Genseric, roi des
Vandales, en Espagne, né à Séville en 406, succéda à son
frère Gonderic, quoiqu'il fût petit et
boîteux, et que son
frère eût des
enfants. Mais il avait acquis une grande autorité
sur les soldats, et il s'était fait, dès son jeune âge, une réputation de haute valeur, ce qui est la première de toutes les qualités aux yeux des barbares.
Boniface, gouverneur d'Afrique, et qui voulait s'y rendre indépendant de Rome, invita
Genseric à quitter son établissement précaire d'Espagne, pour venir en fonder un plus riche et plus étendu dans les belles contrées qu'il gouvernait et qu'il avait l'intention de soustraire au joug des Romains. Le roi des
Vandales y consentit avec joie, rassembla sa peuplade, composée d'environ 80.000
âmes, passa le détroit sur les vaisseaux que
Boniface lui avait envoyés, débarqua dans le mois de mai 428, et prit possession des trois Mauritanies, qui, en vertu de l'alliance qu'il venait de contracter, lui furent cédées en toute propriété.
La paix ne régna pas longttemps entre un rebelle et un barbare, qui avaient eu d'abord des intérêts communs à défendre, mais qui, dans leur ambition, manifestèrent bientôt des
vues
différentes. Boniface, trompé dans la sienne, se réconcilia avec l'empereur, et promit se réparer le mal qu'il avait fait. Il offrit à
Genseric les moyens de conquérir toute l'Espagne ; mais celui-ci, aussi rusé que son ancien complice, lui signifia qu'il conserverait par la
force ce qu'il tenait de la trahison. La guerre éclata aussitôt et fut affreuse.
Genseric, naturellement féroce, et de plus offensé, entra dans les provinces romaines, et y mit tout à
feu et à sang. Ses soldats,
ariens comme lui, haïssaient mortellement les
catholiques, et joignaient les tourments aux
massacres. La plus riante contrée de l'univers, la plus fertile et la plus peuplée, ne fut bientôt plus qu'un désert. Ni le rang, ni la naissance, ni l'âge, ni le sexe, ne trouvèrent grâce auprès de ces
coeurs impitoyables. Ils chargeaient de fardeaux énormes les femmes les plus délicates, et les forçaient de marcher à coups de fouet ou d'aiguillon ; ils arrachaient les
enfants des bras de leurs mères, pour les écraser sous leurs pieds. Mais il est permis de croire qu'il y a de l'exagération dans ces récits, qui tous nous ont été transmis
par des
catholiques, si cruellement traités par les
ariens, et qui en ont conservé de longs ressentiments.
Genseric, après avoir pillé et
dévasté toutes les campagnes, s'empara de toutes les villes, excepté de Cirthe, d'
Hippone et de Carthage. Boniface, au désespoir, hasarda une bataille avec des
forces très inférieures, fut défait et contraint de se renfermer dans
Hippone, ville forte que le vainqueur assiégea vainement penant quatorze mois. L'année suivante, Boniface reçut d'Orient un puissant secours, qui le mit en état de tenir la campagne et de prendre l'offensive. Il attaqua
Genseric et fut battu cette seconde fois plus complètement encore que la première. Les habitants d'
Hippone, effrayés de sa défaite, abandonnèrent leur ville, qu'ils avaient défendue si vaillamment l'année précédente. Les
Vandales n'y entrèrent que pour y mettre le
feu.
Genseric était cependant trop bon politique pour se laisser
éblouir par des succès qu'il ne devait qu'à la terreur qu'il inspirait. Il ne se refusa point aux offres de paix que lui firent les Romains. Par le traité qui fut signé le 11
février 430, les Romains lui cédaient la
proconsulaire, à l'exception de Carthage et de son territoire ; la
Bysacène et ce qu'il avait conquis dans la
Numidie. A ces conditions, il s'engagea par serment à ne rien entreprendre contre le reste de l'Afrique, et, pour sûreté de sa parole, il donna son fils Huneric en otage. Tranquille possesseur des plus belles contrées d'Afrique,
Genseric les gouverna avec vigueur et sévérité. Il crut cette sévérité nécessaire à sa propre sûreté et au repos de ses Etats, que menaçaient de troubler à chaque instant les querelles
religieuses, si vives et si fréquentes dans ce malheureux siècle. Mais il se voyait avec peine privé de la possession de Carthage, capitale du pays dont il était le maître. Le traité ne put l'arrêter : il s'en empara par surprise, le 19
octobre de la même année ; et cette cité fameuse, dont la conquête avait coûté tant de sang aux Romains et qu'ils possédaient depuis 585 ans, passa sans difficulté au pouvoir des
Vandales.
Genseric, en y
entrant, défendit le massacre et le pillage ; mais c'était pour se réserver à lui seul le droit de disposer des habitants et de leur fortune. Il se fit apporter tout ce qu'ils avaient d'or, d'
argent, de bijoux et de meubles précieux ; et après les avoir entièrement dépouillés de tout ce qu'ils possédaient, il relégua les uns dans le désert, et fit embarquer les autes sur des vaisseaux brisés et prêts à faire naufrage. Quelques-uns de ces infortunés se jetèrent à ses pieds pour lui crier
merci ! « J'ai résolu, leur répondit-il en colère, d'exterminer votre nation tout entière. » La chute de Carthage retentit dans tout l'univers, et les
débris de cette ville opulente couvrirent en quelque sorte la surface de l'ancien monde.
Genseric avait trois fils, Huneric, Genton et Théodoric, auxquels il abandonna les meilleures terres de sa nouvelle conquête ; il partagea les autres entre ses capitaines. Ce fut alors que, se croyant invincible et supérieur à la fortune, il se laissa enivrer d'adulations, et prit le
titre de
roi de la terre et de la mer. Des conquérants qui veulent former un établissement durable songent ordinairement à s'y fortifier et
à se mettre hors d'insulte. Par une politique toute contraire,
Genseric fit démanteler toutes les villes d'Afrique, de peur que les Romains, venant à prendre leur revanche contre lui, ne trouvassent dans les places fortes des boulevards contre ses armées, et que les peuples, mal affermis dans son obéissance, n'y cherchassent un asile contre sa
tyrannie. Cette conduite, qui parut alors fort sage, causa dans la suite la ruine prompte et totale de l'empire des
Vandales. Aucune place ne fut en état d'arrêter
Bélisaire, lorsqu'il descendit en Afrique.
Genseric, maître de Carthage, songea à tirer parti du port avantageux de cette ville : il acheta des vaisseaux, en construisit de neufs, enrôla des matelots étrangers, exerça ses troupes aux opérations de la mer ; en
un mot, il créa en très peu de temps une marine formidable et en état de porter au delà des mers la terreur de ses armes. Pour premier essai de ses
forces maritimes, il fit une descente en
Sicile, ravagea le pays et assiégea
Panorme (aujourd'hui Palerme).
Une expédition plus importante appela bientôt son
attention et combla ses vux ; voici à quelle occasion. Maxime, meurtrier et successeur de Valentinien II, avait contraint Eudoxie, sa veuve, à l'
épouser. Celle-ci, pour se défaire du tyran qu'elle abhorrait, ne craignit pas d'avoir recours à
Genseric, et lui écrivit pour le prier
« de venir la délivrer l'affreuse captivité dans laquelle elle gémissait, étant forcée de recevoir les mbrassements d'un monstre encore souillé du sang de son
époux. »
Genseric n'hésita pas,
promit de la délivrer, se mit en mer avec une puissante armée, et vint débarquer à l'embouchure du Tibre. Le lâche Maxime, en apprenant cette
nouvelle, eut une frayeur extrême, abandonna son palais, et se disposait à quitter la ville, lorsqu'un de ses propres soldats, indigné de sa lâcheté, le perça d'un coup d'
épée. Trois
jours
après,
Genseric entra dans Rome, qui ne lui opposa aucune résistance. Le pape
saint Léon alla au-devant de lui, et en obtint la promesse qu'il épagnerait les habitants et les maison. Le pillage néanmoins dura quatorze
jours, et le butin fut immense. Tous les trésors du palais, les meubles précieux, les vases d'or et d'
argent des
églises et des particulier les richesses entassées dans la capitale du monde, devinrent la proie des brigands. Un de leurs vaisseaux, chargé de statues grecques et de vases antiques, fut englouti dans la mer avec sa riche cargaison. Ils emportèrent jusqu'à la couverture du temple de Jupiter
Capitolin : elle était d'un cuivre très fin, et doré à une grande épaisseur. Les dépouilles du temple de
Jérusalem, que Titus avait fait conduire à Rome, furent transportées en Afrique. Parmi les habitants des deux sexes, les
Vandales enlevèrnt ceux dont la
jeunesse ou l'industrie leur promettaient plus de plaisirs ou plus de profits. Eudoxie elle-même, qui les avait appelés à son secours, ne fut pas à l'abri de leurs violences ; elle fut emmenée en captivité avec ses
enfants, et renfermée pendant plusieurs années dans une étroite prison à Carthage.
Sous prétexte de réclamer les biens de Valentinien, qu'il retenait contre le droit des gens,
Genseric infestait tous les ans les côtes de
Sicile et d'Italie. Les prétextes ne manquent jamais ni aux
pirates, ni aux
conquérants, pour justifier leurs conquêtes et leur brigandage. La guerre et le pillage étaient devenus le premier besoin de celui-ci. Tous les ans il s'embarquait au printemps pour aller porter la désolation tantôt sur un
rivage et trantôt sur un autre, brûlant les villes et traînant les habitants en esclavage. Un
jour qu'il sortait du port de Carthage, le pilote lui ayant demandé de quel côté il devait cingler : «
Du côté des peuples que Dieu veut punir », répondit
Genseric, qui se rendit justice sans le savoir, en se regardant comme le fléau dont la Providence se servait pour punir et humilier les hommes.
Lorsque les côtes d'Occident cessèrent d'offrir un
appât à sa cupidité, il porta ses
vues et ses ravages sur celles d'Orient.
Léon, qui régnait alors à Constantinople, le fit menacer
d'une vengeance éclatante s'il ne cessait ses
pirateries : «
J'irai au-devant de lui », répondit le fier
Vandale ; et en même temps, il envoya tous ses
corsaires ravager les côtes de la Thrace, celles d'Egypte, de l'Asie
mineure, et porter l'alarme jusque dans la capitale.
Léon, irrité au dernier point de tant d'audace, jura d'en punir l'auteur, mit sur pied toutes ses
forces de terre et de mer, équipa une flotte de 113
galères, qu'il fit monter par 100.000 soldats, et dont il donna, pour son malheur, le commandement à Basilisque,
frère de l'
impératrice. Un armement si formidable devait écraser
Genseric ; il le fit au moins trembler. Au défaut de la
force, celui-ci appela la ruse et la trahison à son secours. Basilisque avait déjà débarqué une partie de ses troupes à Tripoli et marchait sur Carthage, lorsqu'il s'arrêta tout à coup, revint sur ses pas, et accorda une suspension d'armes. C'était l'effet des présents et des promesses de
Genseric. Pendant ce temps-là, le roi des
Vandales fit armer en brûlots tout ce qu'il avait de vaisseaux dans le port de Carthage, les fit conduire pendant la nuit au
milieu de la flotte des Romains, qui en peu d'instants n'offrit plus qu'un immense océan de
feu. Dans le désordre de l'
incendie,
Genseric tomba sur la partie de l'armée qui était débarquée, et la tailla en
pièces. Tel fut le succès de la dernière expédition des Romains contre lui. Ni
Léon, ni aucun autre empereur n'osa plus l'attaquer. Zénon, qui succéda à
Léon, lui demanda la paix ; elle fut signée en 475.
Genseric vécut encore deux ans, et mourut en 477, dans la 71ème année de son âge et la cinquantième de son règne, comblé de la gloire des conquérants, c'est-à-dire couvert du sang des peuples, et poursuivi par la malédiction de ses contemporains. Ce fut sans doute le plus grand prince de son siècle : vainqueur dans toutes les batailles où il se trouva en personne, créateur d'une marine redoutable, maître de Carthage et de l'Afrique, fondateur d'un empire ; aussi ferme dans le gouvernement de ses Etats qu'habile à troubler ceux de ses
ennemis, mais cruel et farouche, se complaisant au milieu des pleurs et du sang. Après s'être établi par la guerre, il laissa son royaume puissamment affermi par la paix, et mourut
sinon sans remords, au moins sans trouble, au sein d'une famille nombreuse et soumise. Il n'était pas moins cruel chez lui que chez les autres. S'étant imaginé que sa bru voulait l'empoisonner pour régner un peu plus tôt, il lui fit
couper le nez et les oreilles, et la renvoya dans cet état au roi Théodemer, son père. Le nom de
Genseric fut longtemps un objet d'effroi parmi les peuples d'Occident ; et celui de sa nation est encore aujourd'hui synonyme de
barbare, ennemi des arts et de l'humanité. Madame Deshoulières a fait une trgédie de
Genseric.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 16 - Pages 187-189)