LIVRE SECOND
Le Mystère royal ou l'Art de soumettre les puissances
CHAPITRE XII : Le Secret Terrible
Il est des vérités qui doivent être à jamais mystérieuses
pour les faibles d'
esprit et pour les sots, Et ces vérités, on peut
sans crainte les leur dire. Car certainement il ne le comprendront jamais.
Qu'est-ce qu'un sot ? C'est quelque chose de
plus absurde qu'une bête C'est l'homme qui veut être arrivé avant d'avoir
marché. C'est l'homme qui se croit maître de tout parce qu'il est arrivé
à quelque chose. C'est un mathématicien qui dédaigne la
poésie. C'est
un poète qui proteste contre les mathématiciens. C'est un peintre qui
dit que la
théologie et la kabbale sont des inepties parce qu'il ne
comprend rien à la kabbale et à la
théologie. C'est l'
ignorant qui nie
la science sans se donner la peine de l'étudier. C'est l'homme qui parle
sans savoir et qui affirme sans certitude. Ce sont les sots qui tuent
les hommes de génie. Galilée a été condamné, non par l'
Eglise, mais
par des sots qui malheureusement appartenaient à l'
Eglise. La sottise
est une bête féroce qui a le calme de l'innocence ; elle assassine sans
remords. Le sot est l'ours de la
fable de Lafontaine ; il écrase la
tête de son ami sous un pavé pour chasser une mouche ; mais en face
de la catastrophe ne cherchez pas à lui faire avouer qu'il a eu tort.
La sottise est inexorable et infaillible comme l'enfer et la
fatalité,
car elle est toujours dirigée par le
magnétisme du mal.
La bête n'est jamais sotte tant qu'elle agit franchement
et naturellement en bête ; mais l'homme apprend la sottise aux
chiens
et aux
âmes savants. Le sot, c'est la bête qui dédaigne l'instinct et
qui pose pour l'intelligence.
Le progrès existe pour la bête : on peut la dompter,
l'apprivoiser, l'exercer ; mais il n'existe pas pour le sol. Car le
sot croit n'avoir rien à apprendre. C'est lui qui veut régenter et redresser
les autres et jamais vous n'aurez raison avec lui. Il vous
rit au nez
en disant que ce qu'il ne comprend pas est radicalement incompréhensible.
Pourquoi ne comprendrais-je pas en effet ? Vous dit-il avec un aplomb
admirable ? Et vous n'avez rien à lui répondre. Lui dire qu'il est un
sot serait tout simplement une insulte. Tout le monde le voit bien,
mais lui ne le saura jamais.
Voici donc déjà un formidable
arcane inaccessible
à la majorité des hommes. Voilà un secret qu'ils ne devineront jamais
et qu'il serait inutile de leur dire : le secret de leur propre sottise.
Socrate boit la ciguë, Aristide est proscrit,
Jésus
est crucifié, Aristophane
rit de
Socrate et fait rire les sots d'Athènes,
un paysan s'ennuie d'entendre donner à Aristide le nom de Juste et Renan
écrit la vie de
Jésus pour le plus grand plaisir des sots. C'est à cause
du nombre presque
infini des sots que la politique est et sera toujours
la science de la dissimulation et du mensonge. Machiavel a osé le dire
et a été frappé d'une réprobation bien légitime, car en feignant de
donner des leçons aux princes, il les trahissait tous et les dénonçait
à la défiance des multitudes. Ceux qu'on est forcé de tromper, il ne
faut pas les prévenir.
C'est à cause des viles et des sottes multitudes
que
Jésus disait à ses
disciples : ne jetez point des perles devant
les pourceaux, car ils les fouleraient aux pieds et se tourneraient
contre vous en cherchant à vous déchirer.
Vous donc qui désirez devenir puissants en œuvres,
ne dites jamais à personne, votre plus secrète pensée. Ne la dites pas
même, et j'oserais presque dire cachez-la surtout à la femme que vous
aimez ; rappelez-vous l'
histoire de Salomon et de Dalila !
Dès qu'une femme croit connaître à fond son mari,
elle cesse de l'aimer. Elle veut le gouverner et le conduire. S'il résiste,
elle le hait ; s'il cède, elle le méprise. Elle cherche toujours besoin
d'inconnu et de mystère et son
amour n'est souvent qu'une insatiable
curiosité.
Pourquoi les
confesseurs sont-ils tout puissants
sur l'
âme et presque toujours sur le
cœur des femmes ? C'est qu'ils
savent tous leurs secrets, tandis que les femmes ignorent ceux des
confesseurs.
La
Franc-Maçonnerie n'est puissante dans le monde
que par son redoutable secret si prodigieusement gardé que les
initiés,
même des plus hauts grades, ne le savent pas.
La
religion catholique s'impose aux multitudes
par un secret que le pape lui-même ne sait pas. Ce secret, c'est celui
des mystères. Les anciens
gnostiques le savaient comme l'indique leur
nom, mais il ne surent pas garder le silence. Ils voulurent vulgariser
la
gnose ; il en résulta des doctrines ridicules que l'
Eglise eut raison
de condamner. Mais avec eux, malheureusement, fut condamnée la porte
du
sanctuaire occulte et on en jeta les
clefs dans l'abîme.
C'est là que les Johannites et les
Templiers osèrent
aller la prendre au risque de la
damnation éternelle. Mériteraient-ils
pour cela d'être damnés dans l'autre monde ? Tout ce que nous savons,
c'est quand ce monde-ci, les
Templiers furent brûlés.
La doctrine secrète de
Jésus était celle-ci :
Dieu avait été considéré comme un maître, et le
prince de ce monde était le mal ; moi qui suis le fils de
Dieu, je vous
le dis : ne cherchons pas
Dieu dans l'espace, il est dans nos consciences
et dans nos
cœurs. Mon père et moi, nous ne sommes qu'un et je veux
que vous et moi nous ne soyons qu'un. Aimons-nous les uns les autres
comme des
frères. N'ayons tous qu'un
cœur et qu'une
âme. La loi
religieuse
est faite pour l'homme, et l'homme n'est pas fait pour la loi. Les prescriptions
légales sont soumises au
libre arbitre de notre raison unie à la foi.
Croyez au bien et le mal ne pourra rien sur vous.
Quand vous serez assemblés en mon nom, mon
esprit
sera au milieu de vous. Personne parmi vous ne doit se croire le maître
des autres, mais tous doivent respecter la décision de l'assemblée.
Tout homme doit être jugé selon ses œuvres, et mesuré suivant la mesure
qu'il s'est faite. La conscience de chaque homme constitue sa foi, et
la foi de l'homme c'est la puissance de
Dieu en lui.
Si vous êtes maître de vous-même, la nature vous
obéira et vous gouvernerez les autres. La foi des justes est plus inébranlable
que les portes de l'enfer et leur espérance ne sera jamais confondue.
Je suis vous, et vous moi, dans l'
esprit de
charité
qui est le nôtre, et qui est
Dieu. Croyez cela et votre verbe sera créateur.
Croyez cela et vous ferez des miracles. Le monde vous persécutera et
vous ferez la conquête du monde.
Les bons sont ceux qui pratiquent la
charité et
ceux qui assistent les malheureux ; les méchants sont les
cœurs sans
pitié et ces derniers seront éternellement réprouvés par l'humanité
et par la raison.
Les vieilles sociétés fondées sur le mensonge périront
; un
jour, le fils de l'homme trônera sur les nuées du
ciel qui sont
les ténèbres de l'
idolâtrie et il portera un
jugement définitif sur
les vivants et sur les morts.
Désirez la lumière car elle se fera. Aspirez à
la justice, car elle viendra. Ne cherchez pas le triomphe du
glaive,
car le meurtre provoque le meurtre. C'est par la patience et la douceur
que deviendrez maîtres de vous-même et du monde.
Livrez maintenant cette doctrine admirable aux
commentaires des sophistes de la décadence et aux ergoteurs du
Moyen-Age,
vous en verrez sortir de belles choses - Si
Jésus était fils de
Dieu,
comment
Dieu l'a-t-il engendré ? Est-il de la même substance ou d'une
autre substance que
Dieu ? La substance de
Dieu ! Quel éternel sujet
de dispute pour l'
ignorance présomptueuse ! Etait-il une personne divine
ou une personne humain? Avait-il deux natures et deux volontés ? Terribles
questions qui méritent bien qu'on s'excommunie et qu'on s'égorge !
Jésus avait une seule nature et deux volontés, disent les uns, mais
ne les écoutez pas, ce sont des hérétiques, deux natures, donc, et une
volonté ? Non, deux volontés. Alors il était en opposition avec
lui-même ? Non, car ces deux volontés n'en faisaient qu'une, qui
s'appelle la Théaudrique. Oh ! Oh ! Devant ce mot-là, ne disons plus
rien, et puis il faut obéir à l'
Eglise qui est devenue bien autre chose
que la primitive assemblée des fidèles. La loi est faite pour l'homme
a dit
Jésus, mais l'homme est fait pour l'
Eglise dit l'
Eglise, et c'est
elle qui impose la loi.
Dieu sanctionnera tous les décrets de l'
Eglise
et vous damnera tous si elle décide que vous êtes tous, ou presque tous,
damnés.
Jésus a dit qu'il faut s'en rapporter à l'assemblée, donc elle
est infaillible, donc elle est
Dieu, donc si elle décide que deux et
deux font cinq, deux et deux feront cinq.
Si elle dit que la terre et
immobile et que le
soleil tourne, défense à la terre de tourner. Elle vous dira que
Dieu
sauve ses élus en leur donnant la grâce efficace et que les autres seront
damnés pour n'avoir reçu que des grâces suffisantes, lesquelles à cause
du péché originel suffisaient en principe mais en fait ne suffisaient
pas ; que la pape sauve et damne qui il lui plaît puisqu'il a les
clefs
du
ciel et de l'enfer. Puis viennent les
casuistes avec leurs trousseaux
de
clefs qui n'ouvrent pas, mais qui
ferment à double et triple tour
toutes les portes des appartements projetés dans la tour de Babel. Ô
Rabelais, mon maître, toi seul peux apporter la panacée qui convient
à toute cette démence. Un éclat de rire démesuré ! Dis-nous enfin le
mot de tout cela, et apprends-nous définitivement si une
chimère qui
crève en faisant du bruit dans le vide peut se remplir de nouveau et
se lester d'une bedaine en absorbant la substance quidditative et mirifique
de nos secondes intentions ?
Ultrum chimœra in vacuum bombinans possit concidere
secundum intentiones.
Autres sots, autres commentaires. Voici venir les
adversaires de l'
Eglise qui nous disent :
Dieu est dans l'homme, cela
veut dire qu'il n'y a pas d'autre
Dieu que l'intelligence humaine. Si
l'homme est au-dessus de la loi
religieuse et que cette loi gêne l'homme,
pourquoi ne supprimerait-il pas la loi ? Si
Dieu c'est nous et si nous
sommes tous
frères, si personne n'a le droit de se dire notre maître,
pourquoi obéirions-nous ? La foi est la raison des imbéciles. Ne croyons
à rien et ne nous soumettons à personne.
A la bonne heure ! Voici qui est fier. Mais il
va falloir se
battre tous contre tous et chacun contre chacun. Voici
la guerre des
dieux et l'extermination des hommes ! Hélas ! Hélas !
Misère et sottise !... Puis encore et puis encore sottise, sottise et
misère !
Père, pardonnez-leur, disait
Jésus car ils ne savent
pas ce qu'ils font. Gens de bons sens, qui que vous soyez, ajouterai-je,
ne les écoutez pas, car ils ne savent pas ce qu'ils disent.
Mais alors ils sont innocents, va crier un
enfant
terrible. Silence imprudent. Silence au nom du
ciel ou toute morale
est perdue ! Vous avez tort d'ailleurs. S'ils étaient innocents, il
serait permis de faire comme eux et voudriez-vous les imiter ? Tout
croire est une sottise ; la sottise ne saurait donc être innocente.
S'il y a des circonstances atténuantes, c'est à
Dieu seul de les apprécier.
Notre espèce est évidemment défectueuse et il semblerait
à entendre parler et à voir agir la plupart des hommes qu'ils n'ont
pas assez de raison pour être sérieusement responsables. Ecoutez parler
à la
Chambre les hommes que la France (le premier pays du monde) honore
de sa confiance. Voilà l'orateur de l'opposition. Voici le champion
du ministère. Chacun des deux prouve victorieusement à l'autre qu'il
n'entend rien aux affaires d'Etat. A prouve que B est un crétin, B prouve
que A est un saltimbanque. Lequel croire ? Si vous êtes blanc, vous
croirez A ; si vous êtes rouge, vous croirez B. Mais la vérité, mon
Dieu ! La vérité ! La vérité, c'est que A et B sont deux charlatans
et deux menteurs. Puisqu'il peut exister un doute entre l'un et l'autre,
ils ont prouvé l'un contre l'autre que l'un et l'autre ne valaient rien.
J'admire la preuve et je les admire tous les deux dans cette démolition
mutuelle. On trouve tout ce qu'on veut dans les livres, excepté souvent
ce que l'auteur a voulu y mettre. On
rit de la
religion comme d'une
imposture et l'on envoie ses
enfants à l'
église. On fait parade de cynisme
et l'on est superstitieux. ce qu'on craint par-dessus tout, c'est le
bon sens, c'est la vérité, c'est la raison.
La vanité puérile et le sordide intérêt mènent
les humains par le nez jusqu'à la mort, cet oubli définitif et cette
rieuse suprême. Le fond de la plupart des
âmes, c'est la vanité. Or,
qu'est-ce que la vanité ? C'est le vide. Multipliez les zéros tant que
vous voudrez, cela vaudra toujours zéro, entassez des riens et vous
n'arriverez à rien, rien, rien. Rien, voilà le programme de la majorité
des hommes.
Et ce sont là des immortels ! Et ces
âmes si ridiculement
trompeuses et trompées sont impérissables ! Pour tous ces écervelés,
la vie est un piège suprême qui cache l'enfer ! Oh ! Il y a certainement
là-dessous un secret terrible : c'est celui de la responsabilité. Le
père répond pour ses
enfants, le maître pour ses serviteurs, et l'homme
intelligent pour la foule inintelligente. La
rédemption s'accomplit
par tous les hommes supérieurs, la bêtise souffre, mais l'
esprit seul
expie.
La douleur du ver qu'on écrase et de l'huître que
l'on déchire ne sont pas des
expiations.
Sache donc, ô toi qui veux être
initié aux grands
mystères, que tu fais un pacte avec la douleur et que tu affrontes l'enfer.
Le
Vautour, le Prométhéide te regarde et les
Furies conduites par
Mercure
apprêtent des coins de
bois et des clous. Tu vas être sacré, c'est-à-dire
consacré au supplice. L'humanité a besoin de tes tourments.
Le Christ est mort jeune sur une
croix et tous
ceux qu'il a
initiés ont été
martyrs.
Apollonius de Tyane est mort des
tortures qu'il avait souffertes dans les prisons de Rome.
Paracelse
et Agrippa ont mené une vie errante et sont morts misérablement. Guillaume
Postel est mort prisonnier.
Saint-Germain et Cagliostro ont fait une
fin mystérieuse et probablement tragique. Tôt ou tard, il faut satisfaire
au pacte soit formel soit tacite. Il faut payer l'amende imposée à tout
ravisseur du
fruit de l'
arbre de la science. Il faut se libérer de l'impôt
que la nature a mis sur les miracles. Il faut avoir une lutte finale
avec le diable lorsqu'on s'est permis d'être
Dieu.
Eritis sicut dii scientes bonum et malum.
FIN DU LIVRE SECOND