Le convent fut effectivement ouvert à Wilhemsbad le 16
juillet 1782, sous la présidence du
duc Ferdinand de Brünswick (
eques a victoria), grand-maître du système
templier. La direction centrale de l'Ordre intérieur avait été obligée de céder aux nombreuses demandes des provinces, mais elle comptait pouvoir vaincre aisément, grâce aux antagonismes qui se manifesteraient au sein de t'assemblée, et grâce à l'avantage que lui donnait la présidence. Tous les points qui devaient être adoptés avait
été délibérés à l'avance pendant les douze mois d'atermoiement qui précédèrent l'ouverture du convent, et la direction centrale était résolue à arriver à son but par tous les moyens.
Pour ne rien négliger, elle commença par éliminer systématiquement tous ceux qui lui parurent venir au convent avec des intentions opposées aux siennes. C'est ainsi qu'on refusa t'entrée du convent aux députés de la Mère-Loge de la
Croissante aux trois clefs, de Ratisbonne, et au
marquis de Chefdebien, député des
Philalèthes, et qu'on s'efforça autant que possible de ne recevoir que les délégués des divers
directoires. D'ailleurs la Grande Loge de France et celle d'Angleterre, le
Grand-Orient de France et la Grande Loge Nationale d'Allemagne, non
plus que la Suède, ne se firent point représenter
au convent. La Grande Loge aux Trois Globes terrestres de Berlin ou
plutôt les membres d'une de ses loges, celle de
Frédéric
au Lion d'Or, se contentèrent d'envoyer un
mémoire dans lequel ils offraient de démasquer
les
Supérieurs Inconnus, de communiquer
le véritable rituel de la haute maçonnerie, et
concluaient à une association avec les Rose-Croix. Mais cet
écrit fut simplement joint aux actes et le convent
décida, qu'ayant renoncé à tous
Supérieurs
Inconnus, il serait passé à l'ordre du
jour sur cette proposition. Ainsi fut tranchée une des
questions posées au convent, savoir : « La
Maçonnerie a-t-elle des
Supérieurs
Inconnus ; quels sont ils ; quelles sont leurs attributions ;
consistent-elles à commander ou à instruire ?
» Les autres questions ne devaient pas trouver pareille
unanimité. La présidence en fit passer un grand
nombre sous silence, mais elle dut cependant s'arrêter
à celle qui était le principal objet du convent,
savoir : « L'Ordre de la
Stricte-Observance
descend-il des
Templiers ? »
Cette question agita
l'assemblée pendant près de vingt
séances. Le
frère Ditfurth de Wetzlar
déclara tout à fait insuffisantes les preuves
produites dans le but d'établir que l'Ordre descendait des
Templiers. « Il serait parfaitement ridicule et inopportun,
ajoutait-il, de ressusciter l'Ordre
templier à une
époque où un monarque
éclairé (Joseph II) s'occupe à en
faire disparaître les derniers vestiges. » Le
frère Bode (
eques a lilio convallium),
homme d'une intelligence très active, auquel la
Stricte-Observance devait la meilleure partie de ce qu'il y avait de
bon en elle, proposait, de son côté, que l'on
remaniât tous les grades autres que les trois premiers dans
un sens plus libéral et que l'on mît fin
à des
fables qui n'avaient aucun fondement : « En
notre temps d'une confusion presque générale,
disait-il, confusion qui a donné si beau
jeu a plus d'un
apôtre inconnu, il apparaît qu'ils n'ont pas
porté la paix, mais le
glaive. Et surtout ils ont
répandu une défiance si
générale qu'elle porte sur la base de l'Ordre
même. Je veux dire que la certitude est devenue presque
commune que le système de l'Ordre, tel qu'il a
été cultivé depuis dix-huit ans,
n'était qu'une pure invention d'
Ab Ense (de Hund), et que
Ab
Ense, n'ayant reçu à sa réception
qu'une partie de l'
histoire de la véritable origine de la
Franc-Maçonnerie, avait négligé les
vrais moyens qu'il avait de s'instruire et avait
été assez inconsidéré pour
prononcer de lui-même et pour suppléer
à l'
histoire et à l'explication des
hiéroglyphes, en inventant un système qui
excitait les soupçons de tous les gouvernements. »
Presque tous les
frères furent d'avis qu'il fallait
effectivement réformer les hauts grades et l'organisation
générale de l'Ordre, mais ils
différèrent sur le sens de cette
réforme. De Beyerlé demandait que l'on
annulât tous les grades supérieurs aux trois
premiers degrés y compris l'ordre intérieur
templier, et que les loges fussent rendues libres de s'
administrer
comme bon leur semblerait et de disposer de leurs deniers ; Ditfurth,
que l'on ajoutât simplement aux trois premiers grades un
quatrième grade où serait enseigné tout ce qui a trait a la
franc-maçonnerie ; il demandait aussi que les juifs fussent
admis à l'avenir. Ses propositions furent soutenues par
Knigge. Willermoz était d'avis que l'ont maintint l'ordre
intérieur, mais que l'on légitimât les
rectifications du convent de
Lyon en acceptant d'une façon
générale le Chevalier de la Bienfaisance. Moth et
Diethelm Lavater, que l'on ménageât les diverses
confessions chrétiennes, etc., etc.
Les diverses propositions de tous ces
frères furent soutenues et combattues tour à tour
par la foule des députés suisses,
français, italiens, allemands et russes et
l'assemblée fut quelque peu orageuse, car la direction
centrale de Brünswick, qui regardait comme
séditieuses toutes les demandes d'éclaircissement
et de réforme, n'avait garde de la calmer par des
concessions humiliantes pour les chefs du système.
Cependant, comme il fallait arriver à une solution et que la
discussion menaçait de s'éterniser, le
frère Bode proposa d'abandonner le fond de la question et de
se contenter de décider des modifications conformes
à l'
esprit du siècle et avantageuses à
toutes les
religions. Cette proposition fut le signal d'une sorte de
transaction à laquelle souscrivit la direction centrale qui
avait escompté la fatigue de l'assemblée. Dans
cette transaction, par laquelle on s'efforça de contenter
tout le monde sans arriver d'ailleurs à satisfaire personne,
on arrêta, en faveur de Bode, de Knigge et de
Beyerlé, que les loges garderaient leur administration
intérieure ; mais on décida, en faveur de
Ditfurth, que les trois grades
symboliques travailleraient sous la
surveillance du quatrième grade, celui de
maître-écossais que, pour contenter Willermoz et
Dicthelm Lavater, l'on transforma en celui de
chevalier de la
Bienfaisance, pratiqué en France et en
Suisse
depuis 1778, en décrétant cependant que, si des
motifs particuliers le requéraient, il serait loisible
à toutes les provinces et préfectures de ne point
faire usage de ce grade. Enfin la direction centrale et les partisans
templiers reçurent satisfaction, en ce que le grade de
Chevalier
de la Bienfaisance comporta désormais un
enseignement historique dans lequel était établie
la
connexion des trois premiers grades avec l'ordre
templier
représenté par l'ordre intérieur et
ses deux grades : le
Novice et le
Chevalier
templier, subdivisé en quatre degrés :
eques,
armiger,
socius et
profes.
Le tout fut
rédigé dans la capitulation suivante que signa le
duc Ferdinand de Brünswick, prenant le titre
d'
éminence en sa qualité de
Grand-Maître :
« Aux trois grades
symboliques de la Maçonnerie, on n'ajoutera qu'un seul
grade, celui de
Chevalier de Bienfaisance. Ce grade
doit être considéré comme le point de
communication entre l'ordre extérieur et l'ordre
intérieur.
L'ordre intérieur doit se
composer de deux grades de
Novice et de
Chevalier.
Les officiers des loges peuvent former le comité de la loge,
et y préparer les objets à traiter. On n'examinera pas s'ils sont revêtus de grades écossais. Dans chaque district, la loge écossaise
doit exercer une surveillance immédiate sur les loges
symboliques. Les décorations de l'ordre intérieur doivent être conservées
[Note de l'auteur : Voyez Sindner, Widekind, Beyerlé, Paganucci,
etc.]. »
Ainsi, comme l'a fait remarquer Eckert, le résultat réel du convent de Wilhemsbad fut une transaction intérimaire entre les divers systèmes. Tout en laissant au système de la « Stricte-Observance » la direction générale, on accorda au système de la « Late Observance » l'indépendance d'administration des loges. On comprendra alors difficilement que la plupart des auteurs aient pu supposer que le convent avait décidé de détruire la
Stricte-Observance templière, alors qu'il ressort de l'examen des opérations de ce convent que l'on évita de résoudre la question
templière et que la direction de Brünswick se contenta d'accorder quelques réformes administratives. Si le système
templier fut presque détruit, ce fut parce que la plupart des
frères quittèrent le convent très peu satisfaits et inquiets de l'attitude des directeurs, alors qu'en
Suisse la république de Berne proscrivait déjà la
Stricte-Observance et en fermait toutes les loges
[Note de l'auteur : Cette même année (1782), le Directoire helvétique roman fut en effet dissous par les autorités de Berne. Ce Directoire, sous l'obéissance duquel se trouvaient non seulement les loges du pays de Vaud, mais encore quatorze loges des Etats italiens, arrêta, pour se conformer aux ordres du gouvernement, la fermeture de toutes ces loges.]. Beaucoup d'entre eux, et en particulier les
frères De
Virieu et de Haugwitz, revinrent du congrès en disant qu'il existait une conspiration sourde à laquelle la
religion et l'autorité ne resisteraient pas. Le premier se contenta de ne plus faire partie de la
Stricte-Observance, mais le second devait attaquer violemment plus tard toutes les Sociétés maçonniques. Un grand nombre de membres furent affiliés par Knigge aux
Illuminés de Weishaupt, entre autres Ditfurth, sous le nom de
Minos, et Bode sous le nom d'Amelius. De Beyerlé quitta ouvertement la
Stricte-Observance pour entrer chez les
Philalèthes en faveur desquels il écrivit son fameux
De Conventu latomorum apud aquas Vilhelminas prope Hanoviam oratio, ouvrage dans lequel il se livrait à la critique des opérations du convent.