
Ce n'est pas trop tôt ! Voici une bonne petite discussion fraternelle qui
s'engage dans le
Symbolisme. Je me félicite de l'avoir soulevée
par mon article de
juin dernier sur
La crédulité occultiste, que je vous remercie, T
:. C
:. F
:. Lepage, de ne pas avoir laissé inaperçu.
Permettez-moi cependant de vous faire remarquer, qu'en signalant les dangers d'un certain état d'
esprit, d'une mentalité dont sont affligés beaucoup d'occultistes, je n'ai pas entendu juger votre
vénérable Science occulte. Je connais des occultistes pondérés, sensés, modestes, qui n'ont rien à prendre pour eux de ce que j'ai écrit ; mais, hélas, je croise aussi des
adeptes prétentieux que j'aurais voulu convier à faire leur examen de conscience. Il me serait facile d'en citer quelquesuns nominativement parmi les plus connus, mais cela me ferait estimer peu charitable, alors, qu'en réalité, la réclame leur serait flatteuse.
Que l'occultisme sérieux cadre avec la
Franc-Maçonnerie, c'est ce que je me garderai bien de contester. Sans désir de s'
initier aux choses communément cachées, où en resterait celui qui
n'a dû solliciter son
initiation que parce qu'il se sentait dans les ténèbres et aspirait à la lumière ? Si une institution aux allures mystérieuses n'apprend rien de plus que ce qui s'enseigne sur les bancs des écoles
profanes, il est évident qu'elle se ridiculise. L'occultisme authentique, dégagé de tout charlatanisme, entre donc normalement dans le programme des Loges fidèles aux traditions de l'Art Royal. Ce n'est pas en vain que les deux colonnes flanquent le trône de la
Papesse, installé sur le
pavé mosaïque. Certes, nous ne devons pas craindre de saisir les
clefs interprétatives des idéogrammes du livre muet : nous nous préparons ainsi à soulever le voile avec la compétence et la discrétion qui s'imposent.
Quand nous aurons modestement entrevu, nous nous tairons, si nous écoutons la Maçonnerie, plutôt que monter en chaire pour prêcher ou d'apparaître sur une estrade en battant de la grosse caisse. Vous qui êtes Maçon, mon cher F
:., éprouvez-vous le besoin de
pontifier, de vous poser en mage et de vous affirmer infaillible au nom de votre savoir transcendant ? Non ! Vous ne cherchez à éblouir personne, n'ayant que trop conscience de toute l'obscurité qui demeure devant le plus
sagace d'entre nous.
Sans doute, vous concevez que le matérialisme vulgaire ne conduit pas loin en Maçonnerie, pas au-delà des mystères du premier degré. Ce qu'on enseigne, en effet, aux braves Apprentis, c'est de ne pas prendre des vessies pour des lanternes le
symbolisme tombe juste les vessies, ce sont les
mots qui n'éclairent aucunement par eux-mêmes.
Matière est un mot : quand on a dit que tout est matière, on est bien avancé ! Cela n'empêche pas le matérialisme de déblayer utilement le terrain sur lequel se posera la Pierre cubique du
Compagnon digne de voir l'Etoile flamboyante. L'Apprenti purge sa mentalité de tout ce qu'en tant que
profane, il avait laissé s'y infiltrer de
faux. Pour faire le ménage de l'
esprit, le matérialisme
négateur est un excellent balai, disons même un aspirateur. Ne le méprisons donc pas. sachons nous en servir, sans oublier que le vide ne saurait être un
idéal.
Faire le vide n'en est pas moins la tâche préparatoire
de l'Apprenti. Selon la recommandation de
Descartes. il est appelé à faire
table rase ; l'erreur serait de s'imaginer qu'une table doive demeurer inutilisée, alors qu'elle est faite pour suporter des objets. Ah, la table des occultistes disons
occultards pour ne pas confondre ne manque pas d'être encombrée d'un pittoresque bric-à-brac poussiéreux.
Il peut se trouver, dans le nombre, des bibelots de valeur, des curiosités
exotiques dignes d'examen, mais, en revanche, combien de futilités sans
intérêt ?
Le malheur, c'est que chacun peut s'
initier à l'occultisme
de son autorité privée, en lisant des livres et en écoutant
quelques conférenciers. Le
disciple s'assimile des doctrines qui le séduisent et, dès qu'il croit les posséder. il se pavane en Maître et s'intitule
Initié avec un grand I. S'exemptant de tout Apprentissage, il se précipite vers la colonne où les
Compagnons éprouvés touchent leur salaire. Fier de savoir épeler le mot sacré, il encaisse des notions intuitives, sans avoir appris à distinguer les monnaies. Il s'enrichit ainsi de ce qui n'a pas cours et de reluisantes médailles de mauvais aloi.
S'il s'était soumis au rituel, il aurait déposé
ses métaux, ce à quoi ne songe jamais l'occultiste avide d'acquérir,
sans comprendre qu'il faut se
dépouiller avant de recevoir. L'
Evangile
est initiatique, lorsqu'il prescrit à celui qui veut suivre le Christ de
distribuer préalablement ses biens aux pauvres. Où sont ceux qui
se conforment au précepte en
esprit et en vérité, donc spirituellement
? Et les purifications par les quatre
éléments ? On en parle et
parfois même on se vante de les avoir subies... matériellement. C'est
ainsi que le héros du
Vice Suprême commande au Gnômes, aux
Sylphes, aux
Ondins et aux
Salamandres, parce qu'il a séjourné dans une mine, qu'il a résisté au vertige du haut d'un clocher, qu'il s'est jeté dans une rivière et qu'il a participé au sauvetage, à l'occasion d'un
incendie. Le Sar Péladan, cet as des
as en Haute Magie, en était encore à prendre le
symbole pour le
symbolisé. Jamais il n'a soupçonné ce que parler veut dire en matière de rituélisme.
Voyez-vous, T
:. C
:. F
:. là est bien le
vice suprême de nos
adeptes verbeux : ils manquent d'
initiation initiale. Ils débutent par la réceptivité, qui attire passivement à soi les images tenues en suspension dans la fameuse Lumière astrale. Or, cette opération ne se recommande qu'à l'
adepte devenu réfractaire à ce qui est
faux. Quand l'erreur n'a plus prise sur nous, quand une sévère critique nous a vidés de préjugés et d'idées acceptées sans contrôle, alors nous pouvons laisser s'infiltrer en nous des notions pures, mesurées et vérifiées avec les instruments de l'Art. C'est avec ces matériaux choisis que nous construisons à titre de
Compagnons. Nous édifions ainsi un Occultisme respectable, que nous gardons pour nous, car, sachant nous servir de la Règle et du
Compas, nous limitons avec prudence le domaine de notre spéculation : nous méditons pratiquement, sans nous attacher à formuler des théories risquées.
Il existe un Occultisme maçonnique, et c'est le vrai, à en juger par la valeur de nos rituels. Ceux-ci, étant compris et pratiqués en ce qu'ils signifient, tendent à former de réels
Initiés (avec grand I cette fois, non usurpé). Il faut entendre par là des hommes transmués de plomb
profane en or philosophique, des penseurs ayant acquis le Grand Art de
penser juste, pour aider autrui à moins se tromper. De même que les petits secrets du tuilage ne sont pas ceux qui importent en Maçonnerie, la thaumaturgie ne joue qu'un rôle très secondaire en
Initiation. Développer des pouvoirs anormaux devient la grande préoccupation des occultistes. Or, ces pouvoirs, le véritable
Initié les dédaigne : il vise beaucoup plus haut, sans jamais se mettre en avant, devant la galerie.
En résumé, cherchons la Maçonnerie, en nous instruisant de sa sagesse traditionnelle, et le bon Occultisme nous sera donné par surcroît !
Diogène Gondeau