Clément V, élu pape à
Pérouse, le 05
juin 1305, succéda à
Benoît XI. Il se nommait
Bertrand de Got, et naquit à Villandreau, dans le
diocèse de
Bordeaux.
Son père était chevalier, et de la première noblesse du pays.
Bertrand de Got, ayant été fait
évêque de Comminges en 1695, fut transféré à l'
archevêché de
Bordeaux en 1299. Ce fut là qu'il apprit la nouvelle de sa nomination, que l'on attribue à l'intrigue la plus déliée. On assure que les
cardinaux assemblés à
Pérouse se divisèrent en deux
factions, celle des Colonna et celle des Orsini ; que les Colonna, persécutés par
Boniface VIII, ayant intérêt de faire une nomination agréable à la France, avaient proposé aux Orsini de faire eux-mêmes le choix de trois sujets, parmi
lesquels le parti contraire en indiquerait un ; que la
faction des Orsini donna dans ce piège, et que
Bertrand de Got
étant un des trois nommés par elle, et celui sur
lequel elle croyait pouvoir compter davantage, il fut aussitôt
choisi par la
faction adverse ; qu'en conséquence Philippe
eut tout le loisir de gagner
Bertrand de Got pour les desseins
qu'il méditait, dans une conférence secrète
qu'il eut avec lui dans une
abbaye, auprès de St-Jean-d'Angély,
où il lui promit la tiare, moyennant l'exécution
de six conditions, sur la nature desquelles les
historiens varient.
Ces anecdotes ont pour garant unique le témoignage de Villani,
auteur ultramontain, fort intéressé à décrier
les papes qui avaient abandonné le siège de Rome,
et des écrivains postérieurs ont copié sans
beaucoup d'examen. Quelques critiques judicieux, tels que Baluze,
Fleury, Hardoin, n'ont pas une croyance aussi étendue à
la véracité de Villani.
Fleury fait observer que
le décret d'élection ne parle d'aucun des faits
racontés par cet auteur ; mais il paraît constant
que les
cardinaux divisés en deux
factions presque égales,
et ne pouvant se décider à nommer un d'entre eux,
aimèrent mieux faire choix d'un étranger. Les Colonna
surent gagner
Philippe le Bel en s'attribuant tout le mérite
de l'élection, et, de son côté, le roi ne
négligea rien pour s'emparer de l'
esprit du nouveau
pontife.
Le premier acte de
Clément V fut d'indiquer
son couronnement à
Lyon, ce qui indisposa beaucoup les
Italiens. Cette pompeuse cérémonie, qui se fit le
11 novembre 1305, fut accompagnée d'événements
que l'on regarda comme de funestes présages. Le pape, après
son couronnement, retournait à son logis, à
cheval,
la tiare en tête. Le roi de France avait d'abord tenu la
bride du
cheval ; ensuite, ses deux
frères, Charles de
Valois, Louis d'
Evreux, et enfin Jean,
duc de
Bretagne, s'étaient
succédé dans cette cérémonie. Au moment
où ce cortège passait à la descente du Gourguillon,
une vieille muraille surchargée de spectateurs s'écroula
; le pape fut renversé, sa
couronne se détacha de
sa tête, un
rubis précieux, ou escarboucle, fut perdu
dans le tumulte ; le pape ne fut point blessé, mais douze
de ceux qui l'accompagnaient furent tellement brisés qu'ils
en moururent peu de
jours après, entre autres le
duc de
Bretagne. Charles de
Valois fut atteint grièvement, mais
ne périt point. Dans un grand festin qui fut donné
quelques
jours après, une violente querelle s'éleva
entre les gens, et le
frère du pape fut tué.
Clément V ne tarda point à
donner à Philippe des gages de sa reconnaissance. Il modifia
la
bulle Unam sanctam, et révoqua celle qui commence
par
Clericis luicos ; toutes deux étaient l'ouvrage
de
Boniface VIII. Il ne se montra pas moins favorable au roi d'Angleterre
Edouard, qui se plaignait de l'
archevêché de Canterbury.
Clément fit venir ce
prélat à
Bordeaux, où
il était retourné, et le suspendit de ses fonctions
jusqu'à ce qu'il se fût purgé des accusations
intentées contre lui. Il accorda également à
Edouard une
bulle qui le relevait du serment qu'il avait fait
à ses sujets touchant leurs
libertés. Il lui accorda
encore des décimes pendant deux ans pour le service de
la terre sainte, et qui cependant furent employés à
d'autres usages. Il songea en même temps à ses propres
intérêts.
Voyant que les
évêques d'Angleterre
lui demandaient la jouissance, pendant un an, des
églises
qui vaqueraient dans leurs
diocèses, il s'appliqua à
lui-même cette prérogative, et prit le revenu de
la première année de tous les bénéfices
indistinctement, depuis l'
évêché jusqu'à
la moindre prébende.
Fleury dit que ce fut là le
commencement des
annales. Les affaires importantes qui occupèrent
ensuite le
pontificat de
Clément V se traitèrent
à
Poitiers, où le pape et Philippe s'étaient
donné rendez-vous. La plus remarquable fut celle des
Templiers,
que Philippe poursuivit avec un acharnement dont l'
histoire a
fait souvent un sujet de reproche à sa mémoire.
Clément V y mit plus de modération, obtint que la
procédure fût recommencée devant lui, et,
après avoir donné l'ordre dans tous les Etats où
ces
religieux militaires étaient établis de procéder
contre eux, il prononça leur suppression au
concile de
Vienne, en
Dauphiné, en l'an 1310 ; les poursuites avaient
commencé en 1307 (Voy. le recueil de Dupuy). Toutes ces
circonstances prouvent que l'extinction des
Templiers n'était
point une affaire arrangée d'avance entre le monarque et
le
pontife, ainsi que l'ont prétendu quelques
historiens,
et ne laissent pas d'affaiblir la créance que l'on doit
à la prétendue conférence de St-Jean-d'Angély.
Une autre affaire non moins grave, ce fut
le procès intenté à la mémoire de
Boniface VIII.
Clément V, pour ne pas s'éloigner
du roi, son protecteur, fixa la résidence des papes à
Avignon : ce fut l'origine d'un grand mécontentement et
d'une longue
division, dont les suites empêchèrent
la réforme dans l'
Eglise et amenèrent la funeste
réforme dans la
religion. La cour du
souverain pontife
et son gouvernement s'établirent dans
Avignon ; Clément
y reçut la foi et
hommage de Robert, fils de Charles le
Boîteux, pour le royaume de Naples, ou de
Sicile, de deça
le Phare, Frédéric d'
Aragon occupant toujours l'île
de
Sicile, sous le titre de Royaume de
Trinacrie. Clément
V fit , vers le même temps, reconnaître roi de Hongrie
Charobert, ou Charles, petit-fils de Charles le
Boîteux
; et, pour secouer le joug sous lequel il s'était mis et
se dispenser de procurer la
couronne impériale à
Charles de
Valois, à qui il l'avait promise, il engagea
secrètement les électeurs à porter à
l'empire Henri VII de Luxembourg, et manquant ensuite de courage
pour soutenir ce qu'il avait fait, il parut trahir alternativement
tous les partis. Il avait promis de couronner Henri à Rome
; mais cette cérémonie ne s'y fit que par une commission
composée de cinq
cardinaux. Le pape prétendait ordonner
une trêve entre le nouvel empereur et le roi Robert. Henri
consulta les jurisconsultes de Rome, qui répondirent que
le roi de
Sicile, étant
vassal du pape, pouvait en recevoir
des ordres, mais que l'Empereur ne lui était soumis à
aucun titre. Clément eut une querelle plus vive avec les
Vénitiens, contre lesquels il lança toutes les foudres
de l'
excommunication, parce qu'ils s'étaient emparés
de la ville de Ferrare, sur laquelle il avait des prétentions
; mais il ne s'en tint pas à des formalités
religieuses,
il envoya contre cette république une armée commandée par son
légat, qui eut le bonheur de reprendre Ferrare dans le cours de la même année.
Clément V publia aussi une
croisade contre les
Maures. Il mourut le 20 avril 1314, à
Roquemaure, comme il se disposait à revenir à
Bordeaux.
Villani fait un portrait odieux de sa cupidité et de ses murs scandaleuses. On lui donnait publiquement pour maîtresse la comtesse de Périgord. Il laissa des biens immenses à ses neveux ; son trésor fut pillé aussitôt après sa mort. La faiblesse, la
vénalité et la petitesse d'
esprit de ce pape sont remarquables, bien plus encore que ses mauvaises murs. Il eut quelques qualités, mais rien n'atteste des vertus qui inspirent la vénération pour sa mémoire.
Clément V doit être regardé aujourd'hui comme le premier pape qui ait porté la triple
couronne sur la tiare. Voici ce qu'en dit Jean Garampi dans son ouvrage intitulé
Illustrazione
d'un antico sigillo della Garjagnana : «
On trouve dans l'inventaire du mobilier de Clément V une couronne décrite ainsi : Item coronam, qu vocatur regnum, cum tribus circulis aureis et multis lapidibus pretiosis : defuit rubinus pretiosissimus qui consuevit esse in summitate, et perla alia. » Cette dernière circonstance ne permet pas de douter que ce ne fût la même tiare qu'il avait lors de l'événement fatal du
jour où il fut couronné. Les constitutions de ce pape, appelées
Clémentines, furent publiées par
Jean XXII, son successeur, et envoyées aux universités de
Paris et de
Bologne ; elles ont été imprimées à Mayence, 1460, in-fol., et font partie du
corps de droit
canonique.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 8 - Pages 393-394)