CHAPITRE PREMIER LE CÔTÉ CACHÉ DES RELIGIONS (1/2)
Beaucoup la plupart même, peut-être des personnes qui liront le titre de cet ouvrage l'accuseront immédiatement d'impliquer une idée fausse et nieront qu'il existe rien de précieux ayant droit au nom de « Christianisme Esotérique ». Suivant une opinion très répandue et, par suite, populaire, le Christianisme ne présente rien qui puisse être appelé « enseignement occulte » ; quant aux « Mystères », les Grands comme les Mineurs, c'était une institution essentiellement païenne. Le nom même des « Mystères de Jésus », si familier aux Chrétiens des premiers siècles, surprendrait fort leurs successeurs modernes, et l'opinion qui verrait dans ces Mystères une institution spéciale et définie provoquerait des sourires d'incrédulité. Que dis-je ! Il a été affirmé avec orgueil que le Christianisme n'avait pas de secrets que ce qu'il avait à dire et à enseigner, il le disait et l'enseignait à tous. Ses vérités passent pour être d'une simplicité telle, que « le premier venu même borné les comprendra sans peine » et que « la simplicité de l'Evangile » est devenue une expression banale.
Il est donc nécessaire de prouver clairement que
tout au moins dans l'
Eglise primitive le Christianisme ne cédait
en rien à d'autres grandes
religions possédant un « côté
caché » et qu'il gardait, comme un trésor inestimable, les
secrets révélés à l'élite dans ses Mystères.
Mais, avant d'entreprendre cette tâche, il sera bon de considérer
dans son ensemble la question de ce côté caché des
religions
et d'examiner pourquoi un côté semblable est, pour une
religion,
la condition même de sa
force et de sa stabilité. La présence
de cet élément dans le Christianisme s'en trouvera prouvée
du même coup, et les passages où les Pères de l'
Eglise y font
allusion paraîtront faciles à interpréter et naturels, au
lieu d'être surprenants et inintelligibles. L'existence de cet
ésotérisme est un fait historique nous pouvons le prouver mais il est possible de démontrer aussi qu'elle est une nécessité d'ordre intellectuel.
Quel est le but des
religions ? C'est la première question qui se pose. Les
religions sont données au monde par des hommes plus sages que les masses qui les reçoivent ; elles sont destinées â hâter l'évolution humaine, et leur action, pour être effective, doit atteindre et influencer individuellement les hommes. Or, tous les hommes ne sont pas arrivés au même degré d'évolution. L'évolution peut, au contraire, se représenter comme une rampe ascendante dont chaque point est occupé par un homme. Les plus évolués sont, intellectuellement et moralement, bien au-dessus des moins avancés. A chaque degré, la faculté de comprendre et d'agir se modifie. Il est donc inutile de donner à tous le même enseignement
religieux.
Ce qui serait une aide pour l'homme intellectuel resterait tout à fait incompréhensible pour l'homme borné ; ce qui mettrait en extase le saint ne ferait aucune impression sur le criminel. Si, d'autre part, l'enseignement est de nature à aider les inintelligents, il est, pour le philosophe, insuffisant et vide ; est-il de nature à relever le criminel, il est complètement inutile au saint. Et pourtant, toutes les catégories humaines ont besoin de
religions, afin de pouvoir tendre vers une vie supérieure à leur existence actuelle. En même temps, aucune catégorie, aucune classe ne doit être sacrifiée à une autre. La
religion doit être aussi graduée que l'évolution elle-même ; autrement elle n'atteint pas son but.
Comment les
religions nous demanderons-nous ensuite doivent-elles chercher à hâter l'évolution humaine ? Les
religions tendent à former les natures morale et intellectuelle et à seconder le développement de la nature spirituelle. Regardant l'homme comme un être complexe, elles cherchent à l'atteindre dans chacun des
éléments qui le composent en s'adressant, par conséquent, à chacun par des enseignements appropriés aux besoins les plus variés. Ces leçons doivent donc s'adapter à chacune des intelligences, à chacun des curs, auxquels elles s'adressent. Si une
religion n'atteint et ne subjugue pas l'intelligence si elle ne purifie et n'élève pas les émotions elle a manqué son but, en ce qui concerne la personne à qui elle
s'adresse.
La
religion ne s'applique pas seulement ainsi à l'intelligence et aux émotions elle cherche encore, comme nous l'avons dit, à stimuler le développement de la nature spirituelle. Elle répond à cette impulsion intérieure qui existe dans l'homme et ne cesse de pousser la race en avant. Car, au fond du cur de chacun souvent entravée par des conditions transitoires, souvent submergée par des préoccupations et des intérêts absorbants il existe une aspiration continuelle vers
Dieu.
Comme un cerf brame après des eaux courantes, ainsi soupire (7) l'humanité après
Dieu. Cette recherche présente des moments d'arrêt, où l'aspiration semble disparaître. La civilisation et la pensée présentent des phases où ce cri, vers le Divin, de l'
Esprit humain cherchant sa source comme l'
eau cherche à reprendre son niveau, suivant l'expression de Giordano Bruno où cette aspiration passionnée de l'
Esprit humain vers ce qui est de même nature que lui, dans l'univers de la partie vers le tout semble muette, semble évanouie. Mais bientôt elle se réveille, et le même cri poussé par l'
Esprit se fait entendre. Cet instinct peut être momentanément aboli et périr en apparence, mais il se relève sans cesse malgré l'opposition qui le réduit au silence et prouve ainsi qu'il est une tendance inhérente à la nature humaine et fait avec elle un tout inséparable. Ceux qui s'écrient, triomphants : « Voyez ! Il n'est plus ! » le retrouvent devant eux, toujours aussi vivant. Ceux qui bâtissent sans en tenir compte voient leurs édifices bien construits lézardés comme par un tremblement de terre. Ceux qui déclarent qu'il a fait son temps voient les superstitions les plus extravagantes résulter de leur dédain. Il est si bien une partie intégrante de l'humanité, que l'homme exige une réponse à ses questions et préfère au silence une réponse fausse. L'homme ne parvient-il pas à découvrir la vérité
religieuse, il choisira l'erreur
religieuse plutôt que de rester sans
religion ; il acceptera l'
idéal le plus vide et le plus
faux, mais refusera d'admettre que l'
idéal n'existe pas.
Ainsi, la
religion s'adresse à cet impérieux besoin, et, s'emparant dans la nature humaine du principe qui lui donne naissance, elle forme ce principe, le fortifie, le purifie et le guide vers le but qui l'attend l'union de l'
Esprit humain avec l'
Esprit Divin afin que
Dieu soit en tous
(8).
Une troisième question se pose : Quelle est l'origine
des
religions ? Cette question a reçu, dans les temps modernes, deux réponses : celle des Mythologies comparées, et celle des
Religions comparées. Ces deux sciences donnent pour base commune à leur réponse les faits établis. Les recherches ont démontré d'une manière indiscutable que les différentes
religions se ressemblent par leurs grands enseignements ; par leurs Fondateurs, qui manifestent tous des facultés
surhumaines et une élévation morale extraordinaire ; par leurs préceptes éthiques ; par les méthodes qu'elles emploient pour entrer en relation avec les mondes invisibles ; enfin, par les
symboles exprimant leurs croyances principales. Ces ressemblances, qui vont parfois jusqu'à l'identité, prouvent à en croire les deux écoles que nous avons nommées une origine commune.
Les deux partis diffèrent cependant dans leur manière de définir la nature de cette origine. La Mythologie comparée affirme que l'origine commune est une
ignorance commune et que les
religions les plus transcendantes
sont simplement l'expression raffinée des naïves et barbares suppositions de sauvages d'hommes primitifs concernant leur propre existence et le monde qui les entoure. L'animisme, le
fétichisme, le culte de la nature, le culte du
soleil : telle est la
boue d'où émerge le lis splendide des
religions. Un
Khrishna, un Bouddha, un Lao-tze, un
Jésus sont les descendants, hautement civilisés mais pourtant directs, de « l'homme-médecine » qui se contorsionne devant des sauvages.
Dieu est une photographie « composite » des innombrables
dieux qui personnifient les
forces de la nature. Et ainsi de suite. Tout se résume dans cette phrase : les
religions sont les branches d'un tronc commun l'
ignorance humaine.
Par contre d'après la science des
Religions
comparées toutes les
religions ont leur origine dans les enseignements
d'hommes divins, qui révèlent, de temps à autre, aux différentes nations, les fragments des vérités
religieuses fondamentales qu'elles sont susceptibles de comprendre ; la morale enseignée est toujours la même, les moyens inculqués sont semblables, les
symboles identiques dans leur signification. Les
religions sauvages l'animisme et toutes les autres sont des dégénérescences, les résultats d'une décadence, les descendants difformes et rapetissés de croyances
religieuses véritables. Le culte du
soleil et les formes pures du culte de la nature étaient à leur époque, des
religions élevées, extrêmement allégoriques, mais présentant des vérités et des connaissances profondes. Les grands Fondateurs c'est l'opinion des Hindous, des Bouddhistes et d'un certain nombre de personnes s'occupant de
religions comparées, telles que les Théosophes forment une
Fraternité permanente d'hommes ayant dépassé le niveau de l'humanité. Ils se montrent, à certains moments, pour éclairer le monde et sont les protecteurs spirituels de la race humaine. Cette thèse peut être ainsi résumée : « Les
religions sont les branches d'un tronc commun la Sagesse divine. »
Cette Sagesse Divine s'est appelée la Sagesse, la
Gnose, la
Théosophie, et quelques
esprits, à différentes époques de l'
histoire du monde, dans leur désir de mieux proclamer leur croyance dans cette unité des
religions, ont préféré le nom éclectique de Théosophes à toute autre désignation d'un sens plus restreint.
La valeur relative des affirmations des deux écoles
opposées doit être jugée par la valeur des preuves invoquées.
Une forme dégénérée d'une grande idée peut
présenter une ressemblance étroite avec le produit raffiné d'une idée grossière. Le seul moyen de reconnaître s'il y a dégénérescence ou évolution serait s'il était
possible d'examiner ce qu'étaient nos ancêtres plus ou moins
reculés et ceux des époques primitives. Les arguments présentés par ceux d'entre nous qui croient à l'existence de la Sagesse sont de cette nature. Suivant leurs allégations, les Fondateurs des
religions, tels que nous les montrent leurs enseignements, dépassaient infiniment le niveau de l'humanité ordinaire : les Ecritures sacrées contiennent des
préceptes moraux, un
idéal sublime, des envolées de
poésie,
des affirmations profondément philosophiques, dont la grandeur et la beauté
restent inapprochées dans les écrits plus modernes offerts par les
mêmes
religions. En d'autres termes, l'ancien l'emporte sur le récent et non le récent sur l'ancien. Il est impossible de citer un seul exemple du raffinement et du perfectionnement graduels auxquels les
religions, en général, devraient leur origine. On peut, au contraire, citer des cas nombreux de purs enseignements dégénérés. Même chez les sauvages, on peut découvrir, en étudiant de près leurs
religions, des traces nombreuses d'idées élevées que les sauvages ont évidemment été incapables de concevoir par eux-mêmes.
Ce dernier argument a été développé par M. Andrew Lang. A le juger d'après son livre
The Making of Religion, cet auteur semble appartenir plutôt au camp des
Religions comparées qu'à celui des Mythologies comparées. Il montre l'existence d'une tradition commune que les sauvages n'ont pu développer par eux-mêmes, leurs croyances habituelles étant des plus primitives et leur intelligence faible. Sous ces croyances grossières et ces idées dégradées, Lang découvre des traditions d'un caractère sublime, concernant la nature de l'Etre divin et ses relations avec l'humanité. Si les divinités adorées sont, pour la plupart, de véritables démons, derrière elles, plus haut qu'elles, se dresse une vague mais glorieuse Présence, rarement ou jamais nommée ; on en parle tout bas comme d'une puissance pleine d'
amour et de bonté, trop tendre pour
inspirer la terreur, trop bonne pour qu'on lui adresse des supplications. Des notions semblables, les sauvages, parmi lesquels on les trouve, n'ont évidemment pu les concevoir ; elles demeurent les témoins éloquents des révélations de quelque grand Instructeur, dont la tradition nébuleuse peut généralement se découvrir aussi d'un Fils de la Sagesse dont certains enseignements furent donnés dans un âge infiniment lointain.
Il est facile de comprendre la raison et, à vrai dire, la justification de l'opinion soutenue par la science des Mythologies comparées.
Partout, parmi les tribus sauvages, elle voit les croyances
religieuses revêtir des, formes abjectes et coïncider avec un manque de civilisation absolu. Or, les hommes civilisés, descendant, par évolution, des hommes non civilisés, quoi de plus naturel que de regarder les
religions civilisées comme le résultat de l'évolution des non civilisées ? C'est la première idée qui vient à l'
esprit. Une étude nouvelle et plus attentive peut seule montrer que les sauvages d'aujourd'hui ne représentent pas nos ancêtres, mais qu'ils sont les descendants dégénérés de grandes races civilisées d'autrefois ; que, dans son développement, l'homme primitif n'a pas été laissé sans direction, mais qu'il a été surveillé, formé, par ses aînés dont il a reçu à la fois ses premières leçons de
religion et de civilisation. Cette manière de voir se trouve corroborée par les faits dont parle Lang, et tout à l'heure se posera le problème : « Qui étaient ces aînés dont la tradition subsiste partout ? »
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(7) Psaume XLII, 1.
(8) 1 Cor., XV, 28.