La
truelle, que l'Apprenti tient en main pendant le cinquième voyage de l'
initiation au second degré, est l'outil par lequel le Maçon unit les pierres par la
chaux ou le ciment, place les enduits et polit les surfaces. C'est par elle que la Construction se termine et devient parfaite.
La
truelle symbolise donc l'achèvement du Travail et sa glorification.
Pour pénétrer toute la portée de ce
rite, évoquons le temps où nos Ancêtres de la Maçonnerie opérative bâtissaient ces chefs-d'uvre : les
Cathédrales, et particulièrement le moment solennel de la pose de la dernière pierre de l'édifice.
C'est le soir, à l'heure où le
soleil, bas à l'
horizon,
incendie l'Occident. La
cathédrale émerge du flot des maisons de la ville, elle les domine comme un sapin
géant jailli d'une futaie.
Là-haut, à l'extrême pointe de la
flèche
qui s'élance vers le
ciel comme une prière, un homme s'accroche : c'est le Maçon en train de parachever l'uvre.
Le dernier coup de
truelle donnée, le bon ouvrier reste songeur, contemplant la
cathédrale maintenant terminée, cette
cathédrale,
fruit du labeur de plusieurs
générations.
Il y a des lustres de cela, un homme conçut le projet de cette
cathédrale. Dans son cerveau, préparé à sa tâche par de longs travaux et fécondé par le génie, l'inspiration un
jour a germé, a enfanté l'idée du poème de pierre, qu'il a exprimée par des plans où se sont assouplies et disciplinées les lignes architecturales savantes, hardies, harmonieuses.
Plans cent fois corrigés ! Car c'est dans un rude travail que s'enfantent les chefs-d'uvre. Seuls les
esprits superficiels peuvent se laisser abuser par l'apparence de facilité qui se dégage de la simplicité et du naturel pleins de grâce des uvres vraiment belles. Cette perfection, qui nous ravit parce qu'elle est l'expression juste, équilibrée, nécessaire et suffisante d'une Idée, est le propre du génie. Mais le génie ne procède point, comme les
ignorants peuvent et comme les paresseux
veulent le croire, par intuitions instantanées, complètes et définitives. Ce qui paraît venu d'un seul jet et sans effort, tant l'unité en est complète et l'expression dépouillée de tout superflu, est en réalité le
fruit de longues recherches, de patientes retouches, en un mot d'un travail prolongé.
Le génie, a-t-on dit, est une longue patience. Avec plus de vérité encore, on peut
ajouter : un labeur acharné servi par des dons naturels développés par la culture. Et cela surtout quand le génie s'applique à des uvres aussi complexes que celles de l'architecte.
Chez ce dernier, les calculs du savant doivent contrôler
l'inspiration de l'artiste ; il lui faut de surcroît ne rien ignorer des
connaissances pratiques du technicien. Et quand la synthèse est devenue parfaite, quand le travail de
conception est terminé et que commence l'uvre de réalisation, alors l'architecte, comme
Hiram, doit se faire conducteur d'hommes.
Il lui faut, pour en tirer le meilleur résultat, coordonner
les efforts de l'armée des terrassiers, des cohortes de tailleurs de pierres, des bataillons de maçons, de charpentiers, de couvreurs, de forgerons, de serruriers,... des centaines d'hommes qui, pendant des
jours, des mois, des années, peinent pour que se matérialise la pensée de l'architecte,
pour que soient posées les fondations, pour que les murs et les piliers, les voûtes, les tours et les
flèches s'élancent à l'escalade des cieux.
Ouvriers obscurs, ignorés, trop oubliés, dont le travail a rendu vivante la
cathédrale qui sans eux, n'eut été qu'un rêve évanoui avec son auteur ! Ils ne lui ont pas apporté seulement leur effort physique. Ils lui ont donné le meilleur d'eux-mêmes, leur conscience professionnelle, car seule la perfection de leur tâche matérielle a permis la réalisation
totale et
durable de l'uvre de Beauté.
C'est cela qui, moralement, hausse le plus humble des artisans
jusqu'au niveau de collaborateur efficace des artistes : des sculpteurs qui ont
animé les statues et ciselé avec
amour toute une dentelle de pierres, des peintres qui ont revétu les murs de tableaux émouvants, des maîtres verriers qui ont tiré de leurs fours les vitraux multicolores que fait chanter la lumière.
Ainsi, grâce à l'effort égal et coordonné
de tous, s'est édifiée la
cathédrale comme un hymne collectif
au travail, à tous les travaux, intellectuels et manuels.
Et, songeant à cette merveille, le maçon qui, à la tombée du
jour, est venu poser la dernière pierre, glorifie en son cur le travail, tandis que s'allume au
ciel le scintillement de l'étoile dont le quintuple flamboiement sera votre
symbole, ô
Compagnons !
Nous aussi,
Francs-Maçons d'aujourd'hui, descendants et héritiers des bâtisseurs de
Cathédrales, nous avons notre
Temple à construire. Salomon l'a conçu.
Hiram en traça le plan. Chacun de nous l'exécute. C'est le
Temple de l'
Harmonie humaine et de la Paix. Il est fondé sur la Raison. Il est embelli par l'
Amour. Il est réalisé par le Travail.
Consacrons-lui nos efforts persévérants. Apprentis,
hier, nous avons appris à façonner la Pierre Brute. Aujourd'hui,
Compagnons, abaissons la bavette de notre tablier, saisissons la
truelle et, d'une
main ferme, bâtissons.
Bâtir ! nous le pouvons partout, non seulement dans nos Loges en participant à nos travaux, mais encore à l'extérieur en répandant nos doctrines, et surtout, plus efficacement encore, en les servant par notre exemple et nos actions dans le monde
profane.
L'Humanité ne vit que par notre travail, travail intellectuel
et travail manuel également honorés par notre Loi.
Même ceux de nous qui pensent que les
Cieux sont vides et qu'il n'en faut point attendre d'aide, savent qu'il est une prière féconde
et efficace : le Travail. Tandis que les
Religions en leurs Bibles ont fait des
Travailleurs des condamnés en faisant du travail la punition du Péché originel, notre Loi maçonnique glorifie le Travail et les Travailleurs comme le fondement même de notre Société humaine.
Pour nous, le labeur n'est pas seulement une obligation sacrée : c'est une joie, car le Travail porte avec lui sa récompense. C'est notre noblesse, car pour classer un homme, nous ne lui demandons point : de qui es-tu
le fils ?... mais : qu'as-tu fait ?
Travaillons,
frères ! et se rapprochera notre
idéal
d'universelle fraternité ! Depuis qu'il est des hommes qui peinent, il s'est trouvé des curs généreux pour le concevoir, des
esprits
audacieux pour le préparer, des
âmes fermes pour le vouloir.
Pierre à pierre, il s'élève, notre
Temple. Si périodiquement des cataclysmes le bouleversent, c'est à nous à le relever et à en poursuivre l'achèvement avec plus de courage et de foi que jamais.
Travaillons,
frères ! pour que l'Humanité reprenne
sa marche vers le Progrès. Préparons, par notre effort jamais lassé,
la réalisation de notre Grand uvre.
Quand les Hommes seront, dépouillant toute haine,
Frères, au lieu d'être ennemis,
Quand ils ne feront plus qu'une famille humaine
Aux liens à jamais affermis.
Lorsqu'enfin l'Age d'Or brillera sur le Monde,
Fruit du Travail et de l'Amour,
Nous t'acclamerons tous, ô grande Paix féconde !
Travaillons ! Francs-Maçons ! Travaillons pour qu'un jour
Nous puissions accueillir, déposant la truelle
Et relevant nos tabliers,
Dans la Chaîne d'Union totale et fraternelle,
Les Peuples réconciliés.
Jean Corneloup