Auras-tu la
force, ô mon
âme, de contempler
l'énormité de la dette que l'homme coupable a contractée
envers la Divinité ? Mais, si tu as eu celle de te livrer au
crime, tu peux bien en consi-dérer toute l'horreur. Mesure donc
par la pensée le champ du Seigneur ; rappelle-toi que l'homme
devait en être le cultivateur ; tâche de te faire une idée
de l'immensité des
fruits qui auraient dû s'y produire
par tes soins ; songe que toutes les créatures qui sont sous
le
ciel attendaient de ta soigneuse culture leur subsistance et leur
soutien ; songe que les champs du Seigneur attendaient de toi leur ornement
et leur parure ; songe que le Seigneur lui-même attendait de ta
vigilance et de ta
fidélité, la gloire et la louange que
devait lui attirer l'accomplisse-ment de ses desseins ; songe que toutes
ces choses devaient s'opérer par toi sans aucune interruption.
Tu es tombé, tu as laissé l'
ennemi prendre empire sur
toi et corrompre tes voies. Dès l'instant, tu as rendu stérile
la terre du Seigneur ; tu as plongé le cur de
Dieu dans
la tristesse. Dès ce même instant, tu as comme tari la
source de la sagesse et de la moisson dans ce bas monde ; et, depuis
cette fatale époque, tu arrêtes chaque
jour toutes les
productions du Seigneur ; contemple à présent l'énormité
de ta dette ; contemple l'impossibilité où tu es de l'acquitter,
et frissonne jusque dans les derniers replis de ton être. Tu dois
les
fruits de chaque année, depuis le moment de ton infidélité
; tu dois la dîme de toutes les heures qui se sont écoulées
depuis l'heure fatale ; tu dois tout ce que ces mêmes
fruits et
cette même dîme auraient rapporté dans les mains
où tu aurais dû les
déposer ; tu dois tous les
fruits
que tu empêcheras de croître jusqu'à la consommation
des siècles. Quel est donc l'être qui aurait pu jamais
t'acquitter envers la justice éternelle, envers cette justice
dont les droits ne peuvent s'abolir et dont les plans ne peuvent manquer
d'arriver à leur terme et à leur accomplissement ? C'est
ici,
Dieu suprême, que se manifestent les torrents de ta
miséricorde
et l'abondance intaris-sable de tes éternels trésors ;
ici, ton cur divin s'est ouvert sur ta malheureuse créature,
et non seulement ses redevances ont été acquittées,
mais elle s'est trouvée encore assez riche pour pouvoir venir
au secours de l'indigent. Tu as dit à ton verbe de venir cultiver
lui-même le champ de l'homme. Ce verbe sacré, dont l'
âme
est l'
amour, est descendu vers ce champ frappé de stérilité.
Il a consumé par le
feu de sa parole toutes les plantes parasites
et vénéneuses qui s'y étaient semées ; il
y a semé en place le
germe de l'
arbre de vie ; il a ouvert les
canaux des fontaines salutaires, et les
eaux vives sont venues l'
arroser
; il a rendu la
force aux
animaux de la terre, l'agilité aux
oiseaux du
ciel ; il a rendu la lumière aux flambeaux célestes,
le son et la voix à tous les sesprits qui habitent la
sphère
de l'homme ; et il a rendu à l'
âme de l'homme cet
amour
dont il est lui-même la source et le foyer, et qui a dirigé
son saint et admirable sacrifice. Oui, éternel
Dieu de toute
louange et de toute grâce, il n'y avait qu'un être puissant,
comme ton fils divin, qui pût ainsi réparer nos désordres
et nous acquitter envers ta justice. Il n'y avait que l'être créateur
qui pût payer pour nous ce que nous avions entièrement
dissipé, puisqu'il fallait pour cela qu'il se fît une nouvelle
création. Puissances universelles, si vous vous sentez si disposées
à chanter ses louanges, pour vous avoir rétablies dans
vos droits, et pour vous avoir rendu votre activité, quelles
actions de grâces ne lui dois-je donc pas, pour s'être lui-même
rendu caution de toutes mes dettes envers lui, envers vous, envers tous
mes
frères, et pour les avoir acquittées ? Il est dit
de la femme pénitente, que parce qu'elle avait beaucoup aimé,
on lui avait beaucoup pardonné. A l'homme on lui a tout remis,
on a tout payé pour lui, non seulement avant qu'il ait commencé
d'aimer, mais même lorsqu'il était plongé dans les
horreurs de l'ingra-titude et comme glacé toute entiers maintenant
à celui qui a commencé par nous pardonner tout. Chaque
mouvement de notre
Dieu doit être un mouvement universel, et qui
se fasse sentir dans toutes les régions de tous les univers.
Qu'à l'exemple de ce
Dieu suprême, l'
amour fasse un mouvement
universel dans tout notre être, et embrasse à la fois toutes
les facultés qui nous composent. Amen.