France-Spiritualités : Robert Vanloo, bonjour. Comment vous est venue l'idée d'écrire cet ouvrage sur les bijoux rose-croix ce qui n'a jamais été fait, à notre connaissance ?
Robert Vanloo : C'est en effet la première
fois que paraît un livre consacré à ce seul bijou, mais les
ouvrages sur les objets maçonniques en général ne sont pas
rares, de même que les catalogues d'exposition. Le joyau du grade de Chevalier
Rose-Croix n'y occupe souvent qu'une place limitée, en compagnie du tablier,
qui mériterait également son propre album, tant il existe de magnifiques
exemplaires anciens.
En fait, l'idée du livre sur
Les
Bijoux Rose+Croix 1760-1890 est venue de Daniel Guéguen,
comme moi un Français volontairement "exilé"
à Bruxelles pour raisons professionnelles... Il m'a parlé
de sa collection et nous sommes tombés d'accord sur un texte
qui servirait de présentation et mettrait en lumière la
haute valeur spirituelle du grade Rose-Croix (18ème degré
dans l'échelle du REAA).
Daniel Guéguen s'est également entouré de deux
autres personnes avec lesquelles il a l'habitude de travailler : Philippe Klein,
d'une part, qui est un photographe de talent et qui a su mettre en valeur, grâce
à de subtils
jeux d'éclairage, toute la richesse des bijoux, et,
d'autre part, Georges Rémi jr, un graphiste bien connu en Belgique puisqu'il
n'est autre que le neveu d'Hergé, dont l'art consommé a permis de
faire de cet ouvrage une splendeur quant à sa présentation
France-Spiritualités : Existe-t-il plusieurs catégories de bijoux R+C ?
Robert Vanloo : Les bijoux reproduits dans le livre sont exclusivement des bijoux maçonniques anciens, portés en Loge. Chacun a son propre dessin et sa propre personnalité. Pierre Mollier, qui est directeur de la bibliothèque et du musée au Grand Orient de France, explique d'ailleurs dans l'introduction l'
histoire de ces bijoux, comment on les fabriquait, etc. Tous les bijoux du grade maçonnique Rose-Croix présentent des constantes au point de
vue symbolique : un
compas ouvert sur un arc, une
couronne, une
croix accompagnée d'une
rose, un
pélican et un
aigle. A partir de ces
symboles, les arrangements peuvent être multiples et c'est là tout l'intérêt de la collection Guéguen : chaque bijou, réalisé sur commande, était différent, alors qu'aujourd'hui tous sont standardisés dans leur présentation.
La Rose-Croix ne se limite certes pas à la seule Maçonnerie,
et je pense qu'il existe d'autres sortes de
bijoux Rose-Croix utilisés,
de nos
jours encore, par les différents mouvements se réclamant
de la tradition rosicrucienne et portés par les membres ou officiers, soit
dans le cadre des travaux rituéliques, soit comme signe de reconnaissance
à l'extérieur.
France-Spiritualités : Avez-vous eu des difficultés
à trouver les bijoux photographiés dans votre ouvrage ?
Robert Vanloo : Comme je l'expliquais précédemment, tous les bijoux reproduits
dans le livre font partie de la collection privée de Daniel Guéguen,
patiemment rassemblée au fil des ans. Plusieurs de ces bijoux appartenaient
déjà à d'autres collections, celle de Jean Baylot (1897-1976),
préfet et ancien dignitaire du GODF, d'André Lebey (1877-1938),
Grand Orateur du Grand
Collège des
Rites, et de Dominique Libert qui fut
le premier rassembleur d'objets maçonniques,
symboliques et compagnonniques
dans les années 1985-95. Guéguen a su rassembler ce qui est épars,
y ajoutant ses propres découvertes, et réaliser ainsi une collection
vraiment unique de 145 bijoux ! Celle-ci a été présentée
l'été dernier au Musée des Beaux-Arts de
Lyon dans le cadre
de l'exposition intitulée "
Lyon, Carrefour européen de la
franc-maçonnerie", une des nombreuses manifestations organisées
à l'occasion du 275ème annniversaire de la Franc-maçonnerie
française.
France-Spiritualités : Quel lien faites-vous entre la Rose+Croix
originelle et le grade maçonnique de Rose+Croix ?
Robert Vanloo : Je
pense que le grade Rose+Croix, tel que transmis aujourd'hui encore par la Maçonnerie,
reste un témoignage de première valeur quant au sens originel de
la Rose-Croix. Et ce témoignage est essentiellement chrétien, ainsi
que le précise cette phrase de la Fama rosicrucienne : «
Nous
naissons de Dieu, nous mourrons en Jésus, nous revivons par l'Esprit
». L'
initiation maçonnique au degré Rose-Croix est là
pour rappeler au futur Chevalier son devoir de se conformer au message d'
amour
transmis par le Christ, ainsi que de nécessaire régénération
de notre nature humaine adamique déchue.
France-Spiritualités : Quand est
apparu le 18ème degré, celui de R+C, et comment peut-on interpréter
cette apparition ?
Robert Vanloo : Elias Ashmole (1617-1692), un
antiquaire
londonien, passionné d'hermétisme et d'
alchimie, fit beaucoup pour
la diffusion en Angleterre des écrits liés à la Rose-Croix.
L'on sait, par ailleurs, grâce à son journal personnel, qu'Ashmole
fut reçu franc-maçon le 16
octobre 1646 dans une loge à Warrington,
ce qui constitue l'une des toutes premières références écrites
à l'existence d'une Maçonnerie spéculative en Angleterre.
Logiquement, il est donc permis de supposer que le contenu des écrits rosicruciens
était déjà bien connu, dès le milieu du XVIIème
siècle, au sein des loges maçonniques anglaises.
On comprend, dès lors, la nature des liens qui unirent, à
l'origine, la Maçonnerie spéculative aux magnifiques
idéaux
Rose-Croix qui se propagèrent un peu partout en
Europe au début
du
XVIIème siècle. Il n'est donc pas étonnant que, lorsque
la Franc-maçonnerie commença à développer un système
de hauts grades en dehors de ses loges bleues, elle chercha à y commémorer
la Rose-Croix, afin de bien montrer à quel point tous les
frères
maçons étaient redevables aux
idéaux de l'invisible confrérie
: de là la naissance du 18ème degré de l'Ecossisme considéré comme le
Nec plus ultra de la Franc-maçonnerie.
France-Spiritualités : Pourriez-vous nous parler du symbolisme du phénix ?
Robert Vanloo : Le
phénix
est cet
oiseau mythique qui renaît lui-même de ses cendres. Il a souvent
été utilisé comme élément emblématique
de la survie de l'
âme après la mort terrestre. Les premiers chrétiens
empruntèrent ce
symbole aux Egyptiens et aux Grecs afin de faire référence à l'éternité du Christ ressuscité, tout comme les alchimistes utilisèrent l'
oiseau mythique pour représenter l'achèvement du Grand uvre, la Pierre philosophale.
Dom Pernéty dit que : «
Le phénix n'est autre que le soufre rouge des philosophes ».
A cet égard, je ne peux que conseiller à chacun la lecture de l'excellent livre de Henri La Croix-Haute intitulé
Du Bestiaire des Alchimistes, qui vient de paraître aux
Editions Le Mercure Dauphinois, où le
phénix est évidemment présent, avec l'
aigle et le crapaud...
France-Spiritualités : Les Francs-Maçons acceptent-ils, dans leur ensemble, les interprétations alchimiques des bijoux R+C ?
Robert Vanloo : Je pense que beaucoup de
frères, notamment dans les obédiences spiritualistes, sont ouverts au
symbolisme alchimique. Il faut d'ailleurs rappeler que l'Ordre des Rose-Croix d'Or allemand au
XVIIIème siècle était essentiellement
composé de francs-maçons, et que l'enseignement de cet Ordre portait notamment sur l'
alchimie. On peut d'ailleurs retrouver l'essentiel de l'enseignement alchimique de ces anciens Rose-Croix d'Or, ainsi que des indications sur leurs rituels, dans un ouvrage devenu assez rare aujourd'hui
Das Lehrsystem des Ordens der Gold- und Rosenkreuzer du Dr. Bernh.
Beyer (Pansophie-Verlag, Leipzig, 1925), dont je vous livre quelques planches
(Voir ci-dessous.).
Peu de francs-maçons,
ou de membres d'autres mouvements initiatiques, auraient pourtant aujourd'hui,
je crois, la patience d'approfondir les rudiments de l'Art, sans parler même
de la pratique, qui reste l'
apanage d'un petit nombre et d'une connaissance de
maître à
disciple... Là aussi, je vous renvoie à la
collection alchimique du
Mercure Dauphinois, ainsi qu'à une toute nouvelle
maison d'édition basée en Belgique et fondée par quelques
amis, qui souhaitent remettre en honneur quelques grands textes de la tradition
hermétique et alchimique : il s'agit de BEYA, où trois premiers
titres sont déjà parus. Voyez
http://users.belgacom.net/beya/index.htm.
France-Spiritualités : Vous avez reçu le Prix littéraire de la Maçonnerie française
2003 (catégorie Histoire/Beaux livres), pour "Les
bijoux R+C", à l'occasion du Salon du livre maçonnique
qui s'est tenu à la mi-octobre dans les locaux de la Grande Loge de France
à Paris. C'est une récompense que vous avez dû particulièrement
apprécier ?
Robert Vanloo : Ce prix littéraire était en
effet inattendu et récompense l'excellent travail d'équipe dont
il était question précédemment, car sans cette synergie
où la créativité de chacun a pu s'exprimer librement le
résultat n'aurait pu atteindre un tel niveau qualitatif et esthétique.
Il faut préciser que cette manifestation était organisée, pour la première fois, sous l'
égide de l'IMF (Institut Maçonnique de France). Le président du jury, Michel Maffesoli, a également
décerné le prix "essai-spiritualité" au
Livre des outils, de Gibet (Ed. A L'Orient), et
Noirs et francs-maçons, de Cécile Revauger (Edimaf), tous deux ex æquo ; le prix de la catégorie "humanisme" à
Montaigne, notre nouveau philosophe (Plon)
de Joseph Macé-Scaron, directeur de la rédaction au
Figaro magazine,
ex æquo avec
Le feu Sacré
(Fayard) de Régis Debray, auteur qu'il n'est plus nécessaire de
présenter au public...
France-Spiritualités : Avez-vous en projet des ouvrages sur d'autres bijoux maçonniques ?
Robert Vanloo : Non, pas précisément.
Mais je travaille depuis un certain temps déjà sur un projet de
livre qui s'intitulera certainement : "
Le symbole
Rose+Croix, histoire et herméneutique", qui fera le
tour complet de la question, avec de nombreuses références. Ceci
implique un gros travail de recherche, et l'ouvrage avance peu à peu.
Je viens également d'achever une biographie de l'
illustre
alchimiste belge, Jean-Baptiste Van Helmont (1579-1644), qui comprend notamment
un magnifique discours sur l'
âme où le médecin évoque
sa propre illumination et la façon dont celle-ci s'est produite, alors
même qu'il travaillait à son
athanor... Cette biographie se présente
sous la forme d'un roman qui, grâce aux dialogues, permet de faciliter au
lecteur la compréhension du système physique et métaphysique
du savant
brabançon. Il y est aussi question des démêlés
de Van Helmont avec l'
inquisition et de ses nombreuses découvertes scientifiques,
comme le thermomètre et le gaz.
France-Spiritualités : Robert Vanloo, merci beaucoup pour cette entrevue.
Robert Vanloo : C'est moi qui vous remercie.
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