CHAPITRE III
Le Martinisme contemporain
La France, qui, dans l'Invisible, est la fille aînée
de l'
Europe et qui, par suite, doit toujours renfermer le centre de l'
esprit
initiatique, avait vu la plupart de ses loges maçonniques s'éloigner
de tout effort spirituel pour se renfermer dans les compromissions
néfastes
de la politique et pour descendre de degré en degré jusqu'à
devenir des centres actifs d'athéisme et de matérialisme.
Délaissant l'étude des
symboles qu'ils étaient
chargés de transmettre aux
générations futures, faisant,
sous prétexte d'anticléricalisme, une guerre incessante à
toute croyance élevée et à toute recherche de l'
idéal
dans l'humanité, les francs-maçons français devenaient bientôt
indignes d'être comptés au nombre des membres de la grande famille
maçonnique universelle.
C'est alors que les maîtres de l'Invisible dirigèrent
la grande réaction
idéaliste et fournirent au Martinisme le moyen
de prendre une extension considérable.
De même que Martines avait adapté le Swedenborgisme
au milieu dans lequel il devait agir, de même que
Saint-Martin et Willermoz
avaient aussi créé les
adaptations indispensables, de même
le Martinisme contemporain a du s'adapter à son milieu et à son
époque, mais en conservant à l'Ordre son caractère traditionnel
et son
esprit primitif.
L'
adaptation a surtout consisté à unir étroitement
l'uvre de
Saint-Martin à celle de Willermoz. Ainsi les
initiateurs
libres, créant directement d'autres
initiateurs, et développant
l'Ordre par l'action individuelle, caractérisaient trop l'uvre de
Saint-Martin pour ne pas être intégralement conservés.
Mais les groupes d'
initiés et d'
initiateurs régis
par un centre unique et constitués hiérarchiquement, caractérisaient
aussi le Willermosisme et devaient être l'objet d'une attention particulière.
Voilà pourquoi le Martinisme contemporain constitua,
à côté des
initiateurs libres, son Suprême Conseil assisté
de ses Délégués généraux, de ses Délégués
spéciaux, et administrant des loges et des groupes répandus actuellement
dans toute l'
Europe et dans les deux Amériques.
Ne demandant à ses membres ni cotisations, ni droits
d'entrée dans l'Ordre, n'exigeant non plus aucun tribut régulier
de ses loges au Suprême Conseil, le Martinisme est resté fidèle
à son
esprit et à ses origines en faisant de la pauvreté
matérielle sa première règle.
Par là, il a pu éviter toutes ces irritantes
questions d'
argent qui ont causé tant de désastres dans certains
rites maçonniques contemporains ; par là aussi, il a pu demander
à ses membres un travail intellectuel soutenu, créer des écoles,
distribuant leurs grades exclusivement à l'examen et ouvrant leurs portes
à tous à condition de justifier d'une richesse intellectuelle ou
morale quelconque, et renvoyant ailleurs les oisifs et les pédants qui
pensaient arriver à quelque chcse avec de l'
argent. Le Martinisme ignore
les radiations pour non-paiement de cotisations, il ignore le
tronc de la veuve
et ses chefs seuls sont appelés à justifier leur titre en participant,
suivant leur grade, au développement général de l'Ordre.
Filiation martiniste : Saint-Martin, Chaptal, Delaage
[Note de l'auteur : On trouvera des documents positifs
sur l'existence de l'Ordre Martiniste en 1818 dans l'Appel à l'Humanité
du chevalier Arson. On verra qu'à ce moment l'Ordre fonctionnait parfaitement
à Paris, et luttait contre les Sociétés et les agents des
Templiers.]
Le passage du Martinisme aux groupes qui devaient lui donner
une telle extension à l'époque actuelle s'est effectué par
l'intermédiaire d'un modeste occultiste qui fut toujours attaché
à deux grands principes : la conservation de la tradition initiatique du
Spiritualisme, caractérisée par la
Trinité, et la défense
du Christ en dehors de toute secte. Ce sont bien là les caractères
de l'
Inconnu auquel a été confié le dépôt
sacré, et Henri Delaage, car c'est de lui qu'il s'agit, préféra
rester fidèle à son
initiation que de fonder une nouvelle secte
non traditionnelle comme le fit Rivail (
Allan Kardec).
Delaage poussa le respect du secret jusqu'à ne pas
parler de l'origine de son
initiation dans ses livres, et c'est à ses intimes
seuls qu'il se plaisait à parler à cur ouvert du Martinisme,
dont la tradition lui avait été transmise par l'intermédiaire
de son grand-père, M. de Chaptal,
initié lui-même par
Saint-Martin.
La lettre suivante justifiera et prouvera notre dire.
SOCIÉTÉ ASTRONOMIQUE DE FRANCE
Paris, le 19
janvier 1899.
Mon cher Docteur,
Je ne vois aucun inconvénient à vous répéter
aujourd'hui par écrit ce que je vous ai dit dernièrement de vive
voix à propos d'Henri Delaage. J'ai eu de fréquentes relations avec
lui de 1860 à 1870, et je me souviens qu'il m'a souvent parlé de
son grand-père le ministre Chaptal, et de
Saint-Martin (le philosophe inconnu),
que son grand-père connaissait particulièrement. Il s'était
occupé aussi lui-même, avec M. Matter, de la doctrine du Martinisme,
sur laquelle ce dernier auteur a publié un ouvrage à la Librairie
académique Didier, où je l'ai aussi quelquefois rencontré.
Veuillez agréer, je vous prie, mon cher Docteur, l'expression
de mes sentiments les plus sympathiques et les plus dévoués.
Signé : FLAMMARION.
A M. le Dr Encausse.
Voici de plus, deux extraits très caractéristiques
de Delaage, au sujet de l'origine de son
initiation personnelle.
Homme de tradition, nous nous rattachons, par toutes les
fibres du cur, aux sublimes institutions du Christianisme
[Note de l'auteur
: Delaage, Doctrine des Sociétés secrètes, Paris,
1852, p. 7.].
La tradition, ou connaissance profonde de
Dieu, de l'homme
et de la nature, est
éminemment nécessaire à tous les peuples.
L'homme auquel elle a été dévoilée dans l'
initiation
et qui entreprend de la revoiler, pour la rendre visible à tous les yeux,
palpable à toutes les mains, doit se préoccuper de choisir des
symboles,
des
allégories, des
mythes, qui soient en rapport avec les murs,
la nature, les connaissances du peuple qu'il aspire à doter du bienfait
précieux de la Vérité. Sans cela, la révélation
ne révélerait rien à l'intelligence ni au cur ; de
plus, s'il est quelque chose capable d'enniaiser un homme et d'en faire un parfait
crétin, c'est de mettre sur ses lèvres et devant ses yeux des
symboles
dont il ne saisit pas le sens, car, quand on commande à l'intelligence
de conserver en sa mémoire des choses incompréhensibles, on impose
inévitablement à l'
esprit l'ordre de se suicider
[Note
de l'auteur : Delaage, Doctrine des Sociétés secrètes,
Paris, 1852, p. 16.].
Nous avons posé en principe qu'au commencement du
monde le péché avait animalisé l'homme en enveloppant l'
âme
d'organes finis et matériels pouvant la mettre en rapport avec les créatures
finies de la terre, mais trop bornés pour lui permettre d'être, comme
avant sa chute, en rapport direct avec son
Dieu. De là, la lutte de l'
initié
contre chacun des
éléments de la Nature, soulevés contre
l'homme déchu : la terre, dont il triomphe en pénétrant dans
son sein ; l'
eau, en la traversant ; le
feu, en y passant ; l'
air, en y demeurant
impassiblement suspendu : de là aussi, le combat avec sa chair que, par
le jeûne et la
chasteté, il réduit en servitude ; enfin la
renaissance de son
âme à la puissance et à la lumière
de la vie
[Note de l'auteur : Delaage, op. cit.,
p. 158.].
Quelques mois avant sa mort, Delaage voulut donner.à
un autre la graine qui lui avait été confiée et dont il ne
pensait pouvoir tirer aucun
fruit. Pauvre dépôt, constitué
par deux lettres et quelques points, résumé de cette doctrine de
l'
initiation et de la
trinité qui avait illuminé tous les ouvrages
de Delaage. Mais l'Invisible était là, et c'est lui-même qui
se chargea de rattacher les ouvrages à leur réelle origine et de
permettre à Delaage de confier sa graine à une terre où elle
pouvait se développer.
Les premières
initiations personnelles, sans autre
rituel que cette transmission orale des deux lettres et des points, eurent lieu
de 1884 à 1885, rue
Rochechouart. De là, elles furent transportées
rue de
Strasbourg, où les premiers groupes virent le
jour. La première
loge se tint rue Pigalle, où Arthur Arnould fut
initié et commença
ainsi la voie qui devait l'écarter définitivement du matérialisme.
La loge fut ensuite transportée dans un appartement de la rue de la
Tour
d'Auvergne, où les tenues d'
initiation furent fréquentes et fructueuses
au point de
vue intellectuel. Les cahiers virent le
jour (1887-1890), et c'est
alors que Stanislas de Guaita prononça son beau discours initiatique. A
partir de ce moment, les progrès sont très rapides.
Le groupe
ésotérique, la Librairie du Merveilleux,
si bien créée et dirigée par un licencié en droit,
membre fondateur de la loge : Lucien Chamuel, virent successivement le
jour et,
en 1891 , le Suprême Conseil de l'Ordre Martiniste était constitué
avec un local réservé aux tenues et aux
initiations, 29 rue de
Trévise,
puis rue Bleue. et enfin rue de Savoie.
Depuis, l'Ordre constitua des délégués
et constitua des loges, d'abord en France, et dans les diverses contrées
de l'
Europe, puis dans les deux Amériques, en Egypte et en Asie.
Et tout cela a été obtenu sans que jamais un
martiniste ait payé une cotisation quelconque, sans que jamais une loge
ait fourni un tribut régulier au Suprême Conseil. Les fondateurs
ont consacré tous leurs gains à leur uvre, et le
Ciel les a dignement
récompensés de leurs efforts.
Ce qui distingue particulièrement l'
initiation de
Martines, c'est l'apparition, dès le premier grade des cohens, du ternaire.
Il y a
trois colonnes de
couleurs différentes, dominées par
une grande lumière. Ce ternaire, unifié dans le quaternaire; se
développe harmoniquement dans les autres grades. Au second degré,
l'
histoire de la chute et de la réintégration est présentée
au récipiendaire et les degrés suivants servent à affirmer
cette
réconciliation de la créature et de son créateur.
Tous ces détails sont nécessaires, car les
cahiers martinistes contemporains ont été imprimés en 1887,
et ce n'est que huit ans après que les anciens catéchismes des loges
lyonnaises parvenaient au Suprême Conseil et venaient montrer l'intégrité
de la tradition depuis Martines jusqu'à ce
jour.
Caractère du Martinisme contemporain
Dérivant directement de l'Illuminisme chrétien,
le Martinisme devait en adopter les principes. Voilà pourquoi les nominations
sont exclusivement faites du haut en bas, le Président de l'Ordre nommant
le Comité directeur, qui désigne les membres du Suprême Conseil
et les délégués généraux et
administre les
affaires courantes ; les délégués généraux
nommant les chefs des loges, qui désignent eux-mêmes leurs officiers
et sont maîtres de leurs loges. Toutes les fonctions sont du reste inspectées
directement par le Suprême Conseil au moyen de ses inspecteurs principaux
et de ses inspecteurs secrets. Tel est le résumé de cette organisation
qui a pu, sans
argent, prendre une extension considérable et résister
jusqu'à présent à toutes les tentatives d'accaparement tentées
successivement par diverses confessions, et surtout par le cléricalisme
actif. L'Ordre a survécu à tout, même à la calomnie
représentant ses membres, tantôt comme des envoyés des
Jésuites,
tantôt comme des suppôts de l'Enfer ou des magiciens noirs. Chaque
fois, les chefs ont été prévenus des tentatives faites et
des moyens de les éviter, et chaque fois le succès est venu confirmer
la haute origine des indications ainsi fournies.
C'est donc par les chefs du Suprême Conseil que le
Martinisme se rattache à l'Illuminisme chrétien. L'Ordre dans son
ensemble est surtout une école de chevalerie morale, s'efforçant
de développer la spiritualité de ses membres par l'étude
du monde invisible et de ses lois, par l'exercice du dévouement et de l'assistance
intellectuelle et par la création dans chaque
esprit d'une foi d'autant
plus solide qu'elle est basée sur l'observation et sur la science. Le Martinisme
constitue donc une chevalerie de l'
Altruisme opposée à la ligue
égoïste des appétits matériels, une école où
l'on apprend à ramener l'
argent à sa juste valeur de sang social
et à ne pas le considérer comme un influx divin, enfin un centre
où l'on apprend à rester impassible devant les tourbillons positifs
ou négatifs qui bouleversent la Société ! Formant le noyau
réel de cette universté vivante qui refera un
jour le
mariage de
la Science sans
division avec la Foi sans épithète, le Martinisme
s'efforce de se rendre digne de son nom en établissant des écoles
supérieures de ces sciences métaphysiques et physiogoniques dédaigneusement
écartées de l'enseignement classique sous le prétexte qu'elles
sont
occultes.
Aussi les examens institués dans ces écoles
portent-ils sur le
symbolisme de toutes les traditions et de toutes les
initiations,
sur les
clefs hébraïques et sur les
éléments de la langue
sanscrite, qui permettent aux Martinistes ayant passé par ces épreuves
d'expliquer leur tradition à beaucoup de francs-maçons haut gradés
et de montrer que les descendants des illuminés sont restés dignes
de leur origine.
Tel est le caractère du Martinisme et l'on comprend
qu'il est impossible de le retrouver intégralement dans chaque membre de
l'Ordre qui représente une
adaptation particulière de ces buts généraux.
Mais cette époque de scepticisme, d'adoration de la
fortune matérielle et d'athéisme avait si nécessairement
besoin d'une réaction franchement chrétienne, indépendante
de tous les clergés, qu'ils soient
catholiques ou
protestants, et liée
surtout à la Science que, dans tous les pays où il a une fois pénétré,
le Martinisme a sauvé du doute, du désespoir et du suicide, bien
des
âmes ; il a ramené à la compréhension du Christ
bien des
esprits que les manuvres cléricales et leur but de bas intérêt
matériel, c'est-à-dire d'adoration de César, avaient éloignés
de toute foi. Après cela, qu'on calomnie, qu'on diffame ou qu'on excommunie
le Martinisme ou ses chefs, qu'importe ! la Lumière traverse les vitres
même crasseuses et elle illumine toutes les ténèbres physiques,
morales ou intellectuelles.
Les adversaires du Martinisme et leurs objections
Malgré ses faibles ressources matérielles, les progrès
de l'Ordre Martiniste furent rapides et considérables.
Aussi son succès suscita-t-il trois genres d'adversaires
:
l° Les matérialistes
athées, que représente si bien le
Grand-Orient de France ;
2° Les cléricaux ;
3° Toutes les sociétés
et tous les individus qui combattent le Christ et cherchent à diminuer
son uvre, ouvertement ou occultement.
De là une foule d'objections, de sous-entendus et
de calomnies qu'il est nécessaire de bien indiquer pour permettre aux membres
de l'Ordre de les détruire.
Matérialistes
Les Matérialistes, après avoir accusé
les Martinistes d'être des
jésuites, des aliénés, des
« rêveurs d'un autre âge qui ne pourraient rien faire dans ce
siècle de lumière et de raison », ont été émus
des progrès rapides de cet Ordre et ont commencé par essayer de
copier l'organisation des « groupes martinistes » sans y réussir
; car ils ont rêvé de faire des « groupes de jeunes athées
» rattachés au système électoral du
Grand-Orient.
C'est alors qu'on s'est inquiété de la question
d'
argent. Un ordre allant si vite devait rapporter gros à ses fondateurs.
Combien donnaient par mois les membres ?
Rien... Combien coûtaient
les chartes de délégués ?
Rien... Qui payait donc
les frais d'impression, de poste, de secrétariat et de diplômes nécessités
par le mise en mouvement d'un tel organisme ?
Les chefs.
On ne pouvait donc plus les accuser de tirer un profit quelconque
d'un mouvement auquel ils consacraient le plus clair de leurs revenus.
Aussi les « gens pratiques » finissent-ils par
croire que les Martinistes sont tout de même convaincus.
Les cléricaux
Les attaques des cléricaux sont plus perfides et plus
adroitement présentées. Laissant de côté toute question
matérielle, ils s'en prennent à l'
esprit et, malgré toutes
les affirmations et les évidences contraires, il leur est impossible d'admettre
que les occultistes, et votre serviteur en particulier, ne rendent pas au diable
quelque culte secret. Les Martinistes, par suite, doivent cacher leur
jeu, et
ces gens, qui osent défendre le Christ en remettant à sa place le
clergé qui le vend tous les
jours aux marchands du temple, se livrent,
d'après ces bons cléricaux, aux évocations les plus terrifiantes
à Satan et à ses plus
illustres démons.
Il est singulier comme il est difficile de faire entrer dans
la tête d'un rédacteur de feuille de
sacristie, cette idée
que le clergé et
Dieu peuvent agir indépendamment l'un de l'autre
et qu'on peut parfaitement admettre la bonté de
Dieu et la rapacité
matérielle du clergé qui agit soi-disant en son nom, sans les confondre
un instant. Attaquer un inquisiteur, c'est attaquer, à leur avis,
Dieu
lui-même. Halte-là !
Les Martinistes veulent être des chrétiens libres
de toute attache cléricale et les accusations de satanisme leur feront
hausser les épaules, en appelant le pardon du
Ciel sur ceux qui les calomnient
injustement.
Raconterons-nous de nouveau, à ce propos, la gigantesque
farce composée par Léo Taxil sur ce thème des « occultistes
diabolisants » ?
Montrerons-nous sous son vrai
jour cette funambulesque société
secrète du
Labarum dont nous possédons le nom exact de tous
les dignitaires.
Dirons-nous comment le même Taxil doit être tout
disposé à monter une nouvelle
mystification basée sur la
« maçonnerie des femmes » ?
A quoi bon ?
Ne vaut-il pas mieux se laisser insulter, calomnier. décrier
de toute manière, sans répondre autrement que par le pardon et l'oubli
?
Chaque attaque nouvelle, étant injuste et vile, vaut
au Martinisme un nouveau succès et ne reste jamais sans récompense.
Voilà le vrai maniement des lois
occultes et le véritable usage
des facultés spirituelles de l'homme.
Lorsque nous accusons les écrivains cléricaux
de se moquer joyeusement du public naïf qui avale leurs
couleuvres et d'employer
des procédés de polémique indignes d'un auteur qui se respecte,
on pourrait croire qu'il y a de notre part une animosité quelconque et
une tendance à l'exagération. Aussi allons-nous mettre nos lecteurs
à même de juger quelques-uns de ces procédés.
Choisissons la dernière perfidie parue. L'auteur sera,
certes, très heureux d'ètre présenté au public. C'est
un nommé
Antonini, professeur à l'Institut
catholique de
Paris, et son livre s'appelle
La Doctrine du Mal.
Ce qu'on parle de Satan, de
Lucifer, du Diable et de son
culte secret là-dedans, vous ne pouvez vous en faire une idée !
Toutefois, il y manque la verve de cet excellent Taxil, c'est fade et sans imagination.
Nous n'avons plus ce bon Bitru, dont Taxil détacha un morceau de l'appendice
caudal pour l'offrir aux
Jésuites, qui l'acceptèrent avec reconnaissance.
Il est bien entendu que les occultistes (signez-vous), et en particulier votre
serviteur, passent une partie de leur temps, en compagnie du Diable, à
faire des
anagrammes, dont M. Antonini a beaucoup de peine à trouver la
clef. Mais voyons un peu un échantillon de cette prose.
« Aulnaye,
Eliphas Lévi, Desbarolles, de Guaita,
pour ne citer que ces
initiés, reconnaissent que
Lumière astrale
signifie LUMIÈRE DE LA TERRE, nommée
astrale parce que la
terre est un astre.
Sur quoi est fondée une allégation aussi étrange
?
La déclaration des
initiés passe généralement
inaperçue, ou bien elle fait sourire. Et cependant elle constitue l'aveu
le plus grave et le plus concluant de leur satanisme.
Car ils appellent la terre un
astre parce qu'elle
renferme
LA GRANDE
ETOILE TOMBÉE DES
CIEUX, ainsi que l'Apocalypse nomme
Lucifer
l'
archange portant la lumière et précipité dans le
FEU
central de la Terre pour avoir voulu s'égaler à
Dieu
[Note de l'auteur : La Doctrine du Mal, p. 16]. »
Analysons ce poulet.
LUMIÈRE ASTRALE VEUT DIRE LUMIÈRE DE LA TERRE
M. Antonini, qui prend tant de peine pour citer les paroles
exactes de ses auteurs n'a pas cherché à justifier la citation présente
par une référence réelle, parce qu'elle est simplement
idiote.
Il se tire d'affaire
en inventant la citation qui va lui permettre de dire
les choses joyeuses de la suite :
La
Terre qui renferme une étoile ! Ô mes professeurs
d'astronomie ! Où est-il, ce
Soleil ; car une étoile c'est un
soleil,
si j'en crois mon bon ami et maître Flammarion, où est-il, ce
Soleil,
tombé dans la
Terre, alors qu'il doit être bien plus gros qu'elle,
où est-il, ce monstre de
Soleil qu'on ne voit plus ?...
Ce
Soleil, Mesdames et Messieurs, c'est un
archange : cet
archange, c'est
Lucifer, et
Lucifer est dans le
feu central de la
Terre, et la
Terre n'a pas éclaté en recevant ce nouveau
Soleil dans son sein
!
Et voilà comment les occultistes avouent qu'ils sont
satanistes !
C'est très simple, et c'est là le roc sur lequel
M. Antonini bâtit son argumentation. On n'est pas plus aimable
Les adversaires du Christ
Si les cléricaux accusent les martinistes d'évoquer
Satan ou quelque autre démon dans des séances secrètes
qui n'ont jamais existé que dans leur riche imagination, par contre d'autres
sociétés, qui prétendent étudier l'occultisme et
« développer les facultés latentes en l'homme », sans
croire du reste à l'existence du diable, font circuler hypocritement
des circulaires confidentielles où l'on accuse les Martinistes de passer
leur temps à pratiquer la « Magie Noire ».
Or, la pratique de la magie noire consiste à faire
le mal consciemment et lâchement, et rien n'est plus éloigné
du but et des procédés essentiellement chrétiens des Martinistes
de tous les temps, anciens ou modernes. Les Martinistes ne font pas de magie,
soit blanche, soit noire. Ils étudient, ils prient, et ils pardonnent
les injures de leur mieux.
Les Rose-Croix, eux, ont eu souvent à combattre
des sorciers qui profitaient de l'
ignorance et du scepticisme contemporains
pour essayer niaisement d'exercer leurs talents sur d'innocentes victimes. Or,
chaque fois, les Rose-Croix ont ouvertement prévenu les individus qu'ils
étaient livrés « au
baptême de la Lumière »,
et c'est par la prière qu'ils ont combattu. Mais les Martinistes, n'appartenant
pas à la Rose-Croix, n'ont jamais eu à défendre collectivement
aucune autre cause que celle de la vérité et ils ont toujours
agi au grand
jour, publiant tous leurs actes et toutes leurs décisions.
Par contre, ceux qui diffament dans l'ombre et se cachent
quand ils se voient découverts, ceux qui écrivent des circulaires
hypocrites et qui calomnient sous le manteau les Martinistes, de la loyauté
desquels ils ont peur, ceux-là ne méritent que la pitié
et le pardon, et, quand on voit les facultés latentes qui se manifestent
par de tels procédés, on est porté à montrer à
ces hommes que la magie noire commence à la diffamation anonyme qui,
dans le plan mental, est aussi génératrice de larves kama-manasiques,
que la basse sorcellerie du paysan illettré dans le plan astral. A bon
entendeur, salut !