A défaut de vérité historique, certains récits en
possèdent une autre d'ordre philosophique. Telle
légende est vraie,
non par ce qu'elle dit, mais en raison de ce qu'elle signifie. C'est ainsi que
la mort d'
Hiram est un pur
mythe, précieux par l'enseignement qu'en tirent
les Maçons réfléchis. En est-il de même de l'affirmation
catégorique, selon laquelle le
Rite Ecossais devrait ses Grandes Constitutions
à Frédéric II ?
Les fondateurs de ce
Rite se basent sur un document rédigé
en latin et qui porte la date du 1er Mai 1786. Il débute par la formule
:
Nos Fredericus, Dei Gratia Rex Borussiae, et se termine par :
Datum
in nostra regali Sede Berolini calendis Maii Anno Gratiae MDCCLXXXVI Nostri Regni
XLVII. Subscriptum Fredericus.
De ce document, on n'a jamais produit que des copies, l'original
étant supposé conservé par le Suprême Conseil présidé
à Berlin par le Grand Frédéric, trois mois avant sa mort.
Ce Suprême Conseil se serait réuni si discrètement, que nul
n'a eu soupçon de son existence. Frédéric lui aurait interdit
de faire concurrence à la Maçonnerie prussienne, déjà
pourvue de Hauts-Grades ; ou le roi ne consentait-il à légiférer
maçonniquement que pour l'exportation ?
Cela surprend de sa part, car, reçu Maçon en
1738, il est bien connu que le roi-philosophe ne participa plus à aucune
activité maçonnique à partir de 1744 ; il avait désormais
« d'autres
chiens à fouetter ». La dernière année
de sa vie, il ne quitta pas
Potsdam, où, torturé par la goutte,
il se désintéressait de tout. S'il vint à Berlin présider
un Suprême Conseil enrichi par lui de huit grades supplémentaires,
ce fut en
corps astral, ce qui n'a rien de surprenant, la dite réunion
n'ayant pu être que fantomatique. Cela n'enlève rien à l'authenticité
des
Grandes Constitutions, qui n'en sont que plus merveilleuses, en raison
de leur caractère métapsychique. Nous sommes en présence
d'un phénomène d'écriture spirite, tout au moins en ce qui
concerne la signature de Frédéric II. Quel malheur qu'un si précieux
original ne puisse être retrouvé !
L'hypothèse d'un
faux prémédité
ne saurait être envisagée, en raison de la haute moralité
des fondateurs du Suprême Conseil de Charleston, qui le premier se conforma
aux instructions dues à l'
esprit du défunt roi de Prusse.
La foi de ces Maçons sérieux s'est transmise au général-poète
Albert Pike et au savant Goblet d'Alviéla : c'est devenu un article de
l'orthodoxie écossaise, à laquelle demeure attaché le T
:.
Ill
:. F
:. Giuseppe Leti, auteur d'un livre récent sur la
Maçonnerie italienne.
Dans leur lourdeur d'
esprit, les
historiens allemands se
gaussent de la crédulité des Souverains Grands Inspecteurs Généraux
qui se targuent d'avoir été institués par Frédéric
II. Ils se montrent incapables de comprendre l'attitude de ce spirituel monarque
qui, connaissant ses sujets, voulut que les sublimités de l'Ecossisme
leur soient cachées. Ce n'est qu'en 1930, que les Supérieurs Inconnus
désincarnés ont consenti à l'implantation en Allemagne
du système de Hauts-Grades coordonné en 1786 par le génial
roi de Prusse. Les voies de la providence maçonnique sont aussi déconcertantes que celles de la divinité vulgaire.
Mais parlons sérieusement : ce qui est clair, c'est
que la genèse du
Rite Ecossais ne l'est pas. Mieux vaudrait peut-être
avouer que nous ne savons pas d'où nous venons, car l'intervention spirite
de Frédéric II est une
légende qui risque de nous faire
du tort.
Diogène Gondeau