Biographie universelle ancienne et moderne Louis Ier, ou mieux Lodewig, surnommé
le Débonnaire, empereur, fils de
Charlemagne et d'Hildegarde, sa seconde femme, naquit à
Casseneuil dans l'Agenois, en 778, fut fait roi d'
Aquitaine par son père à l'âge de trois ans, et envoyé aussitôt vers les peuples de ce royaume, dont il adopta le costume, la langue et les usages, afin de les attacher à la domination française. Louis reçut une éducation
brillante ; il savait le latin et le grec ; la nature lui avait donné une figure heureuse, une
force corporelle extraordinaire ; il était
religieux, libéral, brave, d'une
probité scrupuleuse ; ses murs furent exemplaires ; mais, d'un caractère faible et indécis, il ne montra, dans les premières années de son gouvernement, qu'une impuissance extrême à faire le bien et une facilité déplorable à laisser faire le mal : dès lors il laissa avilir son autorité en renvoyant absous Chorson,
duc de
Toulouse, qui avait souscrit une capitulation honteuse.
Charlemagne, indigné, fit venir le
duc et le roi à Aix-la-Chapelle. Le premier fut condamné à mort par l'assemblée des grands ; mais l'empereur
commua sa peine, et fit au jeune monarque une sage et ferme réprimande, afin de lui donner une idée plus juste de la dignité royale. Dans le même temps,
Charlemagne se vit obligé de rétablir les finances du royaume d'
Aquitaine, que Louis avait laissé dissiper par ses favoris. Ainsi l'on doit avouer que les vertus qui distinguaient ce monarque, fort honorables d'ailleurs, étaient peu faites pour le trône. Les défauts de son caractère, si funestes même dans le souverain d'un petit royaume, le furent bien davantage lorsqu'il devint le maître d'un grand empire. Cependant il est juste de montrer combien étaient difficiles les circonstances dans lesquelles il parvint à cette éminente dignité, ou, pour mieux dire, l'époque où il fut accablé de ce pesant fardeau. Plus son empire était grand, plus il avait d'
ennemis redouter, et plus il aurait été nécessaire de conserver l'unité du pouvoir ; mais non seulement les lois de
Charlemagne autorisaient le partage du royaume, elles appelaient encore les assemblées de la nation à prononcer sur tous les intérêts de l'Etat, même sur l'ordre de succession au trône. Ces assemblées étaient composées de deux ordres entre lesquels il existait la plus vive opposition d'intérêts et de
vues. La noblesse, qui avait été longtemps le seul ordre politique du royaume, et qui n'avait appuyé l'usurpation des
maires du palais que dans l'espoir de se rendre indépendante, souffrait avec une extrême impatience que le clergé fût devenu un ordre politique qui s'arrogeât la suprématie et qui prétendit disposer de la
couronne. Les nobles préféraient la multiplicité des royaumes comme plus favorable à leurs prétentions, et consacrée d'ailleurs par l'usage. Les
évêques, assez éclairés pour sentir qu'une grande domination ne se conserve qu'à l'appui d'une autorité indivisible et absolue, appuyaient toutes les mesures qui tendaient à l'unité du trône. C'est entre la noblesse et le clergé réunis dans les mêmes assemblées avec des droits égaux et des projets différents, c'est au milieu des efforts faits par tous les peuples conquis pour recouvrer leur
liberté, que
Louis le Débonnaire fut appelé à gouverner et la France et l'empire.
Proclamé empereur en 814, il signala le commencement de son règne par la permission qu'il accorda aux
Saxons, transportés par
Charlemagne dans les pays étrangers, de retourner dans leur patrie. La reconnaissance que ces peuples lui témoignèrent fit qu'il n'eut jamais à se repentir de cet acte de clémence ; mais, à la même époque, il déploya, dans d'autres circonstances, une sévérité peut-être inutile et qui n'était pas dans son caractère. A peine
Charlemagne avait-il cessé de vivre que Louis obligea ses surs à se retirer dans des
couvents, afin d'éviter les intrigues du palais ; qu'il fit crever les yeux à plusieurs de leurs amants, et qu'il consacra à la vie
religieuse les derniers fils de
Charlemagne, dont les
factieux pouvaient s'appuyer pour causer du trouble dans l'Etat. Il ne déploya pas moins de fermeté contre le
pape Pascal Ier, qui, ayant osé se faire sacrer sans avoir obtenu, suivant l'usage, l'agrément de l'empereur, encourut toute sa disgrâce. Ce monarque menaça même les Romains des plus terribles châtiments si jamais ils se portaient à de
semblables attentats. Ainsi, loin de renoncer au droit de confirmer les papes, Louis le consacra tellement que, plusieurs années après, Grégoire IV ne voulut pas être installé sans que l'empereur eût confirmé son élection.
Bernard, petit-fils de
Charlemagne et roi d'Italie, avait
pris les armes en 818 dans l'espoir de se faire empereur : Louis marcha contre
lui à la tête d'une armée nombreuse.
Bernard, intimidé,
vint se jeter aux pieds de son oncle, et prouva, par cette démarche précipitée, qu'il était plutôt instrument que l'auteur de cette révolte. Il fallait sauver ce monarque qui n'avait que vingt ans, et punir ses complices : Louis les confondit tous dans la même condamnation, ils eurent les yeux crevés ; la plupart périrent des suites de ce supplice (Voyez
Bernard).
Plus tard, les
évêques, qui ne pardonnaient pas à l'empereur d'avoir voulu les rappeler aux murs de leur état
(1), profitèrent des
scrupules et des remords que lui inspirèrent tous ces actes de cruauté, pour l'humilier à son tour, et ils le poussèrent à paraître couvert d'un
cilice, comme pénitent, dans l'assemblée d'
Attigny, où il s'exprima avec l'humilité d'un sujet et dégrada la majesté du trône. Averti par son bon sens des mauvais conseils que lui donnaient les
évêques, il porta sa confiance vers les seigneurs ; mais il lui fut aussi impossible de satisfaire les prétentions des nobles que celles du clergé. Dans son dépit contre ces deux ordres, il se livra à des hommes qu'il avait tirés du néant, et son favori Adhelard fit l'arbitre de toutes ses actions. Alors les
évêques et les nobles, oubliant leur animosité réciproque, s'unirent, profitèrent des
divisions qui régnaient dans la famille impériale, et se servirent des
enfants de l'empereur pour venger leurs injures personnelles.
Louis le Débonnaire avait trois fils, Lothaire, Pépin et Louis ; Lothaire fut fait roi d'Italie et associé à l'empire, Pépin eut le royaume d'
Aquitaine, et Louis celui de Bavière. Mais l'empereur, devenu veuf, épousa Judith de Bavière, dont il eut un fils connu sous le nom de
Charles le Chauve (2). Voulant aussi laisser un royaume à cet
enfant, il lui fallut revenir sur le partage déjà fait : les trois
frères, qui n'avaient jamais été d'accord entre eux, s'entendirent alors pour prendre les armes, et
Louis le Débonnaire, maître de la moitié du monde, se trouva sans appui contre ses
enfants. En 821, sept ans après la mort de
Charlemagne, il avait avili la
royauté par une confession publique des torts du gouvernement ; en 830, on enlève sa femme, et après l'avoir accusée sans la moindre preuve de toutes sortes de désordres, on la jette dans un
couvent, on la
force de prendre
le voile, et dans une assemblée où il n'ose monter sur son trône
que lorsque tous les assistants l'en conjurent, il approuve tout ce qui a été dit et fait contre lui. Mais la
division se met bientôt parmi ses fils : les mécontents, trompés dans leurs espérances, lui rendent
son
épouse et l'empire.
En 833, les fils de Louis se liguèrent
de nouveau contre lui. Contraints de se soumettre à la
force des armes,
ils venaient de lui jurer une
fidélité inviolable, lorsque la jalousie,
l'ambition et surtout la haine de leur belle-mère les réunirent
encore en armes près de Rothfeld, entre
Bâle et
Strasbourg (3).
Le pape Grégoire IV ne craignit pas de se rendre au camp de ces rebelles,
et de les aider des foudres de l'
Eglise, dont il menaça tous ceux qui ne
se déclareraient pas contre l'empereur
(4). Il alla
ensuite comme négociateur dans le camp du monarque, qui, après lui
avoir reproché d'être venu en France sans sa permission, entra néanmoins
avec lui en pourparler. Pendant ce colloque, les émissaires des princes
agissaient auprès des soldats de l'empereur ; et au moment où le
pontife prit congé de lui, l'empereur se vit entièrement abandonné,
et déjà il entendait des cris de mort autour de sa tente. Ce malheureux
prince prit alors le parti le plus désespéré, celui de se
mettre dans les mains de ses
enfants, avec sa femme et son fils. Il montra dans
cette circonstance le calme d'une résignation héroïque, et
parut se souvenir une fois qu'il était fils de
Charlemagne. « Dans
l'indigne état où m'a réduit votre perfidie
sacrilège,
dit-il à ses
enfants, je suis tranquille sur ce qui me regarde ; résigné
à tout, je ne crains rien. Mais les promesses que vous avez tant de fois
faites et tant de fois violées en ce qui concerne l'
impératrice
et son jeune fils, puis-je enfin m'y fier ? Les voilà ces deux objets de
ma tendresse, qui doivent l'être de vos égards : je m'en sépare
; je vous les livre. Princes, souvenez-vous de ce que vous devez à leur
rang et à leur sang. » Des paroles aussi touchantes firent peu d'impression
sur ces
enfants dénaturés. Judith fut confiée au roi de Bavière,
qui la relégua dans une forteresse de la Lombardie ; et Lothaire, après
s'être fait proclamer empereur, emmena à sa suite son malheureux
père jusqu'à
Soissons, où il le fit enfermer dans le
couvent de St-Médard, lui ôtant le jeune Charles, qu'il envoya à l'
abbaye de Prüm dans les Ardennes. Il fit ensuite prononcer sa déposition par une diète, ou plaid général, convoquée au château de
Compiègne. Les
archevêques Agobard, de
Lyon, et Ebbon, de
Reims, se firent les instruments de ce fils dénaturé. Réunis à d'autres
évêques, ils déclarèrent que Louis, ayant laissé dépérir l'héritage du très grand empereur Charles son père, et scandalisé l'
Eglise en mille manières, avait été déposé par un juste
jugement de
Dieu, et qu'il devait se retirer dans un cloître. Cet arrêt fut notifié à Louis dans l'
abbaye de St-Médard. Là, prosterné sur un
cilice, tenant un papier où ses
crimes étaient écrits, ce prince fut obligé de s'accuser devant le peuple d'avoir mal usé du gouvernement que
Dieu lui avait confié ; d'avoir scandalisé l'
Eglise par son indocilité ; d'avoir fait marcher ses troupes en
carême ; enfin d'être cause de tous les maux qui désolaient l'empire. Après cette honteuse cérémonie, on le déclara à jamais interdit de toutes ses fonctions ; on lui ôta ses armes, on le
dépouilla de ses habits impériaux, on le revêtit d'un habit de pénitent ; il fut chassé de l'
église et enfermé dans une cellule pour le reste de ses
jours (Voyez
Ebbon). Après ces odieux attentats, Lothaire, craignant sans doute que sa victime ne vint à lui échapper, la traîna encore à sa suite jusqu'à Aix-la-Chapelle, où il tint son malheureux père toujours étroitement enfermé.
Enfin sa cruauté finit par révolter contre lui ceux-là mêmes
qui avaient concouru à la satisfaire ; et ses
frères, Louis de Bavière et Pépin, se rendant à leur devoir, marchèrent de concert pour délivrer leur père. Lothaire n'osa pas les attendre ; il se
réfugia à
Vienne en
Dauphiné, laissant Louis à St-Denis,
où l'on se rendit aussitôt en foule pour le prier de reprendre la
couronne. La révolution fut complète : tous les actes du parlement de
Compiègne furent annulés ; on rappela la reine, et Louis remonta sur le trône, pour pardonner encore à Lothaire et à tous ses
ennemis.
Mais il ne devait pas jouir longtemps de son triomphe, auquel la faiblesse de son
esprit et de sa santé ne lui permit pas d'ailleurs de prendre beaucoup de part. Le dernier acte de son autorité fut de déclarer le fils de Judith (Voyez
Charles le Chauve) roi de toute la France méridionale et occidentale, à peu près telle qu'elle est aujourd'hui. Ce prince mourut le 20
juin 840, à l'åge de 62 ans, dans une île du Rhin, au-dessus de Mayence, lorsqu'un de ses fils, Louis de Bavière, qui avait concouru à le rétablir, s'était de nouveau révolté contre lui. Ses dernières paroles furent : « Je lui pardonne ; mais qu'il sache que c'est par lui que je meurs. » Depuis plus d'un mois il ne prenait, dit-on, plus d'autre nourriture que le pain et le vin de l'
eucharistie. Ses
forces morales s'étaient extrêmement affaiblies avec ses
forces physiques ; et dans ses derniers moments il donna réellement des preuves d'absence
(5).
Louis laissa l'empire à deux pas de sa ruine, le domaine
affaibli par la dissipation des terres, l'autorité suprême avilie par la subordination à l'aristocratie
épiscopale, qui, après avoir rendu des services durant la première race, était devenue
factieuse et usurpatrice. Le malheur de Louis fut de ne pouvoir se décider entre le choix de deux principes, celui de la succession par
primogéniture, qui pouvait seul conserver l'unité de l'empire, et celui du droit égal des
enfants à l'héritage paternel, consacré par le vieux
droit germanique. Louis prit un moyen terme, en associant Lothaire à l'empire, et donnant à ses cadets des royaumes séparés, mais dépendants de l'empereur. Cette imprudente
division amena la chute de l'empire de
Charlemagne, et prépara la séparation de nationalités qui n'étaient plus retenues que par un lien purement personnel. Cette séparation fut la cause de violents déchirements ; le pouvoir central périt tout entier non seulement à Aix-la-Chapelle, siège de l'empire, mais encore dans chacun des nouveaux royaumes qui, fondés à l'abri de la
couronne impériale, voulurent se maintenir malgré elle. Le clergé et la noblesse, qui n'avaient pu réussir à maintenir à leur profit l'unité de l'empire franc, réussirent à se saisir du pouvoir dans les Etats démembrés. Louis se mit à dos le clergé en voulant le réformer. Ce clergé
ignorant et ambitieux, qui comptait dans son sein un grand nombre d'hommes de guerre et beaucoup de
prélats qui n'avaient pas même lu l'
Evangile, et étaient incapables en comprendre le texte, ce clergé prépara ainsi avec les comtes et les leudes l'avènement du système
féodal. L'administration de la justice s'était corrompue entre les mains des
missi. La faiblesse de l'empereur était incapable de combattre tant de difficultés ; il eut le tort de faire une folle opposition aux projets de Wala, homme supérieur, allié par le sang à la famille impériale, et qui, impuissant à faire le bien à la cour de
Charlemagne, s'était d'abord retiré dans le cloître. Wala voulait que l'empereur prît des serviteurs plus intègres, et qu'il laissât au clergé et au peuple leurs droits
respectifs. (On peut consulter à ce sujet l'ouvrage de M. A. Himly, intitulé
Wala et Louis le Débonnaire,
Paris, 1849, in-8°.)
Plus fait pour être clerc qu'empereur, Louis possédait
une connaissance approfondie du latin et avait aussi appris le grec ; il associait son
goût pour la littérature ecclésiastique à des habitudes toutes monastiques ; il faisait sans cesse de riches aumônes et des actes d'humilité, aussi le peuple l'appelait-t-il le
roi-prêtre. Louis montra toujours beaucoup d'éloignement pour le luxe, et ses règlements sur le costume des ecclésiastiques et des guerriers sont nos premières lois somptuaires : il interdit aux uns et aux autres les robes de soie et les ornements d'or et d'
argent. Sous le règne de ce prince, la France commença à perdre une partie de ses conquêtes ; les
Saxons revinrent dans leur pays ; les Danois se montrèrent plus hardis dans leurs courses maritimes ; les Sarrasins reprirent courage ; et c'est de cette époque que date le royaume de Navarre.
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(1) Les
prélats, obligés d'aller souvent à la guerre, prenaient l'habit guerrier. Suivant un
historien contemporain, Louis les obligea « de quitter leurs ceintures et les
baudriers d'or, les couteaux enricthis de pierreries qui y étaient suspendus ; les éperons dont la richesse accablait leurs talons. »
(2) Dès qu'on sut que Louis voulait se remarier, on vit arriver de tous côtés les plus belles filles de l'empire, qui se montrèrent dans tout leur éclat. Il choisit Judith de Bavière, aussi remarquable par sa beauté que par son
esprit et ses grâces. Ces dons précieux qui avaient fixé sur elle les regards de l'empereur ne pouvaient manquer d'exciter l'
envie, et ils fournirent contre elle des armes à ses
ennemis. Ses liaisons avec le comte
Bernard de Barcelone firent soupçonner sa vertu et donnèrent lieu à beaucoup de calomnies. Judith fut en conséquence une des premières victimes de ambition des fils de Louis. Plus tard, cette princesse fut obligée de se justifier par l'épreuve du
feu.
(3) Le nom de
Rothfeld fut changé peu après en celui de
Lugenfeld ou
champ du mensonge, à cause de tous ceux qui faussèrent leur foi en ce lieu.
(4) L'abbé Wala et plusieurs autres hauts personnages de l'
Eglise accoururent près de Grégoire IV ; l'
archevêque Agobard écrivit a l'empereur une lettre éloquente, le conjurant de se rappeler ses serments.
(5) L'
évêque Drogon, son
frère naturel, ramena son
corps à
Metz, où il fut inhumé près de sa mère dans la
basilique de St-Arnoul.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 25 - Pages 148-150)