Biographie universelle ancienne et moderne David Téniers, dit
le Jeune, fils et élève de
David Téniers le Vieux, naquit à
Anvers en 1610. Plusieurs biographes prétendent qu'il quitta l'
atelier de
Téniers le Vieux pour celui d'Adrien Brauwer, et qu'il reçut même des leçons de Rubens. D'autres ajoutent qu'il fut aussi élève d'Elzheimer ; mais ces faits sont niés par Dezallier-Dargenville, dont l'honneur semble intéressé à prouver que le fils n'eut jamais d'autre maître que son père. La vérité est qu'à l'époque de ses débuts dans la carrière des arts,
Téniers le Jeune imitait alternativement, et avec une merveilleuse habileté, la plupart des peintres de son temps, d'où l'on pouvait en effet conclure qu'il avait alternativement pris de
leurs leçons. Ce fut ce talent tout particulier qui établit d'abord sa réputation à
Anvers et le fit surnommer le
Protée ou le
Singe de la peinture. Se trouvant un
jour dans un cabaret du village d'Oyssel, il s'aperçut, au moment de sortir, qu'il n'avait pas de quoi payer sa dépense. Il fit approcher un aveugle qui jouait de la flûte, le peignit et eut le bonheur de vendre trois ducats son tableau à un voyageur anglais
(1) qui s'était arrêté dans le cabaret pour changer de
chevaux. Fort heureusement, Téniers sentit d'assez bonne heure la nécessité d'être autre choses qu'un faiseur de pastiches ; et, après avoir copié avec une
fidélité surprenante toute la galerie de l'
archiduc Léopold-Guillaume, après avoir
composé une foule de tableaux où la manière du Tintoret et de Rubens était reproduite au point de tromper les yeux les plus exercés, il prit la ferme résolution de ne plus imiter que la nature. C'est de cette époque seulement que date sa véritable gloire.
La vie de Téniers le jeune fut peu fertile en événements. La douceur de ses murs et la régularité de sa conduite lui valurent l'estime de tous ses
compatriotes. L'
archiduc Léopold le fit gentilhomme de sa
chambre ; la reine Christine lui donna son portrait avec une chaîne d'or ; le prince don Juan d'Autriche voulut être son élève
(2) ; enfin le roi d'Espagne, le prince d'
Orange, le comte de Fuensaldagna et l'
évêque de Gand le protégèrent. Il n'y eut guère que
Louis XIV qui ne sentit point ou ne voulut pas apprécier le mérite de ce peintre. Un
jour que le valet de
chambre de ce grand roi venait de placer dans les petits appartements quelques scènes flamandes de Téniers, le monarque s'écria en les
voyant :
Qu'on enlève tous ces magots.
Fatigué des nombreuses visites qui l'empêchaient de travailler,
Téniers le Jeune quitta sa ville natale pour se retirer dans le village de Perth, entre Malines et
Anvers ; il se proposait d'y étudier de plus près les murs et les habitudes des paysans qu'il aimait à représenter ; mais cette retraite champêtre devint bientôt, à son grand regret, le rendez-vous de toute la noblesse du pays ; et il est à remarquer que celui de tous les peintres flamands dont les ouvrages sont le plus populaire fut aussi celui qui vécut le plus habituellement dans les hautes classes de la société. On rapporte que, dans l'espérance de vendre ses tableaux mieux qu'il n'avait pu le faire jusqu'alors, il se fit un
jour passer pour mort, et que, grâce à ce stratagème, dont sa femme et ses
enfants étaient complices, il fit un gain considérable ; mais bien que cette anecdote ait fourni à MM. Jos. Pain et Bouillet un vaudeville représenté, en 1800, sous le titre de
Téniers (3), il est permis de la révoquer en doute ; on raconte la même chose de Rembrandt, et c'est avec plus de vraisemblance.
Aucun peintre ne surpassa, n'égala même Téniers
le Jeune, pour la facilité et la légèreté du pinceau ; aucun n'eut un sentiment plus intime et plus prompt de la vérité. Ce n'est pas seulement la forme grotesque et le costume des villageois de son pays qu'il sut rendre dans la perfection ; il a peint avec une
justesse d'expression et une naïveté admirables le
jeu de leur physionomie, leurs moeurs, leurs passions, leurs caractères individuels, et jusqu'à la moindre des nuances qu'établissait entre ces hommes rustiques la diversité des fortunes et des conditions. Reynolds regrette à tort, il nous semble, que Téniers n'ait pas employé à des sujets nobles l'élégance et la précision de son pinceau. Téniers, suivant toute apparence, n'eût été qu'un peintre médiocre dans un genre où cette élégance et cette précision n'auraient jamais pu suppléer au
goût inné des belles formes et du grand style. La touche de Téniers est vive, légère, spirituelle. Ses tons de
couleur sont vrais et riches. Il lui arriva quelquefois de tomber dans le gris, en cherchant plus qu'il ne le devait cette
harmonie de lumière argentine qu'on avait souvent admirée dans ses ouvrages. Une seule observation que lui fit à ce sujet Rubens l'eut bientôt corrigé de ce léger défaut. Ses paysages, en général, ne sont pas d'un excellent choix, du moins par rapport à la richesse des sites et des perspectives ; mais ils ont, au plus haut degré, comme ses figures, le mérite de la vérité locale. On ne saurait y répandre le
jour et faire en quelque sorte sentir la fluidité de l'
air. Ses groupes, d'ailleurs, sont liés avec art, son dessin a de la finesse et ne laisse rien à désirer sous le rapport de l'exactitude. La rapidité de son exécution était prodigieuse. Il y a tel de ses tableaux les plus estimés qui ne lui a pas coûté plus d'une journée de travail. Aussi disait-il en riant que pour rassembler tous ses ouvrages, il faudrait une galerie longue de deux
lieues. Les connaisseurs faisaient un cas particulier de ce qu'il appelait ses
Après-souper. C'étaient de petites
compositions qu'il aimait à peindre le soir, comme par délassement, et qui étaient claires dans toutes les parties. On y admirait surtout l'intelligence avec laquelle il savait détacher tous les objets, exprimer toutes les distances, sans aucune des ressources que les peintres ordinaires cherchent dans le
jeu des oppositions.
Le musée du Louvre possède quinze tableaux de ce maître, parmi lesquels on remarque particulièrement les
uvres de miséricorde, l'
Enfant prodigue, une
Tentation de saint Antoine, la
Chasse au héron, le
Joueur de cornemuse et la
Noce de village. Ses autres ouvrages sont répandus avec profusion en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, et cependant ils se soutiennent toujours dans le commerce à un prix très élevé. Téniers a aussi laissé des dessins au crayon noir, qui sont également recherchés des amateurs. Ceux qu'on voit aujourd'hui dans la galerie d'
Apollon, au Museum, représentent une fête villageoise et une réunion de fumeurs. Les estampes d'après ce maître sont innombrables. La plupart sont dues à la pointe piquante et spirituelle de Lebas, qui s'était parfaitement pénétré de l'
esprit du modèle. Téniers lui-même a gravé à l'
eau-forte quelques-uns de ses tableaux. Une partie de son uvre a été publiée sous le titre de
Theatrum
pictorium,
Anvers, 1658, 1660, 1684, 245 planches ; et en français,
1755, in-fol., intitulé
Le grand cabinet de tableaux
de l'
archiduc Léopold-Guillaume, peint par des maîtres italiens et
dessiné par David Téniers. Il avait été nommé directeur de l'académie d'
Anvers en 1644
(4).
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(1) Ce voyageur était lord Falton ; il conserva longtemps ce tableau, que les connaisseurs s'obstinaient à regarder comme le chef-d'uvre de Ténierq, mais un vol le lui fit perdre. Il a été retrouvé en Perse, en 1804, par le colonel Dikson, avec plusieurs autres
compositions du même.
(2) On rapporte même qu'après avoir logé quelques mois chez Téniers, ce prince peignit de sa main un des fils de son hôte.
(3) Une pièce portant le même titre a été jouée au théâtre de Münich. (Voyez le
Magasin encyclopédique, 1807, t. 6, p. 394.)
(4) On avait ignoré jusqu'à ce
jour la date précise du décès de Davis
Téniers le Jeune ; grâce à M. Charles de
Brou, de Bruxelles, toutes les contradictions des biographes disparaissent. Voici ce qu'a rencontré l'heureux chercheur dans les registres d'
inhumation de l'
église de Caudenberg, à Bruxelles : « Le 11
février 1685, sieur David Téniers (inhumé)
dans l'
église de Caudenberg, (demeurant) rue Haute, à côté
de la Porte-Rouge. »
Ajoutons que M. Charles de
Brou a publié sa précieuse
découverte dans le
Bulletin de l'art et d'archéologie, en
accompagnant son texte d'une lithographie représentant la maison de la
rue Haute, et qu'il existe un tirage à part de cet article ; Téniers
s'était remarié dans cette maison en 1656, et sa vente y eut lieu le 04
juin 1685 et
jours suivants.
(Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 41 - Pages 141-143)