NOUVELLE NOTICE HISTORIQUE
SUR
LE MARTINÉSISME ET LE MARTINISME
Quelques personnes ont pris ombrage de notre
Notice historique publiée en introduction au
Traité
de la Réintégration des Etres de Martinès
de Pasqually
[Note de l'auteur : Voy. le volume n°5,
première série de la Bibliothèque Rosicrucienne].
Et cependant, dans cette notice écrite avec tous les ménagements
possibles, et qui ne pêche, croyons-nous, que par sa grande brièveté,
nous n'avions rien avancé que nous n'eussions soigneusement contrôlé
sur des documents originaux, peu soucieux que nous sommes de rééditer
les lieux communs qui s'impriment depuis cent ans dans les ouvrages maçonniques
ou autres.
C'est avec ces mêmes lieux communs que certains critiques
ont attaqué ce que nous avancions si succintement et, ce qui est plus étrange,
on n'a pas hésité à appuyer de textes ambigus et de fallacieuses
affirmations une attaque qui ne saurait tromper personne, mais qui montre, du
moins, bien curieusement, jusqu'où peut conduire l'
esprit dit de chapelle.
On a cherché à nous peindre
Martinès de Pasqually
comme un irrégulier qui aurait affecté de mépriser les principes
essentiels de la
Franc-Maçonnerie, pour leur substituer des illuminations
personnelles. On nous l'a montré comme le fondateur d'un Ordre dont la
principale fonction aurait été de pallier les sanglants projets
de la
Franc-Maçonnerie française et en particulier ceux des francs-maçons
templiers grands
meneurs de cette
Franc-Maçonnerie, et à ce propos
on n'a pas manqué de rééditer, dans un but que nous laisserons
a apprécier à nos lecteurs, toutes les petites calomnies qui, depuis
l'apparition du livre du R. P. Lefranc
[Note de l'auteur
: R. P. Lefranc. Le voile levé pour les curieux ou le secret des révolutions
révélé à l'aide de la Franc-Maçonnerie,
1791. La conjuration contre la religion catholique et les souverains,
1792.] et à travers les identiques publications de Cadet de
Gassicourt
[Note de l'auteur : Cadet de Gassicourt, Le
tombeau de Jacques Molay, 1796. Disons, d'ailleurs, que Cadet de Gassicourt
confessa depuis que, dans Le Tombeau de Jacques Molay, il n'avait fait
que reproduire, en les amplifiant, les assertions de l'abbé Lefranc. Il
sollicita même son initiation dans la Maçonnerie, qui eut lieu en
effet, en 1805, dans la loge de l'Abeille à Paris. Il exerça successivement
dans cette loge les fonctions d'orateur et de vénérable. En 1809,
étant orateur-adjoint de la loge Sainte Joséphine, il alla jusqu'à
prononcer l'éloge de ce même Ramsay, dont il avait attaqué
les hauts grades avec tant de véhémence et d'indignation.]
et des bons abbés Barruel et
Proyart [Note de l'auteur
: Abbé Barruel, Mémoires pour servir à l'histoire du Jacobinisme, 1799. Abbé Proyart, Louis XVI détrôné avant d'être roi, 1800.], n'ont cessé de tenter la verve d'imaginatifs plus ou moins bien intentionnés
[Note de l'auteur : Voy. : Léo Taxil, Papus, etc.] à l'égard de la
Franc-Maçonnerie.
Quant à nous, profitant de la publication du présent
opuscule de
Franz von Baader, touchant les doctrines secrètes de Martinès
de Pasqually, nous avons cru devoir fortifier de quelques documents inédits
nos précédentes affirmations. Ce sera la meilleure réponse
à des critiques aussi inconsidérées qu'inutiles.
Nous n'avons pas, quant à présent, l'intention de
sortir du cadre de notre première notice ; et, en conséquence, nous
nous bornerons à exquisser les faits historiques se rapportant à
notre thèse jusqu'à la date 1760, pour reprendre plus en détail,
à partir de cette date, tout ce que nous avons exposé dans la préface
du
Traité de la Réintégration des Etres au
sujet de l'uvre de Martinès de Pasqually et du pseudo-Martinisme
de
Saint-Martin ou deWillermoz.
Bien que, parmi les nombreux
historiens qui ont traité
des origines de la
Franc-Maçonnerie dans les divers pays, aucun n'ait encore
pu déterminer d'une façon précise la date de l'introduction
en France de cette société, cependant tous se sont accordés,
à déclarer.que cette introduction fut, en quelque sorte, une conséquence
des événements politiques qui, en 1688, exilèrent définitivement
de la Grande-Bretagne l'antique maison des Stuarts, protecteurs de la
Franc-Maçonnerie
d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande.
A en croire quelques
historiens anglais et allemands, entre
autres Robison et le
conseiller aulique Bode, la
Franc-Maçonnerie aurait
pénétré en France avec les réfugiés irlandais
et écossais de la suite du roi Jacques II (Jacques VII d'Ecosse) après
la révolution d'Angleterre de 1688. La première loge aurait alors
été établie au château de
Saint-Germain-en-Laye près
de
Versailles, résidence de Jacques Stuart ; et de là l'institution
maçonnique se serait propagée dans le reste du royaume. C'est ainsi
qu'une seconde loge, que rendaient indispensables les fréquentes relations
des réfugiés avec leurs partisans d'Angleterre, fut établie
peu après à
Dunkerque. Enfin, en 1725 est fondée à
Paris, par lord Derwent-Water, le chevalier Maskeline, le squire Heguerty et quelques
autres seigneurs de la suite de Jacques Stuart, la loge dite
à St-Thomas
qui compta bientôt près de six cents membres.
Le 12
juin 1726, lord Derwent-Water, qui avait reçu
de la Grande Loge de Londres de pleins pouvoirs pour constituer des loges en France,
constitua la loge
à St-Thomas au nom de la Grande Loge de Londres
; les 7 mai et 11 décembre 1729, il fonda et constitua les deux loges
au
Louis d'argent et
Arts Ste Marguerite, et, le 29 novembre 1732, la
loge dite de
Bussy qui, après avoir
initié le
duc d'
Aumont, prit
le nom de
loge d'Aumont.
Les maîtres de ces quatre loges et de quelques autres
[Note de l'auteur : La Parfaite Union, St-Martin,
St.Pierre et St-Paul, etc., etc.] formaient au commencement
de 1730 une loge de direction française sous le nom de
Grande Loge provinciale
d'Angleterre dont lord Derwent-Water était président et dont
l'orateur était le
frère Ramsay, précepteur des fils de Jacques
Stuart. Cette
Grande Loge provinciale d'Angleterre ne fut définitivement
constituée qu'en 1736
[Note de l'auteur : Cette constitution
avait été demandée à la Grande Loge de Londres, le
24 juin 1735.], par lord Harnouester, lorsque lord Derwent-Water, ayant
à se rendre à Londres où il devait dix ans après périr
sur l'échafaud, victime de son attachement aux Stuarts, eût transféré
les pleins pouvoirs qu'il possédait à son ami lord Harnouester.
Le nouveau Grand-Maître provincial fit décréter
en 1736, qu'à l'avenir les loges qui voudraient se constituer en France
eussent à s'adresser directement à la
Grande Loge provinciale
d'Angleterre et non à la Grande Loge de Londres. C'était un
premier pas vers la scission administrative qui devait s'accomplir en 1756 entre
les maçonneries
symboliques françaises et anglaises.
En 1737, lord Harnouester eut à retourner en Angleterre
[Note de l'auteur : De même que lord Derwent-Water,
lord Harnouester devait périr décapité pour son dévouement
à la cause du prétendant Stuart.]. Avant son départ,
il demanda à être remplacé et manifesta le désir de
l'être par un français. Le
duc d'
Antin lui succéda au mois
de
juin 1738.
Après la mort du
duc d'
Antin, arrivée en 1743,
la
Grande Loge provinciale d'Angleterre nomma à sa place le
duc
de Bourbon, comte de
Clermont, et s'intitula
Grande Loge anglaise de France,
reconnaissant toujours la suprématie de la Grande Loge de Londres et ne
dispensant toujours que les trois degrés
symboliques de cette dernière
; mais déjà la
Grande Loge anglaise de France, dont l'administration
était troublée par l'octroi continuel de constitutions que faisait
la Grande Loge de Londres sur le territoire français au détriment
du pouvoir maçonnique national, songeait à se séparer de
la Grande Loge de Londres. Elle s'en sépara définitivement en 1756
et prit le titre de
Grande Loge nationale de France.
L'
histoire de la
Grande Loge nationale de France ne
présentant aucun événement saillant jusqu'en l'année
1760, nous arrêterons là cette esquisse de l'évolution de
la Maçonnerie
symbolique en France, pour revenir en arrière et résumer,
de la même façon, l'
histoire de la Maçonnerie supérieure
ou Maçonnerie des hauts grades.
On a beaucoup écrit pour ou contre ces hauts grades
dits irlandais, écossais,
templiers, de perfection, etc., dont la plupart
des autenrs ont attribué l'invention au
baron écossais André
de Ramsay ora-
teur de la
Grande Loge provinciale, sans nous donner d'autres preuves de
cette assertion qu'un prétendu séjour à Londres
[Note
de l'auteur : On a prétendu, en effet, qu'il se rendit à Londres
en 1728 dans le but de fonder un nouveau système maçonnique mais
Kloss établit le contraire.]) et qu'un discours de réception
prononcé par Ramsay entre 1736 et 1738
[Note de l'auteur
: Nous ne savons pourquoi Findel donne à ce discours la date de 1740 puisqu'il
a été imprimé pour la première fois à La Haye
en 1738. On lui donne généralement la date de 1736 ; mais Jouaust
prétend qu'il fut prononcé en 1738 parce que l'orateur y parle de
la « naissance distinguée » du Grand-Maître et que ces
termes ne sauraient s'appliquer qu'au duc d'Antin élu le 24 janvier 1738.
Cet argument ne nous paraît pas décisif.], discours dans
lequel il est question de chevaliers maçons.
Nous n'avons pas l'intention de critiquer ici les assertions
de Ramsay parlant pour la première fois, en loge de maître, des grades
écossais et de la loge de Kilwining fondée au
XIIIème siècle
en Ecosse, et dont lord Jacques Steward d'Ecosse, ancêtre du prétendant,
aurait été grand-maître en 1386 ; mais nous sommes désireux
de détruire la
légende qui fait de Ramsay un successeur des
Templiers
et l'organisateur d'une prétendue vengeance d'un ordre depuis longtemps
tombé dans l'oubli.
Les
Templiers au sujet desquels Ramsay s'exprime souvent
d'une manière désavantageuse dans sa
Relation
apologique sont point mentionnés dans son
Discours de
réception. Il y indique comme des qualités indispensables pour
être admis dans l'Ordre « une
philanthropie raisonnée, une
grande pureté de murs, une discrétion inviolable et le
goût
des beaux-arts. » Plus loin il dit encore qu' « il faut ranimer et
répandre les anciens principes, qui, puisés dans la nature même
de l'homme, ont servi à fonder notre société. » Enfin
il parle des
croisades, des chevaliers
croisés, de la tentative de
Godefroy
de
Bouillon pour établir un
royaume de Jérusalem, de l'alliance
des constructeurs avec les chevaliers de St-Jean-de-Jérusalem pour le relèvement
des murailles de la ville, l'érection et la sauvegarde d'un nouveau temple,
en laissant entendre que les loges sont vouées à St-Jean par une
suite naturelle de cette alliance
[Note de l'auteur : II
faut évidemment voir dans tout ceci une allusion aux doctrines mystiques
de la Nouvelle Jérusalem prédite dans St-Jean. Le mirage d'une réalisation
matérielle de ces doctrines avait autrefois séduit le roi de Jérusalem
et ses croisés. Il est curieux de voir le parti sioniste poursuivre, encore
aujourd'hui, malgré l'opposition de la plupart des rabbins, un rétablissement
de l'ancien royaume de Jérusalem.] : « Cette union, dit-il,
se fit en imitation des Israélites lorsqu'ils rebâtirent le second
temple pendant qu'ils maniaient d'une main la
truelle et le mortier, ils portaient
de l'autre l'
épée et le
bouclier. »
Des
Templiers il n'est aucunement question. Encore moins
est-il question d'une vengeance devant s'exercer sur les successeurs de Philippe-le-Bel
et de
Clément V. D'ailleurs on conçoit difficilement cet ardent
Stuartiste, ami de Fénelon et précepteur des
enfants de Jacques
Stuart réfugié à Rome en 1719, tramant au sein de la
Franc-Maçonnerie
la perte des rois et de la papauté
[Note de l'auteur
: Un auteur qui n'a pour excuse que sa profonde ignorance des choses de la Franc-Maçonnerie,
M. le Dr Gérard Encausse, s'est permis d'écrire, sous le pseudonyme
de Papus, les lignes suivantes : « Un des représentants les plus
actifs de l'initiation templière avait été Fénelon.
Lorsque après sa lutte avec Bossuet, Fénelon fut forcé de
fuir le monde et de s'exiler dans une pénible inactivité, il combina
avec soin un plan d'action qui devait tôt ou tard assurer la revanche.
Le chevalier de Ramsay fut soigneusement initié par Fénelon et chargé
d'exécuter ce plan avec l'appui des Templiers qui assureraient en même
temps leur vengeance. Le chevalier de Bonneville venait en 1754 d'établir
le chapitre de Clermont au moyen de ces grades templiers et poursuivait un but
politique et une révolution sanglante, que Martinès ne pouvait
approuver, pas plus qu'aucun vrai chevalier du Christ, etc., etc. » M. Papus
est bien dans la tradition des bons abbés Lefranc, Barruel et Proyart,
par ses affirmations aussi incohérentes qu'elles sont malveillantes pour
la Franc-Maconnerie en général, et en particulier pour l'admirable
figure d'un Fénelon.].