultés.
Mais ce n'est point à votre enceinte particulière,
et individuelle que se bornent les propriétés de cette
eau si féconde ; elle peut, par sa qualité inflammable,
communiquer son
feu à toutes les régions supérieures,
parce que cette même
eau s'y trouve avec encore plus d'abondance
; quand cette
ineffable union s'opère, c'est alors que la
clarté
deviendrait trop éblouissante pour des yeux qui n'y seraient
pas préparés, parce que sept fois plus grande que quand
elle ne se montrait que dans vous, et autour de vous, selon cette prophétie
d'Isaïe (30:26) :
La lumière de la lune deviendra comme la
lumière du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois
plus grande, comme serait la lumière de sept jours ensemble,
lorsque le Seigneur aura bandé la plaie de son peuple, et qu'il
aura guéri la blessure qu'il avait reçue.
Allez donc creuser soigneusement votre terre puisqu'elle
renferme cette
eau précieuse qui doit vous procurer de si grands
avantages, car elle est aussi la drachme qui peut faire de chacun de
vous un nouvel homme.
Mais si elle a le pouvoir de vous ouvrir les yeux
sur les objets qui sont en vous, sur ceux qui sont autour de vous, sur
ceux qui sont au-dessus de vous, elle a aussi le pouvoir de vous les
ouvrir sur les objets qui sont au-dessous de vous ; et c'est là
où la douleur s'empare du cur du nouvel homme.
Hommes de
Dieu, consolez-moi, consolez-moi, mon
cur est gonflé d'affliction, consolez-moi, il est plein
de douleurs comme le cur des prophètes ; car il embrasse
la vaste étendue du crime, et les abîmes s'entrouvent devant
moi. J'y vois les victimes qui y sont
immolées journellement
sur l'
autel de l'
iniquité ; j'y vois ces
infâmes sacrificateurs
égorger eux-mêmes les victimes malheureuses qu'ils ont
séduites sous l'appât des plus grands triomphes, et des plus
douces consolations. J'y vois les satellites de ces sacrificateurs parcourir
tous les sentiers de la terre pour surprendre de nouvelles proies, et
les entraîner dans la caverne du
lion féroce, et je ne vois personne
qui les défende, et qui les arrache à la mort.
Hommes
de
Dieu, que ce soient vos pleurs qui coulent dans toutes mes veines
en place de mon sang. Donnez-moi votre
force, et j'irai prendre tous
ces prophètes de mensonge qui s'emparent de l'
esprit des rois
d'Israël, et comme
Elie sacrifia les
faux prophètes de Baal et
d'Astarté, je les précipiterai dans le torrent de Cison.
Je foulerai aux pieds ces habitants d'Edom ; je les foulerai comme
dans un pressoir, et leur sang rejaillira sur mes vêtements, et
rougira les bords de ma robe (Isaïe 63).
Princes du mensonge, lorsque le prophète
entre en fureur, pour la gloire et le service de son maître, vous dites
qu'il est insensé. Comment le prophète garderait-il son
sang-froid, son calme, et sa raison quand son cur est déchiré
par des angoisses qui s'accumulent, et se gonflent en lui comme un torrent
? Mais le délire du prophète déconcerte la sagesse
des princes du mensonge ; ils ne peuvent s'attirer son
hommage ; ils
ne peuvent lui faire offrir l'encens à leurs projets ambitieux,
et ils se retirent remplis de rage et de confusion.
54.
Le nouvel homme est semblable à un
arbre
sur lequel la
colombe vient se reposer avec joie, après avoir
volé jusqu'à épuiser ses
forces pour aller chercher
la nourriture à ses petits. Le nouvel homme est encore semblable
à la trompette que l'on fait sonner dans les places, et sur les
tours élevées pour appeler le peuple à la prière
; parce que le nouvel homme est le lieu de repos de la vérité,
et qu'il est chargé d'appeler journellement son propre peuple
au sacrifice ; il est chargé de l'entretien de tous les canaux
de la ville, et de veiller à ce que les
eaux vives puissent y
circuler librement ; et il est chargé d'avertir ses concitoyens
que la ville qu'ils habitent est une ville sainte, et dans laquelle
on ne souffre aucun mendiant sans aveu, aucun lâche, aucun paresseux,
parce qu'il n'est personne qui ne puisse s'y procurer légitimement,
et abondamment sa subsistance ; car si l'un de ces habitants ne se croit
pas les
forces nécessaires pour suffire seul à remplir
sa tâche, et à subvenir à ses besoins, il peut s'adresser
à l'un de ses
frères, il peut s'unir avec lui, et cette
union ne lui laissera rien à désirer puisqu'il est écrit
:
Je vous dis encore que si deux d'entre vous s'unissent sur la terre,
quelque chose qu'ils demandent, elle leur sera accordée par mon
père qui est dans le ciel.
Or si l'homme n'a pas besoin de chercher plus loin
que lui-même pour trouver la ville sainte avec ses habitants,
à plus forte raison pourra-t-il trouver dans lui-même ce
second, ce concitoyen avec lequel il peut s'unir au nom du Seigneur,
pour lui demander tout ce dont son
esprit peut éprouver la disette,
et le besoin. Souvent même cette seule réunion leur procurera
des secours inattendus, et dont ils seront tous surpris. Ainsi
lorsque
leur barque sera agitée par un grand vent, le Réparateur
marchera près d'eux sur la mer, et dans leur frayeur il leur
dira : c'est moi, ne craignez point ; qu'alors ils le prennent seulement
dans leur barque et la barque se trouvera tout de suite au lieu où
ils désireront aller.
Ce n'est que l'homme menteur et lâche qui craint
de se lancer sur la plage pour se rendre aux régions éloignées.
Il se dit : La mer est si grosse ! Les vents la tourmentent si fort
! Elle est remplie de tant d'écueils ! Irai-je risquer de faire
naufrage, et de m'engloutir ? Irai-je risquer d'être battu par
la tempête, au point d'être obligé de me réfugier
dans quelque port
ennemi ? Non, j'attendrai prudemment que les vents
se calment ; je resterai à l'ancre jusqu'à ce que le temps
me permette d'espérer une navigation favorable.
Cur de l'homme, c'est toi qui es toi-même
cette mer orageuse, et couverte des débris de tous les naufrages
que les navigateurs ont faits depuis le commencement. Combien de richesses
n'as-tu pas englouties dans ton sein! Combien d'hommes de désir
n'ont-ils pas trouvé en toi leur
sépulcre, au lieu d'y
trouver un hospice et un lieu de consolation ! Combien d'
animaux voraces
ne se promènent-ils pas sans cesse dans tes parages pour attendre
leur proie ? Oui, tant que tu n'offriras au vaisseau qu'un élément
aussi perfide, et qu'une destinée aussi funeste, il fera mieux
de rester à l'ancre, que de s'exposer à une perte certaine.
Cœur de l'homme, rends donc la mer plus calme,
et plus sûre ; détruis tous ces écueils dont elle est
semée, et hâte-toi de lancer le vaisseau, et de déployer
toutes ses voiles, car les nations étrangères attendent
impatiemment son arrivée pour avoir leur subsistance, et c'est
toi qui les tiens dans la disette, et dans la misère.
Mais l'homme ne s'est pas contenté de s'effrayer
de l'entreprise ; il a négligé même de lever l'ancre
lorsque les vents étaient les plus favorables, et il est resté
dans l'insouciance sur l'indigence des autres peuples, et sur celle
dont il était menacé lui-même, s'il ne remplissait
pas sa mission.
Combien de fois, esclave malheureux, et chargé
de chaînes, combien de fois n'a-t-on pas mis à ta portée
une lime éprouvée, avec laquelle tu aurais pu rompre tes
fers, et rentrer dans les régions de la
liberté, pour
y être utile à ta patrie ! Au lieu de profiter de ce secours,
tu t'es uniquement occupé à mesurer toutes les
dimensions
de tes chaînes, à te faire de soigneuses, et savantes descriptions
des métaux qui les composaient, et à tellement le remplir
de ces séduisantes analyses, que tu as cessé de croire
que tu eusses d'autre emploi, et peut-être même que tu as
cessé de croire que tu fusses esclave.
Détourne-toi de ces occupations qui t'abusent.
Prends la lime quand on te la présente, ne diffère pas
un instant à t'en servir, quand tu ne limerais chaque
jour qu'une
ligne de tes chaînes, cela te serait plus profitable que de les décrire.
Qu'a fait le nouvel homme ? Il ne s'est pas levé
un seul
jour que ce ne fût avec le désir, et la résolution
d'élever un
autel à une vertu, et de lui offrir assidûment
des sacrifices, jusqu'à ce qu'il eût reçu d'elle les témoignages
de son intérêt pour lui ; il ne s'en est pas tenu même
à ces témoignages, il a persévéré
dans ses assiduités, jusqu'à ce que cette vertu fût, pour
ainsi dire, identifiée avec lui, et que lui-même fût comme
naturalisé, et marié avec elle. C'est par là qu'il
a fait germer en lui les
fruits vivants de la vérité,
de la
miséricorde, et de la justice, et qu'il a établi
dans le centre de son être la consommation de la sanctification,
et de sa
liberté.
Car il n'a point désespéré
de voir couronner ses travaux, et, dès qu'il s'apercevait qu'il
lui manquait une vertu, il se mettait en uvre pour s'en procurer
la possession ; comme un homme qui s'aperçoit qu'il s'est fait une ouverture
à sa maison, n'a point de repos que cette brèche ne soit
fermée ; c'est-à-dire, qu'il ne s'est occupé qu'à
rebâtir cette ancienne maison que nous occupions autrefois, et dont
l'enceinte était formée par les vertus de l'
esprit, et
du nom du Seigneur, ce qui nous maintenait à couvert de toutes
les entreprises de nos
ennemis. C'est aussi parce que nous occupions
autrefois cette enceinte formée par les vertus de l'
esprit, et
du nom du Seigneur, que nous étions assez spiritualisés,
pour être chacun un des signes du Seigneur ; parce que tous les
rayons de l'
esprit, et du nom du Seigneur, se réunissaient sur
nous, et nous faisaient réfléchir son image.
Telle est encore notre loi malgré notre
chute, et telle serait encore notre espérance, si, comme le nouvel
homme, nous ne nous levions pas un seul
jour sans que ce fût dans le
désir, et la résolution d'élever un
autel à
une vertu, et de ne point abandonner l'œuvre, jusqu'à ce que
cet
autel fût consacré, et que les cérémonies saintes
y fussent en pleine activité.
Mais l'adversaire, par les conseils de qui nous
sommes tombés de ce poste sublime, n'oublie rien de ce qui peut
nous empêcher d'y remonter, et de nous spiritualiser d'une manière
assez caractéristique pour devenir un des signes du Seigneur.
Aussi voyons-nous que la tâche la plus consolante de cet adversaire
est de s'opposer à ce que les hommes deviennent des indices constants
et significatifs de la vérité ; et il a soin que cette
région
illusoire sur laquelle il règne, n'ait pour caractère
dominant que le vague, l'incertitude, et le néant. Bien plus
; il s'efforce encore davantage de transformer tous les hommes en autant
de signes caractéristiques du mensonge, des ténèbres
et de l'
iniquité.
Car combien de signes altérés, trompeurs,
et abominables se sont emparés de l'homme ! Combien de puissances
fausses pensent en lui, pensent pour lui, et le font penser malgré
lui ! Combien de puissances fausses parlent en lui, parlent pour lui,
et le font parler malgré lui ! Combien de puissances fausses
agissent en lui, agissent pour lui, et le font agir malgré lui,
et voilà pourtant cet être dans qui la Divinité
devait passer tout entière, et dont il devait être à
la fois la pensée, la parole, et l'opération ; voilà
cet être qui est la pierre fondamentale sur laquelle le Seigneur
a dit qu'il voulait bâtir son
Eglise ; voilà cet être qui
à l'imitation du Réparateur dont il est le
frère,
pouvait dire comme lui :
Je suis la lumière du monde (Jean
8:12).
Au lieu de remplir une aussi noble destination,
son
esprit, son
cœur, son
âme, toute sa personne est continuellement
l'organe et l'esclave des signes étrangers qui dirigent tous
ses mouvements. Il est comme ces rois dont toutes les facultés
se sont concentrées et affaissées, et qui ne sont plus
susceptibles que d'être le jouet perpétuel des opinions
de leurs ministres passionnés.
Malheureux mortel, n'oublie donc plus que la Divinité
doit passer en toi tout entière ; avant ton crime, elle n'y aurait
passé qu'avec gloire, au lieu qu'aujourd'hui elle n'y peut passer
qu'avec humiliation. Apprends à reconnaître au moins, par là,
la grandeur de ton origine et de tes droits ; apprends à reconnaître
ce que tu vaux, en considérant que le
Dieu s'est rendu ton fils,
afin de devenir ton père une seconde fois. Apprends à
reconnaître la dignité et la sainteté de tes alliances,
et si tu n'es pas assez plein de respect pour toi-même, pour ne
point t'égarer sentiers de la justice, rentres-y promptement
par l'honneur, et par vénération pour ceux à qui
tu appartiens.
Tâche de redevenir un des signes du Seigneur, ne
fût-ce
que de percer les murs de ta maison, comme Ezéchiel,
et de te faire porter comme lui, la face couverte, pour l'instruction
du roi, et de ton peuple prévaricateur. Peut-être ce
signe sauverait-il quelques
âmes. Et quand même il n'en sauverait
aucune, tu recevrais toujours la récompense due au fidèle
serviteur qui a cherché la gloire de son maître.
Au moins songe à ta propre sûreté.
Persuade-toi qu'un vaste et subit
incendie vient de prendre à
ta demeure, songe que cet
incendie doit durer jusqu'à ce qu'il
ne reste plus le moindre vestige de ton habitation, puisqu'elle a été
bâtie par le même
feu qui la
brûle. Fais alors ce qui se pratique
dans les
incendies des édifices bâtis par la main des hommes
; ils jettent promptement leurs meubles dehors ; ils prennent leurs
bijoux, leur or, leurs titres importants pour prévenir la misère
qui les menace.
Jette donc ainsi dehors avec vigilance, et célérité,
tes trésors les plus précieux, de peur qu'ils ne deviennent
la proie des
flammes. Ne perds pas un seul instant ; la maison va s'écrouler,
elle peut t'écraser, ou le
feu peut te
fermer tellement les issues,
que tu n'aies plus aucun moyen d'échapper. C'est là le
moment de déployer ton intelligence, et ton courage ; et ce moment
doit durer pendant toute ta vie terrestre, puisque l'
incendie ne doit
cesser que lorsque le
feu aura consumé jusqu'aux derniers matériaux
de l'édifice.