Ces « douces intelligences, « nous les retrouvons en effet dans les pages de son
Homme de désir, de son
Nouvel Homme ou de son
Ministère de l'Homme esprit. Quant au « physique » dont il nous parle comme d'une suite de ses « affections centrales », il en reste quelque trace dans les pages plus intimes de son
Portrait,
autobiographie dont le manuscrit n'a pas encore été publié intégralement. C'est ainsi que nous savons que, étant au Luxembourg, vers
1779, il eut une vision dans laquelle figuraient Moïse, la sur de Moïse et une troisième personne : « L'obscurité régnait sur le globe ; l'herbe séchait sur la terre ; les
animaux hurlaient. Moïse, sa sœur et une autre personne que je connais, se portaient successivement vers les quatre points de l'
horizon. La troisième personne priait beaucoup et obtint par là d'être préservée des maux dont l'univers était menacé. » Le récit de cette vision est une application du passage mentionné plus haut, dans lequel
Saint-Martin expose que le Verbe intime agit sur les Puissances et leur fait produire leurs formes selon les plans qu'il a à notre égard.
Mais en voilà assez sur la « voie intérieure. » Nous croyons avoir suffisamment prouvé que
Saint-Martin s'est bien
définitivement séparé du
rite des
Elus-Coëns.
Dans notre précédente Notice, nous avions pensé que les faits acquis et la correspondance, connue de
Saint-Martin, nous permettaient de négliger les citations. Nous n'en avions fait qu'une. Encore avait-elle pour but d'établir, qu'à l'âge de cinquante-trois ans, c'est-à-dire sept ans avant sa mort,
Saint-Martin, retrouvant tous les
jours dans les ouvrages de son « chérissime
Boehme » les données des
Elus-Coëns,
laissait sa pensée revenir en arrière, vers cette école de
Bordeaux dans la loge de laquelle s'étaient écoulés cinq ans de sa
jeunesse et dont il avait abandonné trop légèrement les travaux. Voici en effet ce qu'il écrivait : « Notre première
école a des choses précieuses. Je suis
même tenté de croire que M. Pasquallis (
sic) dont
vous me parlez et qui, puisqu'il faut le dire, était notre
maître, avait la
clef active de tout ce que notre cher
Boehme
expose dans ses théories, mais qu'il ne nous croyait pas en
état de porter ces hautes vérités. Il
avait aussi des points que notre ami
Boehme ou n'a pas connus, ou n'a
pas voulu montrer, tels que la résipiscence de
l'être pervers, à laquelle le premier homme aurait
été chargé de travailler
[Note de l'auteur : Voyez Traité
de la Réintégration des Etres, de
Martinès de Pasqually, publié dans le volume 5,
première série de la Bibliothèque
Rosicrucienne.] ; idée qui me paraît
encore digne du plan universel, mais sur laquelle, cependant, je n'ai
encore aucune démonstration positive excepté par
l'intelligence. Quant à Sophia et au Roi du monde, il ne
nous a rien dévoilé sur cela et nous a
laissé dans les notions ordinaires, etc., etc. »
Et plus loin : « Il résulte de tout ceci que c'est
un excellent
mariage à faire que celui de notre
première école et de notre ami
Boehme. C'est
à quoi je travaille ; et je vous avoue franchement que je
trouve les deux
époux si bien partagés l'un et
l'autre, que je ne sais rien de plus accompli ; ainsi prenons en ce que
nous pourrons : je vous aiderai de tout mon pouvoir »
[Note de l'auteur : Lettre à Kirchberger, 11 juillet 1796.].
II est difficile de voir dans ce passage autre chose que ce qui s'y trouve, une sorte de
collation tentée par
Saint-Martin des théories de
Boehme et de celles de sa première école : « Prenons-en ce que
nous pourrons, » dit-il. Si l'on remarque que ce passage est du 11
juillet 1796, on pourra s'étonner que l'un de nos critiques n'ait pas hésité à s'appuyer sur lui pour attaquer ce que nous avions écrit du mouvement séparatiste commencé par
Saint-Martin dès 1777. Ce critique aurait pu se donner la peine de prendre connaissance de la lettre postérieure, du 19
juin 1797, dans laquelle
Saint-Martin dit au
baron de Liebisdorf «
qu'il a laissé depuis longtemps les initiations de sa première école pour se livrer à la seule initiation qui soit vraiment selon son cur ».
Le fait est que
Saint-Martin s'intéressa de moins en moins à ces
initiations et à ces opérations auxquelles on l'avait
« livré » si longtemps. Bien plus, il ne cessa jamais de les proscrire, et fut en somme un irréductible adversaire de ce que l'on appelle :
sciences occultes.
De leur côté, les
Elus-Coëns, restés
fidèles aux sciences maçonniques, furent
naturellement aussi peu satisfaits d'une
propagande qui
ébranlait la confiance des émules dans les
travaux traditionnels que de l'attitude prise par Willermoz dans les
affaires de la Stricte-Observance. Ils en écrivirent le 16
août 1780 au Grand-Souverain De Las Casas, successeur de
Caignet de Lestère. Ils lui rappelaient la lettre du
Tribunal-Souverain,
restée sans réponse par suite de la mort du
frère Caignet, et lui demandaient de prendre quelques
mesures en
vue de sauvegarder les intérêts des
divers orients, puisque certains
frères, abusant des
égards qu'on leur avait toujours
témoignés, cherchaient à faire
prévaloir leurs
vues particulières dans les
travaux des temples et ne craignaient pas d'immiscer d'autres
puissances dans les affaires de l'Ordre. Ils insistaient surtout sur la
nécessité où on les mettait de prendre
position dans la politique maçonnique à cause de
la situation fausse où les plaçaient les
intrigues du
frère Willermoz. A cette lettre
étaient joints trois procès-verbaux
détaillés des faits que nous avons
exposés, et des documents antérieurs à
1760 dont nous n'avons pas à parler ici, mais qui appuyaient
une requête présentée par huit orients
du Royaume
[Note de
l'auteur : Nos lecteurs nous excuseront de ne pas publier ici toutes
ces pièces. Ces documents et quelques autres qui ne
pouvaient trouver place dans cette notice déjà si
longue, ainsi que ceux dont nous avons donné des extraits,
seront publiés ultérieurement dans une histoire
générale de l'Ordre des
Elus-Coëns.].
De Las Casas, qui était
à cette époque à
Bologne, en Italie,
où il avait été obligé de
se rendre pour diverses affaires, répondit quelques mois
après par une longue lettre dans laquelle il examinait
successivement les plaintes et les demandes qui lui avaient
été adressées. Au sujet des
premières : « Je ne veux, disait-il, que me
conformer aux principes de mes devanciers. C'est la conduite la plus
sage ; c'est celle que me dictent mes propres engagements. Tous nos
sujets sont libres, et, s'ils viennent à manquer aux choses
de l'Ordre, ils se rendent à eux-mêmes une justice
pleine et entière puisqu'ils se privent de tous les
avantages qui accompagnent ces choses, et qu'ils ne peuvent plus
travailler que sur leur propre fond et à leurs risques et
périls, sans grande chance d'obtenir quelque
vérité qui ne cache pas un piège
atroce. Mais si chacun est libre de sortir, s'il se croit
libéré de toute obligation envers la chose, je
vous déclare qu'il n'est pas en mon pouvoir d'agir en faveur
de ceux qui se sont laissé suborner de l'Ordre : C'est la
coutume ; c'est ainsi qu'en ont usé tous mes
prédécesseurs et cela pour des raisons majeures
devant lesquelles je m'incline et m'inclinerai toujours dans
l'intérêt de l'Ordre, quelque affliction que je
puisse éprouver du pâtiment d'un sujet.
» Le Grand-Souverain examinait ensuite la requête
des huit orients, et ajoutait : « Vous pouvez donc, si vous
le jugez utile à votre tranquillité, vous ranger
dans la correspondance des
Philalèthes, pourvu que ces
arrangements n'entraînent rien de composite. Et puisque les
déplacements du T. P. M de T... ne lui permettent pas de
prendre en charge vos archives, faites en le dépôt
chez M. de Savalette. Vous le ferez sous les sceaux ordinaires. La
correspondance et les plans mensuels, ainsi que les
catéchismes et cérémonies des divers
grades, doivent être scellés de leur orient
particulier. Les plans annuels, les tableaux et leurs invocations,
ainsi que les différentes explications
générales et secrètes, doivent porter
ma griffe ou, à son défaut, celle du P. M.
Substitut Universel que je préviens par le même
courrier »
[Note
de l'auteur : Anciennes archives Vittareal. B. (Las Casas) III.].
C'est ainsi que, dans le courant de
1781, les archives des
Elus-Coëns furent
mises en dépôt chez le
frère Savalette
de Langes, garde du trésor royal et président des
Philalèthes, qui était
également conservateur des archives de son
régime. Nous verrons plus loin ce que devinrent ces diverses
archives lors de la tourmente révolutionnaire.