Ce fut une vaste
désorganisation. Plusieurs provinces refusèrent d'adopter les conclusions du convent. Les loges de Pologne et de Prusse pratiquèrent, les premières, le
rite écossais rectifié de De Glayre, les secondes, les systèmes de Zinnendorf ou de Wölener
[Note de l'auteur : O'Etzel, Histoire de la Grande Loge des Etats prussiens. Ces loges déclarèrent que les dispositions adoptées à l'assemblée de Wilhemsbad ne pouvaient leur être appliquées, et elles
invitèrent toutes les loges d'Allemagne et de l'étranger, à la seule exception de la secte des Illuminés, à leur faire l'honneur d'engager ou continuer avec elles une correspondance maçonnique.]. Les
loges de Hambourg et du Hanovre adoptèrent le système de Schröder et celles de la Haute-Allemagne se rangèrent dans le
système éclectique établi par Ditfurth
[Note de l'auteur : L'idée de ce système éclectique, qui
ne reconnaissait que les trois premiers grades, mais qui autorisait la
pratique de tous les autres, était due au frère
Franz, baron de Ditfurth, de la loge Joseph de l'Aigle
impérial, de Wetzlar. La circulaire du système
éclectique fut adressée à toutes les
loges par la loge provinciale de Francfort-sur-le-Mein et par celle de
Wetzlar en 1783. Ces loges se défendirent d'avoir aucun
rapport avec les Illuminés, parmi
lesquels venait de se faire affilier le duc Ferdinand de
Brünswick, Grand-Maître de la Stricte-Observance.
Nous n'avons pas été peu surpris de lire dans M.
Papus : « C'est Willermoz qui seul, après la
Révolution, continua l'œuvre de son initiateur (lisez
Martinès) en amalgamant le rite des Elus-Coëns
avec l'illuminisme du baron da Hundt pour former le rite
éclectique. » Phrase qui contient autant d'erreurs
que de mots.] ou contractèrent des
alliances avec les
Illuminés de
Weishaupt. La Russie se partagea entre les divers systèmes
suédois, anglais ou de Mélesino. Le prince du
Gagarin, qui y avait accepté la présidence de la.
loge directoriale, se vit obligé d'autoriser l'emploi de
l'ancien et du nouveau système de la
Stricte-Observance,
en laissant aux
frères le soin de démêler lequel des deux était le meilleur.
En résumé, le nouveau régime
templier rectifié ne fut
réellement adopté à l'étranger que par la province de Lombardie (1783-1784), par
les deux
directoires helvétiques (1783)
[Note de l'auteur : Encore devons nous dire que l'adaptation n'eut aucun effet pour l'un de ces
directoires, puisque l'helvétique roman venait d'être dissous.], par celui de Hesse-Cassel et par une loge de Danemark (1785) ; car nous avons lieu de croire que la loge centrale de Brünswick (Charles à la colonne couronnée), celle de Dresde, celle de Prague et celle de Bayreuth continuèrent à suivre l'ancien système.
En France, les provinces d'Auvergne et de
Bourgogne seules pratiquèrent le nouveau système. Des deux autres provinces, l'une, celle d'Occitanie n'existait plus ; quant à l'autre, celle de
Septimanie,
réduite aux huit membres de la loge de
, qui, en 1781, avait passé un traité avec le
Grand-Orient de France, il y a apparence dans les documents qui nous restent qu'elle ne pratiqua plus ni l'ancien ni le nouveau
système. Même, en 1782, cinq de ses membres, les
frères Vincendi, Pierrugues, Dessalles, Selignac et De Bonnefoy, qui, depuis 1780, étaient
affiliés aux
Philalèthes, étant entrés en pourparlers avec les
Elus-Coëns d'
Avignon et devenus désireux, par contre, de suspendre toute relation avec les
directoires, donnèrent leur démission et s'entendirent avec le temple d'
Avignon pour une affiliation qui eut lieu le 23
février de l'année suivante
[Note de l'auteur : Archives de l'Ordre maçonnique de Misraïm. 1780-85. Ces archives ne possèdent malheureusement sur le Directoire de Septimanie aucun document autre que la déclaration du frère Pierrugues sur la situation de ce Directoire antérieurement à mai 1783. Les archives des Philalèthes ne mentionnent que les affiliations. Quant aux archives du Grand-Orient, elles n'ont rien conservé touchant ce Directoire qui ne soit relaté dans tous les auteurs ; encore ne possèdent-elles plus la collection de cahiers déposée en 1781.]. Un passage de la déclaration qui fut faite en cette circonstance par le
frère Pierrugues nous fait connaître l'opinion des cinq membres démissionnaires sur le convent de Wilhemsbad et sur
l'administration du
Directoire d'Auvergne, opinion qui vient corroborer
les anciennes protestations de la
Loge provinciale de
Lyon lors des traités de 1778. Voici en effet ce passage :
« J'avais fait le détail des tracasseries multiples dont cette correspondance était la source. La majorité de notre cercle ne
se considérant plus comme faisant partie d'un système rendu plus insupportable par les réticences de la dernière assemblée,
nous devions souhaiter que chacun s'occupât de ses propres affaires sans vouloir imposer aux autres ses faiblesses et ses incertitudes. Nous n'enviions pas de connaître les membres dont Prothière et Willermoz faisaient une
réception inconsidérée sans prendre
souci de leurs opinions déréglées sur
les sujets les plus dignes de respect, sous le vain prétexte
du crédit que ces réceptions pouvaient leur
donner. Je rappelais les dernières
difïîcultés et l'engagement pris par les
Directoires de maintenir la discipline dans leurs loges pour que le
gouvernement politique n'ait jamais lieu de faire à leur
occasion aucun reproche au Grand-Orient de France. Maître
Dessalles ne voulait plus se charger des envois et personne ne voulait
s'en charger après lui », etc., etc.
Parvenus à
l'année 1784, nous allons étudier les causes qui
devaient amener, d'abord, l'affaiblissement des
directoires templiers,
et, ensuite, leur
destruction. Ces causes sont au nombre de deux. Nous
en avons déjà étudié une
dans la lutte soutenue par les
Philalèthes
du Grand-Orient de France pour l'autonomie de la Maçonnerie
nationale contre l'
hégémonie de la loge
directoriale de Brünswick, lutte qui, en raison du peu
d'importance des
directoires français, devait fatalement amener la
fusion de ces
directoires avec le Grand-Orient.
A l'étranger ce fut tout
différent, et, bien que la
Grande Loge d'Allemagne
se fût engagée par l'article IX de son
traité avec la
Grande Loge d'Angleterre
à détruire la
Stricte-Observance
[Note de l'auteur :
« ...Les deux Grandes-Loges contractantes s'engagent en
particulier à faire tous les efforts imaginables pour
écarter de la Maçonnerie toute division et
principalement cette secte de maçons qui a pris le nom de Stricte-Observance,
dont la doctrine et les principes sont complètement
erronés, faux, en opposition avec ceux de l'ancienne et
véritable Franc-Maçonnerie et qui ne peuvent
subsister avec elle. »], la
véritable cause de la chute des
directoires templiers
étrangers réside dans le discrédit que
l'Ordre des Illuminés devait jeter sur ces territoires
à la suite des scandales de 1784 et des enquêtes
de 1785, ainsi que nous allons le voir.
Depuis le convent de Wilhemsbad, l'
Ordre
des Illuminés avait fait de grands
progrès. Tant dans les loges de la
Stricte-Observance
que dans celles des autres systèmes, il était
parvenu à recruter près de deux mille membres.
Mais, comme nous l'avons déjà exposé
plus haut, l'illuminisme renfermait dans sa constitution même
l'élément de sa perte. Weishaupt en travaillant
à l'organiser avait pris pour base et pour modèle
la constitution et les formes sociales de l'Ordre des
Jésuites ; lui aussi avait adopté
le principe que la fin justifie les moyens
[Note
de l'auteur : C'est vraisemblablement ce qui a fait
interpréter par maint auteur les initiales S. I. : Societas
Jesu.]. Cependant, cette constitution despotique
était non seulement en opposition avec l'
idéal que rêvait le fondateur mais encore, vu la position des membres de la société, matériellement impraticable. La surveillance mutuelle et la communication aux
Supérieurs Inconnus des observations recueillies engendrèrent
l'espionnage, la défiance et l'hypocrisie. Bientôt la délation s'en mêla et certains faits scandaleux étant parvenu à la connaissance du public, l'éditeur Strobl, le
chanoine Danzer et le professeur Westenrieder (Pythagore) commencèrent à fulminer contre les
Illuminés et contre les francs-maçons qui les recevaient dans leurs loges.
Pour comble de malheur, Knigge, la cheville ouvrière de l'Illuminisme, qui venait de se brouiller avec Weishaupt et qui avait renoncé à prendre désormais aucune part à ses intrigues, se mit à critiquer amèrement le système des
Illuminés, en reprochant
publiquement à Weishaupt les services qu'il lui avait rendus et en se vantant d'avoir écrit pour lui plaire contre les
Rose-Croix qui ne lui avaient jamais fait de mal.
Les
Rose-Croix de Bavière dont Weishaupt avait si souvent raillé les travaux alchimiques et
théurgiques qu'il qualifiait de viles superstitions
[Note de l'auteur : Il est curieux de constater que, tout en se moquant des Rose-Croix, Weishaupt n'avait pas négligé, conformément à ses principes de dissimulation, de rédiger une instruction confidentielle « sur les moyens de diriger ceux des Illuminés qui sont enclins aux rêveries théosophiques ». Le bon abbé Barruel a traduit ces derniers mots par fantaisie de croire en Dieu ; mais cette traduction est une simple calomnie.], et les
Rose-Croix de Prusse dont Weishaupt, par l'intermédiaire de Knigge, avait fait repousser les conclusions au convent de Wilhemsbad, se mirent promptement de la partie. De son côté, la Mère-Loge
Aux-Trois-Globes de Berlin signifia par une circulaire de 1783 qu'elle exclurait de son association toutes les loges qui dégraderaient la
Franc-Maçonnerie en y introduisant les principes de l'Illuminisme. Enfin parut le 22
juin 1784 une ordonnance de l'Electeur de Bavière interdisant formellement toute confraternité secrète.
La Maçonnerie étant englobée par l'Electeur dans la proscription dont il frappait l'Illuminisme, la loge de Münich,
Théodore au bon Conseil, adressa à ses membres et à toutes les loges de sa correspondance une circulaire par laquelle elle se justifiait des accusations que l'on avait soulevées contre elle.
Son seul crime était d'avoir reçu dans son sein des
frères dont elle ignorait les intentions et d'avoir contracté des affiliations avec une société dont elle avait cru le but louable. Elle annonçait en même temps sa
dissolution.