LETTRE XLII
Agrippa à son ami Jean Chapelain
Les curs vaillants ne sont point aussi encouragés, relevés par les combats heureux que par les défaites ; c'est le désespoir qui rallume leur courage. Jusqu'ici je n'ai combattu que comme soldat mercenaire ; dorénavant je combattrai comme soldat affranchi, dorénavant vous me verrez combattre avec plus d'ardeur, parler avec plus de verve. Soyez indulgent pour ma colère ; il n'est
animal si
débonnaire que la colère ne mette hors de lui. Croyez-le bien, si je ne connaissais parfaitement votre haute impartialité, je me garderais bien de vous écrire avec tant de
liberté,
liberté qui, dans le cas contraire, serait dangereuse pour moi. Vous savez que, pour une
âme ulcérée, il n'est pas de consolation plus grande que d'avoir un ami avec lequel on peut s'entretenir comme avec soi-même. Or, vous êtes pour moi un ami tel que je sais bien que ma sécurité vous est aussi à cur que votre propre sécurité. A vous seul vous êtes plus pour moi que la Cour tout entière de la Princesse. Du reste, tranquillisez-vous. N'allez pas intercéder encore pour moi auprès de votre souveraine, et n'essayez pas d'
adoucir son inflexible courroux. Que le
Sénéchal, s'il le veut, s'occupe de le faire. C'est lui qui, bien qu'il n'y ait pas de sa faute, a été la cause inconsciente de tout cela. Je vous supplie en outre de ne pas à l'avenir m'adresser vos lettres avec cette suscription de Conseiller ou de Médecin de la Reine ; je déteste ces titres et je condamne l'espoir que j'en avais conçu ; je reprends la parole et le dévouement que je lui avais jurés. Je suis résolu de la considérer à l'avenir non comme ma Souveraine (elle a cessé de l'être), mais comme une Jézabel cruelle et perfide.
N'ai-je pas raison, si son
esprit est plus accessible aux calomnies des
envieux qu'à la crainte de m'offenser, si la méchanceté des médisants a tant de puissance sur elle que la vérité et la vertu lui deviennent un objet de mépris, si elle récompense par de la haine de longs et de fidèles services, si elle
juge que de bons offices sont indignes de récompense ; si elle retire son appui, ses secours, sa bienveillance à un homme qui est devenu pauvre pour elle ? Prenons pour arbitre un homme
probe et impartial et qu'il
juge ! Sans aucun doute, il convaincra ces gens perfides de méchanceté ; quant à moi, il ne pourra m'accuser que de malchance.
Adieu, très cher. Vous saluerez pour moi
Lefebvre,
Cop (3) et
Budée (4), ces
Patriarches des Lettres et de la Sagesse, ainsi que tous ceux qui m'aiment. Je leur souhaite à tous bonne santé et toute sorte de prospérités. Quant aux autres courtisans, que les
Dieux les damnent ! Je déteste également et les Princes et les
Cours. Adieu encore une fois. Ma chère
épouse vous salue aussi, cette compagne éprouvée et fidèle de ma bonne et mauvaise fortune.
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(1) Louise de Savoie.
(2)
(3) Médecin du roi.
(4) Guillaume Budée, l'hélléniste du
Collège de France et conseiller de
François Ier, était l'ami et le protecteur naturel de tous les
hellénisants. L'impétueux jeune moine cordelier qu'était Rabelais en 1524 et son camarade Pierre
Amy en savaient quelque chose aussi bien qu'Agrippa.