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Un Grade Apocalyptique

article de Diogène Gondeau (juin 1933)
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Cet article a paru originellement dans le N°174 de la revue Le Symbolisme (juin 1933). Il a été ressaisi et corrigé par France-Spiritualités.

      La sixième classe de la Maçonnerie Ecossaise comprend neuf grades allant du 19° au 27° inclus. Le Chevalier Rose-Croix (18°) croyant, espérant et aimant, peut aspirer, en effet, à se faire recevoir Grand Pontife ou Sublime Ecossais, ce grade faisant rituéliquement suite au précédent. Cet enchaînement ne s'observe plus quand on passe au 20°, qui semble succéder plus ou moins directement au 3°, puisqu'il consacre Vénérable Grand Maître de toutes les Loges et ne comporte d'autres mystères que ceux de la Maçonnerie symbolique. Le Noachite ou Chevalier Prussien (21°) s'adresse, lui aussi, aux Maçons adonhiramites, sans exiger originellement d'eux d'autres connaissances que celles des Maîtres symboliques. Par contre, il faut être Chevalier Prussien pour être promu Royal Hache ou Prince du Liban (22°), puis Chef du Tabernacle (23°), Prince du Tabernacle (21°), Chevalier du Serpent d'Airain (25°) et Prince de Merci (26°). Ces six grades se tiennent, mais celui de Souverain Commandeur du Temple (27°) ne leur succède que conventionnellement, car pour y être admis. il faut pouvoir se dire Elu Maître. En réalité, les grades templiers ont leur filiation qui ne nous intéresse pas ici, car il nous suffit, pour le moment, d'envisager le grade mystique de Grand Pontife, Sublime Ecossais, complément du 18°.

      Ce grade, trop indirectement maçonnique, s'inspire du Chap. XXI de l'Apocalypse de saint Jean, où il est question de la Jérusalem céleste, cité construite au-dessus des nuages. Sa haute enceinte forme un carré parfait, traversé en chaque sens par trois allées, qui délimitent à l'intérieur seize carrés vides, figurant un lotissement de terrains à bâtir. Au centre exact de cette ville inhabitée s'élève l'Arbre de Vie, dont les branches portent douze sortes de fruits. Douze portes, trois sur chaque face, correspondent aux allées qui traversent la cité, laquelle atterrit sur le tableau de la Loge, pour écraser une hydre à trois têtes.

      Foi, Espérance et Charité élèvent le Rose-Croix jusqu'à la Jérusalem céleste, dont la Loge des Grands Pontifes est l'image terrestre : aussi les tentures de cet atelier sont-elles d'azur parsemé d'étoiles d'or. Les fidèles et véritables FF:. qui s'y rassemblent revêtent tous des robes blanches, sur lesquelles se détache un cordon cramoisi, liseré de blanc, porté de l'épaule droite à la hanche gauche. Sur le devant de cet insigne se lit Alpha, mot que précèdent et suivent six étoiles d'or ; au dos est brodé le mot Oméga. Le bijou est un carré long marqué Alpha et Omega. Tous les assistants se ceignent le front d'un bandeau bleu orné de douze petites étoiles d'or. L'atelier reçoit toute sa lumière du delta fortement lumineux qui brille à l'Orient au-dessus du Grand Pontife trois fois puissant, assumant la direction des travaux.

      Ceux-ci sont ouverts par douze coups. Le récipiendaire Rose-Croix, interrogé sur sa foi, affirme qu'un Dieu puissant punit et récompense ; il espère entrer un jour dans la Jérusalem céleste, car il aime ses Frères et tous les véritables et fidèles Elus. Venant de Judée, il a passé par Nazareth, conduit par Raphaël, car il est de la tribu de Juda. Ses voyages lui ont appris à croire, à espérer, à aimer.

      En pratiquant les trois vertus théologales, il doit se garder de croire aux perfides insinuations de ceux qui flattent ses passions, de même qu'il aurait tort d'espérer en ce monde un bonheur parfait et d'aimer de frivoles objets. Sagement averti, le récipiendaire promet de se méfier des flatteurs, de moins compter sur ses propres forces que sur la protection de l'Eternel et surtout de détester les traîtres, les pervers et de rompre avec eux tout commerce.

      Le voici admis à gravir la montagne que contourne en spirale un sentier fleuri, mais parvenu au sommet, l'ascensionniste s'arrête, sans avoir atteint la Jérusalem céleste. Il reste perplexe jusqu'à l'intervention du guide qui l'aide à descendre par un autre sentier pénible et dangereux. C'est alors qu'il rencontre le monstre tricéphale, au souffle empoisonné, qui projette par l'une de ses gueules le venin de la volupté, par la seconde celui de l'ambition et par la troisième la contagion de la cupidité. Le récipiendaire pétrifie le monstre en lui opposant son bijou de Rose-Croix qui fait office de tête de Méduse. Il marche alors sur le serpent et parvient au pied de l'autel, où il se prosterne pour remercier l'Eternel de lui avoir accordé la victoire sur le terrible adversaire.

      Quand le vainqueur se relève, il contemple le plan de la Jérusalem céleste où, quand il y sera admis, il n'entendra plus ni gémissements ni plaintes. Des édifices y sont à construire en remplacement des ruines terrestres. Les portes qui s'ouvrent dans toutes les directions accueillent les élus des quatre points cardinaux, donc de toute la terre, sans distinction de race ou de croyance. L'arbre central aux douze espèces de fruits offrira la nourriture qui convient à chacun.

      L'obligation est prêtée sur l'Evangile, ouvert au 21ème chapitre de l'Apocalypse ; elle comporte la promesse de se conduire de manière à mériter d'être admis dans la Jérusalem céleste, où conduit la droiture et l'équité.

      L'Instruction du Sublime Ecossais affirme que rien n'est inconnu à celui-ci. Nous voilà loin de la sagesse de Socrate, déclarant en sa philosophique humilité : « Je sais que je ne sais rien. » Le Sublime Ecossais, à qui rien n'est inconnu, s'illusionnerait-il sur sa propre ignorance ? Ce Grand Pontife n'a besoin d'être éclairé ni par le Soleil, ni par la Lune, car l'illumination divine (Delta lumineux) lui suffit. Le symbolisme du 19° degré ne va-t-il pas un peu loin dans le domaine du mysticisme apocalyptique ? En Loge ordinaire, il n'est jamais question d'éteindre Soleil, Lune, ainsi qu'Etoile Flamboyante, an bénéfice du seul et unique Delta. Les lumières humaines qui sont la Raison, l'Imagination et l'Intelligence intuitive doivent fusionner leur clarté pour nous rendre accessibles à l'illuminisme divin synthétique, récompense de nos efforts persévérants à chercher le vrai par nos humbles moyens.

      L'ascension par le sentier fleuri ne met-elle pas en garde contre le visionnarisme trop facile ? L'âme qui subit l'attraction du ciel et s'est allégée des lourdeurs terrestres s'élève sans difficulté dans des hauteurs où elle se dilue, mais où le terrien normal ne respire plus. Ce n'est pas ainsi que l'on parvient à la Jérusalem céleste, mais en redescendant pour lutter ici-bas contre le mal destructeur.

      L'Instruction au 19° degré s'attache d'ailleurs à ne pas se perdre dans le mysticisme du voyant de Pathmos. Celui-ci explique, XXI, 19 à 23 :

      « Et les fondements de la muraille de la cité étaient en pierres précieuses : le premier de jaspe, le second de saphir, le troisième de calcédoine et le quatrième d'émeraude, le cinquième de sardonyx, le sixième de sardoine, le septième de chrysolithe, le huitième de béryl, le neuvième de topaze, le dixième de chrysoprase, le onzième d'hyacinthe, le douzième d'améthyste.

      Et les douze portes étaient douze perles ; chacune des portes était d'une perle ; et la rue de la cité était d'or pur, comme du verre le plus transparent.

      Et je ne vis point de temple en elle, parce que le Seigneur Dieu tout-puissant et l'Agneau en sont le temple.

      Et la cité n'a pas besoin du Soleil, ni de la Lune, pour luire en elle, car la clarté de Dieu l'a éclairée et l'Agneau est son flambeau.
»

      S'inspirant du dernier verset, la Loge de Sublime Ecossais renonce à toute lumière artificielle pour s'éclairer, d'où cette déduction inattendue que le fidèle et véritable Frère n'a pas besoin de richesses, ni de naissance pour être admis en Loge, mais doit faire preuve de son attachement à la Maçonnerie, de sa fidélité à ses engagements et de son amitié pour ses Frères.

      Le Tableau de la Loge représente la cité céleste, portée sur des nuages au-dessus d'une ville en ruines, d'où rampe le terrible Serpent à trois têtes. Il s'agit là, pour les Sublimes Ecossais, de la Maçonnerie idéale qui doit remplacer l'institution détruite par la perfidie des mauvais Compagnons.

      Si l'arbre de vie porte douze variétés de fruits, c'est que les fidèles et véritables FF:. doivent s'assembler douze fois par an, en vue de se faire mutuellement part de leurs lumières et se soutenir contre l'ennemi. Les douze portes de la sainte cité font comprendre qu'on s'y rendra de toutes les parties du monde et la vaste étendue de son enceinte prouve que la miséricorde de Dieu est infinie. Ces interprétations manquent de génialité.

      Pour parvenir dans l'enceinte, choisissons les sentiers étroits et difficiles, suivons-les avec persévérance, en combattant la volupté, l'ambition et la cupidité qui en défendent l'accès.

      Les douze étoiles du bandeau frontal se rapportent aux douze anges gardiens des douze portes de la Jérusalem céleste ; elles figurent aussi les Maçons qui ont mérité de franchir ces portes par leur attachement aux règles de l'Ordre. Le bandeau est bleu en signe de douceur et de fidélité.

      La Maçonnerie vouée à la destruction est la nôtre, école passagère que l'homme traverse pour s'exercer à la pratique de la vertu et acquérir le droit de jouir du fruit de ses travaux dans les sublimes régions de la Jérusalem céleste.

      Nous travaillons, au 19° degré, en vue du repos céleste qui semble devoir être définitif, à l'encontre de l'idéal propre aux religions du Travail.

      Ces cultes, auxquels se rattache très étroitement le Maçonnisme, sanctifient l'activité productrice et ne peuvent envisager le repos, ni comme un but, ni en tant que récompense, mais y voient une interruption nécessaire du travail, un moyen de réparation des forces à mettre en œuvre.

      La Maçonnerie parfaite, telle que nous pouvons l'imaginer au-dessus de la réalité brutale, offre un refuge au Maçon fatigué. Quand l'incompréhension, le fanatisme et les mesquines compétitions des hommes le découragent, le sage s'évade dans le rêve, non pour s'y diluer passivement, non pour oublier, mais au contraire afin de se recueillir activement. Rêver, c'est construire idéalement, dans les nuages ; mais ce qui est rêvé correctement, avec sagesse, devient le modèle de réalisations proches.

      Le 19° degré devrait enseigner à rêver constructivement, pour achever la formation du Rose-Croix qui a développé en lui la Foi et la suprématie du Bien, l'Espérance inébranlable en la perfectibilité humaine et la Charité vivante, allant à tous les malheureux, fussent-ils coupables. Savoir rêver est le grand secret des Grands Pontifes, détenteurs du pouvoir spirituel effectif.

      Pourquoi les fidèles et véritables FF:. ne seraient-ils pas dits Chevaliers de l'Apocalypse, plutôt que Grands Pontifes ou Sublimes Ecossais ? La Révélation symbolique, couronnement du Nouveau Testament, se prête à des adaptations maçonniques fort intéressantes.

Diogène Gondeau




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