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Théodoric, roi des Ostrogoths

(~ 457 - 30 août 526, à Ravenne)
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      Thédoric, roi des Ostrogoths et fondateur de leur monarchie en Italie, était, selon quelques historiens, fils de Théodemir et d'une concubine ; selon d'autres, fils de Walamir, frère et prédécesseur de Théodemir. II naquit vers l'année 457 : on lui donne le surnom d'Amale, parce qu'il sortait de la race illustre de ce nom, dans laquelle la royauté était héréditaire chez les Ostrogoths. Elevé comme otage à la cour de Constantinople, il fut renvoyé à son père par l'empereur Léon, vers l'année 473, après avoir recueilli chez les Grecs toutes les connaissances qu'ils avaient conservées au milieu de leur corruption. Cependant on assure qu'il n'apprit jamais à écrire et que pour signer les cinq premières lettres de son nom, il était obligé de faire guider sa main par une lame d'or ciselée.

      Vers l'an 475, il succéda à Théodemir, du commun consentement des Goths. Le siège de sa monarchie était alors dans une partie de la Pannonie et de la Mœsie. Presque à la même époque, Odoacre avait mis fin à l'empire d'Occident et pris le titre de roi en Italie. Théodoric tourna ses premières armes, en 479, contre l'empire d'Orient, alors gouverné par Zénon. Il traversa l'Illyrie, s'empara de Duraz et menaça la Grèce. Sabinien, chargé de lui résister, chercha au coutraire à le réconcilier avec l'Auguste grec par les plus magnifiques présents. Après d'assez longues négociations, Théodoric obtint pour ses compatriotes une partie de la Dacie et de la Mœsie inférieure, dont il devait auparavant chasser les Bulgares ; il fut nommé général de la garde impériale et désigné consul pour l'année 484. Zénon paraît même l'avoir adopté, mais selon le rite des barbares, qui ne conférait que des droits honorifiques, et non selon celui des Romains, qui lui aurait transmis des droits réels. Zénon l'envoya contre le prince Illo et contre Venance, gouverneur de l'Isaurie, qui s'étaient révoltés. Cependant, Théodoric voyait avec jalousie l'Italie soumise à Odoacre ; il obtint facilement de Zénon la permission de conduire toute sa nation contre un roi que les empereurs regardaient comme un rebelle. Les Ostrogoths se mirent en mouvement dans l'automne de 488. La nation entière suivait Théodoric : les femmes et les enfants étaient traînés sur des chars ; le bétail marchait avec l'armée, et les provisions et les richesses de la Pannonie étaient transportées en Italie par les Alpes juliennes. Au mois de février 489, Théodoric défit les Gépides, qui lui disputaient le passage et qui s'étaient retranchés entre le Danube et les Alpes. Au mois d'avril, il entra dans le Frioul ; le fleuve Lisonzo le séparait d'Odoacre et de son armée. Théodoric avait sur Odoacre l'avantage du nombre, celui de l'art militaire et celui surtout d'avoir inspiré à ses soldats une plus entière confiance. De son côté, Odoacre avait pour remparts quelques rivières, dont il défendait le passage. Théodoric remporta sur lui une grande victoire près d'Aquilée, après avoir passé le Lisonzo et l'Adige. Pendant qu'Odoacre faisait sa retraite sur Ravenne, Théodoric se rendit maître de Milan et se fit reconnaître pour souverain par les provinces de la Lombardie supérieure. Il laissa sa mère et ses sœurs à Pavie, avec tous ceux des Goths qui n'étaient pas propres au combat, et s'étant mis à la tête des autres, il alla chercher Odoacre, qui avait eu des succès par la trahison d'un transfuge, le trouva sur les bords de l'Adda, le 13 août 490, et pour la troisième fois le battit complètement. Il l'assiégea ensuite dans Ravenne, où Odoacre se défendit vaillamment jusqu'au 05 mars 493. Ce roi malheureux capitula enfin, et Théodoric se montra d'autant plus facile à lui accorder des conditions avantageuses qu'il était déterminé à ne pas les exécuter. En effet, peu de jours après, il le fit massacrer sous de faux prétextes.

      Alors, maître de toute l'Italie, il l'administra comme un prince de l'empire ; il conserva à Rome et dans chaque ville les magistrats et les tribunaux qui, après cinq siècles de despotisme, rappelaient encore les noms de la république ; enfin il adopta les lois des Romains, leur langue pour tous les actes civils et même leur habillement. Voulant encore affermir son autorité par des alliances, il épousa, en 493, Audelfrède, sœur de Clovis, roi des Francs, maria Amalafrède, sa sœur, à Trasamond, roi des Vandales ; une de ses naturelles, Thendegothe, à Alaric II, roi des Visigoths ; une seconde, Ostrogothe, à Sigismond, fils de Gondebaud, roi de Bourgogne ; enfin sa nièce Amalberge à Ermenfred, roi de Thuringe. Théodoric engagea ses nouveaux alliés et surtout les Bourguignons à renvoyer en Italie la foule des cultivateurs qu'ils avaient emmenés en esclavage ; il commença ainsi à repeupler les campagnes. Cependant la plus grande partie de la Lombardie n'était encore qu'un vaste désert, où toute industrie avait été détruite par les barbares. Théodoric obtint aussi de l'empereur Anastase qu'il lui renvoyât les ornements royaux appartenant au palais d'Occident, et qu'il le reconnût, non plus comme roi des Goths, mais comme roi d'Italie, ce qui s'effectua en 497. Enfin, il fit, en l'an 500, son entrée à Rome et fut reçu par le pape, le sénat et le peuple avec la même solennité que s'il eût été empereur d'Occident. Après y avoir passé six mois au milieu des fêtes, il retourna résider à Ravenne.

      Théodoric possédait, outre l'Italie, une grande partie de l'Illyrie et de la Pannonie. Les progrès des Bulgares dans cette dernière province le déterminèrent, en 504, à y porter ses armes. Il prit sur eux ou sur les Gépides la ville de Sirmium, dont il fit de ce côté la barrière de ses Etats. L'année suivante, il y eut, sur cette même frontière, des hostilités entre ses troupes et les Grecs unis aux Bulgares, ce qui troubla la bonne harmonie qu'il avait entretenue jusqu'alors avec l'empire d'Orient. Cependant la guerre avait éclaté entre Clovis et Alaric, roi des Visigoths ; Théodoric, qui avait fait ce qu'il avait pu pour la prévenir, donna de puissants secours au peuple qui avait avec le sien une origine commune. Après la détaite et la mort d'Alaric, il envoya en Provence une armée qui força les Francs à lever le siège d'Arles (508). Cette ville, avec tous les débris du royaume des Visigoths dans les Gaules, se soumit volontairement à Théodoric. Un roi éphémère des Visigoths, Gésalic, occupait encore Barcelone ; mais, en 510, ette ville, avec presque toute l'Espagne, fut au pouvoir du monarque ostrogoth [Note : Ce n'est point comme tuteur ou régent pendant la minorité d'Amalaric, son petit-fils, que Théodoric fit gouverner la France méridionale et l'Espagne, ainsi que l'ont avancé quelques historiens, mais en qualité de roi, tant des Ostrogoths que des Visigoths, suivant saint Isidore de Séville et les actes de plusieurs conciles, tenus en Espagne. Procope lui-même ne s'éloigne pas beaucoup de cette opinion. Théodoric resserra ainsi les liens de ces deux nations, qui avaient une seule et même origine, et multiplia leurs rapports. Il ne se borna pas à arrêter les conquêtes des Francs et des Bourguignons sur les Visigoths, à leur enlever la Provence et la plus grande partie de la Narbonnaise par son général Ibbal, à rétablir à Arles le siège de la préfecture des Gaules, et à faire de Narbonne la nouvelle capitale du royaume des Visigoths (Clovis avait gardé Toulouse) ; il protégea l'Espagne contre les invasions étrangères en y envoyant une forte armée d'Ostrogoths, dont le chef eut le gouvernement militaire du pays (Voyez Theudis). Il confia l'administration civile à deux autres officiers, leur enjoignit de réprimer par de sévères châtiments les vengeances particulières qui étaient fréquentes en Espagne, à veiller à ce que les peuples ne fussent pas foulés, comme sous les Romains, par l'iniquité des juges et les malversations des magistrats. Il ne percevait qu'un léger tribut sur l'Espagne ; il n'y résida jamais, et cependant il fit plus pour le bonheur, la sûreté et la tranquillité du pays que les rois visigoths ses prédécesseurs. Quoiqu'il fût arien, il laissa aux catholiques le libre exercice de leur religion. Ils y tinrent plusieurs conciles, entre autres celui de Tarragone, dont un des canons défendait d'admettre à la profession des vœux monastiques les femmes au dessous de quarante ans. Théodoric est le premier roi d'Espagne qui ait nommé aux évêchés.].

      Il commandait aussi dans la Souabe ou la Rhétie, en sorte que la plus grande partie de l'ancien empire d'Occident se trouvait réunie sous son gouvernement. A sa mort seulement, Théodoric laissa le royaume d'Espagne à son petit-fils Amalaric, fils d'une de ses filles [Note : Théodoric, qui est le troisième de ce nom, comme souverain des Visigoths, craignant que l'ambitieux Theudis n'usurpât un jour le trône d'Espagne, s'en démit en l'an 523 en faveur de son petit-fils, devenu majeur. Il l'avait occupé quinze à seize ans]. Malgré ses talents pour la guerre, Théodoric aimait la paix, et il sut la maintenir de manière à rétablir dans ses Etats la population, le commerce et l'agriculture. Il consacrait ses trésors à rebâtir les murs des villes, les aqueducs, les temples et les palais détruits. Ayant marié, en 519, sa fille Amalasonie à Eutaric Cilicas, il donna au peuple romain des fêtes magnifiques dans l'amphithéâtre, et telles que, depuis plusieurs siècles, l'Occident n'en avait point vu de semblables.

      A la destruction du royaume de Bourgogne, en 523, Théodoric acquit quelques provinces, sans avoir pour cela de guerre à soutenir. Mais sa gloire parut s'éclipser après cette période. Ce prince, très attaché à la foi des ariens, avait cependant laissé jouir les catholiques de la plus parfaite liberté. Il avait montré une grande déférence pour les papes. Cependant, sur la fin de sa vie, il vit avec étonnement un zèle inconsidéré pour le mystère de la Trinité enflammer les catholiques. Les Italiens reprochaient avec trop d'amertume aux Goths de ne pas admettre la divinité du Fils de Dieu. Les Grecs, plus violents encore, excitèrent, en 523, une persécution générale contre les ariens. L'empereur Justin leur enleva leurs églises dans tout l'Orient ; il les exclut de tous les emplois, les ruina dans leur fortune, les menaça dans leurs personnes et traita comme une conspiration contre l'Etat une opinion partagée par la moitié de ses sujets. Théodoric, également irrité de cette persécution et de la fermentation qu'il découvrait dans ses Etats, défendit à ses sujets italiens le port de toute espèce d'arme, même d'un couteau ; il accusa de conspiration deux personnages consulaires, Albin et Boèce, dont le dernier, après avoir été relégué quelque temps à Calenzano, près de Milan, fut mis à mort en 524. Il envoya le pape Jean Ier à Constantinople pour demander qu'on restituât en Orient la liberté de conscience aux ariens, avec menace, si Justin n'y consentait, d'user des représailles envers les catholiques ; et le pape, n'ayant rien obtenu ou plutôt les promesses qu'on lui avait faites n'ayant point été exécutées, fut jeté en prison à Ravenne, avec les sénateurs qui l'avaient accompagné. Symmaque, beau-père de Boèce et l'un des sénateurs les plus considérés, fut mis à mort par ordre de Théodoric, en 525, sur les soupçon qu'il voulait venger son gendre. Théodoric, menacé par les complots de ceux à qui il avait fait le plus de bien, tourmenté de remords pour les avoir punis avant de s'être assuré de leurs crimes, ne pouvait plus espérer de bonheur. Procope assure que, voyant un jour sur sa table une tête de poisson, il s'imagina que c'était celle de Symmaque, qui le menaçait, et que, s'étant levé saisi d'effroi, il alla se coucher et mourut peu de jours après. On dit que, quelque temps avant sa mort, il se proposait de poursuivre les représailles dont il avait menacé l'Orient et que l'édit était signé pour chasser les catholiques de leurs églises [Note : Pour ce qui concerne ces événements, on ne doit pas admettre sans examen les écrits de Procope, non plus que ceux de quelques auteurs latins cités par Muratori. Procope écrivait sous l'influence des princes et des généraux grecs ; et l'on sait qu'il était assez porté de lui-même à recueillir les contes et les bruits populaires. Quant aux chroniqueurs italiens, il n'est pas étonnant qu'un ressentiment, dont la cause était juste, les ait emportés au delà des bornes de la vérité dans l'exposé de faits qui devaient rendre odieux le roi souillé du sang d'un pape et de celui de deux illustres Romains. Quelque criminels qu'aient été ces excès, on ne peut pas croire que Théodoric se soit démenti tout à coup à la fin de sa vie, et qu'il se soit abandonné aux emportements d'une fureur brutale, sans motif, sans dessein, sans égard pour sa propre sûreté. Qu'y avait-il de plus absurde que de proscrire la religion catholique dans un pays tout catholique, où les dissidents ne faisaient pas la centième partie de la population, où ils étaient nouvellement établis, où ils avaient besoin de se concilier l'affection des peuples catholiques pour se maintenir. Il n'y eut point de commencement de persécution ; et cet édit, qui, dit-on, était déjà signé, ne parut jamais et ne fut pas même allégué par les Goths, auxquels Théodoric expliqua ses volontés suprêmes à l'article de la mort. Qu'on ne lui accorde pas la bonté qui eût répugné à ces ordres cruels ; on ne pourra pas nier qu'il eût trop de raison pour n'en pas prévoir les dangereuses conséquences. Sa politique domina toujours les mouvements de son âme, et toutes ses actions eurent pour but l'affermissement de sa domination. Il se montra constamment, pendant trente ans de règne, excepté dans les tristes affaires du pape Jean, de Boèce et de Symmaque, l'un des plus grands princes qui eussent gouverné Rome depuis les Antonins ; et, si l'on considère sa famille et sa nation, il sera regardé comme l'un des hommes les plus extraordinaires qui aient inscrit leur nom dans les annales du moyen âge. Inquiété par les agressions clandestines ou déclarées des empereurs d'Orient, qui prétendaient toujours à la souveraineté sur les Romains, et qui, par une concession trompeuse, l'avaient envoyé en possession de l'Italie pour détruire les Hérules par les Ostrogoths et pour enlever aux vainqueurs affaiblis leurs dépouilles ; placé entre les Goths, qui l'avaient fait vaincre et qui soutenaient sa conquête, et les Romains humiliés d'obéir à des barbares dont ils détestaient l'hérésie, il sut forcer la cour de Byzance à le traiter en souverain, tenir entre ses sujets la balance égale et rendre son autorité respectable et chère aux deux peuples. Ce règne de Théodoric avait paru à Montesquieu digne d'être l'objet d'une étude spéciale. « Je ferai voir quelque jour, dans un ouvrage particulier, que le plan de la monarchie des Ostrogoths était entièrement différent du plan de toutes celles qui furent fonées dans ces temps-là par les autres peuples barbares » (L'Esprit des Lois, livre 80, chap. 12) Théodoric lui-même se faisait honneur de cette différence et affectait avec un juste orgueil de la signaler : « Que les autres rois, disait-il dans un de ses messages, se plaisent à ravager les cités, qu'ils se chargent d'un immense butin ; pour moi, je veux que mon empire soit tel que les nations vaincues regrettent de n'y avoir pas été soumises plus tôt. » (Cassiod., Var. III, 13). Tant que durèrent les périls de l'invasion, il combattit à la tête de son armée ; une fois qu'Odoacre abbatu l'eut laissé, par sa mort, maître de l'Italie, il déposa le glaive, ne fit plus la guerre que par ses lieutenants et s'appliqua tout entier aux soins du gouvernement et de l'administration. Il fallut, dans le commencement, donner des propriétés à ses compagnons d'armes ; on dit qu'il leur distribua le tiers des terres de l'Italie ; mais les anciens habitants ne souffrirent pas une expropriation aussi dure et aussi générale que ces paroles le feraient penser. La nation de Théodoric n'était ni assez nombreuse, ni assez avide de richesses pour occuper tant de domaines. Théodoric n'aurait pas voulu soulever tant de haines contre lui. D'ailleurs, les circonstances le favorisaient. Odoacre, en assiégeant le premier le tiers des terres à ses soldats, avait déjà pris sur lui tout l'odieux de cette spoliation à laquelle les Romains avaient dû être depuis longtemps accoutumée. Théodoric n'eut qu'à s'emparer de l'héritage d'Odoacre. Mais, en profitant de l'usurpation, il prit les mesures les plus propres à la rendre tolérable. Ce fut un Romain d'une probité reconnue qui présida au partage. Théodoric eut soin en même temps de montrer aux Romains les Goths comme des défenseurs prêts à verser leur sang pour la paix et la sûreté de l'Italie. Ce n'était plus une extorsion, mais un pacte qui procurait aux deux parties ce que chacune souhaitait le plus : aux Romains, lâches et indolents, l'exemption du service militaire ; aux nouveaux maîtres, la propriété territoriale avec la force des armes, base de la puissance. Dans cette répartition des biens, la comparaison avec les autres barbares était encore à l'avantage de Théodoric. En Afrique, les Vandales, dans la Gaule, les Francs, avaient pris tout ce qui était à leur convenance. Les Visigoths et les Bourguignons n'avaient abandonné que la troisième partie des terres aux peuples vaincus. Théodoric se contentait pour les Goths de la moitié de ce qu'il laissait aux Romains, et l'opération se faisait avec ordre et avec douceur ; elle n'atteignit pas un grand nombre de propriétaires, parce qu'il y avait sans doute beaucoup de terres vacantes, puisqu'il en resta encore, après l'établissement des Goths, à donner à d'autres barbares auxquels il ouvrit un asile après leurs défaites. Quand il eut satisfait à la nécessité de la conquête, le sort des propriétés fut irrévocablement fixé. Il y eut prescription pour les envahissements antérieurs à son entrée en Italie ; mais tous les bien enlevés depuis cette époque devaient être restitués. Il semblait être venu pour protéger les Romains et mettre un terme aux envahissements et aux violences. Sous un prince qui respectait et maintenait leur culte, leurs institutions, leurs lois, leurs droits personnels, les Romains pouvaient croire qu'ils étaient revenus aux temps des Césars ; il n'y avait de nouveau que la régularité, la vigilance, l'économie de l'administration avec la paix intérieure. Théodoric se hâta de quitter l'habit des barbares et de revêtir la pourpre romaine. Il conserva les offices du palais impérial et des titres honorifiques dont l'éclat inutile plaisait tant à la vanité des Romains. Les dignités civiles leur étaient réservées ; des comtes goths commandaient les troupes dans chaque province. La hiérarchie des magistratures et des juridictions demeura la même que dans l'empire. Odoacre avait opprimé, humilié le sénat ; Théodoric affecta de rehausser la gloire des pères de Rome, de leur prodiguer des marques d'affection, de confiance, de vénération, sans leur accorder aucun pouvoir : « Pour moi tous les travaux, disait-il, pour eux tous les plaisirs. » Les conseils et la rhétorique de Cassiodore, son secrétaire et son ministre, et un des hommes les plus savants et les plus illustres de cette époque, l'aidaient à rechercher et à employer tous les moyens de se concilier l'amour des Romains. Il veillait à ce qu'on rendit prompte et bonne justice à tous les sujets, sans acception de rang ni de personnes. Le riche comme le pauvre, le Goth comme le Romain devait être soumis aux lois ; il donnait lui-même l'exemple de l'obéissance à cette autorité suprême, et son palais était ouvert à qui réclamait contre l'iniquité des juges ou contre les vexations du plus fort. Théodoric recommandait à ses agents de ne point abuser de son nom pour accabler les particuliers dans les démêlés relatifs aux revenus du fisc. Les charges éminentes et les prérogatives du sang royal n'étaient à ses yeux que des motifs d'une plus rigoureuse impartialité. Il contraignit Faustus, préfet du prétoire, et Théodat, son propre neveu, de remettre aux légitimes propriétaires des biens dont ils s'étaient emparés injustement. Une femme pauvre sollicitait depuis trois ans la fin d'un procès sans pouvoir l'obtenir. Rebutée de si longs retardements, elle porte sa plainte à Théodoric. Il fait appeler les juges et leur ordonne d'examiner l'affaire sur-le-champ. Au bout de trois jours, cette femme eut satisfaction : le roi leur fit trancher la tête. Non content du refuge que les opprimés trouvaient dans son conseil royal, il envoyait dans les provinces, pour soulager ceux qui ne pouvaient parvenir jusqu'à lui, des juges munis de pleins pouvoirs, qui tenaient des assises, recevaient les réclamations et rendaient ainsi le roi présent en tous lieux. Ces envoyés du prince étaient presque toujours des Romains. Les Goths suivaient leurs lois dans leurs différends entre eux et étaient jugés par leurs chefs. Toutefois, il abolit l'usage des combat judiciaires : la loi romaine et l'édit spécial qu'il promulgua réglaient les contestations qui avaient lieu entre des Goths et des Romains, et le tribunal était mi-parti. Les Goths payaient des impôts pour leurs propriétés comme les autres sujets ; le domaine royal n'en était point exempt. Sachant qu'il n'était pas moins dangereux d'offenser le peuple dans ses opinions religieuses que de le léser dans ses droits réels, il s'appliqua surtout à détruire les préventions et la haine qu'excitait son hérésie. Après ses premières victoires, quand il marcha contre Odoacre enfermé à Ravenne, il confia sa mère et toute sa famille à la garde du vénérable évêque de Pavie, Epiphane. Plus tard, il le chargea de racheter des Bourguignons les malheureux qu'ils avaient emmenés captifs et réduits en esclavage. Le jour qu'il fit son entrée à Rome, sa première démarche fut d'aller dans l'église de St-Pierre rendre hommage à la religion de son peuple adoptif. Dans la suite il accueillit avec une profonde vénération et combla d'honneurs Césaire, évêque d'Arles. Il envoya une autre fois des secours à des évêques d'Afrique, exilés en Sardaigne par Trasamond, roi des Vandales ; il poussa la complaisance jusqu'à renouveler les édits de prescription des empereurs catholiques contre le paganisme, édits qui ne devaient pas frapper beaucoup de victimes. Mais cependant il sut contenir les ecclésiastiques dans les bornes du devoir en ce qui concernait le temporel. Il conserva leurs privilèges et leurs immunités et retrancha les abus ; il les laissa jouir d'abord de la liberté des élections et ne s'arrogea qu'à la fin de son règne, après la mort du pape Jean, la nomination à la chaire pontificale. Tous les pouvoirs rentraient dans leurs limites ; toutes les ambitions étaient ou réprimées ou éludées ; toutes les forces agissaient pour le bien général ; les contributions augmentaient sans grever les fortunes particulières ; la paix et la sécurité avaient ranimé le commerce et l'agriculture, ces deux sources de la richesse publique et privée ; on ne connaissait plus ni les confiscations, ni les famines, ni les séditions populaires, ni les déprédations des gouverneurs, ni la férocité d'une soldatesque brutale, ni les tyrannies des grands possesseurs. Toute la machine politique s'était reconstruite ; il n'ya avait rien de changé dans l'organisation que le ressort principal. La police était si bien faire que les écrivains disent qu'on pouvait suspendre aux arbres, dans la campagne, des joyaux d'or sans craindre les voleurs. On redoutait sa justice, mais on devait aimer son empressement à pourvoir aux besoins et aux amusements du peuple. En même temps que les vivres arrivaient à Rome en abondance, les jeux et les spectacles satisfaisaient la passion dominante, Théodoric s'enorgueillissait de rendre à la reine des cités une splendeur qui rejaillissait sur lui. Le même setiment le portait à encourager les arts ; il se plaisait à en envoyer les productions en présents aux rois barbares, et il jouissait de leur admiration pour ces merveilles. Sa puissance devint aussi formidable au dehors que tutélaire dans l'intérieur. Habile à se ménager des alliance avec les royaumes barbares, et en qualité de successeur des Césars et de maître du siège d'Occident ; chef d'une famille de souverains nouveaux, il s'appuyait sur eux et se servait de leur fougueuse valeur et quelquefois même de leurs discordes et de leurs querelles sanglantes pour étendre son empire. Ainsi, n'ayant point empêché par sa médiation la guerre des Francs contre les Visigoths, son armée, qui arriva trop tard pour secourir son gendre Alaric, tué à la bataille de Vouillé, vint assez à temps pour reconquérir, au nom de son petit-fils Amalaric, plusieurs provinces méridionales des Gaules. Il gouverna aussi l'Espagne, comme protecteur de l'orphelin et comme souverain du royaume. Quelques années après, quand les fils de Clovis se préparaient à exterminer le roi de Bourgogne, Théodoric fit avec eux un traité d'alliance. On était convaincu que ceux des alliés qui n'auraientpoint partagé les périls de l'expédition payeraient, à titre d'indemnité, une somme d'or à ceux qui auraient combattu seuls et partageraient ensuite la conquête par moitié. Théodoric met ses troupes en campagne, mais il commande en secret à son général, Tolonic, de s'avancer lentement. Durant ces retards, les Francs chassent le Bourguignon de son royaume. Soudain les Goths se présentent et, s'excusant sur la difficulté du passage des Alpes, ils payent l'amende stipulée et occupent Genève, Apt, Carpentras ; Théodoric était trop avancé pour ces peuples ingénus. La ruse lui réussissait avec les Francs et la vigueur avec les princes grecs. Ses troupes repoussèrent les agressions perfides des armées impériales, et, les vaisseaux grecs ayant exercé une sorte de piraterie sur les côtes de l'Italie depuis longtemps dépourvue de marine, en moins d'un an d'une flotte de mille bâtiments légers fut construite, équipée et se tint prête à faire voile dans le port de Ravenne. Anastase ne tenta pointune seconde incursion. Théodoric l'obligea de reconnaître sa royauté et de le traiter comme ami, en apparence, quoique ce prince épiât toutes les occasions de lui susciter des troubles et des périls. Il retint la prérogative des empereurs, de nommer un consul pour l'Occident, tandis que la cour d'Orient créait l'autre. Ainsi Théodoric sut réprimer les inimitiés insidieuses des Grecs sans rompre ouvertement, comme il enchaîna la fierté sauvage des Goths sans perdre leur affection, comme il caressa l'orgueil des Romains sans cesser de les tenir dans sa dépendane. Il ne se conduisit ni en conquérant, ni en barbare, ni en arien : il fut roi. Si l'on veut s'instruire plus à fond des particularités de ce règne si intéressant et si remarquable, on consultera l'ouvrage de Georges Sartorius, professeur à l'université de Gœttingue, qui obtint le prix proposé, en 1808, par la classe d'histoire et de littératurede l'Institut. L'Histoire de l'établissement, des progrès et de la décadence de la monarchie des Goths en Italie, par l'auteur de cette note, fut couronnée dans le même concours après le Mémoire de Sartorius.], lorsque, attaqué d'une dysenterie, il termina sa carrière à Ravenne, le 30 août 526, après un règne de trente-trois ans et dans la 69ème année de sa vie [Note : Théodoric n'eut de barbare que la naissance et l'éducation. Un jugement sûr suppléait chez lui le défaut d'étude. Son Code prouve l'étendue et la justesse de son esprit ; pou y distinguer les Italiens des Ostrogoths, il désigne les uns par le nom de Romains et les autres par celui de barbares, mais ceux-ci y étaient estimés le double comme dans tous les codes barbares. Si l'on excepte ses trois dernières années, il a régné avec plus de sagesse et d'éclat que tous les princes ses contemporains et que la plupart des Césars, dont il occupait le trône. Son histoire a été écrite par Cassiodore, son ministre, et par Jornandès. En fait d'ouvrages modernes, signalons l'Histoire de Théodoric (en allemand), par F. Hurter, Schaff., 1807, 2 vol. in-8°, et celle dont le marquis du Roure est l'auteur, Paris, 1846, 2 vol., in-8°.]. Athalaric, fils de sa fille Amalasonie, lui succéda sur le trône des Ostrogoths. »  (Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 41 - Pages 276-280)




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