9 I
L'INITIATION
YESOD
BONUM
L'
initié est celui qui
possède la lampe de Trismégiste, le manteau d'Apollonius et le bâton des
patriarches.
La lampe de Trismégiste, c'est la raison éclairée par la science ; le manteau d'Apollonius, c'est la possession pleine et entière de soi-même, qui isole le sage des courants instinctifs ; et le bâton des
patriarches, c'est le secours des
forces occultes et perpétuelles de la nature.
La lampe de Trismégiste éclaire le présent, le passé et l'avenir, montre à nu la conscience des hommes, éclaire les replis du
cœur des femmes. La lampe brille d'une triple
flamme, le manteau se replie trois fois, et le bâton se
divise en trois parties.
Le nombre neuf est celui des reflets divins : il exprime l'idée divine dans toute sa puissance abstraite, mais il exprime aussi le luxe en croyance, et par
conséquent la superstition et l'
idolâtrie.
C'est pourquoi
Hermès en a
fait le nombre de l'
initiation, parce que l'
initié
règne sur la superstition et par la superstition, et peut
seul marcher dans les ténèbres, appuyé
qu'il est sur son bâton, enveloppé dans son
manteau et éclairé par sa lampe.
La raison a été
donnée à tous les hommes, mais tous ne savent pas
en faire usage ; c'est une science qu'il faut apprendre. La
liberté est offerte à tous, mais tous ne peuvent
pas être libres ; c'est un droit qu'il faut
conquérir. La
force est pour tous, mais tous ne savent pas
s'appuyer sur elle ; c'est une puissance dont il faut s'emparer.
Nous n'arrivons à rien qui
ne nous coûte plus d'un effort. La destinée de
l'homme est qu'il s'enrichisse de ce qu'il gagne, et qu'il ait ensuite,
comme
Dieu, la gloire et le plaisir de donner.
La science magique s'appelait
autrefois l'
art sacerdotal et l'art royal, parce que l'
initiation
donnait au sage l'empire sur les
âmes et l'aptitude
à gouverner les volontés.
La divination est aussi un des
privilèges de l'
initié ; or, la divination n'est
que la connaissance des effets contenus dans les causes et la science
appliquée aux faits du dogme universel de l'analogie.
Les
actes humains ne
s'écrivent pas seulement dans la lumière astrale,
ils. laissent aussi leurs traces sur le visage, ils modifient le port
et la démarche, ils changent l'accent de la voix.
Chaque homme porte donc avec lui
l'
histoire de sa vie, lisible pour l'
initié. Or, l'avenir
est toujours la conséquence du passé, et les
circonstances inattendues ne changent presque rien aux
résultats rationnellement attendus.
On peut donc prédire
à chaque homme sa destinée. On peut juger de
toute une existence sur un seul mouvement ; une seule gaucherie
présage une série de malheurs. César a
été assassiné parce qu'il rougissait
d'être chauve ; Napoléon est mort à
Sainte-Hélène parce qu'il aimait les
poésies d'Ossian ; Louis-Philippe devait quitter le
trône comme il l'a quitté parce qu'il avait un
parapluie. Ce sont là des paradoxes pour le vulgaire, qui ne
saisit pas les relations
occultes des choses ; mais ce sont des raisons
pour l'
initié, qui comprend tout et qui ne
s'étonne de rien.
L'
initiation préserve des
fausses lumières du
mysticisme ; elle donne à la
raison humaine sa valeur relative et son infaillibilité
proportionnelle, en la rattachant à la raison
suprême par la chaîne des analogies.
L'
initié n'a donc ni
espérances douteuses, ni craintes absurdes, parce qu'il n'a
pas de croyances déraisonnables ; il sait ce qu'il peut et
il ne lui coûte rien d'oser. Aussi, pour lui oser c'est
pouvoir.
Voici donc une nouvelle
interprétation des attributs de l'
initié : sa
lampe représente le savoir, le manteau qui l'enveloppe
représente sa discrétion, son bâton est
l'
emblème de sa
force et de son audace. Il sait, il ose, et
il se tait.
Il sait les secrets de l'avenir, il ose dans le présent, et il se tait sur le passé.
Il sait les faiblesses du cur humain, il ose s'en servir pour faire son œuvre, et il se tait sur ses projets.
Il sait la raison de tous les
symbolismes et de tous les cultes, il ose les pratiquer ou s'en abstenir sans hypocrisie et sans
impiété, et il se tait sur le dogme unique de la haute
initiation.
Il sait l'existence et la nature du grand
agent magique, il ose faire les actes et prononcer les paroles qui le soumettent à la volonté humaine, et il se tait sur les mystères du grand
arcane.
Aussi vous pouvez le voir souvent triste, jamais abattu ni désespéré ; souvent pauvre, jamais avili ni misérable ; souvent persécuté, jamais rebuté ni vaincu. Il se souvient du veuvage et du meurtre d'Orphée, de l'exil et de la mort solitaire de Moïse, du
martyre des prophètes, des tortures d'Apollonius, de la
croix du Sauveur ; il sait dans quel abandon mourut Agrippa, dont la mémoire est encore calomniée ; il sait à quelles fatigues succomba le grand
Paracelse, et tout ce que dut souffrir
Raymond Lulle pour arriver enfin à une mort sanglante. Il se souvient de Swedenborg faisant le fou ou perdant même la raison afin de faire pardonner sa science ; de
Saint-Martin, qui se cacha toute sa vie ; de Cagliostro, qui mourut abandonné dans les cachots de l'
inquisition ; de Cazotte, qui monta sur l'échafaud. Successeur de tant de victimes, il n'en ose pas moins, mais il comprend davantage la nécessité de se taire.
Imitons son exemple, apprenons avec persévérance ; quand nous saurons, osons et taisons-nous.