Pierre Commelin
La Nuit, déesse des ténèbres, fille du
Chaos, est de fait la plus ancienne des divinités. Certains poètes en font la fille du
Ciel et de la
Terre ; Hésiode
la met au nombre des
Titans, et la nomme la mère des
dieux, parce
qu'on a toujours cru que la nuit et les ténèbres avaient
précédé toutes choses. Elle épousa l'
Erèbe,
son
frère, dont elle eut l'Ether et le
Jour. Mais elle avait
engendré seule, sans le commerce d'aucune divinité, l'inéluctable
et inflexible
Destin, la
Parque noire, la Mort, le Sommeil, la troupe
des Songes,
Momus, la Misère, les
Hespérides, gardiennes
des pommes d'or, les impitoyables
Parques, la terrible Némésis,
la Fraude, la Concupiscence, la triste Vieillesse et la
Discorde opiniâtre
; en un mot, tout ce qu'il y a de fâcheux dans la vie passait
pour une production de la Nuit. Elle est parfois appelée en grec
Euphroné et
Eubulie, c'est-à-dire Mère
du bon conseil. Les uns plaçaient son empire au nord du
Pont-Euxin,
dans le pays des
Cimmériens ; mais généralement,
il est placé vers la partie de l'Espagne nommée
Hespérie,
c'est-à-dire contrée du Soir, près des colonnes
d'
Hercule, limites du monde connu des anciens.
La plupart des peuples de l'Italie regardaient
la Nuit comme une déesse ; mais les habitants de Brescia en avaient
fait un
Dieu, nommé
Noctulius ou
Nocturnus. La
chouette, qu'on voit aux pieds de ce
dieu tenant un flambeau renversé
qu'il s'efforce d'éteindre, annonce celui qui est l'
ennemi du
jour.
Dans les monuments antiques, on voit la déesse
la Nuit tantôt tenant au-dessus de sa tête une draperie
volante parsemée d'étoiles, ou avec une draperie bleue
et un flambeau renversé ; tantôt figurée par une
femme nue avec de longues ailes de chauve-souris et un flambeau à
la main. On la représente aussi couronné de pavots et
enveloppée d'un grand manteau noir étoilé. Elle
est parfois montée sur un char tiré par deux
chevaux noirs
ou par deux hiboux, et elle tient sur sa tête un grand voile parsemé
d'étoiles. Souvent on la place dans le Tartare, entre le Sommeil
et la Mort, ses deux
enfants. Quelquefois elle est précédée
d'un
enfant portant un flambeau, image du crépuscule. Les Romains
ne lui donnaient pas de char, et la représentaient oisive et
endormie.
Notre gravure, d'après Thorwaldsen, représente
la Nuit endormie, s'envolant dans l'espace avec l'Ether et le
Jour.
Pierre Commelin, Mythologie grecque et romaine, pp. 1-3.