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Saint-Martin le Philosophe Inconnu

Sa vie et ses écrits - Son maître Martinez et leurs groupes - D'après des documents inédits
Jacques Matter
© France-Spiritualités™






CHAPITRE XXI

Le concours sur les institutions politiques et un nouvel ouvrage de Saint-Martin. – Sentence de l'inquisition d'Espagne.
La cinquante-cinquième année du théosophe. – Une querelle d'amis. – La mort de Liebisdorf.


1797-1798

Si Saint-Martin fut fort au sein de l'adversité et calme au milieu des tempêtes, c'est qu'il eut foi en sa destinée comme en Dieu ; c'est qu'il n'y eut point d'adversité pour lui, point de tempête. Loin de désespérer de l'assainissement de cette atmosphère où il étouffait, il avisait au salut de tous avec les meilleurs esprits du pays, l'Institut à leur tête. En effet, la classe des sciences morales et politiques ayant posé ce programme : « Quelles sont les institutions les plus propres à fonder la morale d'un peuple, » il écrivit un mémoire ; et il le publia après le premier concours, dans une brochure intitulée : Réflexions d'un observateur sur la question proposée par l'Institut, etc. (Paris, 1797.)

      Le sujet était d'une importance si sérieuse pour ces jours encore néfastes, qu'il aurait mérité un ouvrage complet. Saint-Martin avait fait, comme élève en droit, une étude spéciale des lois sociales en regard de la loi naturelle, et, plus tard, une étude plus approfondie de Burlamaqui et de Rousseau, sans parler de Bacon et de Montesquieu. Il était donc appelé à traiter une question de cette importance d'une façon forte et large, et, au premier abord, on a quelque peine à comprendre qu'il ait voulu l'effleurer plutôt que de l'approfondir. Or, Saint-Martin, qui savait si admirablement la question, ne fit que cela, sachant ce qu'il faisait. Du moins il envoya cet écrit à son ami de Berne un an après, en lui disant qu'il n'avait pas voulu lui en parler dans le temps, « parce que c'étoit trop peu de chose. » On voit là à la fois qu'il se juge bien, et que, cependant, il voudrait se donner le change et essayer de le donner ailleurs.

    Comment expliquer le fait ? Voyant le mal mieux que personne, l'envisageant avec plus de calme et plus de confiance dans le gouvernement de Dieu, ayant non seulement applaudi aux premières aspirations de la Révolution, mais résisté au nom de sa foi aux plus grandes crises de la Terreur ; ayant jugé avec indulgence les violences outrées qu'elle avait commises en se voyant combattue avec une violence calculée ; ayant pardonné ses plus grandes iniquités en vue de son triomphe final, Saint-Martin, plus que tout autre, avait le droit de sonder toutes les plaies du pays, et le devoir de lui proposer tous les remèdes qu'elles réclamaient. Et au lieu de lui parler la seule langue qu'il fût en état d'entendre, il se borne à lui offrir une mercuriale qu'on ne pouvait goûter. Il faut à cela une explication, et une seule sera la bonne. Ce qui manque, Saint-Martin le sait aussi bien que tout autre : c'est la moralité assise sur ses vrais fondements, les institutions religieuses. Mais cette solution, il croit qu'on ne l'acceptera pas. Son devoir est de l'indiquer, et il écrira ; mais ce sera un petit nombre de pages. Dieu fera le reste quand il le voudra.

      Dans ce sentiment, qui est sa foi, sans égard pour les circonstances et abstraction faite des juges, il traite son sujet comme il a traité la question pour l'Académie de Berlin dès 1784. Le haut enseignement que douze années de révolutions sanglantes, de débats immenses, de discussions vives, impétueuses et passionnées, ont ajouté à la pensée de l'observateur, a singulièrement mûri ses anciennes méditations. Mais son âme est restée la même. Dévoué à sa patrie, plein de tendresse pour ses frères, il sait parler à sa nation, présenter les vérités les plus simples, et les revêtir, quand il veut s'en donner la peine, des grâces les plus charmantes ; mais il choisit son heure, et loin d'adresser un pareil langage aux âmes fatiguées par de si longues déceptions, et loin de condescendre un peu à leurs excusables faiblesses, il fut, dans sa brochure, dogmatique comme avec des écoliers, hautain comme avec des ennemis et exclusif comme un homme de parti. Cela fut d'autant plus fâcheux, qu'il n'y eut pas cette fois d'Ancillon qui traitât la question reproduite l'année suivante. En effet, l'Institut, qui ne pouvait réellement couronner aussi peu le travail de Saint-Martin en 1797, que l'Académie de Berlin avait pu couronner celui de 1784, eut le malheur de ne pas recevoir de mémoires sérieux, ni l'an VI, ni l'an VII, ni l'an IX, sur la plus grande question du jour.

      Fut-il trop exigeant ou trop exclusif ?

      On a quelquefois parlé de la rigueur des Académies, et plus souvent de leurs caprices. A entendre les uns, il suffit de heurter une préoccupation pour être éconduit ; selon d'autres, il suffit d'en flatter une pour être accepté. Où les faits parlent, les suppositions sont au moins gratuites ; et, s'il est vrai que peu de corps savants auraient couronné le discours qui illustra en même temps l'Académie de Dijon et Rousseau, il est vrai aussi que les exceptions confirment la règle. Ce qui est certain, c'est que toute Académie s'honore en couronnant le mérite, soit l'éloquence, soit la pensée, soit la nouveauté de la découverte, soit l'autorité démontrée de la raison méconnue et de la loi violée, sous quelque bannière que ce soit. Or les sociétés ne manquent pas plus volontiers que les individus l'occasion de s'illustrer. Aussi faut-il regretter, dans ce concours, que Saint-Martin n'ait pas cru à l'Académie, ni aspiré sérieusement à ses couronnes.

      Ce qu'on aime à voir dans la vie d'un penseur qui vient d'éprouver un échec d'écrivain ou de théoricien, c'est qu'il soit au-dessus d'une défaite. Saint-Martin était vraiment philosophe. Il se prenait lui-même, et personnellement, d'aussi haut que l'humanité. Si d'autres sont au-dessous de leurs théories, pour lui il valait son système, et ce qui est toujours le caractère du penseur sincère, sa vie fut la fidèle expression de sa doctrine, sa profession de foi mise en pratique. A la fin du chapitre précédent, nous avons vu sa simple et profonde bonté dominer tous les autres sentiments. S'il fut le vrai sage dans ses rapports avec un adversaire, un matérialiste qui avait écrit contre lui, il se montra encore philosophe en pratique l'année suivante dans une occurrence plus grave.

      Frappé par le coup le plus sensible qui puisse atteindre une âme religieuse, il le supporta avec toute la modération d'une raison ferme, tout le calme d'une conscience sûre d'elle-même. Ecoutons-le lui-même :

      « Le 18 janvier 1798, jour où j'ai atteint ma cinquante-cinquième année, j'ai appris que mon livre Des Erreurs et de la Vérité avoit été condamné en Espagne par l'inquisition, comme étant attentatoire à la Divinité et au repos des gouvernements. »

      Je n'ai pas pu me procurer la sentence du grand tribunal d'Espagne, ni voir comment le premier ouvrage du théosophe fut trouvé par des juges espagnols attentatoire au gouvernement de Dieu et à celui des hommes. Je suis donc hors d'état d'apprécier au juste l'impression qu'elle a pu produire sur le penseur si profondément religieux qui en était l'objet.

      On peut dire qu'aimant peu l'Eglise et le sacerdoce, il a pu supporter aisément ce qui en aurait troublé bien d'autres, et Descartes lui-même avec lequel il se plaît parfois à se mettre en parallèle ; mais c'est lui ôter une vertu pour lui prêter des pensées que sa foi désavoue. Ce qu'il combat, ce n'est pas l'Eglise et le sacerdoce, ce sont les imperfections de l'Eglise et du sacerdoce, sentiment qui lui est commun avec les plus grands docteurs de tous les temps. Il est donc plus juste de lui laisser ensemble la vertu du sage et la foi du fidèle.

      En France on ne paraît pas avoir tenu grand compte de cette sentence qu'explique l'esprit du temps, comme il explique l'accueil qu'elle obtint en deçà des Pyrénées, où le fait même serait ignoré si l'auteur frappé n'en parlait pas. Nous n'en parlerons nous-même que pour louer les juges de leur sage lenteur, car le livre était publié depuis vingt ans quand ils le condamnèrent, et féliciter l'auteur de sa modération, car il relate le fait sans un mot d'apologie ou de ressentiment.

      Ce point mérite d'autant plus d'être remarqué que Saint-Martin pris à l'endroit de ses livres, était homme comme un autre. Plus il se donnait dans ses écrits, plus il les aimait. Il les aimait au point de les porter toujours dans sa pensée comme dans son cœur. Ils se suivaient, sous sa plume, et se soutenaient en frères ; témoin chacune de ses publications : chacune reproduit, continue, perfectionne la précédente. Il n'est pas jusques à la plus désavouable d'entre elles qu'il n'aime. Et cependant il ne s'irrite jamais d'une critique et jamais il ne s'en prend à l'homme qui le frappe : il n'y voit qu'un instrument du mal, de la mauvaise doctrine, du système qui le porte à frapper. C'est là se montrer philosophe en pratique comme en théorie, et plus l'harmonie entre la pensée et la vie est rare, cette complète possession de soi qui sied si bien à l'enivrante possession de la science, est une exception dans le monde des philosophes, plus elle doit être remarquée.

      C'était d'ailleurs pour M. de Saint-Martin le moment d'être sage. Il avait cinquante-cinq ans ; et il lui en restait peu d'autres à vivre. Aussi il entra dans cette dernière période avec toute la solennité d'un grave pressentiment. « J'ai goûté, dit-il, à cette période cinquante-cinquième de ma vie, une profonde et vaste impression sur ce nouveau pas que je faisois dans la carrière ; il m'a semblé que j'entrais dans une nouvelle et sublime région qui me séparait comme tout à fait de ce qui occupe, amuse et abuse sur la terre, un si grand nombre de mes semblables. »

      Ses dernières années furent pour lui ce que les dernières années sont pour tout le monde, ce que le plus magnifique des rois de Jérusalem disait des siennes, il y a trois mille ans, quand il s'écria : « Elles ne me plaisent point. »

      Chaque jour la vie semblait s'assombrir davantage pour ce noble esprit qui ne l'avait jamais beaucoup aimée. Il avait depuis longtemps le mal du pays ; et mieux que personne, il comprenait cette sainte nostalgie qui venait d'inspirer le livre publié par le mystique professeur de Marbourg, Young-Stilling, dont il eût désiré si vivement de faire la connaissance personnelle, le Heimweh. Après avoir vu ses amis les plus illustres et les meilleurs dispersés de tous les côtés, qui dans le Nord, qui dans le Midi, il était devenu à son tour « la colombe qui ne sait où poser le pied. » De Morat, on essayait sans cesse de le tenter, mais d'année en année, de nouvelles raisons de s'abstenir s'étaient présentées ; et la clarté directrice qu'il attendait sans cesse pour pouvoir y aller, ne lui vint jamais. Bientôt le motif même de s'y rendre devait cesser avec l'existence de celui qui l'eût accueilli dans sa terre avec tant de joie. En effet, la dernière année du siècle devait apporter la plus douloureuse sanction à cette pensée si paradoxale en apparence que Saint-Martin aimait à émettre : « que les hommes sont aveugles de se croire en vie ! » Cette année fut celle où il perdit l'incomparable ami qui était pour lui plus qu'un frère et qu'un disciple, un vrai fils spirituel. Et chose plus triste à dire, il le perdit au moment le plus propre à aiguiser sa douleur : ils venaient de se quereller avec autant d'aigreur que le permet la plus sincère amitié.

      Voici quelle avait été l'origine de cette querelle si étonnante, suivie d'ailleurs du plus touchant rapprochement.

      Le vieux baron, qui travaillait beaucoup et ne publiait rien, admirait beaucoup la correspondance des grands mystiques allemands, Bœhme, Gichtel et Upfeld, et préparait une traduction française des Lettres du premier, ainsi qu'un Précis de sa doctrine. Il avait renoncé à son Télémaque théosophique, mais il tenait encore à son Précis. Il en envoya la préface à Saint-Martin par leur ami commun, Maubach. Saint-Martin, qui disait sa pensée à sa façon et à tous, aux princesses comme à l'Institut et à ses amis comme à ses ennemis, avait parfois parlé à Liebisdorf avec plus de netteté qu'il ne fallait peut-être, vu l'éducation si parfaite du patricien de Berne. Toujours ses observations avaient reçu le meilleur accueil. En lisant leur correspondance, on s'étonne même de l'exquise docilité d'un disciple plus habitué au commandement qu'à la soumission, un peu plus colonel de parade que de combat, il est vrai, mais colonel en réalité et dans tous les cas membre d'une dizaine de commissions plus ou moins souveraines, aussi gâté par de plus récents suffrages que par les anciens éloges de Rousseau. En 1798, son humeur s'est assombrie, nous en avons dit les raisons, et il prend très mal de bons avis. Voici ce qu'on lui avait écrit : « Quant à votre entreprise, je loue beaucoup votre bonne intention ; mais plus je lis notre auteur, plus je le trouve difficile à abréger. » Aux yeux de Saint-Martin, le mot Abrégé qu'il met est synonyme de Précis. Cela déjà offusque le baron. Mais Saint-Martin ajoute, en parlant de ce qu'il voudrait faire lui-même : « D'ailleurs je pèse (considère) un peu le génie de ma nation. Il s'en faut beaucoup que je la croie mûre pour une pareille nourriture. Bœhme ne serait pas lu, à moins d'une refonte générale, et c'est cette refonte que je n'ai ni le temps ni la force de faire... Pour en revenir à votre Précis, je vous dirai que le ton pieux et croyant que vous prenez peut encore aller aux mœurs de vos climats ; il va peu à celles du nôtre, où nous faisons sur cela maison nette (c'est moi qui souligne). Malgré cela, il y a encore quelques bonnes âmes qui l'entendent et s'en accommodent, et pour moi je serai ravi de voir votre ouvrage. »

      Rien de plus loyal ni de plus poli que ce langage ; aussi le Suisse répond-il d'abord par une lettre affectueuse. L'ami Divonne lui a fait, dit-il, les mêmes observations ; mais il s'en débarrasse par ces mots : « Divonne ne connaît pas Bœhme. » Saint-Martin, qui ne se doute pas même qu'il a pu blesser son ami, lui marque très simplement encore, dans sa lettre du 04 novembre 1798, une nouvelle qui doit l'intéresser. Madame de Bœcklin, qui déjà lui avait écrit qu'on tenait en allemand un Résumé de Bœhme, lui a mandé, de plus, qu'il existe un second Bœhme plus clair que le premier, le mystique Sperber. C'est là-dessus et sur un échafaudage d'hypothèses créées par l'amour-propre d'un digne vieillard que la guerre éclate. Comment, se dit le Bernois, nons eulement la France ne veut pas de mon Précis, mais, pour me couper l'herbe sous les pieds, on invente maintenant un autre Bœhme, qu'on proclame plus simple et plus clair que le premier ? Vraiment, il y a des amis ; mais des amis sur qui faire fond, non.

      Et rien de plus pénible à lire que la lettre de Liebisdorf du 10 novembre, où s'exhale sa douleur. Saint-Martin y répond de la manière la plus convenable, le 10 décembre. Mais, loin d'entendre raison, son ami réplique le 18 avec un très sincère redoublement d'irritation. Saint-Martin, pour adoucir son chagrin, avait loué ce qu'il avait pu, le ton et les intentions. Peine perdue. Voici les cris que ces concessions arrachent au cœur d'abord saignant, maintenant ulcéré, du fidèle et reconnaissant mais affligé disciple : « On trouve que j'ai pris un ton pieux et croyant ; je n'aurai jamais d'autre ton que celui qui est dans mon âme... Je rougirais de ma bassesse et de ma pusillanimité, si j'étais capable de parler ou d'écrire dans un sens contraire... » Et comme si Saint-Martin lui avait donné le conseil de le faire, le brave Liebisdorf ajoute : « Permettez que je vous donne le conseil que vous m'avez donné autrefois : veillez et priez. » Madame de Bœcklin elle-même attrape des rebuffades. Elle a offert des Extraits. C'était son bonheur d'en faire, de tout et pour tout le monde. J'en ai de fort considérables sous les yeux. Eh bien ! il ne veut pas qu'elle prenne la peine d'en faire pour lui. Le 31, nouvelles explications affectueuses de la part de Saint-Martin et dignes de lui. Pour désarmer un homme qui se plaît à s'exciter, il se plaît à s'accuser ; il demande pardon d'offenses imaginaires ; il sollicite avec la plus touchante humilité toutes les observations que la charité fraterternelle voudra bien lui adresser. Cette lettre est sublime de bons sentiments et de vraie tendresse. Madame de Sévigné est plus coquette avec sa fille, elle n'est pas plus affectueuse avec elle que Saint-Martin ne l'est avec son enfant spirituel. Rien n'y fait ; et le 13 janvier, cet enfant, qui a déjà déclaré qu'il ne publiera pas son Précis en français, – et qui ne le publiera pas non plus en allemand, quoi qu'il dise, – écrit encore une lettre d'une amertume extrême au début. Aussi je ne veux pas m'y arrêter un seul instant ; j'ai hâte de dire, au contraire, qu'après avoir lancé ses traits les plus déchirants, il s'adoucit un peu, comme s'il sentait qu'il en a trop dit. Toutefois, il garde encore un peu de fiel en son bon cœur, et avec une malséante ironie il remercie son ami d'avoir empêché une publication où l'on aurait jeté son huile aux vierges folles !

      A cela, Saint-Martin, qui n'a rien empêché du tout, voit qu'il est allé jusqu'à la limite où la raison l'autorise à s'arrêter et où la dignité le lui commande. Il répond, le 28 janvier, que tout cet imbroglio est né d'une distraction de son ami ; qu'au lieu de lui conseiller soit la bassesse, soit la pusillanimité, il lui avait dit seulement que la profession de foi de sa préface, si excellente en elle-même, toucherait peu la France. Du reste, il lui dit nettement que, pour lui, il a tout fait et trop fait pour le calmer, n'ayant rien fait pour le fâcher. « Vous ayant trouvé si affecté, lui dit-il, j'ai tâché, par les expressions les plus douces que j'ai pu trouver, de mettre de l'eau sur le feu, et, au contraire, je n'ai fait que l'irriter encore plus... »

      Et cependant il y verse une eau bien douce et bien balsamique encore. Il n'attribue toutes ces émotions si vives qu'à la sensibilité de son ami pour tout ce qui peut intéresser la gloire de leur maître commun.

      Vous croyez, après cela, que tout est dit ; point. Dans sa lettre du 07 février, l'irascible baron n'est plus amer, mais il récrimine au moins par voie d'apologue. Pour justifier la profession de foi de sa future préface, il copie pour son ami la prière qu'un philosophe français a mise dans une des siennes. « Un philosophe, et un philosophe français, a pu mettre dans sa préface une prière, et je n'aurais pas pu mettre dans la mienne quelques paroles pieuses, moi aussi ! » Il y a plus, un post-scriptum sur la bassesse et la pusillanimité rentre au fond même de la question.

      Que fut ce commerce épistolaire du 07 février 1799 au 24 décembre de la même année ?

      Je l'ignore. Les lettres de ces neuf mois manquent dans les deux copies que j'ai de cette correspondance. A la dernière des deux dates que je viens de donner, Saint-Martin avait perdu le meilleur de ses amis. M. d'Effinger, neveu et gendre de Liebisdorf, lui a mandé la mort subite de son oncle. Saint-Martin lui adresse une lettre qui prouve que les rapports les plus tendres s'étaient rétablis, et que son savant ami avait continué ses travaux sur Bœhme jusqu'à la fin de ses jours. Aussi Saint-Martin n'a que deux choses à demander : il prie son héritier d'achever de traduire les Lettres du célèbre théosophe, ainsi que celles de ses disciples, et de lui céder, s'il n'y tient pas, certains ouvrages mystiques qu'a laissés le défunt.

      Il ne lui demanda pas, ce qu'il aurait été si heureux de posséder, tous les livres de ce genre que laissait le baron ; l'état de sa fortune ne lui permettait pas de les acheter, ni celui de ses yeux l'ambition de les lire. Mais il attachait le plus grand prix à ces volumes de Bœhme qu'avait tant estimés son ami. La succession de Liebisdorf offrait quelque chose de plus précieux : les lettres qu'on lui avait écrites. Saint-Martin, appréciant lui-même toute l'importance de ces reliques, demanda qu'on les lui renvoyât, disant qu'elles n'étaient nées que pour celui qui les avait provoquées. Son droit était de les exiger. M. d'Effinger et sa femme lui répondirent d'abord avec empressement ; et ils se mirent, en quelque sorte, avec une grande politesse sous sa direction spirituelle ; mais bientôt ils lui mandèrent que ses lettres étaient engagées dans des recueils qu'on hésitait à rompre et qu'ils tenaient, par piété filiale, aux éditions des volumes que son ami avait tant aimés. Saint-Martin, toujours trop généreux, se contenta malheureusement de demander qu'on lui fît au moins des extraits de ses lettres, et toujours trop confiant, il laissa aux héritiers le soin de choisir à leur goût. Ceux qui connaissent l'historique de ces documents, les extraits qu'on en a faits, les copies qui en ont circulé, les altérations qui défigurent le tout, regretteront qu'aux refus très intéressés, mais peu déguisés d'Effinger, ait répondu si vite l'acquiescement trop sincère de Saint-Martin.

      Ce petit épilogue d'une grande correspondance, sur laquelle nous reviendrons plus d'une fois encore, fut d'ailleurs tendre et intime toutes les fois que la fille de Liebisdorf s'y trouva engagée.




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