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Les enseignements secrets de Martinès de Pasqually

Franz Baader
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      Nous avons écrit dans notre précédente Notice que « peu d'années après le départ de Martinès de Pasqually pour les Antilles, une scission se produisit dans l'Ordre qu'il avait si péniblement formé ; certains disciples restant très attachés à tout ce que leur avait enseigné le maître, tandis que d'autres, entraînés par l'exemple de Saint-Martin, abandonnaient la pratique active pour suivre la voie incomplète et passive du mysticisme ». En effet, durant les cinq années qu'il passa à la loge de Bordeaux, Saint-Martin avait déjà manifesté quelque éloignement pour les travaux de Martinès de Pasqually, et tendait déjà à s'affranchir du dogmatisme rituélique des loges et à le rejeter comme inutile. Majs à la vérité il ne tenta rien avant la mort de Martinès, survenue en 1774 ; tandis qu'un autre frère, le R. C. Du Roy d'Hauterive, n'attendit pas cet événement pour manifester dès 1773 des tendances fâcheuses pour le rite des Elus-Coëns.
      Nous n'avons malheureusement pas la lettre qui mentionnait les agissements du T. P. M. Du Roy d'Hauterive et nous devons nous contenter de la réponse du Grand Souverain, réponse dont le passage suivant est d'ailleurs suffisamment explicite :

      « Quant à l'égard de ce qu'aurait pu dire le T. P. M. Du Roy, je vous instruis du contraire. Il ne suffit pas de penser comme nous pour être un franc et légitime maçon et un « parfait chevalier des temples particuliers et généraux, car alors serait élu ou G. A. qui voudrait s'il avait eu en mains les instructions et explications secrètes de ces grades, et l'Ordre serait à la merci complète de tous les défaillants, comme vous pouvez le comprendre. Aussi les propos du T. P. M. Du Roy m'étonnent de la part d'un frère instruit qui, quand il combattait nos établissements, me reprochait des vues semblables à celles qu'il aurait aujourd'hui. Cependant voyez et instruisez-moi de sa façon d'agir envers nos membres, et je vous exhorte à veiller à ce que tous nos postulants aient bien reçu leurs instructions dans le symbolique, ou qu'ils les reçoivent comme émules selon ce que j'ai mandé à mon T. S. de Paris. Pour le reste faites-en la collation selon mes propres instructions et avec le cérémonial que vous aurez du P. M. Substitut.
      Faute de quoi vous ferez des membres sans aucun des pouvoirs de leur grade et (qui) ne seront d'aucune utilité à l'Ordre encore qu'on les avance après de semblables profanations, et ainsi vous n'auriez pas nui à l'Ordre seul mais plus gravement aux sujets désireux de s'instruire et de progresser dans le bien. De plus, vous ne devez pas prendre exemple sur ma bien trop grande facilité à récompenser le bon vouloir de quelques émules qui ne remplissaient pas les conditions ; mais vous souvenir de tous les ennuis que m'a procurés cette facilité et cela lors de nos établissements de Bordeaux et dans la personne des sieurs Lardy, Duguers (Bonnichon) et autres, par suite de quoi je me suis résolu à abandonner au conseil de mes T. S. tout ce qui m'est adressé. C'est un pâtiment auquel je me résigne volontiers dans l'intérêt de l'Ordre. »

                  Votre affectionné frère et maître
                  DON MARTINÈS DE PASQUALLY. G. S.
      [Note de l'auteur : Extrait d'une lettre inédite au frère De Gaicheux, du 16 novembre 1773. Anciennes archives Villaréal. D. IX.]

      On voit d'après cet extrait que, déjà à la fin de 1773, le frère du Roy d'Hauterive semblait considérer le cérémonial des divers grades comme une chose fort accessoire, et cherchait très probablement à faire partager son opinion par quelques membres de l'Ordre. Ce qui est certain, c'est que d'Hauterive se sépara de l'Ordre quelques années plus tard ; et l'on peut se demander s'il n'y a pas une relation entre
les tendances manifestées par d'Hauterive en 1773 et la ligne de conduite que devait tenir Saint-Martin dans la suite.
      Le fait est qu'un peu avant la mort de Martinès de Pasqually, Saint-Martin se rendit à Lyon où il fit avec d'Hauterive une série de conférences dans la loge de Willermoz [Note de l'auteur : Parmi ces conférences, celle intitulée : « Des voies de la Sagesse » nous a été conservée. On n'y trouve que des pensées morales, sans aucune question dogmatique.], La Bienfaisance, et où il écrivit son premier livre intitulé des Erreurs et de la Vérité : « C'est à Lyon, dit-il, que j'ai écrit le livre intitulé des Erreurs et de la Vérité je l'ai écrit par désœuvrement et par colère contre les philosophes. J'écrivis d'abprd une trentaine de pages, que je montrai au cercle que j'instruisais chez M. de Villermas (sic), et l'on m'engagea à continuer. Il a été composé vers la fin de 1773 et le commencement de 1774, en quatre mois de temps, et auprès du feu de la cuisine, n'ayant pas de chambre où je pusse me chauffer. Un jour même, le pot de la soupe se renversa sur mon pied et le brûla assez fortement. »
      Saint-Martin fut-il très satisfait de ce séjour à Lyon ? Nous ne le pensons pas, pour diverses raisons : « Mon premier séjour à Lyon en 1773, 1774, 1775, nous dit-il lui-même, ne m'a pas été beaucoup plus profitable que celui de 1788. J'y éprouvais un repoussement très marqué dans l'ordre spirituel » [Note de l'auteur : Ce passage et le précédent sont extraits du Portrait de Saint-Martin, autobiographie qui n'a pas encore été publiée intégralement.]. Ce qui occasionnait ce repoussement dans l'ordre spirituel, et ce sur quoi Saint-Martin n'insiste pas, l'Histoire maçonnique va nous l'apprendre. Mais il est nécessaire de faire ici une digression un peu longue et de reprendre l'étude de cet Ordre de la Stricte-Observance templière dont nous avons différé jusqu'à présent de développer la formation et le système.
      Le créateur de ce système, le baron de Hund, riche gentilhomme de Lusace, d'intelligence ordinaire, mais très porté aux idées aventureuses et doué d'une forte dose de vanité et d'une riche imagination, avait entendu parler durant son séjour à Paris, en 1743, d'une légende sur la prétendue continuation de l'ancien ordre des templiers officiellement aboli vers 1313. De retour en Allemagne, il imagina, de concert avec un frère Marschall, ancien grand-maître provincial de la Grande Loge de Londres pour la Haute-Saxe, de rétablir cet ancien Ordre des Templiers en s'appuyant sur la Franc-Maçonnerie, et de chercher à recouvrer les biens de cet Ordre. En conséquence, ils commencèrent à s'efforcer de rétablir le plan du domaine de l'Ordre ; mais devant les difficultés que présentait le rétablissement de certaines provinces, ils adoptèrent une nouvelle répartition des provinces. Elle eut lieu d'après les bases suivantes :  la Basse-Allemagne avec la Pologne et la Prusse ;  l'Auvergne ;  l'Occitanie ;  l'Italie et la Grèce ;  la Bourgogne et la Suisse ;  la Haute-Allemagne ;  l'Autriche et la Lombardie ;  la Russie et  la Suède [Note de l'auteur : A la vérité, il y eut trois répartitions successives des provinces : une première tout imaginaire en sept provinces, une seconde basée sur les documents relatifs aux Templiers, et une troisième adaptée aux nécessités de l'époque.]. Ces provinces furent elles-mêmes divisées administrativement en directoires, prieurés, sous-prieurés, etc., d'une façon quelque peu arbitraire ; sauf cependant la première et la sixième province, pour la division desquelles on utilisa la répartition des loges maçonniques existantes, loges que l'on devait s'efforcer de faire entrer dans le système. Marschall et De Hund travaillèrent ensuite à composer leurs rituels et établirent six grades. Aux trois grades, apprenti, compagnon et maître, ils ajoutèrent un Maître écossais, un Novice et un Chevalier templier que l'on divisa lui-même en quatre classes : celles d'Eques (chevalier), d'Armiger (porteur d'armes), de Socius (allié), et d'Eques-professus ou grand profès.
      Comme il était nécessaire, en attendant que les promoteurs de ce système eussent trouvé quelques hauts personnages pour l'appuyer, de donner à l'Ordre l'autorité qui lui manquait, Marschall et De Hund imaginèrent de placer leur création sous les auspices de Supérieurs Inconnus, personnages actifs dont le mystère cacherait l'irréalité, tout en laissant supposer de hautes personnalités ayant en main l'instruction et la direction de l'Ordre. Marschall et De Hund décidèrent aussi que chaque frère recevrait un nom de guerre et ils rédigèrent l'acte d'obédience que l'on devait signer aux Supérieurs Inconnus ou S. I. en entrant dans l'Ordre templier. Cet acte était divisé en six points d'obéissance absolue [Note de l'auteur : Voir le texte dans Menge, Geschichte des Loge Pforte, etc., p. 81 et suiv., et dans Fessler, Histoire critique. On s'engageait notamment, en signant cet acte, à renoncer aux obligations et aux pratiques des autres observances ; ce qui explique amplement la conduite de Martinès de Pasqually à l'égard de Bacon de la Chevalerie.], d'où le nom de Stricte Observance donné à l'Ordre templier.
      Tout était déjà disposé. Les messages des S. I. avaient été préparés, et le frère Marschall avait présenté De Hund aux francs-maçons de sa loge de Kittliz, comme ayant reçu la grande maîtrise templière pour l'Allemagne, sous le nom d' « Eques ab Ense » ; quand Marschall, inquiet des suites qu'aurait toute cette affaire, jugea prudent de se retirer.
      Cet abandon ne découragea pas De Hund, qui distribua de nombreux titres de chevaliers et réussit à faire signer son fameux acte d'obédience dans plusieurs loges de la Saxe et du Brunswick. Cependant, sa réalisation aurait sans doute rencontré de grands obstacles si un événement inattendu ne lui eût procuré une grosse réclame dans toute l'Allemagne.
      Un certain aventurier nommé Becker, qui se cachait sous le nom de Johnson, ayant eu vent des projets de De Hund, essaya de supplanter ce dernier dans l'esprit de ses partisans et de lui enlever le bénéfice de son entreprise. Ce Johnson était très habile. Connaissant la fatuité de De Hund tout en soupçonnant sa hâblerie, il ne lui contestait pas le titre de Grand-Maître ; mais il se prétendait lui-même envoyé par les S. I. pour réformer l'Ordre templier, et, tout en affirmant que lui, Johnson, avait des pouvoirs illimités, il assurait que De Hund commandait à vingt-six mille hommes et que l'Ordre lui faisait un revenu de plusieurs milliers de louis d'or ; que le convent de l'Ordre se tenait en permanence dans un endroit fortifié gardé nuit et jour par des chevaliers en armes et que la flotte anglaise était à la discrétion de l'Ordre. Il racontait aussi qu'il n'existait de caisses qu'en trois endroits de la terre, savoir à Ballenstädt, dans les montagnes de la Savoie et en Chine ; que l'Ordre possédait encore des manuscrits de Hugo de Paganis, grand-maître des templiers. Il ajoutait que quiconque s'attirait la colère de l'Ordre était perdu corps et âme. Il portait aux théologiens une haine sans bornes : « Cette canaille, disait-il, ne se doute guère des châtiments que l'Ordre lui réserve. »
      De Hund, de son côté, prétendait que les récits de Johnson étaient vrais ; mais il prenait soin d'ajouter qu'il était faux que Johnson eût l'autorité qu'il se donnait et qu'il n'appartenait à personne, sauf à lui, Grand-Maître de l'Ordre en Allemagne, de conférer des grades supérieurs aux trois premiers : « Jusque-là il était resté dans l'ombre, mais il considérait désormais comme un devoir de faire publiquement partie de la Franc-maçonnerie et il invitait les frères à lui prêter serment d'obéissance et de fidélité et à attendre les instructions des S. I. »
      Cependant, De Hund, considérant la situation comme dangereuse, cherchait une occasion de se débarrasser de Johnson sans trop de scandale. N'en trouvant pas, il s'éleva enfin fortement contre lui. Johnson témoigna une grande indignation et ne demanda pour réunir les preuves de sa justification qu'un délai de vingt-quatre heures dont il profita sagement pour prendre la fuite [Note de l'auteur : Dans la suite, on reconnut que ce Johnson avait commis, sous le nom de Leuchte, de nombreuses escroqueries dans toute l'Allemagne. Condamné pour vol d'une caisse publique, il fut arrêté et enfermé au château de la Wartbourg, où il mourut en 1776.].
      Quant à De Hund, il parla avec tant d'assurance, en frappant sur son épée, que les frères présents ne firent aucune difficulté pour admettre qu'il avait bien réellement reçu du dernier grand-maître des Templiers réfugiés en Ecosse le titre de Grand-Maître provincial d'Allemagne, sous le nom de Chevalier de l'Epée (Eques ab Ense).
      Comme le nouveau sytème donnait satisfaction aux ambitieux, le frère Schubart de Kleefeld (Eques a Strutione), homme adroit, persuasif et possédant une grande expérience du monde, et que De Hund avait gagné à sa cause, n'eut pas grande peine à obtenir en peu de temps un grand nombre d'adhésions. Lui-même, nommé Sous-Prieur et pourvu de beaux appointements, faisait miroiter aux yeux des frères un plan financier destiné à enrichir les chevaliers pauvres. D'après ce plan, on se proposait de former, avec les droits des réceptions extraordinaires et des promotions ajoutés à une mise de fonds, s'élevant, pour chaque chevalier, à la somme de cinq cents rixdales (environ 2500 francs) un fonds que l'on centuplerait au moyen de spéculations commerciales.
      Inutile de dire que ce plan ne fut par réalisé. Lorsque Schubart se trouva à la tête d'une fortune suffisante, il déclara qu'il renonçait à l'administration des biens de l'Ordre, et toutes les brillantes espérances qu'il avait données à ses adhérents s'évanouirent en fumée, au grand désappointement de ces derniers.
      Cependant, grâce aux habiles promesses de Schubart et à l'activité de Hund et d'un frère Jacobi que le grand-maître s'était adjoint, l'Ordre avait fait quelques progrès. Outre un grand nombre de maçons de la Prusse, du Brunswick, du Mecklembourg, du Hanovre, du Danemark et de la Courlande, il comptait parmi ses membres le duc Ferdinand de Brunswick qui travaillait à créer à Brunswick même une grande loge de direction.
      Mais les ressources d'une riche imagination ne sauraient suppléer la vérité, et De Hund ne devait pas tarder à être écrasé par sa propre construction.
      Comme les S. I. commençaient à montrer une certaine incertitude dans l'administration de l'Ordre et que, malgré leur science infuse, ils faisaient trop souvent preuve d'une ignorance manifeste ; comme, tout en accablant de mandements leurs sujets liés par d'étroits serments, ces supérieurs aussi autoritaires qu'inconnus ne semblaient pas savoir exactement ce qu'ils voulaient, De Hund se vit bientôt pressé de toutes parts de demandes d'éclaircissements.
      Privé de conseils, il ne pouvait que répondre ce qu'il avait toujours dit sur la continuation de l'Ordre des Templiers et sur leurs S. I. que, disait-il, il ne connaissait pas lui-même et dont il recevait les ordres. Comme il se retranchait derrière un prétendu serment, les frères ne purent rien en tirer, mais commencèrent à le considérer avec une certaine défiance.
      Cependant les affaires de l'Ordre allant de mal en pis, on songea à convoquer une assemblée de tous les chefs patents du système, assemblée qui eut effectivement lieu en mai 1772, au château de Brühl, à Kohlo en Lusace. Le duc Ferdinand de Brunswick y fut nommé Grand-Maître général, tandis que De Hund, après avoir affirmé sa légitimation sur son épée, ne fut élu Grand-Maître que dans les loges de la Haute et Basse Saxe, du Danemark et de la Courlande. Vu son goût pour les hommages et les pompes extérieures, on lui laissa la direction du cérémonial et le choix des titres en lui enlevant toute autre attribution.




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