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Le développement de l'âme

Alfred Percy Sinnett
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CHAPITRE XII :
LES ANCIENS MYSTÈRES (2/3)

A l'époque grecque, et plus encore à l'époque égyptienne, les mystères et les initiations qui s'y rattachaient constituaient un enseignement gradué de cette science occulte, édifiée au cours des âges par l'exercice répété des facultés psychiques, et accessible, aujourd'hui encore, à ceux qui voudraient employer ces facultés à la vérification de l'ensemble des connaissances de notre humanité. Ces facultés ont été, en grande partie, perdues ou étouffées par le développement de la civilisation moderne au bénéfice d'autres facultés d'ordre essentiellement physique Aujourd'hui, un renouveau d'activité psychique s'éveille de toutes parts parmi les peuples mêmes les plus civilisés de l'Occident. Cette énergie, souvent mal dirigée, ou employée sans discernement, concourt par toutes ses manifestations à détruire l'incrédulité excessive et le matérialisme qui ont caractérisé à un suprême degré la dernière moitié du XIXème siècle. Cette incrédulité a envahi la science profane dont l'agnosticisme reconnu tourne à l'athéisme. Elle a tari les sources vives de la religion ; les églises, semblables à des squelettes que la vie a quittés, sont délaissées du plus grand nombre ; la piété seule de quelques enthousiastes les orne d'attributs plus poétiques que véritablement spirituels. On en a peut-être conservé les rites, mais les croyances qui devraient en former la base ne dérivent plus des méthodes d'investigation spirituelle qui pourraient seules conférer à leurs dépositaires ecclésiastiques une autorité suffisante pour les enseigner. Ces rites ne s'en transmettent pas moins de générations en générations avec une bigoterie d'autant plus intransigeante, qu'elle s'avoue moins apte à retrouver leurs sources probables dans les règnes invisibles de la Nature. Cette théologie chancelante, conservée comme les pétales d'une fleur desséchée, sert peut-être mieux les intérêts d'une église, préoccupée par une organisation sociologique si compliquée, qu'un projet progressif et vivant d'investigation spirituelle.

      Mais ni les intérêts de l'Eglise, ni le matérialisme ne pourront lutter contre une conviction qui s'affirme toujours davantage, celle que la race humaine possède des facultés qui lui permettent de percer le voile de la matière ; si nous l'envisageons comme un fait positif, nous ne sommes plus obligés d'en nier l'évidence ou de réfuter, par de simples conjectures, l'opinion des écrivains du temps qui prétendaient que, dans les mystères de la Grèce et a fortiori de l'Egypte, les initiés recevaient une révélation psychique.

      Cette idée est d'ailleurs partagée par l'écrivain russe Ouvaroff (39) dans son Essais sur les Mystères Eleusiniens, dont la première édition fut publiée en 1812. L'auteur dit dans sa préface :

      « Le but que je me propose dans cet écrit est de montrer que non seulement les mystères des anciens étaient l'âme du polythéisme, mais encore qu'ils étaient issus de la source unique et véritable de toutes les lumières répandues sur le globe (40) ».

      Il attribue aux mystères une origine hindoue, se basant pour cela sur l'identité des mots Κονξ, Ομ, Παξ, ou Conx, Om, Pax, qui terminaient les mystères d'Eleusis, avec le sanscrit Canska, Om, Pakscha. Le premier signifie « objets du désir », le deuxième est la syllabe sacrée usitée en Orient et le troisième Pakscha, est identique au latin vix – changement, cours, direction du devoir.

      Après avoir fait la distinction des grands et des petits mystères, Ouvaroff ajoute :

      « Nous le répétons, il ne faut pas se dissimuler l'impossibilité de déterminer, d'une manière positive, les notions que recevaient les époptes (initiés aux grands mystères) ; mais le rapport que nous avons reconnu entre ces initiations et la source véritable de toutes nos lumières suffit pour croire que, non seulement ils y acquéraient de justes notions sur la Divinité, sur les relations de l'homme avec elle, sur la dignité primitive de la nature humaine, sur sa chute, sur l'immortalité de l'âme, sur les moyens de son retour vers Dieu, enfin sur un autre ordre de choses après la mort, mais encore qu'on leur découvrait des traditions orales, et même des traditions écrites, restes précieux du grand naufrage de l'humanité.
      Il n'est pas probable, en effet, que l'on se soit borné, dans l'initiation supérieure, à démontrer l'unité de Dieu et l'immortalité de l'âme par des arguments philosophiques. Clément d'Alexandrie dit expressément (41), en parlant des grands mystères : « Ici finit tout enseignement ; on voit la nature et les choses.
      D'ailleurs, les notions morales étaient trop répandues pour mériter seules, aux mystères, les magnifiques éloges des hommes les plus éclairés de l'antiquité ; car, si l'on suppose que la révélation de ces vérités eut été l'unique objet des mystères, n'auraient-ils pas cessé d'exister, du moment où ces vérités furent enseignées publiquement ? Pindare, Platon, Cicéron (42), Epictète, en auraient-ils parlé avec tant d'admiration, si l'hiérophante s'était contenté de leur exposer de vive voix ses opinions, ou celles de son ordre, sur des vérités dont ils étaient eux-mêmes pénétrés ? D'où l'hiérophante aurait-il tiré ces idées ? Quelles sources avait-il à sa disposition, qui fussent demeurées inaccessibles à la philosophie ? Concluons donc que l'on découvrait aux initiés, non seulement les grandes vérités morales, mais aussi des traditions orales et écrites qui remontaient au premier âge du monde. Ces débris, placés au milieu du polythéisme, formaient l'essence et la doctrine secrète des mystères. »

      Quelques écrivains, pour dénigrer les mystères, prétendent qu'ils s'accompagnaient quelquefois d'excès licencieux. Cette critique s'adresse surtout aux mystères orphiques. Ouvaroff dit à ce sujet :

      « Nous avons dit que les mystères de Bacchus, très intéressants à développer, portent un caractère entièrement opposé à celui des Eleusinies. Cette opposition est très frappante au premier aspect. Et quelle conformité, en effet, pourrait-on trouver entre la licence sauvage du culte bachique, et le caractère sévère et la haute destination du culte de Cérès ?
      Cependant, après un mûr examen, on voit que cette opposition réside plutôt dans la forme extérieure que dans l'esprit des deux cultes ; elle disparaît même entièrement, lorsqu'on s'élève à l'idée-mère, au type véritable des deux institutions. Quand on ne s'obstine pas à reconnaître dans Cérès et dans Bacchus deux personnages historiques, quand on les considère, à leur origine, comme deux symboles d'une puissance quelconque de l'univers, on les voit s'identifier de manière à ne plus offrir d'opposition que dans la forme extérieure, c'est-à-dire dans cette partie qui dépend tout entière des hommes, des circonstances locales et des destinées politiques des peuples. Le culte de Cérès et le culte de Bacchus (43) ne peuvent appartenir qu'à un seul principe ; et ce principe se trouve dans la force active de la nature, envisagée dans l'immense variété de ses fonctions et de ses attributs. »

      La neuvième édition de l'Encyclopedia Britannica contient un traité important sur les mystères, par W. M. Ramsay. L'auteur y mentionne d'abord avec éloge l'important ouvrage de Lobeck Aglaophamus (44) qui, cependant repousse l'idée que les mystères « aient contenu une révélation primitive de la vérité divine ». Mais M. Ramsay reconnaît ensuite la faiblesse de certains arguments de Lobeck, et insiste particulièrement sur les témoignages nouveaux qui se sont accumulés depuis l'époque « et qui prouvent que certains documents rejetés pur Lobeck, comme n'ayant aucun rapport avec la religion éleusienne, s'y rattachaient réellement ».

      Cet article expose le sujet à un point de vue tout à fait moderne et au sens strictement érudit ; il ne s'inspire, en aucune façon, de l'aspect psychique des mystères ; ce qui fait d'autant mieux ressortir la grandeur d'idées et l'austère noblesse qui les caractérisaient. M. Ramsay écrivait : « Le peuple n'était pas seul à croire à l'effet rénovateur et salutaire des mystères ; cette croyance était partagée par beaucoup d'esprits sérieux et distingués : Pindare, Sophocle, Socrate, Plutarque, etc. Platon, qui ne trouve pas de termes assez énergiques pour flétrir l'effet démoralisant des mystères orphiques, parle avec le plus grand respect de ceux d'Eleusis... « Celui qui a été initié sait ce qui doit assurer son bonheur dans la vie future... » D'après Sopater, « l'initiation établit un lien de parenté entre l'âme et la Nature divine ; Théon de Smyrne assure que le dernier stade de l'initiation est l'état de félicité et de ravissement divin qui en résulte... L'étude des auteurs anciens nous prouve largement que les mystères étaient indépendants de tout enseignement dogmatique ; la croyance même à une vie future qui, d'après les auteurs anciens, s'y associait toujours, n'était pas rigoureusement imposée aux initiés. On les laissait libres de s'en convaincre par eux-mêmes, d'après les images qui leur étaient présentées. »

      Ces diverses citations s'accordent à nous présenter les mystères sous un jour des plus sérieux, qui les identifie avec ce que nous appelons aujourd'hui la donnée théosophique, et cette donnée nous aide d'autre part à combler les lacunes de notre exposé. Aux temps antiques, les prêtres étaient vraiment à la hauteur de leur mission d'instructeurs, parce qu'ils étaient en relation psychique avec les sources de la sagesse suprême. Mais le stade d'évolution de l'humanité qui les entourait ne leur permettait pas de communiquer leur connaissance à la multitude. Le peuple n'avait pas alors une culture spirituelle suffisante pour comprendre et mettre en pratique l'éthique pure et austère de l'enseignement occulte.


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(39)  Ouvaroff, célèbre homme d'état Russe, 1773-1855, été ministre de l'Instruction publique, président de l'Académie des Sciences et correspondant de l'Institut de France. N. D. T.

(40)  Cette citation et les suivantes sont extraites de l'édition originale en langue française, dans Etude de Philologie et de Critique, par M. Ouvaroff. – Paris, Firmin-Didot frères, 1845.

(41)  Strom, V, cap. 1.

(42)  Cicéron, s'adressant à Atticus, en fait le tableau suivant : « De tout ce que votre Athènes a produit et répandu parmi les hommes d'excellent et de divin, rien de plus excellent que les mystères, qui nous élèvent d'une vie rude et sauvage à la véritable humanité : ils nous initient dans les vrais principes de la vie ; car ils nous enseignent non seulement à vivre agréablement, mais encore à mourir avec de meilleures espérances. » De Leg., II. N. D. T.

(43)  Le mythe de Bacchus a été la source la plus féconde d'incertitudes et de contradictions. Hérodote (lib. II, cap. XLVII) assure formellement que Bacchus venait d'Egypte, et qu'il était le même qu'Osiris la puissance démiurgique de l'univers. Mélampe lui donna le nom grec de Dionysos et l'importa en Grèce à peu près en même temps qu'on y apporta la vigne.
      On s'accorde généralement à distinguer trois Bacchus qui ne sont que la représentation de la même idée, c'est-à-dire d'Osiris :
      Le premier Bacchus est Zagreus, fils de Jupiter et de Proserpine, se rapproche le plus de la tradition égyptienne. Déchiré par les Titans, il correspond bien à Osiris tué par Typhon.
      Le deuxième Bacchus, le conquérant, fils de Jupiter et de Sémélé, est déjà très hellénisé, aussi appelé Bromius.
      Le troisième Bacchus, le médiateur, est le Bacchus des mystères d'Eleusis, qui paraissait au 6ème jour des Eleusinies. Voir Nonnus : Dionys., I, XLVIII, v. 958 et Aristophane, Ran, V, p. 40 et suiv. N. D. T.

(44)  Ecrit en 1820.




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