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Clovis Ier

(465, à Hlodovic - 27 novembre 511, à Paris)
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Clovis Ier (465 - 511)      Clovis (Chlodoveus (1) ou Calodovechus), roi des Francs, né en l'an 465, succéda, en l'an 481, à son père Childéric. A cette époque, la Gaule, qui, depuis soixante ans, avait été en proie à des irruptions dévastatrices, avait vu s'établir dans son sein diverses nations barbares, différentes par leur origine, leurs mœurs et leur langage ; des Etats rivaux s'y étaient nouvellement formés. Le plus étendu et le plus puissant de tous était celui des Wisigoths, qui occupaient les belles contrées situées entre la Loire et les Pyrénées, et qui avaient subjugué la plus grande partie de l'Espagne. Après eux, le royaume le plus considérable était celui des Bourguignons, qui, au sud-est, possédaient toute la portion que baigne le Rhône et ses affluents. Entre la Loire et la Somme, diverses cités, faisant partie de l'Armorique, avaient formé entre elles une courageuse confédération. Le centre de cette portion, qui était aussi celui de toute la Gaule, appartenait aux Gaulois-Romains, qui avaient résisté aux barbares d'au delà du Rhin, et qui, sous des chefs choisis parmi eux ou devenus héréditaires, reconnaissaient encore la suprématie des successeurs des Césars, devenus incapables de les protéger contre les dangers qui les menaçaient. A l'est, sur les bords du Rhin, et au nord de la Somme, se trouvaient les belliqueuses tribus des Francs et des Allemands, qui obéissaient à divers chefs indépendants et souvent ennemis les uns des autres.

      Clovis était le chef de la tribu des Francs-Saliens, qui s'était fixée dans la Ménapie, restreinte, dans les derniers temps de l'empire romain, au diocès de Tournai, lequel comprenait alors aussi ceux de Bruges, de Gand et d'Yprès, qu'on a séparés depuis. Ce territoire était renfermé entre la mer et l'Escaut, qui le bornait à l'orient et au midi ; il était resserré à l'ouest par le pays des Morini, les diocèses de Térouanne et de Boulogne, qu'occupait une autre tribu des Francs, commandée par Cararic. Il avait au sud le riche pays des Nervii, ou le diocèse de Cambrai, possédé également par une tribu de Francs, dont le roi, nommé Ragnacaire, parent de celui des Francs-Saliens, faisait sa résidence à Cambrai (2). Celle de Clovis était à Tournai, où l'on a trouvé le tombeau de son père Childéric au XVIIème siècle. Déjà sous ce dernier roi, et plus anciennement sous Clodion, les Francs-Saliens, plus audacieux que les autres tribus de la même nation, avaient fait des irruptions dans le pays des Gaulois-Romains, et avaient tenté de s'y établir ; mais des forces supérieures les avaient forcés de se retirer dans leurs forêts et leurs marais, et d'y emporter leur butin. Il est remarquable que leur pays était la plus froide, la plus inculte et la moins fertile portion des Gaules. Clovis résolut de tenter une nouvelle expédition, et il envoya déclarer la guerre à Syagrius, qui avait reçu de ses ancêtres, comme par héritage, la ville et le diocèse de Soissons, et qui, décoré par l'empereur du titre de comte ou de patrice, commandait aux tristes restes de la seconde Belgique. Syagrius, fils du célèbre Aétius, adoré des Romains, respecté des barbares par sa justice et sa grandeur d'âme, accepta le défi hostile de Clovis, qui, dans un langage déjà chevaleresque, lui avait fait dire de fixer le jour et le lieu de la bataille.

      Clovis, assisté de Ragnacaire, roi de Cambrai, sur le territoire duquel il se trouvait forcé de passer, marcha contre Syagrius. Les Romains ne purent soutenir le choc impétueux des Francs, dont le nombre ne se montait pas au delà de 5000. Ce combat mémorable eut lieu près de l'ancienne abbaye de Nogent, à environ trois lieues de Soissons, qui devint ainsi la première capitale du nouveau royaume des Francs-Saliens, en l'an 486 de l'ère chrétienne. Syagrius se retira à Toulouse, à la cour d'Alaric, et les lâches conseillers du puissant Euric, encore mineur, livrèrent l'illustre fugitif à Clovis, qui le redemanda, et qui fit mettre à mort cet infortuné roi des Romains, comme l'appelle Grégoire de Tours.

      Au milieu de la férocité de mœurs qui caractérisait sa nation, Clovis déploya, dès les premiers temps de sa conquête, une politique inconnue de ses prédécesseurs : il ménagea le culte des vaincus, il chercha même à se concilier l'amitié des chefs de cette religion, dont l'influence était alors toute-puissante sur les Gaulois-Romains, qui formaient la base de la population des contrées qu'il venait de soumettre. Ainsi, saint Rémi, évêque de Reims, ayant fait réclamer auprès de lui un vase d'une grandeur et d'une beauté remarquables : « Suivez-moi dans Soissons, dit le roi aux députés de l'évêque, là nous devons partager le butin, et si le sort me donne ce vase, je vous le rendrai. » Clovis demande à ses guerriers rassemblés dans Soissons que ce vase lui soit remis ; les Francs, pleins de respect et d'amour pour leur chef, lui répondent unanimement qu'il peut choisir dans le butin ce qui lui conviendra. Un seul, plus audacieux, fend le vase avec sa hache ou francisque, en disant : « Tu n'auras rien que le sort n'en ait décidé. » Aussitôt tous les regards des Francs, immobiles d'étonnement, se dirigent sur Clovis. Lui, dissimulant son indignation, prend tranquillement le vase brisé et le remet aux députés ; mais ce même soldat s'étant trouvé un an après au champ de Mars, ou à la revue, avec des armes mal en ordre, Clovis lui fendit la tête avec sa francisque, en disant : « C'est ainsi que tu frappas le vase dans Soissons. »
      Toutes les villes de la seconde Belgique se soumirent à Clovis. Les Parisiens, auxquels les premières conquêtes des Francs avaient fait éprouver une longue disette dont ils ne furent soulagés que par le courage de sainte Geneviève (3), imitèrent, en 493, l'exemple des cités environnantes, et ouvrirent aussi leurs portes aux Francs. Clovis, dans la dixième année de son règne, agrandit encore ses domaines vers l'est, en s'emparant (4) de la Tongrie (le diocèse de Liège). Les Allemands, la plus féroce des tribus de la Germanie, qui s'étaient établis dans les provinces modernes d'Alsace et de Lorraine, attaquèrent, en 496, les Francs-Ripuaires, possesseurs du territoire de Cologne, et alliés de Clovis. Le roi des Francs-Saliens marche aussitôt contre ces audacieux agresseurs, remporte sur eux une victoire complète, et s'empare du territoire qu'ils occupaient (5). Théodoric, roi d'Italie, qui avait épousé Alboflède, sœur de Clovis, écrivit au roi des Francs pour le complimenter sur sa victoire, et pour intercéder en même temps auprès de ce terrible vainqueur en faveur des chefs allemands fugitifs qui s'étaient réfugiés à sa cour. Afin de le fléchir plus facilement, il lui envoya en même temps d'Italie un chanteur célèbre, et habile à s'accompagner de la guitare, que Clovis lui avait demandé avec instances. (6) Les Wisigoths étaient les peuples de la Gaule les plus redoutables pour les Francs-Saliens, et Clovis, afin de pouvoir leur résister avec plus d'avantage, chercha à se concilier les Bourguignons en demandant la main d'une princesse de leur sang : c'est ainsi qu'il épousa Clotilde (7), nièce du roi Gondebaud. Elle était belle, et l'amour serra les nœuds que la politique avait formés. Elevée dans la foi catholique, au milieu d'une cour arienne, ses vœux, son devoir et son intérêt la portaient à faire tous ses efforts pour convertir son époux païen.

      Clovis écoutait favorablement la voix de l'amour et de la religion, lorsque la mort de son fils aîné, qu'il avait laissé baptiser, vint réveiller ses craintes superstitieuses. Il se laissa cependant persuader pour son second enfant, qui reçut aussi le baptême, et, dans la guerre avec les Allemands, dont nous avons parlé, se voyant près de succomber, il invoqua hautement le Dieu de Clotilde et des chrétiens ; il l'appela à son secours, et aussitôt la victoire se tourna de son côté. Après cet événement, il ne fut pas difficile à l'éloquent saint Rémi de persuader un homme du caractère de Clovis que le Dieu qui gagnait les batailles et qu'adorait Clotilde était le seul Dieu tout-puissant, le seul qu'il fallût reconnaître. Clovis fut donc converti à la foi catholique, et les raisons politiques qui le forçaient de suspendre sa profession de foi publique furent levées lorsqu'après avoir harangué ses Francs, il les trouva disposés à le suivre aux fonts baptismaux avec la même joie qu'ils montraient lorsqu'il s'agissait de l'accompagner aux combats. La cérémonie se fit à Reims, le 25 décembre 496, avec toute la pompe et la magnificence que l'habile évêque crut devoir déployer aux regards étonnés de ses barbares néophytes. La rue par où les Francs devaient passer était tapissée d'étoffes peintes ou d'un blanc éclatant ; dans l'intérieur de l'église, les plus doux parfums répandaient dans l'air une odeur céleste ; la cire embaumée brûlait, et éblouissait les yeux par d'innombrables lumières (8). Le nouveau Constantin s'avança vers le baptistère ; l'évêque, en lui présentant la croix, et en versant sur lui l'eau salutaire, lui dit : « Sicambre, baisse la tête, et désormais adore ce que tu brûlais, et brûle ce que tu adorais (9). » Il est certain, d'après le témoignage de saint Rémi même, que ce saint évêque, à l'exemple de ce que l'Ancien Testament nous apprend des rois juifs, ajouta à la cérémonie du baptême celle du sacre, et qu'il oignit Clovis d'une huile bénite (10) ; mais la pieuse fiction de cette fiole, apportée du ciel par une colombe blanche, et qui, sous le nom de sainte ampoule, a servi au sacre de nos rois, n'a été inventée que 360 ans après, par Hincmar, évêque de Reims (11) : 3000 guerriers et un grand nombre de femmes, parmi lesquelles se trouvaient les deux sœurs de Clovis, Alboflède et Landechilde, se firent baptiser en ce jour mémorable.

      Clovis, en sortant des fonts baptismaux, se touvait dans le monde chrétien le seul souverain catholique : l'empereur Anastase avait admis des erreurs dangereuses sur l'incarnation divine ; les autres rois d'Italie, d'Afrique, d'Espagne et des Gaules s'étaient laissé entraîner à l'hérésie d'Arius. Le fils aîné de l'Eglise, ou plutôt le seul fils de l'Eglise, fut donc reconnu comme le sauveur de la foi, le souverain légitime ; et le succès de ses armes fut affermi par l'influence d'un clergé nombreux, riche, puissant et opprimé par d'autres princes. Ce fut cette conversion de Clovis, et la protection qu'il accordait à la religion, plus que la crainte de ne pouvoir lui résister, qui engagèrent les cités d'Armorique (12), en l'an 497, à se soumettre à lui, et qui réunirent à son royaume des pays si vastes et si fertiles, et des peuples si valeureux. Ainsi il ne restait plus dans les Gaules que deux grandes puissances rivales de celle des Francs que Clovis venait d'établir, c'étaient les Bourguignons et les Wisigoths.

      Pour combattre avec succès la plus faible des deux, Clovis conclut deux traités d'alliance offensive, l'un avec Théodoric, son beau-frère, roi d'Italie et des Ostrogoths ; l'autre avec Godegisèle, frère de Gondebaud, et mécontent du partage qu'il avait dans la Bourgogne. Gondebaud, dont les Etats s'étendaient alors depuis les Vosges jusqu'aux Alpes et à la mer qui baigne les murs de Marseille, pour diminuer le nombre des prétendants à la souveraineté, avait fait périr deux de ses frères, dont l'un était le père de Clotilde. Cependant, sa politique imparfaite permettait encore à Godegisèle, le plus jeune de ses frères, de posséder la principauté de Genève. Gondebaud fut alarmé de l'esprit de mécontentement et de révolte que fit éclore dans ses Etats la conversion de Clovis. Le roi de Bourgogne assembla à Lyon les évêques catholiques et ariens, et s'efforça en vain de les concilier ; ce fut dans ces circonstances critiques qu'il se vit forcé de se défendre contre Clovis, et qu'il lui présenta la bataille sur les bords de la petite rivière d'Ousche, près de Dijon. La désertion de Godegisèle, qui, avant le combat, se rangea du côté de Clovis avec ses Bourguignons, força Gondebaud de s'enfuir, d'abandonner au vainqueur Lyon et Vienne, et de se renfermer dans Avignon. Les longueurs du siège de cette ville, et une habile négociation, conduite par Arède, engagèrent Clovis à donner la paix à Gondebaud. Le roi des Francs força celui des Bourguignons à pardonner et même à récompenser la trahison de son frère. Clovis retourna dans ses Etats avec les dépouilles des riches provinces qu'il avait traversées en vainqueur. Mais son triomphe fut bientôt troublé par la perfidie de Gondebaud, qui, malgré la foi due aux traités, fit périr Godegisèle. Le roi de Bourgogne épargna cependant les Francs renfermés dans Vienne avec son frère, aui nombre de 5000, et il les envoya prisonniers à Alaric,qui les établit dans les environs de Toulouse. Clovis, qui soupçonnait la sincérité de Théodoric à son égard, et qui craignait d'avoir à se défendre contre les Wisigoths, fut assez sage pour résister à son juste ressentiment ; il accepta l'alliance du roi de Bourgogne, qui s'engagea, par un nouveau traité, à l'aider se son armée en cas de guerre.

      Ce fut vers ce temps, en l'an 507, que Clovis choisit Paris pour capitale de son royaume ; ce petit chef-lieu d'un des moindres peuples de la Gaule, resserré dans une île entre deux bras de la Seine, s'était ressenti de la prospérité générale de cette contrée sous le gouvernement des Romains ; ses habitants, dont le sévère Julien louait la simplicité rustique, et dont il se plaisait à opposer la frugalité et les habitudes laborieuses, à la mollesse, au luxe et à la débauche de la superbe Antioche, s'étaient enrichis par le commerce et la navigation des rivières qui les entouraient, et par le séjour temporaire des empereurs. Quelques édifices romains que l'on avait construits au sud et hors de l'enceinte de la ville contrastaient par une heureuse et nouvelle magnificence avec les modestes habitations entassées, sans beaucoup d'ordre, sur les deux rives du fleuve. C'est dans un de ces édifices, qui subsistait en grande partie du XIIIème siècle, dont on voit même encore aujourd'hui quelques vestiges (13), et qui se trouva désigné, dans des actes des Xème et XIème siècles, sous le nom de Thermes (bains) et de palais des Thermes, qu'on prétend que Clovis fit sa résidence ; mais cette assertion, répétée par presque tous les historiens de la ville de Paris (14), et dénuée de preuves. Il est plus certain que, vers l'an 507 (15), sur le sommet de la montagne au pied de laquelle se trouvait cet édifice, et sur l'emplacement d'un cimetière des Romains, Clovis au milieu des arbres et des vignes, jeta les premiers fondements de l'église des Sts-Apôtres (St Pierre et St Paul), qui depuis a reçu le nom de Ste-Geneviève.

      Cependant les Wisigoths et les Francs s'observaient mutuellement ; des discussions ne tardèrent pas à s'élever sur leurs limites respectives. D'abord elles parurent pouvoir être réglées à l'amiable ; Clovis et Alaric se virent dans une petite île de la Loire, près d'Amboise. Ils se fêtèrent mutuellement, s'embrassèrent, se séparèrent en se prodiguant les protestations d'une amitié fraternelle. Ces apparences étaient trompeuses ; et c'est en vain que Théodoric chercha, par les lettres que nous avons encore (Voyez D. Bouquet, t. 4), à négocier avec Clovis, Gondebaud et Alaric, pour prévenir une rupture. Le roi des Francs, tout en feignant pour le puissant roi d'Italie une déférence filiale, hâta ses préparatifs, et, sachant que Théodoric était menacé par l'empereur Anastase et avait besoin de toutes ses troupes, il assembla les chefs de son armée à Paris, et leur dit : « Souffrirons-nous que des ariens, des hérétiques possèdent les plus belles portions des Gaules ? Marchons contre eux, emparons-nous de leurs fertiles provinces, et partageons-les entre nous. » Tous répondent qu'ils sont prêts à le suivre et jurent de laisser croître leur barbe jusqu'à ce qu'ils aient vaincu Alaric. Les exhortations de le belle et pieuse Clotilde enflammèrent encore le courage de ces guerriers pour cette sainte entreprise.

      Les Francs, qui s'étaient avancés sur les bords de la Vienne, dont l'autre rive était couverte par les camps des Wisigoths, crurent voir un signe visible de la protection du ciel, dans l'indication qui leur fut donnée par une biche d'un endroit où la rivière était guéable, ils en profitèrent pour traverser le fleuve, et forcèrent les Wisigoths à la retraite. Enfin la bataille se livra dans le champ de Voclade, à dix milles et au midi de Poitiers, près de Champagné St-Hilaire et de Vivonne, entre les deux petites rivières de Vonne et de Clonère (16). Après un sanglant combat, où le fils de Sidoine Apollinaire perdit la vie, à la tête des nobles d'Auvergne, où Clovis tua de sa propre main Alaric son rival, et où lui-même manqua de périr d'un coup de lance, les Wisigoths furent entièrement défaits. La conquête de l'Aquitaine fut le résultat de cette bataille. Angoulême ouvrit ses portes à Clovis ; il prit ses quartiers d'hiver à Bordeaux, enleva les trésors qui se trouvaient à Toulouse et les envoya à Paris. Il pénétra jusqu'aux confins de l'Espagne, rétablit partout les honneurs de l'Eglise catholique, fixa une colonie de Francs en Aquitaine, et délégua à ses lieutenants la tâche, en apparence facile, de détruire les restes de la puissance des Wisigoths ; mais le sage Théodoric ne le permit pas, et put encore s'opposer avec succès à l'ambition de Clovis. Ses valeureux Ostrogoths marchèrent au secours d'une nation qui n'était, en quelque sorte, qu'une branche de la leur. Les Francs, aidés des Bourguignons, ne purent s'emparer d'Arles, ni de Carcassonne, et furent repoussés partout avec perte.

      Cet échec engagea Clovis à écouter des propositions de paix. Il paraît que ce fut à cette époque que le pays alors appelé province de Marseille, depuis la mer jusqu'à la Durance, qui appartenait aux Bourguignons, fut cédée aux Ostrogoths ; on le laissa aux Wisigoths que la Septimanie, comprenant une étroite étendue de territoire le long de la côté, depuis le Rhône jusqu'aux monts Pyrénées ; mais, depuis ces montagnes jusqu'à la Loire, la vaste Aquitaine fut définitivement réunie au royaume des Francs, avec d'autant plus de facilité que, par les intelligences qu'ils s'étaient pratiquées dans le pays, Clovis avait eu l'art de faire désirer aux Gaulois-Romains sa domination (17).

      Ce fut après avoir terminé cette conquête importante, que Clovis reçut et accepta les honneurs du consulat, qui lui furent conférés par l'empereur Anastase. Le roi des Francs, plaçant un diadème sur sa tête, parut dans l'église de St-Martin de Tours, ervêtu d'une tunique et d'un manteau de pourpre, et fut salué par la multitude des noms de consul et d'auguste. Les Gaulois-Romains ne se crurent plus désormais soumis à la force, mais à une autorité légitime qu'ils étaient habitués à respecter, et les Francs révéraient dans leur chef un titre qui rappelait la majesté de la république, et que les empereurs même s'honoraient de porter.

      Après avoir tout fait pour la gloire et l'établissement de sa nation, Clovis sembla tourner toutes ses idées vers l'affermissement de son autorité personnelle. L'histoire du vase brisé dans Soissons nous a prouvé qu'elle était faible dans tout ce qui ne concernait pas le commandement ou la discipline militaire ; mais, après les vastes conquêtes des Francs, le chef qui les avait conduits à la victoire acquit sur eux une autorié d'autant plus grande,qu'ils devaient davantage à son génie, et, que se trouvant disséminés sur un grand territoire, il leur était plus difficile de se réunir. Cependant le roi des Francs crut encore nécessaire, pour consolider ce pouvoir nouveau et étrange, d'avoir recours à la perfidie et à la cruauté. Les chefs les plus puissants, qui auraient pu prétendre à soutenir leur antique indépendance, ceux qui, par leur naissance, leur rang et leur influence, pouvaient aspirer au commandement suprême, furent indignement assassinés. Clovis s'empara des Etats de Cararic et le fit mettre à mort, sous prétexte qu'il était resté neutre lors de son expédition contre Syagrius. Clodéric, par les suggestions de Clovis, assassine son père Sigibert, roi de Cologne et des Ripuariens, et Clovis venge ce parricide en faisant assassiner Clodéric par ses propres serviteurs et en réunissant ses Etats aux siens. Clovis tue de sa propre main Ragnacaire, roi de Cambrai, qui lui avait été si utile dans sa première expédition, ainsi que Richarius son frère, et s'approprie leurs Etats. Il en agit de même avec Regnomer, autre frère de Ragnacaire, qui commandait au Mans. Le saint évêque de Tours raconte froidement toutes ces horreurs ; et il ajoute, avec une simplicité qui a aussi son énergie : « Après avoir fait toutes ces choses, Clovis mourut à Paris. »
      En effet, Clovis n'avait que 45 ans lorsqu'il termina une carrière dont de sanglantes souillures n'ont pu effacer la gloire. Vingt-cinq ans après sa mort, le royaume des Bourguignons tomba au pouvoir des Francs ; les Ostrogoths furent obligés de leur céder Arles et Marseille ; l'empereur Justinien légitima, en quelque sorte, leur conquête, en leur concédant la souveraineté des Gaules. Depuis cette époque (536), ils jouirent du privilège de célébrer à Arles les jeux du cirque, et, par un privilège plus grand encore, les monnaies frappées par leurs rois eurent un cours légal dans tout l'empire, avantage qui fut refusé au puissant monarque de Perse. Clovis, la première année de sa conversion au christianisme, fit mettre dans un meilleur ordre, et peut-être traduire du teuton en latin, la loi salique. Ce code, qui paraît avoir été rédigé pour la première fois lorsque les Francs étaient encore au-delà du Rhin, ne régissait que les Francs-Saliens. Par une politique très sage et même alors nécessaire, Clovis permit que les différents peuples qui habitaient ses Etats conservassent leurs lois : ainsi les Gaulois-Romains étaient régis par le code théodosien ; les Wisigoths, par ce même code, extrait et modifié par Alaric ; les Bourguignons, par la loi gombette (18) ; de là l'origine de la diversité des coutumes, qui prévalut depuis en France. Clovis, dans la dernière année de son règne, assembla un concile à Orléans, et c'est de ce premier acte de sa souveraineté, en matière ecclésiastique, que dataient les droits exclusifs et non communs aux autres souvertains catholiques que les rois de France réclamaient contre les papes (19) : ainsi, gloire, empire, religion, lois, usgaes, naissance d'une grande capitale, tout, pour les Français, commence avec le règne de Clovis. Ce règne a duré 30 ans, Clovis étant mort le 27 novembre 511. Il fut enterré à l'église des Saints-Apôtres (Ste-Geneviève), qu'acheva Clotilde, qui lui survécut. Le prétendu tombeau de Clovis, que l'on voyait au milieu du choeur de cette église, n'était qu'un cénotaphe érigé par les moines dans le XIIIème siècle (20). Dans le seul diplôme authentique qui nous reste de lui, et qui est de l'an 510, il se qualifie de FRANCORUM REX, vir inluster (21).
      Clovis laissa quatre fils : Thierri, Clodomir, Childéric, Clotaire, qui se partagèrent ses Etats, et une fille nommée Clotilde, mariée en l'an 520 à Almaric, roi d'Espagne. Viallon, chanoine et bibliothécaire de Ste-Geneviève, a publié, en 1788, la Vie de Clovis le Grand : on y désirerait plus de critique (22).




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(1)  C'est ainsi qu'écrit Grégoire de Tours. Le ch, dans ce nom, exprime l'aspiration gutturale des Allemands ; c'est donc le même nom que Lodoveus, Lodovichus, Louis, quoique l'usage de les distinguer ait prévalu. Dans le testament de saint Rémi, le roi Clovis est appelé Hludovicus. Dans la lettre de Clovis aux évêques des Gaules, on trouve Clothoweus ; sur les monnaies, on lit Chlodoveux ou Chlodorius : les Grecs en ont fait (Clodeus), et c'est ainsi qu'écrit Agathias. Dans les grandes Chroniques de St-Denis, en traduisant c nom en français, on a écrit Clodovée. Théodoric, roi d'Italie, en écrivant au roi Clovis, mettait Luduin ou Lodoin, parce qu'il suivait la prononciation des Romains d'Italie.

(2)   L'auteur de cet article fournira ailleurs les preuves qui ne laisseront, il l'espère, aucune prise au doute, relativement à ces diverses limites géographiques. Il se contentera de faire observer ici que les erreurs de nos premiers géographes, consacrées par la grande autorité de d'Anville, en ce qui concerne les limites respectives des Menapii et des Nervii du temps des Romains, ont empêché ceux qui ont écrit notre histoire de bien saisir le sens de nos premiers annalistes.

(3)  Nous interprétons ainsi un passage d'une vie de sainte Geneviève, très ancienne, et antérieure à Grégoire de Tours ; ce passage a beaucoup exercé les critiques (Voyez les Bollandistes, tome 1er, au 3 janvier, D. Bouquet et Baillet).

(4)  Procope, Grégoire de Tours et tous les annalistes qui ont écrit d'après lui, ont employé le mot Thuringie ou Thoringie pour Tongrie, ou ces mots été confondus par les copistes. C'est ce qu'a démontré l'abbé Dubois, Histoire critique de la monarchie française, livre 2, chap. 7, tome 2, p. 427 de la 2ème édition in-12. Nous ajoutons une autre preuve à toutes celles qu'il a donnéess, c'est que le manuscrit de Tacite, dans presque tous les endroits où il est question des Tungri, avait Turingi ; C'est Béatus Rhénanus quia  partout substitué Tungri. Velly et la plupart des modernes qui ont écrit notre histoire, trompés par ce mot de Thoringia, ont fait voyager Clovis et son armée jusque dans la Thuringe.

(5)  Grégoire de Tours (livre 2, chap. 30) n'indique pas le lieu où cette bataille fut livrée ; on a conjecturé que c'était près de Tolbiac (Zolpich), parce que, dans le chap. 57, le même auteur, en parlant de Sigebert, roi de Cologne, dit qu'il fut blessé à Tolbiac en combattant contre les Allemands ; mais cette preuve n'est pas décisive, et plusieurs modernes ont cherché à démontrer que le lieu de cette bataille était près de .

(6)  Nous tirons ce fait curieux de la lettre même de Théodoric à Clovis, où le roi d'Italie s'exprime ainsi : Citharœdum etiam arte sua doctum, pariter destinavimus expetitum, qui ore nianibusque consona voce contando gloriam vestæ potestatis oblectet ; et dans la lettre 40 du même roi, adressée à Boëce, il dit : Cum rex convivii nostri fama pellectus, a nobis Cytharœdum magnis precibus explisset (D. Bouquet, Recueil des historiens des Gaules et de la France, tome 2, p. 5). On voit ainsi que l'usage de tirer des chanteurs et des musciens d'Italie est bien ancien.

(7)  Le vrai nom est Chrotechildis (Voyez Gregor. Turon., apud D. Bouquet, tome 2, p. 176), et dans les grandes Chroniques de St-Denis, écrites en français au XIIIème siècle, on la nomme Crotilde. Hermann, in Chronic apud D. Bouquet, tome 3, p. 319, et Sigebert, tome 3, p.336, écrivent Hrodhilis et Rhotildis. Le ch allemand a subi dans ce nom la même modification que dans celui de Chlodorechus. Le roman d'Aimoin, au sujet du mariage de Clotilde, est curieux parce qu'il peint les mœurs ; mais il ne faut pas lui donner place dans l'histoire, comme ont fait M. Viallon dans sa Vie de Clovis le Grand, et M. Picot dans son Histoire des Gaulois.

(8)  Velis depictis adumbrantur plateæ ecclesiæ, cortinis albentibus atornantur, balsama diffunduntur, micant flgrantes odora cerei, totumque templum birplisterii divino respergitur ab odore ; talmeque ibi gratiam adstantibus Deus tribuit, ut æstimarent se Paradisi odoribus conlocari. (Gregor. Turon., livre 2, chap. 31, apud D. Bouquet, tome 2, p. 177.)

(9)  Procedit novus Constantinus ad lavaerum... cui sanctus Dei fit ove fucundo : « Mitis depone colla Sicamber, adora quod incendisti incende quod adorasti. »

(10)  Quem elegi, baptistari... ejusdem sancti sacri spiritus sacri Chrismatis unctione ordinari in regem. (Testament de saint Rémi, cité par Verlot, Académie des inscriptions, tome 20, p. 24)

(11)  Cette fiole a été brisée en 1794. (Voyez de Murr, sur la sainte ampoule, Nüremberg, 1801, in-8°, en allemand.) Verlot, dans les Mémoires de l'académie des inscriptions, tome 10, p. 689, a traité ce point d'histoire très habilement. Cependant Pluche dans une Lettre sur la sainte ampoule, Paris, 1773, in-12, tout en avouant la fiction, observe que la célébrité de cette relique est pus ancienne que Hincmar, et il présume qu'elle aura été trouvée dans le tombeau de saint Rémi. D'après sa forme, imparfaitement donnée par de Murr, nous la croyons plus ancienne encore ; elle ressemble à une de ces fioles que l'on trouve fréquemment dans les tombeaux romains, auxquelles on a donné le nom de lacrymatoires, d'après l'opinion  de Chifflet, mais qui paraissent plutôt avoir servi à contenir les baumes destinés à arroser les cendres des morts.

(12)  Le nom d'Armorique paraît restreint dans ce siècle aux cités qui se confédérèrent. La partie ouest prit à cette époque le nom de Bretagne, à cause des habitants de la Grande-Bretagne forcés de s'y réfugier ; mais l'Armorique propre (Tractus Armoricanus) comprenait, dans les derniers temps de la puissance romaine, cinq grandes provinces des Gaules. C'est pour avoir méconnu les limites de cette grande division, qui forma un commandement particulier, pour avoir rejeté trop légèrement le témoignage positif de la Notice de l'empire, que des hommes très savants, tels que Valois et autres, ont supposé dans nos premiers annalistes et dans plusieurs auteurs du moyen-âge des erreurs qui n'y sont pas.

(13)  Rue des Mathurins-St-Jacques, à l'hôtel de Cluny.

(14)  Même le judicieux et savant Bonamy ne s'est pas montré plus difficile ; cependant, son mémoire sur l'état ancien de Paris, Académie des inscriptions, tome 15, p. 656, en apprend davantage sur ce sujet, que les effrayantes et volumineuses recherches de Félibien, de l'abbé Lebœuf et de Jaillot.

(15)  Toussaint Duplessis, Nouvelles Annales de Paris, pp. 30 et 41, est le seul qui nous ait satisfait pour la date et les cironstances de cette fondation.

(16)  Voyez la dissertation de l'abbé Lebœuf sur ce sujet, dans les Dissertations sur l'histoire ecclésiastique de Paris, tome 1er, p. 304. Vouillé est trop près de Poitiers pour répondre à l'indication de Grégoire de Tours.

(17)  Multi jam tunc ex Gallis habere Francos dominos summo desiderio cupiebunt. (Grégoire de Tours, livre 2, chap. 36.)

(18)  On trouve ces lois réunies dans le 4ème volume du Recueil des historiens des Gaules, etc., de D. Bouquet.

(19)  Le président Hénault, dans la dernière édition de son Abrégé, p. 5, in-4°, prétend que l'on trouve dans ce concile l'origine du droit de régale ; Velly, Histoire de France, tome 1er, p. 61, nie le fait.

(20)  L'inscription latine de ce cénotaphe, qui est rapportée dans la Description de Paris, de Piganiol de la Force, et nombre d'autres ouvrages, avait été mise en 1628, lorsque le cardinal de la Rochefoucauld fit exhausser et réparer ce cénotaphe. Il y en avait une plus ancienne, composée vers l'an 1300, sur le coffre de bois qui le couvrait. Viallon la rapporte, p. 473. N. Lenoir, Musée des Monuments français, tome 2, p. 4, en ajoute une très longue en français, qu'il dit avoir effacée ; mais elle est inconnue à tous ceux qui ont décrit ce cénotaphe : cette inscription est évidemment supposée par quelque faussaire maladroit. L'effigie de Clovis qui était sur ce cénotaphe est en pierre de liais, et non en marbre, comme l'annonce Piganiol.

(21)  Voyez Diplomata ad res franciscas spectantia, 1791, in-fol., p. 14, n°6.

(22)  Desmarets a fait un poème en 26 chants intitulé Clovis ou la France chrétienne (Paris, 1637, in-4° ; 5ème édition, 1672, in-8°) ; Limojon de St-Didier a publié un poème de Clovis, dont on n'a que les 8 premiers chants (Paris, 1723, in-8°) ; un troisième poème de ce  nom a été donné par Lejeune, 1761, 3 volumes in-12. L'Héritier Nouvelon fit représenter, en 1638, sur le théâtre de l'hôtel de Bourgogne, une tragédie de Clovis le Grand, premier roi chrétien. Les Italiens possèdent une tragédie de Clodoveo triunfante imprimée en 1614, in-4°.  (Biographie universelle ancienne et moderne - Tome 8 - Pages 481-486)




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